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19/06/2015

Morceaux choisis - Pierre-Albert Jourdan

Pierre-Albert Jourdan

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Il y a une parole confiée au silence, que l'ombre nous transmet. Une parole d'effacement qui est parole de tendresse. Peut-être pourrions-nous aussi parler de bonté. Lavis d'ombre sans que soit raturée cette lumineuse coulée qui la contient. Mais plus proche de notre dénuement. Je crois à cette parole d'ombre. Elle n'est pas jeu de lumière ou de solitude mais ce que nous pouvons comprendre d'un dialogue qui se fait, qui se défait en nous. A chaque instant. Car nous ne pouvons comprendre que l'ombre. La brisure de l'éclat.

Affamés de soleil, de cette lumière violente qui nous pousserait hors des limites (les prétentions ont été bien réduites!), nous sommes pourtant ce versant d'ombre, c'est notre pente. Je crois à cette parole d'ombre. Ma main glisse sur la table, devient multitude de touches impossibles à décrire. Pousse la parole à l'impuissance. Ombre de l'ombre! Simplement posée là, et quel murmure de sang et d'ombre, quelle certitude de fardeau un instant déposé! Je crois à cette légèreté quand c'est l'ombre qui m'y conduit. Passagère, passante, c'est le voile pudique sur la suffisance, la vulgarité. Elle vient ruiner le cri. Elle ouvrira demain mon regard à la lumière, et je consentirais peut-être à l'entendre, elle aussi, sans déchirement. C'est la seule leçon, la discrétion de cette ombre qui s'éloigne.

Pierre-Albert Jourdan, Parole d'ombre, dans: Le bonheur et l'adieu (Mercure de France, 1991)

Préface de Philippe Jaccottet

03/04/2015

La citation du jour

Philippe Jaccottet 

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On ne peut pas porter sur ses épaules tout le fardeau de la douleur du monde. Suffit (?) qu'on n'aggrave pas celui des proches et en soulage une petite part quand cela se peut. Suffit (?) qu'on essaie au moins de porter seul le sien. Mais on peut, mais sûrement on doit porter le non-fardeau des moindres éclaircies encore aperçues, le contre-fardeau des lueurs pour les encore vivants.

Philippe Jaccottet, Trois proses (Revue Europe no 955-956, novembre-décembre 2008)

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/02/2015

La citation du jour

Philippe Jaccottet

citations; livres

Le froid qui nous fait frissonner tout à coup, la chaleur qui nous a fait d'abord transpirer au moindre effort, l'ombre qui éteint les formes, le temps qui vous use lentement, rien ne permet de le mettre en doute. Voilà où nous sommes, voilà ce qui nous cerne, nous flatte ou nous blesse, nous exalte ou nous accable, ce qui a plus ou moins de poids, d'éclat, de mouvement, voilà ce à quoi nous avons affaire le temps de notre vie, et qui est inépuisable, et dans quoi nous sommes réels et non des fantômes: car les fantômes ne souffrent ni ne jouissent, on ne peut en tirer du sang, ni des larmes.

Philippe Jaccottet et Alexandre Hollan: Nuages (Fata Morgana, 2002)

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/09/2014

Morceaux choisis - Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet

littérature; essai; morceaux choisis; livres

Et viennent de nouveau les grands beaux jours...

Une fois encore, la sérénité d'octobre...

L'air entoure, c'est quelque chose qui n'est pas, c'est de la place, de l'espace, c'est une absence d'oppression et de murs: l'air libre.

L'étendue à peine relevée sur ses bords, ses lointains bords, comme un berceau.

C'est l'air qu'on ne voit pas, qu'on boit un peu comme de l'eau fraîche, c'est tout le ciel comme un grand verre d'eau, et l'air est frais, rafraîchissant, désaltérant. On taille les haies, le jardin bleu s'éclaire, et c'est comme si on montait les degrés d'une échelle. Les branches, les herbes sécheront en grands tas que l'on fera brûler plus tard avec joie: grésillement des flammes dans la fumée comme une autre espèce d'air, agressif, agité, coloré, ascendant. Cascade inversée.

Puisses-tu allumer encore quelques feux avec ces feuilles sur la pente du temps... où du fond de l'enfance remonte un bruit de cloches sombres... 

Philippe Jaccottet, Carnets 1968-1979, dans: Oeuvres (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 2014)

image: Jeanne-Marie Simon-Chapuis, Beauregard-Baret, France (map-france.com)

21/06/2014

Philippe Jaccottet

images.jpegSébastien Labrusse, Au coeur des apparences - Poésie et peinture selon Philippe Jaccottet / précédé de: En compagnie des peintres - Entretien avec Philippe Jaccottet (Editions de la Transparence, 2012)

Précédé d'un entretien avec Philippe Jaccottet - En compagnie des peintres - tout le mérite de Sébastien Labrusse revient à débroussailler et mettre en perspective l'univers de l'auteur de La promenade sous les arbres à travers quelques motifs rarement traités, tels le contraste entre la force de l'émotion transcrite et l'insignifiance de ce qui la cause; le sens du sacré et son approche du paradis récusant toute représentation; enfin, le thème de la joie dans ses écrits en contrepoint à la finitude omniprésente dans toute son oeuvre: Je pense quelquefois que si j'écris encore, c'est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d'une joie dont on serait tenté de croire qu'elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. (Cahier de verdure)

Approche du paysage, regard d'un peintre des mots, des frontières visibles et invisibles qui l'épanouissent ou le hantent - à l'épreuve de la mort - Philippe Jaccottet est admirablement cerné, autant qu'il se peut, dans cet essai de Sébastien Labrusse dont l'intelligence est d'accorder un vaste espace à la parole de l'auteur lui-même, dont on se réjouit de mieux découvrir les textes qui à ce jour auraient échappé à notre curiosité: Sur le jeune figuier épargné par l'incendie, une première feuille verte, tel un nouveau phénix. Plus que jamais est-on tenté de relire, après Silesius: Dieu est le vert des prés. (La seconde Semaison)  

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/02/2014

Yves Bonnefoy

images.jpegYves Bonnefoy, L’inachevable - Entretiens sur la poésie (Albin Michel, 2010)

On ne présente plus Yves Bonnefoy qui, comme Philippe Jaccottet, incarne l’exigence de la poésie, du langage et du sens. Dans ces entretiens réalisés entre 1990 et 2010, l’auteur nous partage pêle-mêle les rencontres essentielles de sa vie artistique: Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, Pierre-Jean Jouve, Paul Valéry, Alberto Giacometti, sans oublier William Shakespeare dont les traductions occupent une place privilégiée dans son œuvre. Une lecture exigeante dont on peut regretter parfois une certaine préciosité, mais qui nous aide à épanouir ce champ de la conscience qui peut-être, sommeille en nous.

Ce livre, quelques-uns des entretiens que j'ai eus avec divers interlocuteurs en ces vingt dernières années. D'une part ceux qui portèrent sur la création artistique - architecture ou peinture - ou des peintres et des poètes; et d'autre part ceux où j'ai eu à parler de mon propre travail ou de ma vie. Viendront plus tard des réflexions de nature plus générale bien que constamment sur la poésie. Pourquoi ce rassemblement? Parce que l'imprévu des questions avive et même sert le désir de comprendre de celui qui cherche à répondre, en un écrit parlé qu'il veut aussi précis que possible. Et parce que ce désir va peut-être trouver dans les hypothèses et digressions alors permises des voies qui en valent d'autres vers la sorte de vérité dont cet auteur est capable. Yves Bonnefoy

également disponible en édition de poche (coll. Livre de poche/LGF, 2012)

09:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: essais; entretiens; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/11/2013

Philippe Jaccottet

9782940055517.gifPhilippe Jaccottet, D'autres astres, plus loin, épars - Poètes européens du XXe siècle (La Dogana, 2005)

Comme dans Une constellation tout près - consacrée aux poètes d'expression française, chez le même éditeur - Philippe Jaccottet nous invite à prendre notre bâton de pèlerin pour le suivre au pays des poètes. Il y a, bien sûr, les incontournables, tels Rilke, Machado, Lorca, Celan, Pessoa, Mandelstam, Akhmatova ou Tsvetaeva, mais dont les textes, choisis avec soin, sont souvent méconnus. Il en est d'autres, rarement évoqués: par exemple Blok, Raine, Trakl, Penna pour n'en citer que quelques-uns. Aussi bel objet que le précédent recueil cité, cette anthologie deviendra bien vite votre livre de chevet, ainsi qu'une fenêtre ouverte sur le monde...

06/11/2013

Le poème de la semaine

Philippe Jaccottet

Tu es ici, l'oiseau du vent tournoie
toi, ma douleur, ma blessure, mon bien
De vieilles tours de lumières se noient
et la tendresse entr'ouvre ses chemins
 
La terre est maintenant notre patrie
Nous avançons entre l'herbe et les eaux
de ce lavoir où nos baisers scintillent
à cet espace où foudroie la faux
 
"Où sommes nous?"
Perdus dans le coeur de la paix.
Ici, plus rien ne parle
que sous notre peau, sous l'écorce et la boue,
 
avec sa force de taureau,
le sang fuyant qui nous emmêle et nous secoue
comme ses cloches mûres sur les champs.

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

18/09/2013

Le poème de la semaine

Philippe Jaccottet

A l'heure où la lumière enfouit son visage dans notre cou,
on crie les nouvelles du soir, on nous écorche.
L'air est doux.
 
Gens de passage
dans cette ville, on pourra juste un peu s'asseoir
au bord du fleuve où bouge un arbre à peine vert,
après avoir mangé en hâte;
aurais-je même le temps de faire ce voyage avant l'hiver,
de t'embrasser avant de partir?
 
Si tu m'aimes retiens-moi, le temps de reprendre souffle,
au moins juste pour le printemps,
qu'on nous laisse tranquilles
longer la tremblante paix du fleuve,
très loin jusqu'où s'allument les fabriques immobiles...
 
Mais pas moyen.
Il ne faut pas que l'étranger qui marche se retourne,
ou il serait changé en statue:
on ne peut qu'avancer.
Et les villes qui sont encore debout brûleront.
 
Une chance que j'aie au moins visité Rome, l'an passé,
que nous nous soyons vite aimés, avant l'absence,
regardés encore une fois, vite embrassés,
avant que l'on crie "Le Monde" à notre dernier monde
ou "Ce soir" au dernier beau soir qui nous confonde...
 
Tu partiras.
Déjà ton corps est moins réel
que le courant qui l'use,
et ses fumées au cielont plus de racines que nous.
C'est inutile de nous forcer.
Regarde l'eau,
comme elle file par la faille entre nos deux ombres.
C'est la fin,
qui nous passe le goût de jouer au plus fin.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

11/09/2013

Le poème de la semaine

Philipe Jaccottet

Dis encore cela patiemment, plus patiemment
ou avec fureur, mais dis encore,
en défi aux bourreaux, dis cela, essaie,
sous l'étrivière du temps.
 
Espère encore que le dernier cri
du fuyard avant de s'abattre soit tel,
n'étant pas entendu, étant faible, inutile,
qu'il échappe, au moins lui sinon sa nuque,
à l'espace où la balle de la mort ne dévie jamais,
et par une autre oreille que la terre grande ouverte
soit recueilli, plus haut, non pas plus haut,
ailleurs, pas même ailleurs: soit recueilli
peut-être plus bas, comme une eau
qui s'enfonce dans la poussière du jardin,
comme le sang qui se disperse, fourvoyé,
dans l'inconnu.
 
Dernière chance pour toute victime sans nom:
qu'il y ait, non pas au-delà des collines
ou des nuages, non pas au-dessus du ciel
ni derrière les beaux yeux clairs, ni caché
dans les seins nus, mais on ne sait comment
mêlé au monde que nous traversons,
qu'il y ait, imprégnant ses moindres parcelles,
de cela que la voix ne peut nommer, de cela
que rien ne mesure, afin qu'encore
il soit possible d'aimer la lumière
ou seulement de la comprendre,
ou simplement, encore, de la voir
elle, comme la terre la recueille,
et non pas rien que sa trace de cendre.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle