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12/05/2015

Morceaux choisis - Jules Supervielle

Jules Supervielle

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Quand je vais à pied dans la campagne, force m'est d'avouer que j'ignore le nom de la plupart des arbres, bien qu'on m'ait souvent renseigné à leur sujet. Mais je n'écoute pas toujours aussi fort que je le voudrais. Et en fait d'arbres, je ne connais personnellement que le chêne, le platane, l'ombu, le peuplier - encore faut-il qu'il soit d'Italie - et les arbres fruitiers dans la saison des fruits. La campagne me devient presque tout de suite intérieure grâce à je ne sais quel glissement du dehors vers le dedans, à quoi ne participe pas seulement l'esprit, mais aussi les yeux, le nez, la bouche. Et j'ai l'impression d'avancer dans le paysage comme dans mon propre monde mental, soit que l'air très léger semble n'avoir pas touché terre, être l'odeur même du ciel, ou qu'il s'épaississe, au voisinage des fermes, jusqu'à devenir presque aussi nourrissant que du lait frais tiré.

Sur la route de Jaxu, je m'arrête devant un ancien manoir. Une vigne rampe sur le haut du mur peint à la chaux et que le sulfate a bleui: je voudrais comprendre le langage de cette ferme d'un autre temps, dirait-on. Elle s'exprime aujourd'hui par une chèvre qui en sort, et, deux minutes après, par ces jeunes porcs agitant leur tête, et enfin, par une carriole et un homme.

Et que signifie cette poule juchée sur le dos de ce porc à plaques noires? Ces associations provisoires d'animaux de différentes espèces me touchent presque toujours. Qui déchiffrera ces hiéroglyphes momentanés? Je songe aussi à l'oiseau hornero que je vis un jour sur les cornes d'un taureau, en Uruguay.

Pourquoi retourner ainsi, chaque jour, voir cet étang, cette ferme pleine pour moi de murmures, de sons qui ont du mal à s'articuler. Que s'est-il passé là? Peut-être qu'un jour, ici même, mon père... ou ma mère... Ou peut-être que rien, absolument rien.

Nous montons à Aradoy. A nos pieds, les fumées indolentes de la ville, ancienne capitale de la Basse-Navarre, semblent nous dire qu'avec de la patience (et du feu) presque tout est possible, qu'il n'y a jamais lieu de désespérer (ni d'espérer) complètement, non plus peut-être que de s'endormir (ni de se réveiller) tout à fait.

Jules Supervielle, Les Pyrénées / extrait, dans: Boire à la source (R.A.Corrêa, 1933)

image: Jaxu, Pyrénées / France (www.cartesfrance.fr)

11/02/2015

Le poème de la semaine

 

Jules Supervielle

 

Il vous naît un poisson qui se met à tourner

Tout de suite au plus noir d'une lame profonde,

Il vous naît une étoile au-dessus de la tête,

Elle voudrait chanter mais ne peut faire mieux

Que ses soeurs de la nuit les étoiles muettes.

 

Il vous naît un oiseau dans la force de l'âge,

En plein vol, et cachant votre histoire en son coeur

Puisqu'il n'y a que son cri d'oiseau pour la montrer.

Il vole sur les bois, se choisit une branche

Et s'y pose, on dirait qu'elle est comme les autres.

 

Où courent-ils ainsi ces lièvres, ces belettes,

Il n'est pas de chasseur encor dans la contrée,

Et quelle peur les hante et les fait se hâter,

L'écureuil qui devient feuille et bois dans sa fuite,

La biche et le chevreuil soudain déconcertés?

 

Il nous naît un ami, et voilà qu'il vous cherche

Il ne connaîtra pas votre nom ni vos yeux

Mais il faudra qu'il soit touché comme les autres

Et loge dans son coeur d'étranges battements

Qui lui viennent de jours qu'il n'aura pas vécus.

 

Et vous, que faites-vous, ô visage troublé

Par ces brusques passants, ces bêtes, ces oiseaux,

Vous qui vous demandez, vous, toujours sans nouvelles,

"Si je croise jamais un de ces amis lointains

Au mal que je lui fis vais-je le reconnaître?"

 

Pardon pour vous, pardon pour eux, pour le silence

Et les mots inconsidérés,

Pour les phrases venant de lèvres inconnues

Qui vous touchent de loin comme balles perdues,

Et pardon pour les fronts qui semblent oublieux.

 

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

 

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/10/2014

La citation du jour

Jules Supervielle

citations; livres

Ecoute, apprendras-tu à m'écouter de loin, il s'agit de pencher le coeur plus que l'oreille, tu trouveras en toi des ponts et des chemins pour venir jusqu'à moi qui regarde et qui veille.

Jules Supervielle, Le forçat innocent, suivi de: Les amis inconnus (coll. Poésie/Gallimard, 2007)

image: Jean Louis Marie Eugène Durieu (cultur-elles.blogspot.com)

06:09 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/05/2014

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

C’est beau d’avoir élu 
Domicile vivant 
Et de loger le temps 
Dans un coeur continu, 
Et d’avoir vu ses mains 
Se poser sur le monde 
Comme sur une pomme 
Dans un petit jardin, 
D’avoir aimé la terre, 
La lune et le soleil, 
Comme des familiers 
Qui n’ont pas leurs pareils, 
Et d’avoir confié 
Le monde à sa mémoire 
Comme un clair cavalier 
A sa monture noire, 
D’avoir donné visage 
A ces mots: femme, enfants, 
Et servi de rivage 
A d’errants continents, 
Et d’avoir atteint l’âme 
A petits coups de rame 
Pour ne l’effaroucher 
D’une brusque approchée. 
C’est beau d’avoir connu 
L’ombre sous le feuillage 
Et d’avoir senti l’âge 
Ramper sur le corps nu, 
Accompagné la peine 
Du sang noir dans nos veines 
Et doré son silence 
De l’étoile Patience, 
Et d’avoir tous ces mots 
Qui bougent dans la tête, 
De choisir les moins beaux 
Pour leur faire un peu fête, 
D’avoir senti la vie 
Hâtive et mal aimée, 
De l’avoir enfermée 
Dans cette poésie.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

20/03/2013

Morceaux choisis - Jules Supervielle

Jules Supervielle

littérature; poésie; anthologie; livres

Vous dont les yeux sont restés libres, 
Vous que le jour délivre de la nuit, 
Vous qui n’avez qu’à m’écouter pour me répondre, 
Donnez-moi des nouvelles du monde. 
Et les arbres ont-ils toujours 
Ce grand besoin de feuilles, de ramilles, 
Et tant de silence aux racines? 
Donnez-moi des nouvelles des rivières, 
J’en ai connu de bien jolies, 
Ont-elles encor cette façon si personnelle 
De descendre dans la vallée, 
De retenir l’image de leur voyage, 
Sans jamais consentir à s’arrêter. 
 
Donnez-moi des nouvelles des mouettes 
De celle-là surtout que je pensai tuer un jour. 
Comme elle eut une étrange façon, 
Le coup tiré, une bien étrange façon de repartir! 
Donnez-moi des nouvelles des lampes 
Et des tables qui les soutiennent 
Et de vous aussi tout autour, 
Porte-mains et porte-visages. 
Les hommes ont-ils encore 
Ces yeux brillants qui vous ignorent, 
La colère dans leurs sourcils 
Le cœur au milieu des périls? 
Mais vous êtes là sans mot dire. 
Me croyez-vous aveugle et sourd? 
Et voici la muraille, elle use le désir, 
On ne sait où la prendre, elle est sans souvenirs, 
Elle regarde ailleurs, et, lisse, sans pensées, 
C’est un front sans visage, à l’écart des années. 
Prisonniers de nos bras, de nos tristes genoux, 
Et le regard tondu, nous sommes devant nous 
Comme l’eau d’un bidon qui coule dans le sable 
Et qui dans un instant ne sera plus que sable. 
Déjà nous ne pouvons regarder ni songer, 
Tant notre âme est d’un poids qui nous est étranger. 
Nos cœurs toujours visés par une carabine 
Ne sauraient plus sans elle habiter nos poitrines. 
Il leur faut ce trou noir, précis de plus en plus, 
C’est l’œil d’un domestique attentif aux pieds nus. 
Œil plein de prévenance et profond, sans paupière, 
A l’aise dans le noir et l’excès de lumière. 
Si nous dormons il sait nous voir de part en part, 
Vendange notre rêve, avant nous veut sa part. 
Nous ne saurions lever le regard de la terre 
Sans que l’arme de bronze arrive la première, 
Notre sang a besoin de son consentement, 
Ne peut faire sans elle un petit mouvement. 
Elle est un nez qui flaire et nous suit à la piste 
Une bouche aspirant l’espoir dès qu’il existe, 
C’est le meilleur de nous, ce qui nous a quittés, 
La force des beaux jours et notre liberté. 
 

Jules Supervielle, Le forçat innocent, suivi de: Les amis inconnus (coll. Poésie/Gallimard, 2007)

image: www.fond-ecran-image.com

18:23 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/11/2012

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

Encore frissonnant 
Sous la peau des ténèbres 
Tous les matins je dois 
Recomposer un homme 
Avec tout ce mélange 
De mes jours précédents 
Et le peu qui me reste 
De mes jours à venir. 
Me voici tout entier, 
Je vais vers la fenêtre. 
Lumière de ce jour, 
Je viens du fond des temps, 
Respecte avec douceur 
Mes minutes obscures, 
Épargne encore un peu 
Ce que j’ai de nocturne, 
D’étoilé en dedans 
Et de prêt à mourir 
Sous le soleil montant 
Qui ne sait que grandir.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

27/06/2012

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

(Lettre à l'étoile)
 
Tu es de celles qui savent
Lire par dessus l'épaule
Je n'ai même pas besoin
Pour toi, de chercher mes mots,
Depuis longtemps ils attendent,
A l'ombre de mon silence
Derrière les lèvres closes
Et les distances moroses
A force d'être si grandes.
Mais, vois, rien ne les dénonce,
Nous ne sommes séparés
Par fleuves ni par montagnes,
Ni par un bout de campagne,
Ni par un seul grain de blé.
 
Rien n'arrète mon regard
Qui te trouve dans ton gîte
Plus vite que la lumière
Ne descend du haut du ciel
Et tu peux me reconnaitre
A la luisante pensée
Qui parmi tant d'autres hommes
Elève à toi toute droite
Sa perpicace fumée.
 
Mais c'est le jour que je t'aime
Quand tu doutes de ta vie
Et que tu te réfugies
Aux profondeurs de moi-même
Comme dans une autre nuit
Moins froide, moins inhumaine.
 
Ah sans doute me trompé-je
Et vois-je mal ce qui est.
Tu n'auras jamais douté,
Toi si fixe et résistante
Et brillante de durée,
Sans nul besoin de refuge
Lorsque le voile du jour
A mon regard t'a célée,
Toi, si hautaine et distraite,
Dès que le jour est tombé
Et moi qui viens et qui vais
D'une allure passagère
Sur des jambes inquiètes,
Tous les deux faits d'une étoffe
Cruelllement différente
Qui me fait baisser la tête
Et m'enferme dans ma chambre.
 
Mais tu as tort de sourire
Car je n'en ai nulle envie,
Tu devrais pourtant comprendre
Puisque tu es mon amie.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

15/06/2012

Morceaux choisis - Henri Thomas

Henri Thomas

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Le poète parle, et tous les commentaires sur ses paroles sont vains, quand ce ne sont pas de lourdes âneries. Le lien entre le poète et qui l'écoute ne s'établit pas à travers la critique, il est infiniment plus direct, profond, ancien; les quatrains de la Fête des arbres et du Chasseur de René Char, les poèmes elliptiques et heurtés d'Armen Lubin, les merveilles précises de Supervielle, par exemple, agissent sur l'esprit comme ont dû le faire de très anciennes rhapsodies chantées sur les routes, un beau poème étant toujours comme ce fragment de statue exhumé, dont Rilke dit qu'il crie sans voix: Tu dois changer ta vie!

C'est ainsi que la poésie se défend, en créant son propre climat, comme le cinéma le sien avec ses cônes de rêves. Dans un monde pressé et catastrophique, elle est ralentissement et affirmation de ce qui demeure; elle peut être aussi l'accélération qui passe outre, vers une immobilité tragique. Mais en satisfaisant les immortels besoins de monotonie, de symétrie et de surprise (Baudelaire), elle rejoint dans tous les cas le plus profond de l'homme. Qu'elle disparaisse (c'est toujours possible), tout semblerait pareil peut-être, comme le pastiche est pareil au texte vrai; on n'y verrait que du feu: bizarre perspective, presque tentante, comme tous les passages d'un règne à un autre.

Henri Thomas, Crin-crin critique (Les Cahiers dela Pléiade/Gallimard, 1949) 

image: Arthur Rimbaud, Le dormeur du val  / Manuscrit (fr.wikipedia.org)

13/06/2012

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

C’est tout ce que nous aurions voulu faire
et n’avons pas fait,
Ce qui a voulu prendre la parole
et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,
Tout ce qui nous a quittés
sans rien nous dire de son secret,
Ce que nous pouvons toucher et même creuser
par le fer sans jamais l’atteindre,
Ce qui est devenu vagues et encore vagues
parce qu’il se cherche sans se trouver,
Ce qui est devenu écume
pour ne pas mourir tout à fait,
Ce qui est devenu sillage de quelques secondes
par goût fondamental de l’éternel,
Ce qui avance dans les profondeurs
et ne montera jamais à la surface,
Ce qui avance à la surface
et redoute les profondeurs,
Tout cela et bien plus encore,
La mer.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

27/11/2011

Planète Payot

Bloc-Notes, 27 novembre / Les Saules

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Dans la cadre de notre journal d'entreprise, Planète Payot - qui, à chaque numéro, donne la parole à l'un ou l'autre de ses collaborateurs - mon cher collègue de librairie, Thierry du Sordet, m'a sollicité pour recueillir, à deux mois de ma retraite professionnelle, les impressions que je retiens de mes expériences de bloggeur sur La scie rêveuse et Facebook. Il en résulte l'interview ci-dessous, que je vous livre en toute décontraction et simplicité. Conscient de n'être ni écrivain, ni critique littéraire - à chacun son métier ! - je m'efforce de partager une passion viscérale pour la littérature et la musique surtout, avec des amis attachants, sensibles et attentifs dont vous êtes, lecteurs, les passeurs indispensables. Rien de plus ...

Pourquoi un blog? Et avez-vous rencontré des difficultés techniques pour le réaliser?

Le blog est un lieu d'échanges extrêmement gratifiant, un espace de liberté partagée, de découvertes, de passions : celle de transmettre surtout, pour ne pas oublier. Sur le site qui héberge mon blog – le même que Jean-Louis Kuffer – l’utilisation est très facile pour un novice comme moi. Il faut juste être clair dans sa tête et rigoureux dans les styles de présentation propres aux différentes rubriques choisies. Seule la fonction recherche n’est pas au top, mais je fais avec !

Quels sont les liens que vous entretenez avec l'informatique?

Une philosophie très Mac : je ne cherche pas à comprendre comment ça marche. Je suis simplement content que ça marche ! L’aspect technique ne m'intéresse pas du tout et aurait plutôt tendance à m'exaspérer.

Vous avez switché pour Mac, êtes-vous toujours content de votre choix?

Oh oui! C'est le retour à mes premières amours: un apprentissage avec un petit Mac muni de disquettes ... L’approche est plus ludique, simple et intuitive pour ce qui touche mes activités, mais c’est avant toute chose une question d’affinités, car les différences s'estompent entre les systèmes d'exploitation actuels.

Quels sont les critères de choix de sujets sur votre blog? 

Il n’y a rien de prémédité et la formule a évolué avec le temps, depuis les débuts en décembre 2009. De simple critique de livres que j'ai pris plaisir à découvrir, au départ, est apparu plus tard le bloc-notes - présentation longue d’un livre ou fantaisie littéraire - le poème de la semaine - auteurs francophones du XXe siècle -, la citation du jour ou la rubrique In memoriam où je parle d’auteurs souvent oubliés, même dans nos librairies ! La scie rêveuse compte 680 notices littéraires environ, enrichies d’interviews, de vidéos, de films. Avec La musique sur FB, il s’ouvre depuis le début de cette année à la musique – classique - avec 210 extraits à ce jour.

Existe-t-il un type d'articles que vous aimez particulièrement? 

Ceux qui mettent en évidence les ambiguïtés et les contradictions de la vie, les confrontations avec la modernité, les certitudes, l’enracinement humain ou spirituel. Je l’ai fait avec La chute de Camus par exemple, Albergo Italia de Guido Ceronetti ou la Lettre à un jeune libraire

Vous lisez et relisez beaucoup. Comment trouvez-vous le temps d'être si régulier dans l'écriture d'articles?

Je dors (trop) peu… Et j’aime lire et écrire: dans le silence, la solitude et la distance qui me sont précieuses aujourd'hui. Ecrire est un plaisir et un besoin. Une manière comme une autre de conjurer la mort, de faire reculer l’oubli. 

Voyez-vous le blog comme un complément dans votre travail de libraire?

Je vais peut-être vous décevoir, mais non : ce n’est pas complémentaire. La démarche est autre, sans aucun souci commercial, sans contrainte ni compromis. Il y a en revanche des répercussions dans mon travail, intéressantes mais faibles en terme d’impact sur les ventes. La poésie par exemple, les classiques – Paul Valéry, François Mauriac, Jules Supervielle, Saint-John Perse ou Georges Perros - intéressent un nombre restreint de lecteurs en librairie, alors que sur La scie rêveuse ou Facebook c’est tout le contraire : ce sont les nouveautés qui souvent rencontrent un faible écho … Un signe d’espérance donc, qui émerge de ces voies nouvelles de communication !

Quand vous serez à la retraite, aurez-vous l'impression grâce à votre blog, de garder un pied dans le monde du livre?

Certainement, et même sans blog, ce serait le cas ! Je créerai en revanche de nouvelles rubriques avec une variante d’abécédaire où je partagerai mon ressenti personnel aux bruits du monde; une anthologie de la poésie étrangère contemporaine – déjà amorcée sur Facebook - verra le jour aussi; une place plus grande sera accordée aux classiques, probablement …

Vous êtes un contributeur régulier du Passe-Muraille - revue romande consacrée à la littérature - dont le rédacteur en chef est Jean-Louis Kuffer. Etes-vous dans la même démarche qu'avec votre blog? Rédigez-vous de la même façon?

Oui, c’est un espace culturel qui ne fait aucune concession aux modes. C’est devenu bien rare ! Dans le cas contraire, je n’aurais pas rejoint ce groupe de passionnés de tous âges qui ressemble à une seconde famille. Un seul regret : la non-diffusion du Passe Muraille en librairie, chez Payot Libraire entre autres… 

Quels sont les liens qui s'établissent entre les visiteurs du blog et vous. Certains vous retrouvent sur Facebook? 

Les échanges sont sensibles, spontanés, respectueux, parfois d'une simplicité bouleversante. Une seule règle d’or : je réponds toujours – en privé – à un commentaire. Le relais via Facebook est très gratifiant. Les réactions y sont en live, et prêtent parfois à polémique : à propos de Céline par exemple, du mime Lindsay Kemp ou d'Elie Wiesel !  

Les hébergeurs de blogs fournissent des outils pour analyser selon différents critères la fréquentation des blogs. Comment les utilisez-vous? 

Au plus simple. Je ne cherche pas à atteindre des records, mais à rester authentique, fidèle à mes convictions, à ma ligne de conduite. Tant pis si la fréquentation doit en souffrir ... 

Savez-vous combien de visiteurs consultent votre blog, pour un mois ou une semaine, par exemple? Savez-vous de quelles régions viennent ces derniers?

Les visites sont environ de 5'200 à 6'200 par mois – 190 par jour en moyenne – pour 11'000 à 17'000 pages consultées par mois. Les liens sont culturellement très forts avec la France, la Suisse, l’Italie, la Grèce, le Canada et l’Afrique du Nord.  

A l'ère de la blogosphère, pensez-vous que la multiplication des blogs est un avantage pour l'individu qui peut ainsi partager sa passion pour un ou plusieurs sujets, ou bien au contraire cette multitude réduit-elle la portée de partage en augmentant les plateformes, sources d'informations ou de partage?

C’est une richesse partagée – les blogs sur Facebook surtout - mais elle peut devenir une prison. On ne peut suivre les activités de tout le monde. Je me fixe une limite de temps de fréquentation par jour : 30 minutes ! Certains bloggeurs sont devenus des amis de cœur, sincèrement. Le contraire du virtuel ou de la diabolisation dont nous abreuve régulièrement la presse …

Comment filtrez-vous les commentaires, que ce soit sur votre blog ou sur votre page Facebook?

Pas de filtre sur Facebook. En revanche, sur La scie rêveuse je n’accepte pas les commentaires hors de propos ou insultants – cela arrive rarement, mais tout de même – détestant les débats à la manière du blog de Pierre Assouline où après 15 avis ou commentaires, il n’y a plus aucun rapport au sujet.

Vous partez à la retraite au mois de février ...

A cette date, j’ouvrirai pour une semaine la porte de mon blog à quelques coups de cœur de mes collègues de Payot Nyon, une façon de les remercier pour leur amitié et leur défense de la littérature, même si, comme le dit Marco Lodoli – dans Les prétendants - nous ne sommes après tout que du vent sur une page !

Marco Lodoli, Les prétendants: La Nuit - Le Vent - Les Fleurs (P.O.L., 2011)

le blog de Thierry du Sordet: http://strictnecessaireouquestce.blogspot.com/

image: Thierry du Sordet, libraire - Payot Nyon

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