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19/06/2015

Morceaux choisis - Pierre-Albert Jourdan

Pierre-Albert Jourdan

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Il y a une parole confiée au silence, que l'ombre nous transmet. Une parole d'effacement qui est parole de tendresse. Peut-être pourrions-nous aussi parler de bonté. Lavis d'ombre sans que soit raturée cette lumineuse coulée qui la contient. Mais plus proche de notre dénuement. Je crois à cette parole d'ombre. Elle n'est pas jeu de lumière ou de solitude mais ce que nous pouvons comprendre d'un dialogue qui se fait, qui se défait en nous. A chaque instant. Car nous ne pouvons comprendre que l'ombre. La brisure de l'éclat.

Affamés de soleil, de cette lumière violente qui nous pousserait hors des limites (les prétentions ont été bien réduites!), nous sommes pourtant ce versant d'ombre, c'est notre pente. Je crois à cette parole d'ombre. Ma main glisse sur la table, devient multitude de touches impossibles à décrire. Pousse la parole à l'impuissance. Ombre de l'ombre! Simplement posée là, et quel murmure de sang et d'ombre, quelle certitude de fardeau un instant déposé! Je crois à cette légèreté quand c'est l'ombre qui m'y conduit. Passagère, passante, c'est le voile pudique sur la suffisance, la vulgarité. Elle vient ruiner le cri. Elle ouvrira demain mon regard à la lumière, et je consentirais peut-être à l'entendre, elle aussi, sans déchirement. C'est la seule leçon, la discrétion de cette ombre qui s'éloigne.

Pierre-Albert Jourdan, Parole d'ombre, dans: Le bonheur et l'adieu (Mercure de France, 1991)

Préface de Philippe Jaccottet

20/06/2013

Philippe Jaccottet

9782940055364.gifPhilippe Jaccottet, Une constellation tout près - Poètes d'expression française du XXe siècle (La Dogana, 2002)

Si vous n’ouvrez qu’une seule anthologie poétique de toute votre vie, alors choisissez celle-ci, subjective, longuement mûrie comme les fruits de la vigne. Aux côtés des incontournables dont l'auteur a souvent choisi des textes méconnus – Guillaume Apollinaire, René Char, Henri Michaux, Paul Valéry  – vous en découvrirez d’autres, injustement oubliés – Charles Péguy, Paul-Jean Toulet, Edmond-Henri Crisinel – ou modernes – Pierre-Albert Jourdan, André Du Bouchet – dans cet ouvrage magnifiquement mis en pages. Un bel objet à la hauteur des émotions qu’il suscite.

Le langage de la poésie m'est toujours apparu comme celui qui rend le compte le plus juste de nos vies dans toutes leurs dimensions, celui qui peut réconcilier fumée et parfum; celui qui sait tirer un chant, ou une simple chanson, de nos peines légères ou violentes, de nos voyages - dans le temps, dans l'espace du dehors comme dans celui du dedans -, qui bâtit une musique même à partir de l'ombre et de l'absence, qui fait scintiller pour notre joie même la course des jours. Oui, cela brille, cela luit ou brûle dans la main ouverte. Une constellation tout près de nous, dans la main ouverte, dans le livre ouvert...

26/12/2012

Morceaux choisis - Pierre-Albert Jourdan

Pierre-Albert Jourdan

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Amitié, bonne déesse au long de sa vie, a désigné au poète cette maison dont les fondations touchent aux sources mêmes de son chant.

Les ombres d'oiseaux du platane palpitent sur le gravier blanc et leurs oeufs de soleil éclaboussent les murs. Au bord du pré les peupliers ont grandi. Ils distillent la tendresse venue d'un plateau dur aux coups.

L'amitié avec la terre s'alimente en secret aux froissements d'espace que font les corneilles entre gouffre et crépuscule. Elles apportent de leur voyage journalier l'image de cimes hautaines dont le nom évoque la fascination de la femme, telle qu'elle surgit d'entre les pins avec sa robe d'aiguilles.

La ruse innocente de la terre ferme, ici, le sentier pour que parlent encore les voix impavides.

Un rouge-gorge familier passe en sautillant, délégué du salut, oiseau pour défier le sommeil de la distance.

Pierre-Albert Jourdan, Les Busclats / A René Char, dans: Le bonheur et l'adieu (Mercure de France, 1991)

image: René Char, Le trousseau de Moulin Premier, album souvenir de L'Isle-sur-Sorgues (La Table Ronde, 2009)

05/12/2012

Le poème de la semaine

Pierre-Albert Jourdan

Que l'innocence demeure
Qu'il lui soit donné de pouvoir se perdre
dans l'inutilité de ce monde.
Qu'elle soit suffisamment forte
pour oublier de le clamer
Que dans son silence où elle éclaire
il n'y ait pas d'obstacle à son silence
Qu'elle soulève ce monde las
et danse dans sa poussière
Que son sourire de fleur soit à jamais
inscrit sur mes lèvres
lorsqu'elles deviendront givre
Qu'elle soit l'innocence à jamais.
 
Que d'autres puissent s'en saisir
qui voudront sauter hors du bourbier
Qu'elle soit ce que de toujours
l'affirme ce dialogue de terre et de ciel
à l'écart des chemins imposés
Qu'elle soit cette folie, suffisamment sourde,
receleuse de source
pour que tant de soifs s'y abreuvent.
 
Amen.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle