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23/10/2014

La citation du jour

S. Corinna Bille

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Si j’étais un arbre et toi un arbre dans la même forêt, mes racines creuseraient la terre et les mousses, se couleraient dans les fentes des rochers, te chercheraient, te chercheraient à travers l’obscur, la lente nuit décomposée, les odeurs, les monstres sans formes, jusqu’à ce que sentant les tiennes elles frémissent de joie, d’amour si fol que la forêt entière en serait soulevée.

S. Corinna Bille, Cent petites histoires d'amour (Gallimard, 1979)

image: Valais, Suisse (whotalking.com)

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, S. Corinna Bille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/06/2013

Le poème de la semaine

S. Corinna Bille

Valais, tu n’as pas d’Océan
Mais quand le foehn s’élance en toi,
Il fait plus de bruit
Que la chevauchée des vagues…
Il te rend plus vaste et plus émouvant
Que la mer.
 
Il souffle à nos oreilles
L’angoisse des grands départs;
Il arrache nos âmes
De nos corps restés sur la terre;
Et nos âmes ballottées
Se déchiquètent aux flancs rugueux
De tes montagnes.
 
Tes éboulements sont les falaises
Où viennent battre les flots verts
De tes forêts de pins;
Tes villages amarrés sur les côtes
Sont des barques;
Et dans le ciel, s’ouvre immense
L’Etoile des Vents.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

07:36 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, S. Corinna Bille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/06/2012

Morceaux choisis - S.Corinna Bille

S. Corinna Bille

S.Corinna Bille 1.jpg

Elle avait choisi de demeurer seule dans sa tanière. La nuit, elle fut réveillée par un bruit d'avion et s'inquiéta. De jour aussi il en passait. "Un pays solitaire dont le ciel est habité." Ces bruits lui indiquaient les heures. "Mes horloges ronflantes."

Elle sortait peu de la cabane, craignant d'être vue, et plongeait dans le sommeil comme on se noie. Ou bien elle parlait à l'homme absent: "Tu m'as réconciliée avec la vie. Ton regard roux, tes taches de son, ta sévérité quand je te raconte des choses qui ne te plaisent pas... Ta douceur adulte. Si rare. Tu dois te courber pour entrer dans ma tanière et toujours tu devras te pencher sur moi. Homme-Soleil. Pour venir jusqu'à toi j'ai traversé les neiges sales, les roches gluantes, je me suis suspendue aux racines et j'avais peur. Dans ces forêts noires, il y a autant de serpents que de racines, les sapins sont d'un vert si sombre qu'ils m'étouffent, ils pourrissent sur la mauvaise rive du torrent, leurs lichens se collent à ma bouche. J'ai désiré mourir. Mais tu es là."

Elle reconnaissait en elle le bourdonnement d'amour. Elle avait des mains chantantes, des mains fermées pleines d'abeilles et très chaudes. Elle avait une poitrine heurtée par les battements d'un coeur dont elle sentait les coups jusqu'au sommet du crâne. Elle avait un ventre tendre, prêt à s'ouvrir. Elle était créée pour des phénomènes de lévitation. Mais ses yeux se bridaient, curieusement alanguis par l'insomnie. 

Elle s'aventura vers la source, remplissant le seau, s'y lavant toute, dans une odeur forte de menthe écrasée. Les blessures se cicatrisaient bien. Elle alla dans la prairie, écartant les touffes de ciguës, les jeunes arbres, les buissons d'églantier. Elle renouvela les herbes de sa couche. Elle trouva dans un creux un squelette blanchi de renard. Elle arracha, un jour, d'un geste brusque, une grosse marguerite et se mit à en tirer les pétales: un peu, beaucoup, passionnément; elle s'aperçut en faisant virer la tige, qu'elle oubliait le pas du tout! Tant pis. Le dernier pétale disait: il m'aime un peu"C'est ça, il m'aime un peu. Tandis que moi..."

L'excès d'amour la rendait farouchement réservée, presque hautaine. Qu'elle eût préféré rire, elle qui était rieuse de nature. Mais devant cet homme, elle ne riait plus, à peine pouvait-elle parler.

"Cette nuit j'ai vu un oiseau blanc. Tu dis qu'il n'existe pas de huppe blanche dans ces bois, ni de pigeon? Pourtant je l'ai vu. Deux fois. A l'aube, il a sauté sur le rebord de la fenêtre. Il est devenu si grand qu'il la remplissait toute. J'ai bien observé ses pattes recouvertes de plumes bouclées et ses énormes serres. Il a un oeil rond très noir. Mais j'ai fait un signe et il s'est envolé."

S. Corinna Bille, La demoiselle sauvage - Nouvelles (Gallimard, 1992)

image: S. Corinna Bille (theweb.ch)

09/11/2011

Le poème de la semaine

S. Corinna Bille

A travers mes larmes
J'ai revu les lieux de notre amour:
La colline de pins noirs
Où tremblait l'anémone
Et les étangs profonds.
 
Derrière un rocher,
Me guettant comme le chasseur,
Tu t'étais caché.
Et moi je t'attendais,
Endormie dans l'herbe rousse ...
 
J'avais traversé le fleuve
pour venir au rendez-vous,
Marché longtemps sur les routes
Et mes souliers dans la main,
Sur les pierres gluantes, je glissais.
 
Ma jupe lourde d'eau
Je la mis sécher au soleil
De ce premier printemps,
Mais qui fut le jour
Le plus long de ma vie.
 
Pour mon malheur et pour ma joie
Je t'ai suivi
Et je devins l'Epouse
Porteuse d'enfants blonds et noirs
Et de rêveries coupables.
 
Mon corps est devenu le monde
Mais mon âme est humble
Et je t'obéis.
 
Sur la colline,
La harpe des vignes est blanche encore
Et ne vibre pas.
Les lacs sont aveugles
La terre a une odeur de cimetière.
 
Mon pauvre aimé des âcres jours,
Mon Epoux,
Je sais qu'il t'a fallu errer longtemps
Sur des chemins accores
Pour rester auprès de moi.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

30/10/2011

Gilberte Favre 1a

Bloc-Notes, 30 octobre / Nyon

littérature; récit; livres

Certains livres portent bien leur titre. Ainsi en est-il du récit de Gilberte Favre, Des étoiles sur mes chemins, car davantage que le film d'une vie, c'est d'un chant de reconnaissance qu'il s'agit: hommage à son père de sang trop tôt disparu, un orphelin inconsolable, préférant les grands espaces aux murs de l'école qui, malgré ses lacunes intellectuelles, avait un regard lucide sur la vie, le monde et la nature: ruisseaux, rivières de montagnes, arbres, oiseaux en liberté, couchers de soleil... Surtout, mon père aimait le Silence, et j'ai hérité de ce besoin. Depuis qu'il a disparu, des chants d'oiseaux m'accompagnent. J'essaie de les identifier, hésitant entre le rouge-gorge et la mésange charbonnière, ou serait-ce la fauvette? Mon père qui les aurait tous reconnus avec précision, aurait ri de mes doutes, de mon ignorance. Au fil de ces pages, j'ai pris congé de lui - le vrai, le taiseux, celui que j'ai cherché à découvrir rétrospectivement - tout en pensant à l'Autre, le Père-Poète.

Le Père-Poète, cette rencontre déterminante dans sa vie - il en est d'autres telles Andrée Chedid, Eleni Kazantzaki, J.M.G. Le Clézio ou Ghassan Tueni - a pour nom l'écrivain Maurice Chappaz. Il l'appelle l'hirondelle de vie et irradie tout le chemin de Gilberte Favre de sa présence douce, de ses réflexions marquées par la poésie naturelle et le bons sens, tout particulièrement quand son époux N. - Noureddine Zaza, écrivain et homme politique kurde - se trouve frappé par un cancer: Soyez sûre que ce que vous ferez, direz, il le comprend, mais le côté désespoir crée ce sentiment terrible d'échec, de culpabilité, de rétorsion. En même temps que l'homme est infiniment touché par la bonté de l'autre et emportera pour vous votre bonté dans l'autre monde et vous protégera dans celui-ci. A vous, à tout ce que vous guidez avec le plus grand et le plus constant amour.

Si ce livre peut ressembler parfois à un office des morts - titre d'un ouvrage de Maurice Chappaz - en l'honneur de ceux qui, pour la plupart, ont aujourd'hui quitté ce monde - N., Maurice Chappaz ou Andrée Chedid - il est aussi pétri de cette gratitude qui ne console pas de l'absence, et de la reconnaissance vouée au pouvoir des livres qui ont inspiré son chant du monde, au-delà des épreuves que l'existence a pu lui réserver: J'aime les mots pour leur présence, leur musique, leur signification, leur mémoire. Tout ce qu'ils évoquent et qu'ils cachent, parce qu'ils chantent. Je les aime parce qu'ils sont fidèles, parce qu'ils sont toujours près de nous, en nous. Ils sont la vie et s'ils savent dire la mort, ils sont - de par nature - la négation de la mort.

De la Suisse ou Kurdistan, de la Grèce au Liban, de Chypre au Hoggar, la plume de cette grande voyageuse observe, décrit et intègre à son appréhension du temps de la fracture et du souvenir tout ce qu'elle y découvre d'oppression, de peine ou d'injustice dont elle a déjà rendu compte dans ses écrits antérieurs: J'étais lasse de notre monde civilisé que je voyais peuplé de prétentieux avides et cyniques, de blasés ignorant la caresse fraternelle du soleil comme le frémissement des feuilles sous la chaussure. Et c'est sans doute dans les livres - lus ou écrits - qu'elle a puisé l'énergie et la conviction nécessaires pour réduire les angles discordants.

De nombreux auteurs ont habité Gilberte Favre au fil de son récit Des Etoiles sur mes chemins et, plutôt que de les énumérer tous, vous trouverez en annexe quelques-unes de ces citations qui forgent ses traits ou son vécu et constituent une terre ferme dont elle n'est pas prête à se détourner...

Une note d'Oiseau vaut mieux qu'un million de mots. (Emily Dickinson) 

Journaliste, critique littéraire et écrivain, on doit à Gilberte Favre un livre consacré à la première épouse de Maurice Chappaz, Corinna Bille, le vrai conte de sa vie aux éditions 24 Heures. Elle signe également L'hirondelle de vie - Chronique des enfants du Liban, aux éditions de L'Aire. Suivent deux romans chez le même éditeur: Comme un acte de mémoire et Survivre.

Son blog, consacré pour l'essentiel aux rumeurs du monde et à la poésie, mérite davantage qu'une simple visite de courtoisie: http://itineraires.blog.24heures.ch/ 

Gilberte Favre, Des Etoiles sur mes chemins (Editions de L'Aire, 2011)