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03/07/2015

La citation du jour

Michel Thion

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Les guetteurs de silence sont gens au sourire flottant, ils rêvent le temps suspendu des orages à venir, ils rêvent le temps fugace de l'éveil. Les guetteurs de silence, pourtant, sont nos semblables, ils attendent au lointain ce regret qu'ils ont fait naître au centre du cercle des hommes. Les guetteurs de silence sont nos enfants perdus.

Michel Thion, Traité du silence (Color Gang, 2011)

image: Pierre Doutreleau, Silence sur la lagune (easyart.fr)

00:18 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/07/2015

Morceaux choisis - Jack Kerouac

Jack Kerouac

littérature; roman; morceaux choisis; livres

Il croit qu'il faut imaginer le monde comme le rendez-vous des errants qui s'avancent sac au dos, des clochards célestes qui refusent d'admettre qu'il faut consommer toute la production et par conséquent travailler pour avoir le privilège de consommer, et d'acheter toute cette ferraille dont ils n'ont que faire; réfrigérateurs, récepteurs de télévision, automobiles (tout au moins ces nouvelles voitures fantaisistes) et toutes sortes d'ordures inutiles, les huiles pour faire pousser les cheveux, les désodorisants et autres saletés qui, dans tous les cas, atterriront dans la poubelle huit jours plus tard, tout ce qui constitue le cercle infernal: travailler, produire, consommer, travailler, produire, consommer.

Jack Kerouac, Les clochards célestes (coll. Folio/Gallimard, 1974)

05:59 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/07/2015

Le poème de la semaine

Robert Desnos

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
 
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant
et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine
ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle
de ce qui me hante et me gouverne
depuis des jours et des années,
je deviendrais une ombre sans doute.
 
O balances sentimentales.
 
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps 
sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé
à toutes les apparences de la vie et de l'amour 
et toi, la seule qui compte aujourd' hui pour moi, 
je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres
que les premières lèvres et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, 
parlé, couché avec ton fantôme
qu'il ne me reste plus peut-être,
et pourtant,
qu'à être fantôme parmi les fantômes
et plus ombre cent fois
que l'ombre qui se promène
et se promènera allègrement 
sur le cadran solaire de ta vie.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

05:56 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/06/2015

Lire les classiques - Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

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Il faut être toujours ivre, tout est là; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!

Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.

Charles Baudelaire, Enivrez-vous, dans: Le spleen de Paris, Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1961)

Henri de Toulouse-Lautrec, La toilette, 1889 (artdreamguide.com)

27/06/2015

La citation du jour

Henri Gougaud

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Je sais maintenant que quoi que j'apprenne, dussé-je atteindre la science des grands hommes, ce ne sera jamais que presque rien, une goutte de source à la soif qui me tient. Mais je pressens que cela est bel et bon, car peut-être dans le seul désir tous les jours ranimé est le secret du monde.

Henri Gougaud, L'homme à la vie inexplicable (coll. Points/Seuil, 1990)

06:55 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/06/2015

Morceaux choisis - Henri Bergson

Henri Bergson

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Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain. Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid; il ne sera jamais risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura surpris chez lui une attitude d’homme ou une expression humaine. On rira d’un chapeau; mais ce qu’on raille alors, ce n’est pas le morceau de feutre ou de paille, c’est la forme que des hommes lui ont donnée, c’est le caprice humain dont il a pris le moule. Comment un fait aussi important, dans sa simplicité, n’a-t-il pas fixé davantage l’attention des philosophes ? Plusieurs ont défini l’homme "un animal qui sait rire". Ils auraient aussi bien pu le définir un animal qui fait rire, car si quelque autre animal y parvient, ou quelque objet inanimé, c’est par une ressemblance avec l’homme, par la marque que l’homme y imprime ou par l’usage que l’homme en fait.

Henri Bergson, Le rire (coll. GF/Flammarion, 2013)

06:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; philosophie; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/06/2015

La citation du jour

Violette Leduc

citations; livres

Je hais mon dormeur. C'est un mort qui n'a pas dit son dernier mot. Son sommeil est plus fort que ma haine. Donneur de sang, donneur de coeur, épuise ta soif blanche. Je me lève, j'ouvre la fenêtre parce que la nuit se pousse contre la vitre. Elle entre avec sa traîne. La mer avance sans les musiciennes, sans l'écume, sans le bouillonnement. C'est par nuit noire que j'ai découvert la hauteur du ciel et que je suis retombée sur le trésor des fraisiers. C'est par nuit tendre pendant les gelées que, dans les prés traversés, j'ai entendu se propager des craquements d'incendie sous mes pieds. Je te hais, cadavre incomplet. Tu manques de froideur et de raideur. C'est dans le ventre chaud que le tour de force des amertumes a été réalisé. Mourir et renaître. Renaître et mourir. C'est la cadence, c'est l'ambition charnelle, c'est la foire dans le sexe. Sur les banquettes des balançoires le vertige, l'illusion de monter, le point de suspension, la retombée sont les mêmes que ceux de notre plaisir essentiel. Après viennent la rentrée dans le vieux néant, la légèreté d'une faim qui n'a pas changé. Maintenant je te propose le ventre froid. La nuit, avec ses sombreros, se donne mais tu n'en veux pas. Ne dors plus, déplante-toi, scaphandrier allongé. Remonte, habille-toi en homme. Ne dors plus ...  

Violette Leduc, Ravages (Gallimard, 1953) 

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22/06/2015

Lire les classiques - Alfred de Musset

Alfred de Musset

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LE POÈTE

Du temps que j'étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
 
Son visage était triste et beau:
A la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu'au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire.
 
Comme j'allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d'un arbre vint s'asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
 
Je lui demandai mon chemin;
Il tenait un luth d'une main,
De l'autre un bouquet d'églantine.
Il me fit un salut d'ami,
Et, se détournant à demi,
Me montra du doigt la colline.
 
A l'âge où l'on croit à l'amour,
J'étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s'asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
 
Il était morne et soucieux;
D'une main il montrait les cieux,
Et de l'autre il tenait un glaive.
De ma peine il semblait souffrir,
Mais il ne poussa qu'un soupir,
Et s'évanouit comme un rêve.
 
A l'âge où l'on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s'asseoir
Un convive vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
 
Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile.
 
Un an après, il était nuit;
J'étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s'asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
 
Ses yeux étaient noyés de pleurs;
Comme les anges de douleurs,
Il était couronné d'épine;
Son luth à terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.
 
Je m'en suis si bien souvenu,
Que je l'ai toujours reconnu
A tous les instants de ma vie.
C'est une étrange vision,
Et cependant, ange ou démon,
J'ai vu partout cette ombre amie.
 
Lorsque plus tard, las de souffrir,
Pour renaître ou pour en finir,
J'ai voulu m'exiler de France;
Lorsqu'impatient de marcher,
J'ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d'une espérance;
 
A Pise, au pied de l'Apennin;
A Cologne, en face du Rhin;
A Nice, au penchant des vallées;
A Florence, au fond des palais;
A Brigues, dans les vieux chalets;
Au sein des Alpes désolées;
 
A Gênes, sous les citronniers;
A Vevey, sous les verts pommiers;
Au Havre, devant l'Atlantique;
A Venise, à l'affreux Lido,
Où vient sur l'herbe d'un tombeau
Mourir la pâle Adriatique;
 
Partout où, sous ces vastes cieux,
J'ai lassé mon coeur et mes yeux,
Saignant d'une éternelle plaie;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M'a promené sur une claie;
 
Partout où, sans cesse altéré
De la soif d'un monde ignoré,
J'ai suivi l'ombre de mes songes;
Partout où, sans avoir vécu,
J'ai revu ce que j'avais vu,
La face humaine et ses mensonges;
 
Partout où, le long des chemins,
J'ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme;
Partout où j'ai, comme un mouton,
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuder mon âme;
 
Partout où j'ai voulu dormir,
Partout où j'ai voulu mourir,
Partout où j'ai touché la terre,
Sur ma route est venu s'asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
 
Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin.
Ton doux sourire a trop de patience,
Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j'aime la Providence.
Ta douleur même est soeur de ma souffrance;
Elle ressemble à l'Amitié.
 
Qui donc es-tu? Tu n'es pas mon bon ange,
Jamais tu ne viens m'avertir.
Tu vois mes maux (c'est une chose étrange!)
Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
Et je ne saurais t'appeler.
Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie?
Tu me souris sans partager ma joie,
Tu me plains sans me consoler!
 
Ce soir encor je t'ai vu m'apparaître.
C'était par une triste nuit.
L'aile des vents battait à ma fenêtre;
J'étais seul, courbé sur mon lit.
J'y regardais une place chérie,
Tiède encor d'un baiser brûlant;
Et je songeais comme la femme oublie,
Et je sentais un lambeau de ma vie
Qui se déchirait lentement.
 
Je rassemblais des lettres de la veille,
Des cheveux, des débris d'amour.
Tout ce passé me criait à l'oreille
Ses éternels serments d'un jour.
Je contemplais ces reliques sacrées,
Qui me faisaient trembler la main:
Larmes du coeur par le coeur dévorées,
Et que les yeux qui les avaient pleurées
Ne reconnaîtront plus demain!
 
J'enveloppais dans un morceau de bure
Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu'ici-bas ce qui dure,
C'est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une mer profonde,
Je me perdais dans tant d'oubli.
De tous côtés j'y retournais la sonde,
Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde,
Mon pauvre amour enseveli.
 
J'allais poser le sceau de cire noire
Sur ce fragile et cher trésor.
J'allais le rendre, et, n'y pouvant pas croire,
En pleurant j'en doutais encor.
Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée,
Malgré toi, tu t'en souviendras!
Pourquoi, grand Dieu! mentir à sa pensée?
Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots, si tu n'aimais pas?
 
Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures;
Mais ta chimère est entre nous.
Eh bien! adieu! Vous compterez les heures
Qui me sépareront de vous.
Partez, partez, et dans ce coeur de glace
Emportez l'orgueil satisfait.
Je sens encor le mien jeune et vivace,
Et bien des maux pourront y trouver place
Sur le mal que vous m'avez fait.
 
Partez, partez! la Nature immortelle
N'a pas tout voulu vous donner.
Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle,
Et ne savez pas pardonner!
Allez, allez, suivez la destinée;
Qui vous perd n'a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumée; 
Eternel Dieu! toi que j'ai tant aimée,
Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu?
 
Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre;
Elle vient s'asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
Sombre portrait vêtu de noir?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage?
Est-ce un vain rêve? est-ce ma propre image
Que j'aperçois dans ce miroir?
 
Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pèlerin que rien n'a lassé?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l'ombre où j'ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs?
Qu'as-tu donc fait pour me suivre sur terre?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n'apparais qu'au jour des pleurs?

LA VISION

Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l'ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j'aime, je ne sais pas
De quel côté s'en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.
 
Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m'as nommé par mon nom
Quand tu m'as appelé ton frère;
Où tu vas, j'y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j'irai m'asseoir sur ta pierre.
 
Le ciel m'a confié ton coeur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude.
 

Alfred de Musset, La nuit de décembre, dans: Poésies nouvelles, précédé de Premières poésies (coll. Poésie/Gallimard, 2007)

07:28 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/06/2015

La citation du jour

Honoré de Balzac

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Se promener avec la femme qu'on aime, lui donner le bras, lui choisir son chemin: ce sont des joies illimitées qui suffisent à une vie.

Honoré de Balzac, Le lys dans la vallée (coll. Livre de Poche/LGF, 2008)

05:24 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/06/2015

Morceaux choisis - Pierre-Albert Jourdan

Pierre-Albert Jourdan

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Il y a une parole confiée au silence, que l'ombre nous transmet. Une parole d'effacement qui est parole de tendresse. Peut-être pourrions-nous aussi parler de bonté. Lavis d'ombre sans que soit raturée cette lumineuse coulée qui la contient. Mais plus proche de notre dénuement. Je crois à cette parole d'ombre. Elle n'est pas jeu de lumière ou de solitude mais ce que nous pouvons comprendre d'un dialogue qui se fait, qui se défait en nous. A chaque instant. Car nous ne pouvons comprendre que l'ombre. La brisure de l'éclat.

Affamés de soleil, de cette lumière violente qui nous pousserait hors des limites (les prétentions ont été bien réduites!), nous sommes pourtant ce versant d'ombre, c'est notre pente. Je crois à cette parole d'ombre. Ma main glisse sur la table, devient multitude de touches impossibles à décrire. Pousse la parole à l'impuissance. Ombre de l'ombre! Simplement posée là, et quel murmure de sang et d'ombre, quelle certitude de fardeau un instant déposé! Je crois à cette légèreté quand c'est l'ombre qui m'y conduit. Passagère, passante, c'est le voile pudique sur la suffisance, la vulgarité. Elle vient ruiner le cri. Elle ouvrira demain mon regard à la lumière, et je consentirais peut-être à l'entendre, elle aussi, sans déchirement. C'est la seule leçon, la discrétion de cette ombre qui s'éloigne.

Pierre-Albert Jourdan, Parole d'ombre, dans: Le bonheur et l'adieu (Mercure de France, 1991)

Préface de Philippe Jaccottet