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03/03/2015

La citation du jour

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Colette

A l'écart des êtres qui, remplis à la hâte de moi, me laissent creuse, et la joie tirée, loin des pléthoriques, pires, de qui j'ai tôt fait de repousser l'indigeste apport, s'élargit une zone où je m'ébats avec mes pairs. J'en ai un peu plus que je n'espérais. Ils émergent de la plus funeste jeunesse, la deuxième. Ils perdent leur sérieux, et acquièrent une notion juste de ce qui est guérissable, à commencer par l'amour. Ils administrent ingénieusement, chaque jour, l'espace compris entre une aube et l'aube suivante, et sont aventureux en esprit. Ils aperçoivent, comme moi, ce qu'il y a de pernicieux dans le travail quotidien, et ils ne rient pas quand je leur cite la boutade d'un grand journaliste qui mourut jeune et sur sa tâche: L'homme n'est pas fait pour travailler et la preuve c'est que ça le fatigue. Pour tout dire, ils sont frivoles, comme furent cent héros. Ils sont laborieusement devenus frivoles. Et ils secrètent au jour le jour leur propre morale, ce qui me les rend plus intelligibles encore, et les colore diversement.

Colette, Le pur et l'impur (coll. Livre de poche/LGF, 2004)

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/01/2015

Morceaux choisis - Annie François

Annie François

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Par rapport au fracas du journal (dont chaque page tournée perce le silence comme un coup de tonnerre), le livre est discret. Et pourtant, il se fait entendre: que d'un majeur impatient on cherche sa page, que d'un coup de pouce on le ventile, le livre tempête, fredonne ou gazouille. Chacun est un instrument singulier qui résonne différemment sous les doigts de l'interprète. De la flûte de la Pléiade au basson du Petit Robert, son timbre est plus ou moins mélodique selon l'inspiration de l'instrumentaliste. L'analogie a ses limites: Bouquin, quand on l'effeuille lourdement, émet un brave bruit de boue bovine qui, bien que pastoral, n'a rien de symphonique. J'aime sa ruralité.

Il est doux de faire chanter les livres, à condition de jouer en solo, car l'imperceptible mais très régulier chuintement de la page tournée par un autre peut relever du supplice de la goutte d'eau, surtout quand les doigts s'attardent entre deux feuillets, les phalangent glissant sur la tranche, interminable prélude au petit fluip du basculement sur la page paire. Plus le papier est fin, plus le supplice est cruel puisque le lecteur, soucieux de ne tourner qu'un feuillet, revérifie: crissement de soie. On tuerait à moins.

Tout fait musique dans le livre, pour peu qu'on ait l'oreille: le dos d'un volume cousu émet, quand on l'ouvre, d'imperceptibles pétillances, celui d'un vieux livre de poche un sinistre craquement qui amorçe l'effeuillage; le grain du papier feule et la couverture vibre sous les doigts de l'impatient. Mais le plus beau des bruits est celui des pages non massicotées que l'on coupe. Un jour, une adolescente me voyant oeuvrer dans le métro, chuchota, indignée, à son petit ami: Au prix qu'c'est, c't'incroyable qu'zaient encore des défauts. Ignorant que l'exception d'aujourd'hui était hier presque la règle, elle mésestimait le plaisir et les querelles et les différentes écoles et les instruments de cette activité somptueuse: couper avec ou sans peluche - dite barbe - au fil de la lecture ou par avance. D'aucuns recyclent un vieux couteau très affûté.

Pour ma part, impétinente adepte de la peluche, j'utilise soit un ticket de métro (papier contre papier), soit un bambou poncé et patiné (bois contre papier), soit le côté non tranchant d'un petit couteau archaïque et ébréché, mais j'aime moins l'alliance métal-papier. En fait, qu'importe l'instrument si la peluche est légèrement bouclée, duveteuse, futur piège à poussière ...

*

Je ne veux plus lire. Tous ces personnages, ces bêtes, ces nuages, ces drames, ces paysages, ces aventures sordides ou magnifiques me suffoquent. Pourquoi ces histoires de substitution, ces voyages de papier, ces ersatz de passion, de crime? Je veux vivre. Echapper à la tyrannie de leur fiction. 

(Allons, du calme. Tu n'as qu'à lire tous les Que sais-je, par exemple.)

Qu'est-ce que je fuis si frénétiquement en lisant? Qu'est-ce que je me dissimule? Quel vide je comble? Quelle incroyable vacuité m'habite où tourbillonnent des nuées de titres approximatifs, de noms d'auteur écorchés, de lambeaux de citations fautives, où se catapultent des météores de références d'ouvrages à acheter? Assez. 

(Oui, assez. Assez d'enflure et d'emphase. Il y a des gens très normaux qui lisent vingt bouquins par semaine - et s'en souviennent - sans en faire tout un plat. Qu'est-ce que ce foin pour une petite overdose? Une semaine de sevrage dans le Massif central suffira: marcher tout le jour sur les traces de Stevenson (Voyage avec mon âne à travers les Cévennes, 193 pages) et danser la bourrée de nuit jusqu'à l'évanouissement pour résister à l'envie de lire avant de s'endormir. D'ailleurs, pourquoi employer les grands moyens? Tout concourt à ta guérison: le Divan s'est déjà exilé au profit de Dior; Compagnie est devenue une librairie non-fumeurs. La rente foncière et l'hygiénisme finiront par avoir raison de ta nausée, faute de nourriture.) 

Bien, récapitulons: qu'on me laisse mes yeux pour lire, mes mains pour tourner les pages et mes jambes pour courir les libraires. Et, par la même occasion, qu'on me laisse toute ma tête pour mesurer l'étendue de mon gâtisme. 

Annie François, Bouquiner - Autobiobibliographie (Coll. Points/Seuil, 2012)

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/06/2014

Philippe Jaccottet

images.jpegSébastien Labrusse, Au coeur des apparences - Poésie et peinture selon Philippe Jaccottet / précédé de: En compagnie des peintres - Entretien avec Philippe Jaccottet (Editions de la Transparence, 2012)

Précédé d'un entretien avec Philippe Jaccottet - En compagnie des peintres - tout le mérite de Sébastien Labrusse revient à débroussailler et mettre en perspective l'univers de l'auteur de La promenade sous les arbres à travers quelques motifs rarement traités, tels le contraste entre la force de l'émotion transcrite et l'insignifiance de ce qui la cause; le sens du sacré et son approche du paradis récusant toute représentation; enfin, le thème de la joie dans ses écrits en contrepoint à la finitude omniprésente dans toute son oeuvre: Je pense quelquefois que si j'écris encore, c'est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d'une joie dont on serait tenté de croire qu'elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. (Cahier de verdure)

Approche du paysage, regard d'un peintre des mots, des frontières visibles et invisibles qui l'épanouissent ou le hantent - à l'épreuve de la mort - Philippe Jaccottet est admirablement cerné, autant qu'il se peut, dans cet essai de Sébastien Labrusse dont l'intelligence est d'accorder un vaste espace à la parole de l'auteur lui-même, dont on se réjouit de mieux découvrir les textes qui à ce jour auraient échappé à notre curiosité: Sur le jeune figuier épargné par l'incendie, une première feuille verte, tel un nouveau phénix. Plus que jamais est-on tenté de relire, après Silesius: Dieu est le vert des prés. (La seconde Semaison)  

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/06/2014

Pietro Citati

9782070762767.gifPietro Citati, Le mal absolu (L'Arpenteur, 2009)

 

Le mal absolu est sans doute l’un des essais littéraires les plus passionnants de ces dernières années. L’écriture de Pietro Citati y contribue largement de par son style lyrique, précis, convoquant écrivains et personnages avec un sens raffiné de la mise en scène. Quant au sujet, rarement il a été évoqué avec autant d’érudition et de simplicité que dans cet ouvrage qui se lit – sauf peut-être les chapitres consacrés à Goethe, Manzoni ou Freud - comme un roman ! Au-delà de nombreux héros du siècle dernier, vous découvrirez certains visages méconnus de leurs auteurs, tels Jane Austen, Charles Dickens ou Alexandre Dumas. Enfin, après cette lecture, vous aurez une toute autre vision de Robinson Crusoë qui a hanté sans doute l’imagination de vos 15 ans. Bref, un chef d’œuvre à lire, puis à offrir !

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/03/2014

Giuseppe Tomasi di Lampedusa

9782844850447.gifGiuseppe Tomasi di Lampedusa, Shakespeare (Allia, 2007)

Deux fois par semaine, l'auteur de ce chef d'oeuvre, le Guépard - en coll. Points/Seuil - prononçait chez lui, devant un public composé de jeunes gens, des leçons, principalement consacrées à la littérature anglaise. Cet opuscule relate celles consacrées à William Shakespeare. Elles fourmillent d'informations, d'angles de vue, de mises en perspective intéressantes. Le contraire d'une biographie classique ou d'une thèse universitaire. Le regard de l'écrivain y est accessible, plein d'humour, passionné. Il donne au grand dramaturge anglais un relief particulier, dans son effort à restituer une atmosphère et une matérialité du théâtre de cette époque. Bref, un compagnon idéal - il tient dans la poche intérieure d'un veston ou d'un sac à main - pour vous accompagner au spectacle d'une pièce de... Shakespeare, bien sûr!

00:38 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/01/2014

Philippe Sollers

9782070445356_1_75.jpgPhilippe Sollers, Discours parfait (coll. Folio/Gallimard, 2012)

Avec la vaste culture de son auteur et sa passion de l'écrit auxquelles s'ajoutent, pour cet ouvrage en particulier, un formidable élan ainsi qu'un enthousiasme contagieux, Philippe Sollers nous embarque pour un tour du monde de la pensée et de la littérature à travers les siècles, illustré d'anecdotes savoureuses, de citations qui donnent des ailes à ces amis de passages ou compagnons de toujours, comme les célèbres corbeaux de Van Gogh au-dessus des champs de blé.  

A titre d'exemple, les chapitres consacrés  à Shakespeare, Châteaubriand, Stendhal, Mauriac ou Céline, valent à eux seuls une lecture attentive. Ainsi que pour l'auteur de Discours parfait, mes choix - forcément subjectifs - sont le reflet de rencontres marquantes, et vous en trouverez d'autres assurément, dans ce livre: Nietzsche, Flaubert, Joyce, Bataille, Beckett ou Houellebecq parmi d'autres. Vous avez l'embarras du choix.

A propos de mon écrivain préféré, l'immense et indémodable William Shakespeare, il écrit: C'est le plus grand. on ouvre ses oeuvres, et aussitôt, le globe tourne, les passions se déchaînent, la nature entière se déploie, les flèches du rythme vibrent, criblent la scène, viennent vous frapper en plein coeur.

Quelques centaines de pages plus loin, à propos de François Mauriac - l'écrivain moderne dont je me sens le plus proche depuis mon adolescence - il note: On dit qu'un vin vieillit bien, surtout s'il est de Bordeaux, mais la vérité est qu'il rajeunit de l'intérieur, et c'est l'étonnante fraîcheur qui arrive, de plus en plus, au journaliste Mauriac, l'écrivain qui s'est le moins trompé sur toutes les grandes tragédies du XXe siècle (...) Impeccable, direct, précis, implacable.

Avouez que lorsqu'on nous présente la littérature avec autant de ferveur, une allégresse diffuse nous étreint, celle qui nous fait prendre la mesure du temps - aussi rare et recherché que l'oxygène - pour lire ou relire les auteurs qu'il convie dans son livre. Pas tous, heureusement! On ne peut aimer tout le monde. Et c'est bien ainsi... 

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11/10/2013

Robert Louis Stevenson

9782844850560.gifRobert Louis Stevenson, Apologie des oisifs (Allia, 2001)

A côté de ses romans, Stevenson est l’auteur de nombreux essais, considérés comme des chefs-d’œuvre par Borges ou Nabokov. Sa virtuosité, son humour, son ton paradoxal, sa façon d’aborder les questions les plus profondes à travers les détails les plus prosaïques l’inscrivent dans la grande tradition des essayistes anglo-saxons. On se persuadera à la lecture de ces textes jubilatoires, où défile une galerie d’excentriques anglais de la plus belle eau, que la paresse et la conversation - au même titre que l’assassinat - méritent de figurer parmi les beaux-arts. Ces textes ironiques, pleins de malice et d’observation pertinente - contre l'agitation, la productivité ou l'éloge du travail bien fait - n’ont rien perdu de leur originalité, et méritent une place de choix sur la table de chevet… de tous les managers!

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09/04/2013

Pascal Fioretto

littérature; essai; livresPascal Fioretto, Et si c'était niais ? (Chiflet & Cie, 2007)

 

Alors que la rentrée littéraire approche, Christine Anxiot n'a toujours pas remis son manuscrit annuel. Son éditeur déclenche une enquête sur l'inexplicable disparition, mais les enlèvements d'écrivains continuent. Dans les milieux feutrés de l'édition s'engage alors une impitoyable chasse à l'homme de lettres... Pour résoudre l'enquête, il a été fait appel aux plus grandes plumes de la littérature française : Denis-Henri Lévy, Christine Anxiot, Fred Wargas, Marc Levis, Mélanie Notlong, Pascal Servan, Bernard Werbeux, Jean d'Ormissemon (de la française Académie), Jean-Christophe Rangé, Frédéric Beisbéger et Anna Galvauda.


Pascal Fioretto a dû bien s’amuser en écrivant ce livre. Construit sous forme de roman policier – la chasse aux hommes de lettres qui disparaissent – ce récit est le prétexte idéal pour pasticher les célébrités de la littérature française. Les portraits de Denis-Henri Lévy, de Pascal Servan, de Christine Anxiot sont particulièrement réussis et vous en rirez de bon cœur!


Egalement disponible en format de poche (Pocket, 2008)

07:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/04/2013

Marco Lodoli

9782357070028.gifMarco Lodoli, Iles - Guide vagabond de Rome (La Fosse aux Ours, 2009) 

 

Amoureux de l’Italie et de la littérature, ce délicieux recueil d’impressions romaines vous fera découvrir par une succession de portes dérobées, Rome telle que vous ne l’avez jamais vue! Vous y croiserez le fantôme de Vittorio Gassman, les vers de Leopardi ou de Montale, la via Veneto, Santa Maria in Aracoeli, la magie des fontaines, la philosophie des pâtes, l’âme changeante au gré des saisons. En moins de 220 pages, vous survolerez, ravi, plusieurs siècles d’histoire avec la légèreté de l’oiseau. Vous visiterez, vous apprendrez, vous vous divertirez tout au long de cette lecture, puis apaisé, vous gagnerez le pays des songes! Et le lendemain matin, vous vous hâterez de réserver une place dans le Cisalpino… Destination : Rome, bien sûr.

06:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Marco Lodoli | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/12/2012

Frédéric Pajak

Bloc-Notes, 27 décembre / Les Saules

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En sa qualité d'écrivain, Frédéric Pajak ne ressemble vraiment à personne, et son dernier livre, Manifeste incertain, en est une démonstration supplémentaire. Récit autobiographique, poème, cahier de dessins, pamphlet, souvenirs, reportages, ou plutôt tout cela à la fois? Le fil conducteur de ce texte est Walter Benjamin auquel s'ajoutent quelques pages consacrées à Samuel Beckett, comme dans d'autres de ses précédents ouvrages, ont été placés sous son projecteur Friedrich Nietzsche, Cesar Pavese, Martin Luther et James Joyce.

Pourquoi ce Manifeste incertain? En préambule, Frédéric Pajak nous en livre la clef: La génération de l'après-guerre a perdu le fil de l'Histoire à force de reconstruire le monde. Et c'est vrai qu'elle l'a reconstruit et qu'elle a su faire règner la paix, comme un long soupir, en oubliant les temps mauvais. Maintenant nous vivons dans les restes de cette paix, et c'est avec ces restes que nous improvisons une société, une société qui efface les sociétés précédentes, une société sans mémoire. Il ajoute à sa réflexion: Evocation de l'Histoire effacée et et de la guerre du temps, tel est, exprimé de façon désarticulée, le propos du Manifeste. Ecrire contre l'oubli, tracer l'éphémère, l'incruster dans le papier comme l'image d'une lumineuse mélancolie.

Avec Walter Benjamin, Frédéric Pajak situe la responsabilité de l'écrivain et déborde de ce cadre trop strict pour lui afin d'ouvrir son champ de vision à la création toute entière: La création humaine surgit de la pénombre de nous-mêmes, de cette moiteur que l'on sent entre les doigts, entre les muscles entortillés sur le dessus de nos entrailles, cette pénombre plus épaisse que la purée des cailloux. Dans cette pénombre, on plonge par le soupirail. On y nage. On s'y enterre. La création du monde vient du fond de la terre, contrairement au travail qui vient du ciel. La création humaine est étrangère au labeur, aux tâches moitié domestiques moitié mécaniques. Elle n'a ni poids ni mesure, mais elle a tout le temps pour elle. Tout le temps? Peut-être. Pour l'heure, elle s'y étire, parfois sauvagement. Un mot chasse l'autre, une image en efface une autre, une pensée cesse de penser.

Dans cet enchevêtrement de miroirs entre histoire, imagination et réalité, il n'est pas certain que le lien entre les différents chapitres soit tout à fait évident pour le lecteur, mais à trop réfléchir, en lisant, n'échappe-t-on pas au gré des incertitudes de son auteur, à l'essentiel, à la trace brute et sauvage, pas encore polie, lissée par l'intelligence? Les plus beaux passages du Manifeste incertain touchent à la pensée propre et fissurée de Frédéric Pajak, davantage qu'à ses épisodes consacrés à Walter Benjamin, Rainer-Maria Rilke ou Samuel Beckett, bien que l'ensemble soit à prendre en considération. Ainsi - outre un extrait que vous pouvez retrouver sur La scie rêveuse, dans Morceaux choisis - le point culminant de son art est atteint avec les Esprits: Les Esprits, enfouis au plus profond de la terre, décident de revenir au monde. Ils ne sont ni des immortels ni des fantômes, mais simplement des Esprits. Ils forment une espèce de cohorte, portent chacun le nom d'un sentiment puissant. Ily a le Bonheur, le Désespoir, l'Appétit. Et puis la Fatigue, longue femme amaigrie, les yeux rougis de larmes, la coiffure comme une botte de foin brûlé. Dans la cohorte, il y a encore la Douleur, la Joie, la Peur, le Chagrin et d'autres encore...

Pour la suite de ce texte, je vous laisse en poursuivre la lecture dans le Manifeste incertain, premier volume d'un nouveau cycle, aux Editions Noir sur Blanc: un ouvrage singulier tantôt visuel et provocateur comme un film de Jean-Luc Godard, tantôt dépouillé à l'extrême comme un monologue de Samuel Beckett... Original, à vous d'en juger!

A ce jour, Frédéric Pajak, néà Suresnes en 1955, est l'auteur d'une vingtaine de livres, patrmi lesquels Le bon larron (Campiche, 1987), Martin Luther - l'inventeur de la solitude (L'aire, 1997), L'immense solitude - avec Friedrich Nietzsche et Cesar Pavese (Presses Universitaires de France, 1999), L'étrange beauté du monde (Noir sur Blanc, 2008 - avec Léa Lund) et En souvenir du monde (Noir sur Blanc, 2010 - avec Léa Lund).     

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Frédéric Pajak, Manifeste incertain, Volume 1 (Noir sur Blanc, 2012)

images: Frédéric Pajak, Dessins illustrant le texte : Manifeste incertain

07:38 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |