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10/06/2015

Le poème de la semaine

Paul Valéry

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux!
 
Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d'imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir!
Quand sur l'abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d'une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir.
 
Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,
Eau sourcilleuse, Oeil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous une voile de flamme,
O mon silence! . . . Édifice dans l'âme,
Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit!
 
Temple du Temps, qu'un seul soupir résume,
À ce point pur je monte et m'accoutume,
Tout entouré de mon regard marin;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scintillation sereine sème
Sur l'altitude un dédain souverain.
 
Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l'âme consumée
Le changement des rives en rumeur.
 
Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m'abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir.
 
L'âme exposée aux torches du solstice,
Je te soutiens, admirable justice
De la lumière aux armes sans pitié!
Je te tends pure à ta place première,
Regarde-toi! . . . Mais rendre la lumière
Suppose d'ombre une morne moitié.
 
O pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d'un coeur, aux sources du poème,
Entre le vide et l'événement pur,
J'attends l'écho de ma grandeur interne,
Amère, sombre, et sonore citerne,
Sonnant dans l'âme un creux toujours futur!
 
Sais-tu, fausse captive des feuillages,
Golfe mangeur de ces maigres grillages,
Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,
Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
Quel front l'attire à cette terre osseuse?
Une étincelle y pense à mes absents.
 
Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux!
 
Chienne splendide, écarte l'idolâtre!
Quand solitaire au sourire de pâtre,
Je pais longtemps, moutons mystérieux,
Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
Éloignes-en les prudentes colombes,
Les songes vains, les anges curieux!
 
Ici venu, l'avenir est paresse.
L'insecte net gratte la sécheresse;
Tout est brûlé, défait, reçu dans l'air
A je ne sais quelle sévère essence . . .
La vie est vaste, étant ivre d'absence,
Et l'amertume est douce, et l'esprit clair.
 
Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement.
 
Tu n'as que moi pour contenir tes craintes!
Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
Sont le défaut de ton grand diamant! . . .
Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,
Un peuple vague aux racines des arbres
A pris déjà ton parti lentement.
 
Ils ont fondu dans une absence épaisse,
L'argile rouge a bu la blanche espèce,
Le don de vivre a passé dans les fleurs!
Où sont des morts les phrases familières,
L'art personnel, les âmes singulières?
La larve file où se formaient les pleurs.
 
Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentre dans le jeu!
 
Et vous, grande âme, espérez-vous un songe
Qui n'aura plus ces couleurs de mensonge
Qu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici?
Chanterez-vous quand serez vaporeuse?
Allez! Tout fuit! Ma présence est poreuse,
La sainte impatience meurt aussi!
 
Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fais un sein maternel,
Le beau mensonge et la pieuse ruse!
Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éternel!
 
Pères profonds, têtes inhabitées,
Qui sous le poids de tant de pelletées,
Êtes la terre et confondez nos pas,
Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N'est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas!
 
Amour, peut-être, ou de moi-même haine?
Sa dent secrète est de moi si prochaine
Que tous les noms lui peuvent convenir!
Qu'importe! Il voit, il veut, il songe, il touche!
Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
À ce vivant je vis d'appartenir!
 
Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Elée!
M'as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas!
Le son m'enfante et la flèche me tue!
Ah! le soleil . . . Quelle ombre de tortue
Pour l'âme, Achille immobile à grands pas!
 
Non, non! . . . Debout! Dans l'ère successive!
Brisez, mon corps, cette forme pensive!
Buvez, mon sein, la naissance du vent!
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme . . . O puissance salée!
Courons à l'onde en rejaillir vivant.
 
Oui! grande mer de délires douée,
Peau de panthère et chlamyde trouée,
De mille et mille idoles du soleil,
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l'étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil
 
Le vent se lève! . . . il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs!
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Paul Valéry, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/03/2014

Morceaux choisis - Paul Valéry

Paul Valéry

1.jpg 

L’orage vient de finir, et cependant nous sommes inquiets, anxieux, comme si l’orage allait éclater. Presque toutes les choses humaines demeurent dans une terrible incertitude. Nous considérons ce qui a disparu, nous sommes presque détruits par ce qui est détruit; nous ne savons pas ce qui va naître, et nous pouvons raisonnablement le craindre. Nous espérons vaguement, nous redoutons précisément; nos craintes sont infiniment plus précises que nos espérances; nous confessons que la douceur de vivre est derrière nous, que l’abondance est derrière nous, mais le désarroi et le doute sont en nous et avec nous. Il n’y a pas de tête pensante si sagace, si instruite qu’on la suppose, qui puisse se flatter de dominer ce malaise, d’échapper à cette impression de ténèbres, de mesurer la durée probable de cette période de troubles dans les échanges vitaux de l’humanité.

Paul Valéry, Conférence / Zurich, 1924 (pro-europa.eu/fr)

11:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/06/2013

Philippe Jaccottet

9782940055364.gifPhilippe Jaccottet, Une constellation tout près - Poètes d'expression française du XXe siècle (La Dogana, 2002)

Si vous n’ouvrez qu’une seule anthologie poétique de toute votre vie, alors choisissez celle-ci, subjective, longuement mûrie comme les fruits de la vigne. Aux côtés des incontournables dont l'auteur a souvent choisi des textes méconnus – Guillaume Apollinaire, René Char, Henri Michaux, Paul Valéry  – vous en découvrirez d’autres, injustement oubliés – Charles Péguy, Paul-Jean Toulet, Edmond-Henri Crisinel – ou modernes – Pierre-Albert Jourdan, André Du Bouchet – dans cet ouvrage magnifiquement mis en pages. Un bel objet à la hauteur des émotions qu’il suscite.

Le langage de la poésie m'est toujours apparu comme celui qui rend le compte le plus juste de nos vies dans toutes leurs dimensions, celui qui peut réconcilier fumée et parfum; celui qui sait tirer un chant, ou une simple chanson, de nos peines légères ou violentes, de nos voyages - dans le temps, dans l'espace du dehors comme dans celui du dedans -, qui bâtit une musique même à partir de l'ombre et de l'absence, qui fait scintiller pour notre joie même la course des jours. Oui, cela brille, cela luit ou brûle dans la main ouverte. Une constellation tout près de nous, dans la main ouverte, dans le livre ouvert...

08/05/2013

Le poème de la semaine

Paul Valéry

Il est une douleur sans nom, sans but, sans cause 
Qui vient je ne sais d’où, je ne sais trop pourquoi, 
Aux heures sans travail, sans désir et sans foi 
Où le dégoût amer enfielle toute chose. 
 
Rien ne nous fait penser, rien ne nous intéresse, 
On a l’esprit fixé sur un maudit point noir. 
Tout est sombre : dedans, dehors, le jour, le soir, 
C’est un effondrement dans un puits de tristesse. 
 
C’est surtout vers la nuit, quand s’allume la lampe. 
Cet ennui fond sur nous, aussi prompt qu’un vautour. 
Le découragement nous guette au coin du jour, 
Quand s’élève du sol l’obscurité qui rampe. 
 
Ce n’est pas celui-là qui mène à la rivière 
C’est un mauvais moment à passer, voilà tout. 
Il nous fait ressortir la joie, ce dégoût 
Comme l’obscurité fait aimer la lumière. 
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

06/04/2013

La citation du jour

Paul Valéry

valery1.jpg

La politique est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.

Paul Valéry, Tel Quel (coll. Folio Essais/Gallimard, 1996)

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21/02/2013

La citation du jour

Paul Valéry 

citation; livres

Mon âme a plus de soif d'être étonnée que de toute autre chose. L'attente, le risque, un peu de doute, l'exaltent et la vivifient bien plus que ne le fait la possession du certain.

Paulé Valéry, Monsieur Teste (coll. Imaginaire/Gallimard, 2006)

image:  www.zazzle.fr 

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05/11/2012

Morceaux choisis - Catherine Pozzi/Paul Valéry

Catherine Pozzi/Paul Valéry

littérature; correspondance; morceaux choisis; livres

A Paul Valéry
(extrait)

Vence, samedi le 27.1.1925

Est-ce que ceci est une lettre à quelqu'un? Pour qui serait-elle écrite? Mais à soi, comme toutes les lettres qu'on écrit. Ou bien au témoin invisible dont la présence est nécessaire afin que résonnent en quelque esprit toutes les paroles inutiles qui sont prononcées dans le monde. (...) Comment est-il le plus beau d'agir, face à celui qui vous a fait le plus de mal, et qui ne le comprend pas? Est-ce d'en exposer l'histoire, afin que le silence ait ensuite une raison? Comme si la raison valait quand balancent contre vous les désirs les plus noués avec la vie, et l'égoïsme de la vie qui vous a choisi pour sa propre nourriture! Que votre sang coule un peu dans ces circonstances, it is part of the thing, et ne vous justifiera jamais de vous en aller.

Il ne faut pas se justifier. Il est, aussi, lâche de faire ressentir la blessure en l'infligeant, à qui refuse de la comprendre, expliquée. Le premier moyen est pauvre, le second, médiocre. Et puis, dans un coeur désespéré en vérité, il n'y a place que pour la fatigue. Les coups sont donc indignes de lui, comme les discours. C'est pour vous éviter les uns et les autres, Valéry, que j'ai voulu que vous ne vissiez plus mon visage.

La prudence du ciel, en me bouchant les yeux avec cette douleur inexplicable et presque toutes les nuits, m'a proposé une excuse décente de dicter mes lettres et de les rendre impersonnelles, échappant à la tentation du reproche, à la honte de la plainte ou de l'aveu. Cette lettre-ci, qu'il faut bien que je dédie à la Grande Oreille, ne vous troublera même pas, d'être tracée avec une écriture qui cache trop mal qu'elle vient d'un être vivant. J'espère qu'il n'y aura pas autant de peine, que de pitié; et comme pour la première fois depuis que je vous écris, je ne le fais pas pour vous appeler à moi, j'espère qu'elle sera sans violence. (...) 

Quand je vous ai aimé, vous étiez, ce que vous êtes toujours, l'esprit vivant où trouver le son parfait de ma seule musique profonde, et je me suis connue, avec surprise, la seule réponse vivante qui pût vous parler. Quand je vous ai connu, vous étiez domestique. Je crois que j'en ai plus souffert que vous. Passons sur cela. Il semblait que quelques succès mondains (...) vous relevaient à vos propres yeux de l'horrible attitude que la vie vous avait poussé à prendre.

Je ne pensais pas ainsi. Vous n'entendrez jamais, en conséquence, l'espèce de martyre que j'ai subi. Il y a un grand vice en moi, c'est l'orgueil. C'est dans ses vices n'est-ce pas, que l'on souffre; il n'y a pas longtemps que je le sais. Vous n'avez rien épargné à cette part de moi, la plus ancienne, la plus acharnée, la plus énergique, la pire suivant l'évangile, et pourtant celle qui m'a seule soutenue quand tout était perdu. Je lui ai fait faire, à ce moi douloureux, les actions qu'il pensait ne jamais descendre à faire, et il vous a accepté dans l'humiliation, parce que j'avais besoin que vous soyiez heureux.

Mais vous, n'aviez pas du tout besoin que je sois heureuse. Je vous aimais tellement, pourtant, que c'était possible. Que c'était facile. Il n'y avait qu'à me donner l'illusion d'une noblesse, d'une rigueur, d'une pureté invisibles, qu'à faire de votre pauvre vie quelque chose de si fier, de si sauvagement inaccessible, qu'elle soit aussi belle qu'une vie libre, aussi haute que si elle n'avait pas été attachée. Plus de deux ans de prières ne purent vous faire exaucer cela, et vous m'avez donné seulement l'horreur de voir l'homme que j'aimais le plus, accepter des aumônes, et servir à la fois de parasite, d'animal familier, et discoureur pour soirées parisiennes, à la personne la plus vulgaire mais la plus outrecuidante de ce temps, qui disait à qui veut l'entendre, qu'elle ne vous élevait pas aux avantages d'amant parce que vous n'étiez pas en situation de l'emploi.

Je pleurais, je vous reprochais; je vous pardonnais en moi-même, et j'espérais toujours. Et tout de suite, le destin que vous m'aviez ouvert devint terrible. Vous aviez pensé à votre joie, pas à ma sécurité. Je portais pourtant encore le nom d'un autre. La faiblesse de mon corps était pourtant grande, qui venait à peine de guérir. 

Valéry, je ne crois pas que j'ai fait beaucoup d'actions admirables de ma vie. Mais j'en ai fait une. Je n'ai pas refusé de payer. Tous les courages que vous avez toute la vie évité d'avoir, je les ai eus à votre place. (...) Vous m'avez abandonnée. J'ai lutté seule. quand, à bout de forces je vous ai écrit que, si je survivais, je serais cassée, usée, incapable de redonner ensuite des joies de l'amour, vous m'avez répondu des injures, et redemandé vos cahiers. (...)

Je n'avais pas cessé d'espérer, voyez-vous! C'est cela le véritable étonnement, la merveille de cette histoire. Je vous connaissais, comme jamais être vivant ne connut autre ni ne connaîtra. (...) Il m'est arrivé, très tôt, de deviner que le bien profond que je pouvais vous faire, c'était d'obtenir que cette volonté toute spirituelle, descendit peu à peu jusqu'à votre vie. (...) Je m'étais trompée. (...) Je n'ai ni demandé de sacrifices, ni proposé que ce que vous pouviez faire honnêtement. Celle qui vous a livré la vie et la sécurité, et puis, ces mots sont vains. Mais enfin, si vous ne vouliez être qu'un manuscrit de ma bibliothèque, il ne fallait pas ruiner mon corps, ni l'appeler votre bien. (...)

J'ai dicté que je viendrais à Paris: mensonge pieux, le premier je crois. Probablement, je pars en avril pour l'Italie, pour un immense voyage. Je suis si fragile qu'il est bien possible que nous ne nous revoyions pas. Ceci était d'ailleurs mon pressentiment: un de nous doit mourir cette année. Vous saurez tout: c'est pour cela qu'au prix de toute ma force je vous ai appelé. Riez-en. Moi, je vous dis, Valéry: fasse le ciel que dans mille soleils vous et moi ensemble retrouvions l'année dont vous n'avez pas voulu.

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Catherine Pozzi et Paul Valéry, La flamme et la cendre / Correspondance (Gallimard, 2006)

image: ludecrit.typepad.fr

26/10/2012

La citation du jour

Paul Valéry

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Ce ne sont pas du tout les méchants qui font le plus de mal en ce monde. Ce sont les maladroits, les négligents, les crédules.

Paul Valéry, Mélanges, dans Oeuvres vol. 1 (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1989)

image: Jean-Baptiste Martin, La chute / 2007 (jeanbaptistemartin.com)

01:02 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/06/2012

Au bar à Jules - De Genève

Un abécédaire: G comme Genève

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En Helvétie - comme partout ailleurs - les commentaires solennels, les avis éclairés, les invectives verbales vont bon train en politique aux heures de grande écoute, à la télévision ou à la radio, où il n'est bientôt plus question que de leçons à tirer des élections passées ou de projections sur celles à venir.

Prenez l'exemple plutôt affligeant du canton de Genève: avec ses plus de 12 milliards de dettes - près de deux fois plus que le second mal classé en Suisse: Zurich - où nous nous préparons à élire un nouveau membre du Conseil d'Etat, en remplacement du radical-libéral Mark Müller, empétré dans une affaire privée, et dont la cécité politique, à propos de sa gestion des affaires, aura eu raison de sa fulgurante ascension, amorcée voici douze ans. Et de quoi donc nous entretiennent-ils, les candidats à ce poste très convoité, qu'il s'agisse de la socialiste Anne Emery-Torracinta, du radical-libéral Pierre Maudet, du MCG Eric Stauffer ou du vert-libéral Laurent Seydoux? De responsabilité sociale, d'insécurité, de halte aux privilèges, de qualité de vie, de frontaliers, de quête d'excellence ou de propreté! Ambitieux programme, certes, mais à propos du nerf de la guerre - la santé financière de Genève - un silence éloquent qui en dit long sur les autorités de la République au bout du lac. A croire que l'influence de nos voisins tricolores - pour leurs défauts, mais sans leurs qualités - n'en finit pas de couvrir de son manteau une région qui, décidément si peu suisse, aurait en d'autres temps mérité de s'y réfugier...

Paul Valéry notait déjà, bien avant ma naissance, dans un contexte différent, je vous l'accorde:Tout état social exige des fictions. Et plus pessimiste encore il ajoutait: Ce sur quoi nul parti de s'explique: chacun a ses ombres particulières, ses réserves; ses caves de cadavres et de songes inavouables; ses trésors de choses irréfléchies et d'étourderies; ce qu'il a oublié dans ses vues, et ce qu'il veut faire oublier. (...) Ils retirent pour subsister ce qu'ils promettaient pour exister. Ils se valent au pouvoir, ils se valent hors du pouvoir.

Ainsi, en plein accord avec ce grand homme, aux heures fatidiques des développements de l'actualité, j'éteins la radio et la télévision. Je reprends le fil de mes lectures, avec en toile de fond La musique sur FB, plutôt satisfait d'avoir évité l'incontournable orage médiatique. Mais soyez rassuré: quand, même sur les ondes, les voix de nos chantres de l'information se sont tues, je file sur la toile de l'Internet pour y mesurer ce qui agite l'Europe et le Monde, mais en choisissant avec soin les sujets qui retiennent mon attention. Un exercice qui réclame peu d'efforts et beaucoup de discipline, au quotidien: Trente minutes à peine, éloigné de cette politique dont Paul Valéry - encore lui - disait qu'elle est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde...

Après tout, une pensée autonome est peut-être bien la seule ou la dernière des libertés à me permettre de résister au pire et... d'en rire!

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel (coll. Folio Essais/Gallimard, 1988)

image: planetephotos.blog.tdg.ch

27/11/2011

Planète Payot

Bloc-Notes, 27 novembre / Les Saules

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Dans la cadre de notre journal d'entreprise, Planète Payot - qui, à chaque numéro, donne la parole à l'un ou l'autre de ses collaborateurs - mon cher collègue de librairie, Thierry du Sordet, m'a sollicité pour recueillir, à deux mois de ma retraite professionnelle, les impressions que je retiens de mes expériences de bloggeur sur La scie rêveuse et Facebook. Il en résulte l'interview ci-dessous, que je vous livre en toute décontraction et simplicité. Conscient de n'être ni écrivain, ni critique littéraire - à chacun son métier ! - je m'efforce de partager une passion viscérale pour la littérature et la musique surtout, avec des amis attachants, sensibles et attentifs dont vous êtes, lecteurs, les passeurs indispensables. Rien de plus ...

Pourquoi un blog? Et avez-vous rencontré des difficultés techniques pour le réaliser?

Le blog est un lieu d'échanges extrêmement gratifiant, un espace de liberté partagée, de découvertes, de passions : celle de transmettre surtout, pour ne pas oublier. Sur le site qui héberge mon blog – le même que Jean-Louis Kuffer – l’utilisation est très facile pour un novice comme moi. Il faut juste être clair dans sa tête et rigoureux dans les styles de présentation propres aux différentes rubriques choisies. Seule la fonction recherche n’est pas au top, mais je fais avec !

Quels sont les liens que vous entretenez avec l'informatique?

Une philosophie très Mac : je ne cherche pas à comprendre comment ça marche. Je suis simplement content que ça marche ! L’aspect technique ne m'intéresse pas du tout et aurait plutôt tendance à m'exaspérer.

Vous avez switché pour Mac, êtes-vous toujours content de votre choix?

Oh oui! C'est le retour à mes premières amours: un apprentissage avec un petit Mac muni de disquettes ... L’approche est plus ludique, simple et intuitive pour ce qui touche mes activités, mais c’est avant toute chose une question d’affinités, car les différences s'estompent entre les systèmes d'exploitation actuels.

Quels sont les critères de choix de sujets sur votre blog? 

Il n’y a rien de prémédité et la formule a évolué avec le temps, depuis les débuts en décembre 2009. De simple critique de livres que j'ai pris plaisir à découvrir, au départ, est apparu plus tard le bloc-notes - présentation longue d’un livre ou fantaisie littéraire - le poème de la semaine - auteurs francophones du XXe siècle -, la citation du jour ou la rubrique In memoriam où je parle d’auteurs souvent oubliés, même dans nos librairies ! La scie rêveuse compte 680 notices littéraires environ, enrichies d’interviews, de vidéos, de films. Avec La musique sur FB, il s’ouvre depuis le début de cette année à la musique – classique - avec 210 extraits à ce jour.

Existe-t-il un type d'articles que vous aimez particulièrement? 

Ceux qui mettent en évidence les ambiguïtés et les contradictions de la vie, les confrontations avec la modernité, les certitudes, l’enracinement humain ou spirituel. Je l’ai fait avec La chute de Camus par exemple, Albergo Italia de Guido Ceronetti ou la Lettre à un jeune libraire

Vous lisez et relisez beaucoup. Comment trouvez-vous le temps d'être si régulier dans l'écriture d'articles?

Je dors (trop) peu… Et j’aime lire et écrire: dans le silence, la solitude et la distance qui me sont précieuses aujourd'hui. Ecrire est un plaisir et un besoin. Une manière comme une autre de conjurer la mort, de faire reculer l’oubli. 

Voyez-vous le blog comme un complément dans votre travail de libraire?

Je vais peut-être vous décevoir, mais non : ce n’est pas complémentaire. La démarche est autre, sans aucun souci commercial, sans contrainte ni compromis. Il y a en revanche des répercussions dans mon travail, intéressantes mais faibles en terme d’impact sur les ventes. La poésie par exemple, les classiques – Paul Valéry, François Mauriac, Jules Supervielle, Saint-John Perse ou Georges Perros - intéressent un nombre restreint de lecteurs en librairie, alors que sur La scie rêveuse ou Facebook c’est tout le contraire : ce sont les nouveautés qui souvent rencontrent un faible écho … Un signe d’espérance donc, qui émerge de ces voies nouvelles de communication !

Quand vous serez à la retraite, aurez-vous l'impression grâce à votre blog, de garder un pied dans le monde du livre?

Certainement, et même sans blog, ce serait le cas ! Je créerai en revanche de nouvelles rubriques avec une variante d’abécédaire où je partagerai mon ressenti personnel aux bruits du monde; une anthologie de la poésie étrangère contemporaine – déjà amorcée sur Facebook - verra le jour aussi; une place plus grande sera accordée aux classiques, probablement …

Vous êtes un contributeur régulier du Passe-Muraille - revue romande consacrée à la littérature - dont le rédacteur en chef est Jean-Louis Kuffer. Etes-vous dans la même démarche qu'avec votre blog? Rédigez-vous de la même façon?

Oui, c’est un espace culturel qui ne fait aucune concession aux modes. C’est devenu bien rare ! Dans le cas contraire, je n’aurais pas rejoint ce groupe de passionnés de tous âges qui ressemble à une seconde famille. Un seul regret : la non-diffusion du Passe Muraille en librairie, chez Payot Libraire entre autres… 

Quels sont les liens qui s'établissent entre les visiteurs du blog et vous. Certains vous retrouvent sur Facebook? 

Les échanges sont sensibles, spontanés, respectueux, parfois d'une simplicité bouleversante. Une seule règle d’or : je réponds toujours – en privé – à un commentaire. Le relais via Facebook est très gratifiant. Les réactions y sont en live, et prêtent parfois à polémique : à propos de Céline par exemple, du mime Lindsay Kemp ou d'Elie Wiesel !  

Les hébergeurs de blogs fournissent des outils pour analyser selon différents critères la fréquentation des blogs. Comment les utilisez-vous? 

Au plus simple. Je ne cherche pas à atteindre des records, mais à rester authentique, fidèle à mes convictions, à ma ligne de conduite. Tant pis si la fréquentation doit en souffrir ... 

Savez-vous combien de visiteurs consultent votre blog, pour un mois ou une semaine, par exemple? Savez-vous de quelles régions viennent ces derniers?

Les visites sont environ de 5'200 à 6'200 par mois – 190 par jour en moyenne – pour 11'000 à 17'000 pages consultées par mois. Les liens sont culturellement très forts avec la France, la Suisse, l’Italie, la Grèce, le Canada et l’Afrique du Nord.  

A l'ère de la blogosphère, pensez-vous que la multiplication des blogs est un avantage pour l'individu qui peut ainsi partager sa passion pour un ou plusieurs sujets, ou bien au contraire cette multitude réduit-elle la portée de partage en augmentant les plateformes, sources d'informations ou de partage?

C’est une richesse partagée – les blogs sur Facebook surtout - mais elle peut devenir une prison. On ne peut suivre les activités de tout le monde. Je me fixe une limite de temps de fréquentation par jour : 30 minutes ! Certains bloggeurs sont devenus des amis de cœur, sincèrement. Le contraire du virtuel ou de la diabolisation dont nous abreuve régulièrement la presse …

Comment filtrez-vous les commentaires, que ce soit sur votre blog ou sur votre page Facebook?

Pas de filtre sur Facebook. En revanche, sur La scie rêveuse je n’accepte pas les commentaires hors de propos ou insultants – cela arrive rarement, mais tout de même – détestant les débats à la manière du blog de Pierre Assouline où après 15 avis ou commentaires, il n’y a plus aucun rapport au sujet.

Vous partez à la retraite au mois de février ...

A cette date, j’ouvrirai pour une semaine la porte de mon blog à quelques coups de cœur de mes collègues de Payot Nyon, une façon de les remercier pour leur amitié et leur défense de la littérature, même si, comme le dit Marco Lodoli – dans Les prétendants - nous ne sommes après tout que du vent sur une page !

Marco Lodoli, Les prétendants: La Nuit - Le Vent - Les Fleurs (P.O.L., 2011)

le blog de Thierry du Sordet: http://strictnecessaireouquestce.blogspot.com/

image: Thierry du Sordet, libraire - Payot Nyon

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