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17/03/2015

Lire les classiques - Paul Verlaine 1a

Paul Verlaine 

littérature; poésie; anthologie; livres

O triste, triste était mon âme
À cause, à cause d’une femme.
 
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon cœur s’en soit allé,
 
Bien que mon cœur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.
 
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon cœur s’en soit allé.
 
Et mon cœur, mon cœur trop sensible
Dit à mon âme: Est-il possible,
 
Est-il possible, - le fût-il, -
Ce fier exil, ce triste exil?
 
Mon âme dit à mon cœur: Sais-je
Moi-même que nous veut ce piège
 
D’être présents bien qu’exilés,
Encore que loin en allés?
 

Paul Verlaine, Romances sans paroles, précédé de: Poèmes saturniens (coll. Poésie/Gallimard, 2007)

image: Eugène Carrier, Paul Verlaine / 1891 (www.apreslapub.fr)

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/03/2015

Morceaux choisis - Pierre Clavilier

Pierre Clavilier

Cormorans-pygm--s-DdD-191207a.jpg

J'habite un pays de glaise 
où les maisons 
en toutes saisons longent la falaise. 
Les étoiles se lèvent au son des chants des cormorans
venus des océans jusqu'aux terres essoufflées. 
Quelques mouettes 
échouées sur des rochers 
hurlent au-dessus les transparences blessées de cette houle 
souvent hostile 
d'une mer qui s'agite nuit et jour dans un mouvement répété 
depuis les débuts de l'éternité.
 
Il y a là,
sous ces cieux,
où le soleil glisse,
plus de sauvage que de civilisé
et les hommes qui y vivent
portent inscrites sur eux leurs faces burinées
les failles dessinées par les escarpements
délimitant leurs rivages où l'eau qui éclate contre la pierre
forme une brume continuelle.
 
J'ai donc grandi aux côtés des blocs de granit
vagues monolithes oubliés par des géants
débarquant là
il y a longtemps.
Ici, 
si l'on en croit la légende anonyme.
 
Chacun la porte en son sein.
Chacun la charrie dans es veines
jusqu'à colorier son sang
d'un pigment différent des autres gens...
 
Le cri de la mer a bercé mon oreille.
Elle couvrit les pleurs du nourrisson.
D'attendre les mugissements marins
j'ai fini par oublier
les mugissements marins
et les matins d'hiver étaient en cela 
semblables aux matins d'été.
 
L'herbe ondulante y verdoie les prairies bousculées!
A chaque écho
un écueil
où l'écume blanche
recouvre les profondeurs des bleus étendus.
Une chapelle à demi écroulée
se dresse à la pointe occidentale.
Derrière un phare
sillonnent les cieux orphelins.
Une école
où résonnent encore quelques éclats de rire,
les maisons,
plus loin
un cimetière enclos d'une muraille rocailleuse
et plus rien.
 

Pierre Clavilier, Pays d'écueil, dans: Valère Staraselski, L'heure injuste - Anthologie poétique (La Passe du Vent, 2005) 

image: Gregory Lepoutre (ornithopix.over-blog.com)

00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/03/2015

Le poème de la semaine

Charles Cros

Au printemps, c’est dans les bois nus
Qu’un jour nous nous sommes connus.
 
Les bourgeons poussaient vapeur verte.
L’amour fut une découverte.
 
Grâce aux lilas, grâce aux muguets,
De rêveurs nous devînmes gais.
 
Sous la glycine et le cytise,
Tous deux seuls, que faut-il qu’on dise?
 
Nous n’aurions rien dit, réséda,
Sans ton parfum qui nous aida.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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10/03/2015

Morceaux choisis - Charles-François Landry

Charles-François Landry

PremiereNeige_17623_4.jpg

Un temps vient où le ciel est gris comme la gorge de la tourterelle. Il n'y a plus de saison. Rien n'avance ni ne recule. Le vent qui s'élève est si court qu'il retombe au milieu d'un labourage. Rien qui ressemble à une journée comme une journée. Les routes sont vides. Cette neige qui avait déguisé le pays, elle a même renoncé à rester; sans que personne puisse dire comment cela s'est fait, elle a disparu, et cependant on est bien loin encore des lourdes pluies noires de mars qui sentiraient le désespoir et l'espoir. Non, c'est le temps parfait de l'hiver, trop subtilement froid pour qu'on pense au froid, trop dépouillé pour qu'on pense au dépouillement, trop immobile et sans soleil possible, pour qu'on pense que jamais cela changerait ou s'éclaircirait. Dépassés, les gels qui rendaient les chemins sonores et les herbasses crissantes! Dépassé ce temps de buée qui pouvait se suspendre en si fine glace que par milliers, des plantes mortes jamais visibles sur de hautes tiges, se trouvaient brusquement belles et bien vues, et décorées de givre, et si délicates, qu'on se souvenait de tout ce qui est doux, à leur propos: toiles d'araignées dans la fraîcheur des juins d'aube, roseaux à plumets, ailes de libellule, frémissement du peuplier et du saule.

Maintenant, une eau même, et qui court encore sur des cailloux, au fond d'un fossé, n'éveille rien. On sait, l'esprit sait qu'il existe des lois de physique et de mécanique, et que l'eau, corps liquide, suit la pente, si faible soit la pente. Rien de plus froid qu'une loi.

Aussi bien, l'homme qui ne saurait longuement vivre dans les déserts du coeur, l'homme retourne à l'homme, en lui, et hors de lui. Il est bon de marcher dans un méchant climat. Ce poivre dans la gorge, cette douleur aux yeux, cette lèvre supérieure coupée, c'est vivre, tout cela. Il est juste d'avoir des mains de bois dans des poches de manteau qu'on dirait gercées. Il est loyal d'avoir des genoux de scaphandre, et le poids du monde entre les épaules. Aller d'un village à un autre village, c'est une entreprise. De grands aventuriers ont traversé des mers inconnues sur de petits navires; encore avaient-ils un équipage. Quitter une maison chaude et traverser un temps morne pour gagner une autre maison chaude, n'est-ce donc pas une aventure, aussi?

Jamais plus, se dit-on. Jamais plus. Non, jamais ne reviendront ces jours peut-être absurdes où rien n'avait d'importance sinon la joie. Jours immoraux qui allaient de la fraîcheur d'aube à la tiède soirée tardive, en passant par le midi ardent et l'après-midi lourde; jours où la seule caresse du vent sur la peau rendait triste, d'une voluptueuse tristesse; jours où chaque fille venue d'un peu loin, qui oeuvre aux fenaisons par gestes lents et larges, était un peu de Vénus; jours où chaque auberge vous suggérait une soif et vous posait un problème: boire dans la salle fraîche ou sous la fraîcheur des arbres? Qui de nous n'a été le sybarite qui se plaint d'un pétale de rose mal plié; qui de nous, regardant les chiens couchés dans la poussière, plus défaits que des morts, plus vautrés que des ivrognes, et qui ne se soit senti complice de ette fainéantise? C'était le temps où le chat lui-même dormait à bottes ouvertes comme le chat botté et comme un mousquetaire ripailleur, et il en faut avant que le chat n'abandonne sa belle tenue et se couche, à la courtisane, sans même l'excuse d'être une nourrice chatte qui se laisse fourgonner les mamelles par des chatons dormeurs.

Tout cela, dans quel rêve ébloui l'a-t-on imaginé? Les maisons n'avaient pas de portes, les chambres pas de fenêtres. Aujourd'hui, en venant du dehors, on connaît de subtiles différences entre le froid qui circule sur les champs, le froid retenu entre les maisons d'un hameau, le froid qui se tient devant la porte, le froid pris entre la porte première et la seconde porte.

Tant de science pour souffrir!

Le chat dort proche le poële, et non content, parfois replie ses pattes en mitaines, comme un vieux curé. On dit alors que bise va se lever, ou température descendre encore. C'est qu'il est si frileux, ce geste de mettre pattes sous pattes, comme si quelque manche fourrée pouvait encore s'en venir retomber sur la griffe.

C.F. Landry, Pour quatre coins de terre - illustré par Charles Clément (Eynard, 1948)

image: vers-le-vent.blogspot.com

08/03/2015

La citation du jour

Marcel Proust

citations; livres 

C'est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l'avertissement arrive qui peut nous sauver; on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu'on aurait recherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s'ouvre.

Marcel Proust, Le temps retrouvé (coll. Livre de poche/LGF, 1999)

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/03/2015

La citation du jour

Georges Courteline 

COURTELINE05.jpg

Le Tribunal, après en avoir délibéré:

Attendu qu’il résulte du constat de Legruyère, huissier, et de plaintes au nombre imposant de treize mille six cent quatre-vingt-sept, que La Brige, au mépris des lois sur la décence, a découvert, mis à jour et publiquement révélé une partie de son individu destinée à demeurer secrète;

Attendu que le prévenu, tout en reconnaissant l’exactitude des faits qui font l’objet de la poursuite, objecte du droit absolu, dévolu à tout locataire, d’user à sa convenance d’un logis qui est le sien, et, notamment, de s’y dépouiller dé tout voile si le caprice lui en vient, à condition, bien entendu, de n’être une cause de scandale ni pour les voisins ni pour les passants, ce qui est précisément son cas;

Attendu que La Brige, contraint et forcé, par les exigences de l’été, de tenir ses fenêtres ouvertes, donc de livrer sa vie privée au contrôle d’une foule indiscrète et goguenarde, prétend que son domicile est devenu l’objet d’une violation de tous les instants: argument d’autant plus sérieux que si le premier venu est en droit de plonger chez les particuliers et de regarder ce qui s’y passe du haut d’un trottoir surélevé, il peut procéder logiquement à l’accomplissement de la même opération au moyen d’une échelle, d’une perche, d’une corde à nœuds ou de tout autre appareil gymnastique, et que, dès lors, l’intimité du chez-soi devient un mot vide de sens;

Attendu qu’il n’est rien au monde de plus complètement sacré, de plus parfaitement inviolable, que la maison du prochain; que Cicéron promulgue cette vérité première et qu’il y a lieu de tenir compte du sentiment de ce jurisconsulte...

Mais d’autre part :

Considérant que la Loi, en dépit de ses lâchetés, traîtrises, perfidies, infamies et autres imperfections, n’est cependant pas faite pour que le justiciable en démontre l’absurdité, attendu que s’il en est, lui, personnellement dégoûté, ce n’est pas une raison suffisante pour qu’il en dégoûte les autres;

Considérant qu’a priori un gredin qui tourne la Loi est moins à craindre en son action qu’un homme de bien qui la discute avec sagesse et clairvoyance;

Considérant qu’en France, comme, d’ailleurs, dans tous les pays où sévit le bienfait de la civilisation, il y a, en effet, deux espèces de droit: le bon droit et le droit légal, et que ce modus vivendi oblige les magistrats à avoir deux consciences, l’une au service de leur devoir, l’autre au service de leur fonction;

Considérant, enfin, que si les juges se mettent à donner gain de cause à tous les gens qui ont raison, on ne sait plus où l’on va, si ce n’est à la dislocation d’une société qui tient debout parce qu’elle en a pris l’habitude;

Pour ces motifs :

Déclare La Brige bien fondé en son système de défense, l’en déboute cependant, et, lui faisant application de l’article 330 du Code pénal et du principe tout cela durera bien autant que nous, le condamne à treize mois d’emprisonnement, à 25 francs d’amende et aux frais.

Georges Courteline, L'article 330 - Théâtre (coll. Garnier Flammarion, 1965)

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06/03/2015

Morceaux choisis - Louise de Vilmorin

Louise de Vilmorin

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Ma peur bleue, ma groseille,
L’amour est une abeille
Qui me mange le cœur
Et bourdonne à ma bouche
Que tu nourris et touches
Des baisers du malheur.
 
Mon ange sans oreilles,
Ma peur bleue, ma groseille,
Ne viendras-tu jamais
À l’envers de ma porte?
Es-tu de cette sorte
Ange sourd et muet?
 
Tes mains sans teint, polies
Au jeu de tes folies,
Se mouillent à mes yeux
Et tu ris de ces fleuves
Où naviguent mes vœux
Parmi tes robes neuves.
 
Ne me donneras-tu
Que ton chapeau pointu
À porter ma sorcière,
Et nul autre baiser
Que ces nids de danger
Et ces ruches entières?
 
Ne me permets-tu pas
De t’enlever tes bas
À l’envers de ma porte?
Je veux voir tes pieds nus
Et les abeilles mortes
Du bonheur revenu.
 
Mon ange sans oreilles,
Ma peur bleue, ma groseille
Posée sur mes désirs,
Ma chambre est grande ouverte
Que coupe l’allée verte
Par où tu dois venir.
 
Ma peur bleue, ma groseille,
Viens à fleur de mes veilles
Et que tombe le jour
À l’envers de ma porte.
Et que le vent emporte
Le chemin du retour.
 

Louise de Vilmorin, A l'envers de ma porte, dans: Poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1970)

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/03/2015

Le poème de la semaine

Valère Novarina

Aujourd'hui où tout pivote,
se déclenche,
s'enchaîne à grande vitesse
- et où nous pouvons partout reproduire, atteindre,
communiquer et tuer instantanément -,
la question de la représentation est au centre:
la question des images, la querelle des mots...
 
Il y a une lutte contre les images qui urge,
un combat à mener à nouveau contre l'envoûtement
et notre soumission aux idoles.
 
La poésie est comme un coup porté
au monde par-dedans.
C'est une forme acérée du langage,
une guerre dans la pensée contre ce qui est
autour de nous communément propagé:
les mots ne vibrent et ne répandent leurs fortes ondulations
que s'ils ont, comme la flèche,
frappé très exactement au coeur précis.
 
 
C'est alors qu'ils résonnent
comme des projectiles centrés juste.
Ecrire tranche,
et il n'y a rien de plus proche de l'action du poète
que l'ouïe méticuleuse,
la précision aiguë du juriste.
 
Jamais le théâtre,
en tant que lieu où l'image se fissure
et scène d'interrogation du langage,
n'aura été autant au coeur du monde.
 
Jamais la poésie n'aura été plus politique.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

09:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/03/2015

La citation du jour

Colette.jpg

Colette

A l'écart des êtres qui, remplis à la hâte de moi, me laissent creuse, et la joie tirée, loin des pléthoriques, pires, de qui j'ai tôt fait de repousser l'indigeste apport, s'élargit une zone où je m'ébats avec mes pairs. J'en ai un peu plus que je n'espérais. Ils émergent de la plus funeste jeunesse, la deuxième. Ils perdent leur sérieux, et acquièrent une notion juste de ce qui est guérissable, à commencer par l'amour. Ils administrent ingénieusement, chaque jour, l'espace compris entre une aube et l'aube suivante, et sont aventureux en esprit. Ils aperçoivent, comme moi, ce qu'il y a de pernicieux dans le travail quotidien, et ils ne rient pas quand je leur cite la boutade d'un grand journaliste qui mourut jeune et sur sa tâche: L'homme n'est pas fait pour travailler et la preuve c'est que ça le fatigue. Pour tout dire, ils sont frivoles, comme furent cent héros. Ils sont laborieusement devenus frivoles. Et ils secrètent au jour le jour leur propre morale, ce qui me les rend plus intelligibles encore, et les colore diversement.

Colette, Le pur et l'impur (coll. Livre de poche/LGF, 2004)

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/02/2015

Lire les classiques - Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine.jpg

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds; 
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
 
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.
 
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.
 
Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs:
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
 
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
 
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m'attend. 
 
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé!
 
Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil? je n'attends rien des jours.
 
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts:
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.
 
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux!
 
Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour!
 
Que ne puis-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi!
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.
 
Quand là feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie:
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons!
 

Alphonse de Lamartine,  Méditations poétiques, suivi de: Nouvelles méditations poétiques (coll. Poésie/Gallimard, 2006)

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