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11/01/2015

Morceaux choisis - Andrée Chedid

Andrée Chedid

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Au bout de ce voyage, nos chemins se rejoignent, et j'évoque, une fois encore, ces deux fleuves que nous avons tant aimés. Je repense à ces eaux, tellement pétries de sens, qui charrient aussi l'image de nos vies divergentes et complices, de nos vies dissemblables et accordées.

Avec toi, je me glisse en cette terre d'Egypte, si stable et si continue, mais non dénuée de déchirures, d'où nous venons tous les deux. Avec toi, je pénètre en cette ville de Paris, si fascinante et si rebelle, vers où nous portaient nos désirs.

En leurs réalités, comme en leur mystère, l'une et l'autre, me semble-t-il, se sont gravées dans nos tempéraments faits à la fois de dissidences et de fortes retrouvailles, de différences et d'inusable harmonie.

Ainsi va le corps à la poursuite de l'existence, de l'ailleurs et de l'autre, puis vers sa progressive dissolution. Ainsi demeure le coeur, fidèle à ses visages et à ses lieux privilégiés. Ainsi coulent le Nil et la Seine, lointains et proches.

Ainsi s'écoulent nos vies, si diverses et si durablement reliées.

Andrée et Louis Antoine Chedid, Le coeur demeure (Stock, 1999)

image: Nicolas de Staël, Sicile (himalayalpes.wordpress.com)

26/12/2014

Morceaux choisis - Emily Dickinson

Emily Dickinson 

littérature; poésie; livres

Le son le plus triste, le son le plus doux,
Le son le plus fou qui enfle,
- C'est celui que font les oiseaux, au printemps,
Quand la nuit délicieusement tombe,
Sur le fil, entre mars et avril -
Frontière magique
Au-delà de laquelle l'été hésite,
Presque divinement trop proche.
 
Il nous fait penser à tous ces morts
Qui ont traversé la vie en flânant avec nous,
Et que la sorcellerie de la séparation
Nous rend cruellement plus chers encore.
 
Il nous fait penser à ce que nous eûmes,
Et dont nous déplorons la perte.
Nous en souhaiterions presque que ces voix de sirènes
S'en aillent et se taisent.
L'oreille peut briser le coeur humain
Au vif comme un javelot.
On voudrait que le coeur ne soit pas
Si dangereusement près de l'oreille.
 

Emily Dickinson, Poèmes non datés in "Poésies complètes", édition bilingue (Flammarion, 2009)

Traduction: Françoise Delphy

Illustration: Nicolas de Staël / Fiesole

02:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis, Nicolas de Staël | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/04/2014

Morceaux choisis - Jean-Louis Kuffer

Jean-Louis Kuffer 

littérature; chroniques; morceaux choisis; livres 

La peinture de Nicolas de Staël se jette et nous jette dans le vide et rien n'est moins surprenant que le geste ultime du peintre de se jeter dans la mer alors même qu'il touche à la plénitude de son art et s'exclame: joie! en se tuant.

NdS est à l'évidence un plongeur mais vers le haut, en tous cas pour l'élan et le bond, le mouvement, la vitesse et l'intensité du geste. La mort de joie qu'il se donne relève de ce qu'on appelle l'absolu et plus précisément en l'occurrence: l'absolu de l'art, qui se perçoit dans sa phase sommitale et dernière avec l'exultation liée au saut dit justement: de l'ange...

Peu importent les circonstances exactes de sa mort, anticipée ou lui fondant dessus comme l'éclair; on dira peut-être plus tard qu'elle était inscrite mais qu'en sait-on, sachant comme lui la part d'ombre de toute illumination à ce point du risque pris, et la faiblesse de toute force.

L'exigence d'absolu est ce qu'on pourrait dire une folie de jeunesse, et celle-ci jette en avant de nous son défi d'orgueil dans cette forme qui ouvre un nouvel espace et nous arrache au temps comme un Lascaux futur sans l'artifice de vaniteuses fusées ou de chiens et de singes ligotés, dans un ciel rose ou vert qui se déploie dans ce qu'on pourrait dire l'ouvert obscur que salue le Devancier de René Char qu'on dirait écrit pour lui: Sans redite, allégé de la peur des hommes, je creuse dans l'air ma tombe et mon retour.

Que la joie demeure, cependant, avec l'Objet.

L'Objet est à la fois unique et multiple, qui se révèle par accidents successifs sous l'effet de la constante obsession. Telle est, une parmi la centaine d'objets de la dernière folle profusion rappelant celle de Van Gogh, La Lune de 1953 toute tramée de gris sableux et de bleus lessivés en camaïeux lissés au couteau sur plancher de bois à stries. On est très loin des musiciens de Sydney Bechet et des footballeurs du parc des Princes, entre les cyprès noirs et rouges du Sud profond, les arbres en quilles bleues de Ménerbes comme alignés sur les murs ocre et mauve, et c'est parti de Provence en Sicile sous le soleil blanc qui fusille toute nuance, mais tout reste à regarder dans cet autre théâtre sans dehors ni dedans où la table est suspendue au ciel et les bateaux immobiles dans le port que seules les couleurs délimitent. Abstrait ou figuratif? On s'en fout, étant entendu que, depuis qu'on met des adjectifs dans des boîtes, la peinture s'en échappe de plus belle, écrit NdS.

On voit bien dans Les mâts (Marine) de 1955 des espèces de mâts qui pourraient être des aiguilles à tricoter des bonnets d'anges ou de fins crayons à dessiner dans le ciel des motifs ailés comme les Mouettes d'à côté; on voit le billot de cette nature morte où poser sa tête, ou ce nu bleu ondulant en vague entre lit de lait et ciel de sang; on voit un Coin d'atelier fond bleu qui est la double quintessence du coin et de l'atelier tels que les ont connu un Héraclite ou un Hölderlin - ou tout cela serait plutôt de la musique genre Berg ou Schönberg, comme il l'a entendue à Paris la veille du 16 mars où, revenu à Antibes, il s'apprêtait à descendre le Concert sur l'immense toile de six mètres sur six quand Dieu sait quoi l'a happé soudain vers le ciel d'en bas...

Mais quelle joie y a-t-il donc à mourir si violemment, se demandent Madame et Monsieur Tout-le-monde ne percevant pas bien la nécessité de tuer le banal et de faire descendre ainsi le ciel sur de la toile? Or lui-même a parlé de joie dans la plus extrême difficulté, et qui le verrait couler ses vieux jours ou gérer ses avoirs sans sacrifier à la fois cette joie? La mort de Nicolas de Staël est aussi dure et pure que son absolu, aussi terrible que sa joie. 

Jean-Louis Kuffer, Cette joie terrible, dans: L'échappée libre - Lectures du monde 2008-2013 (L'Age d'Homme, 2014)

image: Nicolas de Staël, Concert / 1955 (parfumdelivres.niceboard.com)

08/10/2013

Morceaux choisis - René Char

René Char

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Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien signifier l'issue de l'aube que le bougeoir du crépuscule. Elle passa les grèves machinales, elle passa les cimes éventrées. Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l'alcool du bourreau. Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile où s'inscrivit mon souffle. D'un pas à ne se mal guider que derrière l'absence, elle est venue, cygne sur la blessure, par cette liane blanche.

René Char, La liberté, dans: Georges Jean, La liberté en poésie (coll. Folio Junior/Gallimard, 1998)

image: Nicolas de Staël, Collage (arcadja.com)

23/02/2012

Morceaux choisis - Giuseppe Ungaretti

Giuseppe Ungaretti

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J'ai toujours pensé que les vrais grands peintres sont ceux qui savent se servir du blanc. Tous les registres y sont contenus; une pointe en suffit à faire hurler un tableau, ou le faire rire comme les jeunes filles de Corte. Ce n'est pas une absence de couleurs; ce sont toutes les couleurs en mouvement, parmi lesquelles, l'une ou l'autre, ou plus lente, ou plus prompte, glisse un rien de discordant; bleu, ou rouge, ou jaune bile, ou aveuglant comme le soleil. Le blanc ne permet de triompher qu'à force de retenue; quand, dans un poème, un tableau, le blanc réussit à éclairer le sens profond des paroles, le poète ni le peintre n'a plus rien à apprendre.

Giuseppe Ungaretti, Neige (Revue Europe - no 955-956, novembre-décembre 2008)

image: Nicolas de Staël, Le concert (1955)

26/02/2011

René Char

littérature; poésie; art; correspondance;livresRené Char & Zao Wou-Ki, Effilage du sac de jute (coll. Poésie/Gallimard, 2011)

Ces 18 poèmes de René Char enluminés de 10 aquarelles de Zao Wou-Ki sont reproduits dans la présente édition à partir du manuscrit original tiré à 100 exemplaires et conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Si les textes figurent dans les oeuvres complètes de René Char à la Bibliothèque de la Pléiade, intégrés dans Fenêtres dormantes et porte sur le toit, la correspondance entre ces deux artistes hors du commun, ajoutée à la présente édition, est inédite, fruit d'une complicité entre Marie-Claude Char et Françoise Marquet: la veuve du poète et celle du peintre. Sans être aussi dense que la correspondance entre Nicolas de Staël et René Char, elle n'en est pas moins le reflet d'une amitié en mouvement, offrant un éclairage ajouté pour tous les amis de cet immense écrivain.

La réalisation de ce livre très soigné - et en édition de poche - nous présente en alternance les manuscrits de René Char et les aquarelles - absolument magnifiques - de Zao Wou-Ki. Un seul regret, celui de ne pas retrouver en version typographique les poèmes, car même si l'écriture est très belle, harmonieuse, indispensable, dans ce format la lecture n'en est pas facilitée. Cela dit, Gallimard a réitéré avec cet ouvrage ce qu'il avait inauguré avec Lettera amorosa du même auteur, et les fans dont je suis, ne peuvent que s'en réjouir...

Chaque carreau de la fenêtre est un morceau de mur en face, chaque pierre scellée du mur une recluse bienheureuse qui nous éclaire matin, soir, de poudre d'or à ses sables mélangée. Notre logis va son histoire. Le vent aime à y tailler. L'étroit espace où se volatilise cette fortune est une petite rue au-dessous dont nous n'apercevons pas le pavé. Qui y passe emporte ce qu'il désire. (Eprise, dans Effilage du sac de jute)

04/01/2011

Dans le rétroviseur

Bloc-Notes, 4 janvier / Les Saules

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Voilà, c'est reparti! Le très sérieux Livres Hebdo - revue professionnelle consacrée au livre - n'annonce pas moins de 510 nouveaux romans à paraître au cours des deux premiers mois de l'année, dont 329 voués à la littérature francophone, mais... pas si vite, car l'année 2010 à peine achevée, je prends plaisir à vous partager les petites ou grandes joies que la saison dernière aura suscitées, au nez et à la barbe des statistiques qui, au contraire de la résonance affective des uns et des autres, masquent souvent l'essentiel, heureusement!

Avec un constat très encourageant: Le lecteur actuel cède beaucoup moins que par le passé, aux sirènes des prix littéraires. S'il les lit ou les offre, c'est parce qu'il les découvre ou les aime, qu'il s'agisse de Michel Houellebecq avec La carte et le territoire (Flammarion), de Jean-Michel Olivier avec L'amour nègre (De Fallois/L'Age d'Homme), de Maylis de Kérangal avec Naissance d'un pont (Verticales), de Patrick Lapeyre avec La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L.), de Fatou Diome avec Celles qui attendent (Flammarion) ou encore de Sofia Oksanen avec Purge (Stock) et de David Vann avec Sukkwan island (Gallmeister).

Il est aussi plus curieux, exigeant et surtout... prend son temps pour choisir ses livres! Ainsi, il a jeté son dévolu - pour mon plus grand plaisir! - sur Douna Loup avec L'embrasure (Mercure de France), Valérie Zenatti avec Les âmes soeurs (L'Olivier), Rosa Montero avec Instructions pour sauver le monde (Métailié), Erri de Luca avec Le jour d'avant le bonheur (Gallimard) ou Sarah Hall avec Comment peindre un homme mort (Bourgois) - à mon avis le plus beau roman de l'année! - sans oublier Kathryn Stockett avec La couleur des sentiments (Jacqueline Chambon) dont le succès repose pour une part prépondérante sur le bouche à oreille entre lecteurs et le coup de pouce des libraires, ou Jean d'Ormesson avec C'est une chose étrange à la fin que le monde (Laffont), bel exemple de fidélité entre le public et un auteur qui n'a cessé de se remettre en question, de partager ses passions, ses convictions, ses interrogations, auprès des plus jeunes et des autres...  

Qu'on se le dise enfin: La poésie n'est pas reléguée aux oubliettes. Le succès de la correspondance entre René Char et Nicolas de Staël (Editions des Busclats), l'anthologie des Poètes de la Méditerranée (coll. Poésie/Gallimard) ou les écrits récents de Jean-Michel Maulpoix, Andrée Chédid et Charles-Ferdinand Ramuz en sont la preuve vivante.

Seuls auront manqué en 2010 quelques romans légers et attachants comme on les aime... Hormis une réédition - Les raisons du coeur de Mary Wesley (Héloïse d'Ormesson) - et une nouveauté, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi de Katherine Pancol (Albin Michel), je n'ai pas oublié - comme de nombreux lecteurs, ces plaisirs de lecture plus anciens que sont La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt (Actes Sud) ou Les bonnes dames de Jean-Louis Kuffer (Campiche) qui rencontrent aujourd'hui encore un succès aussi vif que celui des dernières parutions en librairie!

Pour en finir avec ce petit tour d'horizon de l'année écoulée, j'ajoute que le lecteur actuel - pour autant qu'il trouve dans les librairies ou bibliothèques ce qu'il cherche - n'est pas nécessairement conditionné par l'attrait de la nouveauté, ce qui me ravit! Savez-vous que le roman de Léon Tolstoï, Anne Karénine, demeure le roman le plus populaire de 17 à 87 ans, aux côtés de celui d'Alexandre Dumas, Le comte de Monte-Cristo, parmi les classiques? Que Lark et Termite, le chef d'oeuvre de Jayne Anne Phillips (Bourgois), paru en 2009, demeure l'un des choix préférés du public, avec L'ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon (Laffont et Livre de poche) paru en 2004? Qu'on lit toujours le roman d'Axel Munthe, Le livre de San Michele (Albin Michel) ou La montagne magique de Thomas Mann (Fayard et Livre de poche)?

Sur le site de Culture Café - http://500-livres.com/index.html - vous pouvez consulter les 500 meilleurs livres choisis par les internautes, en 2008 - peu de changements, sans doute, avec aujourd'hui - avec près de 5'000 votes et 3'000 titres proposés. Comme moi, vous y reconnaîtrez bien des vôtres...  

image: Jean-Honoré Fragonard, La liseuse (National Gallery of Art, Washington)

 

08/10/2010

René Char

9782361660048.gifRené Char et Nicolas de Staël, Correspondance 1951-1954 (Editions des Busclats, 2010)

Préfacée par Anne de Staël et annotée par Marie-Laure Char, cette correspondance inédite témoigne de l'amitié qui, bien au-delà de leur fulgurences créatrices mises en commun, unissait René Char à Nicolas de Staël, jusqu'à la mort de ce dernier.

De leurs rencontres, René Char éclaire les lettres présentées ici de sa lumière toute pariculière: Frère ami, je parle de vous (Nicolas et sa seconde épouse, Françoise) à mes compagnes et compagnons d'ici. Comme le Lord Jim de Conrad, je dis: ils sont des nôtres. Au revoir avec les mains du coeur. Ou encore: Tu étais frais comme le cresson de ma terre natale, et dispos comme un chardonneret sur la branche du cyprès, cher Nicolas, ce midi. 

Nicolas de Staël nous réserve d'aussi émouvantes preuves de leur lien hors du commun: Tu m'as fait retrouver d'emblée la passion que j'avais, enfant, pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d'un langage direct, sans précédent ce qui l'entraîne. Plus loin, il ajoutera: Il y a cela de vraiment merveilleux entre nous, c'est qu'on peut se donner tout ce qui est possible et impossible, sans limites, parce qu'on ne voit pas la fin de nos possibilités, si ce n'est par vague pressentiment et encore.

Dans ce cas précis, il est agréable de préciser que cet ouvrage est magnifiquement réalisé et mis en page comme seuls les éditeurs de textes poétiques savent le faire, illustré de fac-similés et de photographies de René Char et de Nicolas de Staël. Un écho au travail de l'artisan, humble et déterminé, qui saillit à chaque page de ces deux inoubliables artistes.

Et pour 15 euros à peine ...

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Nicolas de Staël, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: essais; correspondance; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |