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30/08/2013

Vendanges tardives - Du vol

Un abécédaire: V comme vol

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En souvenir de L.D., la soeur de mon père

Il arrive que la réalité dépasse la fiction, dans l'énormité des faits et pourtant, Fred, l'histoire de Valentine adolescente est authentique, je te le jure! Figure-toi, que cette fugueuse - enfermée à double-tour dans sa chambre pour mauvaise conduite, qui escaladait le balcon et sans bruit dévalait le mur de son immeuble, le long des conduites d'eau jusqu'au sol, pour s'en aller guincher - tomba follement amoureuse d'un étranger venu du sud de la France. A tous, elle annonça d'un ton péremptoire qu'elle allait épouser sans délai l'homme de sa vie: un aviateur. Au petit bal du samedi soir, il lui avait en effet avoué qu'il opérait des vols de nuit.

Elle se voyait déjà en marraine d'une escadrille, comme dans le roman de l'écrivain Antoine de Saint-ExupéryTrois pilotes, chacun à l'arrière d'un capot lourd comme un chaland, perdus dans la nuit, méditaient leur vol, et, vers la ville immense, descendraient lentement de leur ciel d'orage ou de paix, comme d'étranges paysans descendent de leurs montagnes.

Or, le tragi-comique de cette aventure de Valentine - confirmé par les journaux de l'époque - fut sa fin brutale. On découvrit quelques jours plus tard, dans la gare de triage voisine, à même les voies de chemin de fer, le corps inanimé d'un homme criblé de balles: son homme, dont on ne put ignorer bien longtemps qu'il était fiché au grand banditisme, recherché par toutes les polices de l'Hexagone, victime d'un règlement de comptes, là, à deux pas de chez nous.

N'empêche que, aujourd'hui mariée à un instituteur comme il faut, elle s'en souvient encore, avec un léger pincement au coeur, comme si c'était hier. Après tout, un braqueur avec le sens de l'humour, ça ne court pas les rues...

Antoine de Saint-Exupéry, Vol de nuit (coll. Folio/Gallimard, 2007)

image: Curtiss H 75 (gc2-4.com)

20/06/2013

Vendanges tardives - De l'opéra 1a

Un abécédaire: O comme Opéra

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pour Jean-Pierre O

Et si on allait à l'opéra, Fred? Ce soir, il reste des billets pour La Tosca de Giacomo Puccini, ma partition préférée entre toutes avec La flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart... Et je peux te promettre que je ne te ferai pas honte, comme au soir de mes vingt ans! Souviens-toi qu'avant de te rejoindre pour la représentation de L'Or du Rhin, j'avais noyé mon spleen dans un bar pas très recommandable, si bien que, au moment du lever de rideau, lors du prélude de Richard Wagner, plongé soudain dans une béatitude sans crainte ni tourment, je m'étais endormi... Tu prétends que j'ai ronflé comme un sonneur, mais n'est-ce pas une légende savamment entretenue au fil des ans, juste pour rire? De même que les mauvaises langues - comme toi - ont prétendu que je ne retrouvais pas ma place après l'entracte et que dans l'obscurité qui avait gagné la salle, j'aurais trébuché sur de nombreux pieds inconnus avant de m'effondrer sur mon fauteuil, l'estomac dans les talons! Pauvre Richard: il a dû s'en retourner dans sa tombe!

Aujourd'hui, crois-moi, nulle inquiétude, non seulement parce que - provisoirement, pour des raisons médicales - je suis interdit d'alcool, mais surtout Fred, en raison de cet opéra, La Tosca, qui me colle à la peau et dont chaque note m'arrache une émotion sauvage, violente, absolue, à l'image de la passion de Floria Tosca pour Mario Cavaradossi et du baron Scarpia pour Floria Tosca. Tous les ingrédients de la passion culminent ici: ardeur, aveuglement, jalousie, perfidie, trahison, mêlés comme la lave d'un volcan intérieur que nul mieux que Giacomo Puccini dans cette oeuvre, a su exprimer en musique. Un frisson me parcourt à chaque fois, quand Floria Tosca, après avoir assassiné le baron Scarpia, s'écrie: E morto! O libertà!

Et cet opéra demeure pour moi - aux côtés de Giuseppe di Stefano et de Tito Gobbi - le plus beau rôle de Maria Callas! Mais, malgré le souvenir ce cet enregistrement légendaire, nous n'allons pas bouder notre plaisir ce soir, et tant qu'on ne nous inflige pas une mise en scène fantasque, en jeans et blouson de cuir, la magie opère toujours...

Non? Qu'en dis-tu?


 

Giacomo Puccini, La Tosca (1953) avec Maria Callas, Giuseppe di Stefano, Tito Gobbi, Franco Calabrese, Angelo Mercuriali, Melchiorre Luise, Dario Caselli, Alvaro Cordova. Orchestra e Coro Teatro alla Scala, Victor de Sabata (EMI) 

illustration musicale: Jacques Brel, Jef (1964)

image: http://cdn2.bigcommerce.com

10/05/2013

Vendanges tardives - De la mesure

Un abécédaire: M comme mesure

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pour Charline K

Jamais je n'aurais imaginé me retrouver - surtout une veille de la fête de l'Ascension! - dans un box des urgences de l'Hôpital Cantonal, avec un blouse bleue et blanche et des tuyaux reliés à toutes les parties du corps, comme Victor Newman dans Les feux de l'amour. Et, tandis que je mesurais le temps qui s'étire, ponctué ça et là par le son aigu de l'échocardiographe signalant un dérapage, me venaient à l'esprit des pensées plutôt légères, malgré le lieu, malgré ce moment suspendu où j'étais encore incapable de savoir, si cette fois-ci en ce qui me concerne, le fil tendu entre le commencement de toutes choses et la fin de ces dernières dans l'ordre du monde, n'était pas sur le point de se rompre, comme il se doit, un jour ou l'autre.

Je me suis ainsi souvenu de ma mère qui me raconta que, lors de son premier infarctus, elle se voyait dans une vallée verdoyante et reposante, tandis qu'elle se remémorait les paroles du Psaume 22Sur des prés d'herbe fraîche, Il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles... Et elle se répétait pour elle-même: Eh bien non, je ne veux pas y aller! Elle ouvrit alors les yeux, se vit en salle de réanimation et esquissa un sourire. Le voyage était interrompu.

Et - tu connais mon côté farceur - j'ai aussi pensé à Woody AllenCe n'est pas que j'ai peur de mourir, je veux juste ne pas être là quand ça arrivera. Puis à Francis BlancheVienne la nuit, sonne l'heure, Des gens s'amusent, d'autres meurent.

Mais à toi, Fred, je peux bien le dire: alors que sur le départ - sans diagnostic critique ni séquelles inquiétantes - je restituais mes habits de cérémonie et le sac en plastique contenant mes effets personnels, malgré le légendaire contrôle de mes émotions en public, toute trace d'humour m'avait quitté et derrière cette absence de frivolité, quelle digue s'était donc rompue? Tu voudrais bien le savoir, mais entre hommes - pudeur, refoulement, absence d'abandon? - il m'est bien difficile de satisfaire ta curiosité!

Je vais plutôt téléphoner à notre amie Laurence qui te racontera - si le coeur lui en dit - ces éclats de ténèbres et de lumières qui somme toute, dans un désordre trompeur, célèbrent la vie: si précieuse, si incertaine...

Francis Blanche, Les pensées (Cherche Midi, 2011)

Woody Allen, Dieu Shakespeare et moi (coll. Points Virgule/Seuil, 2001)

image: Melody Thomas Scott et Eric Braeden dans: The Young and the Restless / Les feux de l'amour (globaltv.com)

01/01/2013

La musique sur FB - 749 G.Verdi

Giuseppe Verdi

La Traviata

 

Anna Moffo, Renato Cioni

Mario Sereni, Giorgio Loretti

Romana Righetti, Limbania Leoni

Nicola Zaccaria, Alfredo Giacomotti

Silvio Maionica

Coro e Orchestra del Teatro alla Scala di Milano

Herbert von Karajan

en souvenir de C.C.



28/11/2012

Musica présente - 41 Maurizio Pollini

Maurizio Pollini

pianiste italien, né en 1942

*

Franz Schubert

Drei Klavierstücke, D 946

pour Charline K


09:28 Écrit par Claude Amstutz dans Franz Schubert, Musica présente, Musique classique, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/10/2012

Morceaux choisis - Hermann Hesse

Hermann Hesse

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pour Catherine P et Judith S

Certaines années, notre été tessinois ne peut se décider à prendre fin. Si, assez souvent, après de fortes chaleurs, il se déchaîne soudain vers la fin d'août ou au début de septembre en un brutal orage et en plusieurs jours de pluies torrentielles, puis se retrouve busquement vieilli, brisé et s'éclipse, l'air morne et tout honteux, les autres fois il se maintient semaine après semaine sans orages, sans pluie, aimable et paisible comme ces étés finissants que décrit Stifter, tout azur et or, tout de paix et de douceur, interrompu seulement parfois par le foehn qui, un jour ou deux, secoue les arbres et fait tomber prématurément les châtaignes prisonnières de leurs bogues vertes, rend le bleu encore un peu plus bleu, le mauve tendre et chaud des montagnes encore un peu plus clair et ajoute un degré de limpidité à l'air cristallin. Lentement, au fil de nombreuses semaines, les feuilles se colorent, la vigne devient jaune, marron ou pourpre, le cerisier d'un rouge écarlate, la ronce dorée, tandis que les petites feuilles ovales prématurément jaunies des acacias scintillent comme autant d'étoiles dispersées dans le bleu sombre de leur feuillage.

Depuis bien des années, douze déjà, j'ai vécu ici ces étés finissants et ces automnes, promeneur sans but, spectateur recueilli, peintre; et lorsque commençaient les vendanges et que flamboyaient, entre la vigne d'un brun doré et les grappes d'un bleu noir, les fichus des femmes et que retentissaient les cris de joie des jeunes gens, ou que, par jours sans vent et légèrement couverts, je voyais s'élever partout dans le vaste paysage de notre vallée lacustre les petites colonnes de fumée bleue des feux d'automne campagnards enveloppant dans leurs volutes le proche comme le lointain, il n'était pas rare que je ressentisse un désir et une mélancolie tels que l'errant les éprouve en automne ou lorsque, vieillissant, il jette un regard par-delà les clôtures vers les autres, les sédentaires, ceux qui récoltent leurs grappes, les pressurent, engrangent leurs pommes de terre, marient leurs filles, font brûler leurs petits feux capricieux et griller les premières châtaignes ramassées à l'orée des bois.

Hermann Hesse, Tessin - textes de prose et poèmes / avec 16 aquarelles hors texte (Metropolis, 2000)

traduit de l'allemand par Jacques Duvernet

image: Hermann Hesse, Blick gegen Porlezza (1933)

16:21 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; voyages; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/09/2012

Au bar à Jules - De Virgile

Un abécédaire: V comme Virgile

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pour mon père

La scène se déroule un certain 24 septembre 1923, entre Renens et Lausanne. Ma grand-mère maternelle ressent de violentes contractions, signe que la naissance de mon père est imminente. Sur le chemin qui la conduit tant bien que mal à la Maternité au bras de son époux - un cheminot prénommé Alfred - s'empare d'elle un vent de panique d'une toute autre nature: aucun prénom n'a été envisagé pour le nouveau-né.

Peu imaginative et ayant bénéficié d'une instruction sommaire - elle se voit contrainte de quitter l'école à quatorze ans pour contribuer financièrement au ménage de ses parents - ma grand-mère emprunte une rue non loin de l'hôpital, lève les yeux, lit le nom: Virgile Rossel, un célèbre juriste, historien, écrivain, professeur et homme politique jurassien (1858-1933) établi à Lausanne à la fin de ses jours. Poète à ses heures, il laisse quelques beaux vers consacrés à son pays du Jura: Si mon petit pays qui se cache dans l'herbe n'a point de fier sommet, ni de ville superbe, si parfois on en parle avec un air moqueur, moi, je l'aime et le vois par les yeux de mon coeur.

Le nom de Virgile plaît bien à ma grand-mère. Et voilà, c'est dit. Mon grand-père ne bronche pas. La progéniture se nommera Virgile. Pour répondre à l'étonnement de ses camarades d'école, puis de ses collègues de travail - nous ne sommes pas en Italie! - jamais mon père ne racontera cette histoire qui circule pourtant dans les cercles familiaux depuis une soixantaine d'années. Ses proches - dont ma mère - l'ont pourtant toujours appellé Frédy... Un surnom sans doute plus léger à porter sous notre drapeau rouge à croix blanche...   

image: Virgile Rossel (retrotrame.ch)

15:14 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Le monde comme il va, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/08/2012

Lire les classiques - Victor Hugo

Victor Hugo

littérature; poésie; anthologie; livres

pour Catherine P

Quand deux coeurs en s'aimant ont doucement vieilli
Oh! quel bonheur profond, intime, recueilli!
Amour! hymen d'en haut! ô pur lien des âmes!
Il garde ses rayons même en perdant ses flammes.
Ces deux coeurs qu'il a pris jadis n'en font plus qu'un.
Il fait, des souvenirs de leur passé commun,
L'impossibilité de vivre l'un sans l'autre.
Chérie, n'est-ce pas? cette vie est la nôtre!
Il a la paix du soir avec l'éclat du jour,
Et devient l'amitié tout en restant l'amour!

Victor Hugo, Toute la lyre - Poésie, vol. 4 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)

image: Chemin de Ruth, Cologny

08:59 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/07/2012

Morceaux choisis - Octavio Paz

Octavio Paz

littérature; poésie; anthologie; livres

pour Jean-Louis Kuffer

 
L'encre verte crée des jardins, des forêts, des prés,
des feuillages où chantent les lettres,
des paroles qui sont des arbres,
des phrases qui sont de vertes constellations.
 
Laisse que mes paroles, oh blanche,
descendent et te couvrent
comme une pluie de feuilles un champ de neige,
comme le lierre la statue,
comme l'encre cette page.
 
Les bras, la taille, le cou, les seins,
le front pur comme la mer,
la nuque de forêt en automne,
les lèvres qui mordent un brin d'herbe.
 
Ton corps se constelle de signes verts
comme le corps de l'arbre de bourgeons.
Que t'importe tant de petites cicatrices lumineuses:
regarde le ciel et son vert tatouage d'étoiles.
 

Octavio Paz, Ecrit à l'encre verte (Le Temps de la Poésie no  5/GLM, 1950)

image: Sophie Delaporte (http://www.sophiedelaporte.com)

19/05/2012

Au bar à Jules - Du chant

Un abécédaire: C comme Chant

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en souvenir de ma mère

Le chant a toujours fait partie de ma vie. A l'âge de six ans, dans notre immeuble locatif de la banlieue bernoise, j'avais pour voisine la mère du baryton Heinz Rehfuss, d'origine suisse, naturalisé américain par la suite. Tous les soirs, elle donnait des cours particuliers à des chanteurs aspirant à faire carrière dans l'opéra. Cela se terminait généralement vers deux heures du matin, autour d'un verre, avec des éclats de rire qui ne manquaient pas de perturber le légendaire sérieux de notre entourage.

Ma mère s'était liée d'amitié avec ces artistes noctambules, dont l'un - un napolitain nommé Michele Luise - devint un proche de ma famille, malgré son retour au pays à la suite d'un chagrin d'amour dans la plus pure tradition des films d'Amedeo Nazzari... De cette époque datent mes premiers émois pour le chant. Un 45 tours du Largo de Georg Friedrich Haendel avec Margot Guillaume, et deux autres 33 tours consacrés aux opéras de Giuseppe Verdi: La Traviata avec Antonietta Stella et Giuseppe di Stefano; Rigoletto avec Renata Tebaldi et Mario del Monaco.

Autre souvenir bienheureux, même époque, à Forio d'Iscia - six ans de suite, et bien avant les fossoyeurs du tourisme de masse - où auprès des modestes propriétaires terriens du lieu, nous écoutions tous les samedis soir, éclairés par des lampes à pétrole dans un silence religieux, assis à califourchon sur un mur, la retransmission des opéras en direct, dont le son grésillant émanait d'un minuscule appareil à transistors.

Jusqu'à sa cinquantième année - une opération ratée des cordes vocales - ma mère a toujours chanté et pas seulement des airs d'opéra, mais aussi ses poètes préférés de la chanson: Edith Piaf, Charles Aznavour, Léo Ferré, Charles Trenet ou Jacques Brel, sans oublier les chansons napolitaines qui adoucissaient ses heures de mélancolie, de solitude ou de maladie, prématurément.

Il subsiste aujourd'hui, dans ces mêmes murs, une présence invisible chargée d'émotion quand j'écoute, entre sourire et larmes, Nessun Dorma de Giacomo Puccini avec Beniamino Gigli et Vesti la Giubba de Ruggero Leoncavallo avec Mario Lanza.

L'affinité avec l'Italie - une seconde patrie - est vraiment chez nous une histoire de famille...     

image: portrait de ma mère (1946)