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02/06/2015

Morceaux choisis - Odilon-Jean Périer

Odilon-Jean Périer

littérature; roman; contes; livres

On rencontrait au milieu d'une avenue à la mode, d'énormes pierres pâles, inexplicables. Les oiseaux se taisaient. La pluie, odorante comme une chevelure, donnait de vraies pensées d'amour.

Enfin parurent les Etrangers. On en parlait à peine, vaguement. Tout le monde avait vu des anges, mais personne n'en croyait les yeux de son voisin. Ces personnages mystérieux se présentaient avec naturel, comme des amis qu'on retrouve au moment critique. Ils étaient debout dans les arbres, assis au bord des toits, en rang, sans ailes, maigres, décents, habillés de gris perle ou de bleu. Ils fumaient des cigarettes jaunes et minces comme des fétus de paille.  

Ceux qui les avaient rencontrés, guéris du jour au lendemain, s'entretenaient de poésie, d'amour, de liberté. Sans d'ailleurs qu'on s'accordât sur leur aspect. Certains les avaient vus sourire, d'autres pleurer, d'autres se taire, et le visage uni comme un verre de lait. Mais tous parlaient d'eux avec tendresse.

Les plus forts ou les plus sages des hommes, à qui rien n'était révélé, se moquèrent quelque temps de ces visions. Mais bientôt touchés par la grâce, on les vit se mettre en chasse, les yeux grands ouverts sur leur ciel vide, cherchant des dieux de tout leur coeur. Ils se consumaient de désir, mordant leurs poings de philosophes, passant une main tremblante sur leurs célèbres têtes chauves. 

Déjà toutes les petites filles avaient leur ange, ami intime. Ces princes volaient comme en rêve, sans nul effort, le petit doigt à la couture du pantalon. Embrassant leur gracieuse proie, ils allaient s'asseoir dans les arbres. Chaque marronnier abritait plusieurs couples sans ailes. Le mouvement du vent dans les feuilles se mêlait au bruit des baisers. 

Les philosophes se traînaient sous les arbres. Plusieurs y moururent, desséchés comme des cigales, après une petite chanson. Car la mort faisait d'eux des poètes et ils se lamentaient enfin aussi mélodieusement que possible.

Perchés dans les branches odorantes, les anges et les jeunes filles, unissant leurs doigts légers, écoutaient non sans une charmante mélodie, agoniser ces vieux messieurs à leur ombre rafraîchissante. 

Odilon-Jean Périer, Le passage des anges (Editions Finitude, 2007)

 image: Wim Wenders, Les ailes du désir (1987)

12:16 Écrit par Claude Amstutz dans Contes, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; contes; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

31/05/2015

Lire les classiques - Anne de Noailles

Anne de Noailles

littérature; poésie; anthologie; livres 

Voici que je défaille et tremble de vous voir, 
Bel été qui venez jouer et vous asseoir 
Dans le jardin feuillu, sous l'arbre et la tonnelle. 
Comme votre douceur sur mon âme ruisselle!
 
Je retrouve le pré, l'étang, les noyers ronds, 
Les rosiers vifs avec leurs vols de moucherons, 
Le sapin dont l'écorce est résineuse et chaude; 
Tout le miel de l'été aromatise et rôde 
Dans le vent qui se pend aux fleurs comme un essaim. 
 
On voit déjà gonfler et mûrir le raisin;
L'odeur du blé nombreux se lève de la terre, 
Le jour est abondant et pur, l'air désaltère 
Comme l'eau que l'on boit à l'ombre dans les puits, 
Le jardin se repose, enfermé dans son buis... 
 
Ah! moment délicat et tendre de l'année, 
Je vais vous respirer tout au long des journées 
Et presser sur mon coeur les moissons du chemin; 
Je vais aller goûter et prendre dans mes mains 
Le bois, les sources d'eaux, la haie et ses épines. 
 
Et, lorsque sur le bord rosissant des collines 
Vous irez descendant et mourant, beau soleil, 
Je reviendrai, suivant dans l'air calme et vermeil 
La route du silence et de l'odeur fruitière, 
Au potager fleuri, plein d'herbes familières, 
Heureuse de trouver, au cher instant du soir, 
Le jardin sommeillant, l'eau fraîche, et l'arrosoir...

Anne de Noailles, La journée heureuse, dans: Oeuvre poétique complète (Editions du Sandre, 2013)

image: Jean-Marc Janiaczyk, Bords de mer (liveinternet.ru)

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30/05/2015

La citation du jour

Georges Perros

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On arrange et on compose les mots de tant de façons, mais comment arriverait-on à égaler une rose?

Georges Perros - Lexique (Calligrammes, 1981)

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29/05/2015

Morceaux choisis - Francis Carco

Francis Carco

littérature; poésie; anthologie; livres

Il pleut, c'est merveilleux. Je t'aime.
Nous resterons à la maison:
Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes
Par ce temps d'arrière-saison.
 
Il pleut. Les taxis vont et viennent.
On voit rouler les autobus
Et les remorqueurs sur la Seine
Font un bruit ... qu'on ne s'entend plus!
 
C'est merveilleux: il pleut. J'écoute
La pluie dont le crépitement
Heurte la vitre goutte à goutte...
Et tu me souris tendrement.
 
Je t'aime. Oh! ce bruit d'eau qui pleure,
Qui sanglote comme un adieu.
Tu vas me quitter tout à l'heure:
On dirait qu'il pleut dans tes yeux.
 

Francis Carco, Petite suite sentimentale,  dans: La bohème et mon coeur (Albin Michel, 1955)

image: Christiane Michaud (www.flickr.com/people/misccha)

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27/05/2015

Le poème de la semaine

René Depestre

Une fois, il y a très longtemps
J'ai voulu aimer une femme sans couleur.
 
Une femme sans jour et sans nuit
Une femme sans azur dans ses gestes
Ni tournesols dans ses passions
Une femme sans neige ni lumière
Sans oranges ni cerises
Une femme sans la belle couleur noire
De la noblesse humaine.
 
On me parla d'une petite fée
Qui vit dans une étoile lointaine.
Une nuit elle me donna à aimer
Sa jeune peau sans couleur.
 
J'aimai ses seins, son enfance,
Ses cuisses, ses secrets, ses cris,
Ses nuages, son ventre, ses vagues
Et les papillons sans couleur
Qui volaient dans son silence.
 
Au moment de nous séparer
Là-haut dans son étoile
En guise d'adieu son corps de fée
Dessina au beau milieu du lit
Un arc-en-ciel.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

02:28 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/05/2015

La citation du jour

Denis Diderot

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Le beau opposé à joli, est grand et noble: on l'admire. Le joli est fin, délicat: il plaît.

Denis Diderot, Sur l'origine et la nature du beau - Oeuvres (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1946)

image: Portrait d'une jeune femme élégante Belle Epoque - XIXe siècle (proantic.com)

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/05/2015

Lire les classiques - Pierre de Ronsard

Pierre de Ronsard

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Bonjour mon cœur
Bonjour mon cœur, bonjour ma douce vie.
Bonjour mon œil, bonjour ma chère amie,
Hé ! bonjour ma toute belle,
Ma mignardise, bonjour,
Mes délices, mon amour,
Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle,
Bonjour, ma douce rebelle.
 
Hé ! faudra-t-il que quelqu'un me reproche
Que j'aie vers toi le cœur plus dur que roche
De t'avoir laissée, maîtresse,
Pour aller suivre le Roi,
Mendiant je ne sais quoi
Que le vulgaire appelle une largesse ?
Plutôt périsse honneur, court, et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle déesse.
 

Pierre de Ronsard,  Les amours (coll. Poésie/Gallimard, 2006)

image:  Jean Honoré Fragonard, Promesse solennelle d'amour (1780)

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22/05/2015

La citation du jour

Jean-Michel Maulpoix

Désert FB.jpg

Le poète est l'ombre portée d'un grain de sable dans le désert.

Jean-Michel Maulpoix, Domaine public (Mercure de France, 1998)

image: Le désert de Simpson, Australie (dinosoria.com)

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20/05/2015

Le poème de la semaine

Karel Logist

J'emporte en voyage deux montres
l'une marque l'heure de mon départ
l'autre semble indiquer celle de mon retour
 
Vous le savez mieux que moi:
les belles étrangères
si accueillantes aux étrangers
sont rarement ponctuelles en amour
 
C'est pourquoi j'ignore toujours
laquelle de mes montres retarde
et pour qui mes fuseaux horaires
se déhanchent
ainsi que sur des airs de danse.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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18/05/2015

Lire les classiques - Alfred de Musset

Alfred de Musset

littérature; poésie; anthologie; livres

Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.
 
Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l'horizon serein,
Son pied d'airain.
 
Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds,
 
Dorment sur l'eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.
 
La lune qui s'efface
Couvre son front qui passe
D'un nuage étoilé
Demi-voilé.
 
Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.
 
Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,
 
Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues,
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,
 
Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.
 
Ah ! maintenant plus d'une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L'oreille au guet.
 
Pour le bal qu'on prépare,
Plus d'une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.
 
Sur sa couche embaumée,
La Vanina pâmée
Presse encor son amant,
En s'endormant;
 
Et Narcissa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S'oublie en un festin
Jusqu'au matin.
 
Et qui, dans l'Italie,
N'a son grain de folie?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours?
 
Laissons la vieille horloge,
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.
 
Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés...
Ou pardonnés.
 
Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes,
Qu'à nos yeux a coûté
La volupté!
 

Alfred de Musset, Venise, dans: Premières poésies (coll. GF/Flammarion, 1998) 

image: Venise à l'aube (creative.arte.tv)

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