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17/06/2015

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

La nuit gouverne les branchages de mon coeur
Je vous parle à travers la brume et la distance,
Terre immobile où rien n'est vrai
Que ce murmure d'eau qui chante.
 
Plus vieux mais non vieilli,
J'ai le regard de l'enfant solitaire
Qui reflète longtemps les étangs et les arbres.
Il dure à l'épreuve, le coeur,
Malgré la nuit si longue.
 
Mon chant profond n'est que la pluie aux tresses pâles,
Mon chant n'est qu'un murmure sans paroles,
Et l'on dirait parfois la phrase interminable
Du vent qui se disperse à travers la campagne.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08/06/2015

Morceaux choisis - Alberto Nessi

Alberto Nessi

littérature; nouvelle; morceaux choisis; livres

Le soleil jette des feux soudains dans le dimanche d'août, teinte d'argent les anges au sommet de l'autel, les stucs, le manteau de Saint Roch, les yeux de la fillette dans l'église de montagne.

Hier aussi, le soleil avait des scintillements subits sur les eaux de la rivière qui prend son nom du lis. La fillette en vacances sautait de pierre en pierre avec son grand cousin, celui qui l'a déjà initiée aux pentes abruptes de la fosse à fumier et qui aujourd'hui jouera du violon pendant la messe et qui est bien plus beau que l'enfant de bois, là dans le coin de l'église.

Maintenant c'est à elle de lire la phrase inscrite sur un feuillet, c'est son tour, tandis que le soleil pointe à nouveau et fait resplendir le bleu de la colonne sur laquelle grimpent des grappes d'or. Le soleil a des reflets couleur polenta sur les stucs, hier soir la fillette est allée manger sur le terrain herbeux au bord de la rivière, tous rassemblés autour de la table de pierre, et le grand-père a coupé la polenta au fil. Là, dans ce noir habité, la fillette a vu une lumière nouvelle: le feu de joie sur la rive, le feu de la mi-août. Elle est restée sur la grève, avec sa soeur aînée qui sourit déjà aux garçons, elle est restée à fixer la flamme et à écouter le crépitement des fagots. Les poissons aussi, sous les pierres, épiaient l'incendie des eaux, le vol des étincelles. 

Maintenant un petit homme s'approche du micro, cheveux gris, sac banane sur le ventre. Aussitôt la fillette pense à son chat: il trouverait place dans cette poche de kangourou. Hier, elle l'a installé pour dormir dans l'étable et elle a tiré le verrou, parce qu'il se peut que, la nuit, la fouine entre et le mange, ou bien la paysanne le prendra, elle qui a déjà liquidé dix chiots qui venaient de naître et qui était prête à supprimer aussi son chaton grand comme une souris.

A présent le cousin attaque Vivaldi. Et les stucs s'enflamment à nouveau, rappellant la rivière, le feu de joie, les yeux du chat. La fillette lève les yeux vers la tribune, elle voit son cousin avec son violon qui rutile et il lui fait l'effet d'un ange, plus beau que ces ahuris accrochés sur l'autel, oh, tellement plus beau!

Quand le soleil fait scintiller les clochettes du sanctus, la fillette pense au pré là-haut qui, en mai, s'illumine de narcisses. Hier, avec sa mère, elle est montée trouver Lucia. Et tandis que Lucia cueillait les courgettes pour les vacanciers, elle ne pouvait détacher son regard de cet enfant: il boitait en rond dans le pré sans dire un mot, puis il s'asseyait, aidé par une fille à la robe trop longue, et il restait là à se balancer d'avant en arrière sur une couverture étendue sur l'herbe. Toujours la même chose. En cage. Et Lucia a expliqué que ce gosse, à neuf mois, avait fait une otite: le médecin avait laissé à la mère les gouttes à mettre dans l'oreille et il était parti.

Au sanctus, tandis que le soleil brille sur le calice que le prêtre élève, la fillette file loin de l'église, vers l'éclat du violon avec son cousin, loin des grands! Elle va retrouver le pré aux narcisses, elle va libérer l'enfant qui tourne en rond sur l'herbe comme un chat blessé.

Alberto Nessi, Scintillements - Fleurs d'ombre (La Dogana, 1997)

traduit de l'italien par Christian Viredaz

image: http://media.paperblog.fr

19/05/2015

Morceaux choisis - Robert Walser

Robert Walser

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Un soir, après le repas, j’allai encore en hâte au bord du lac drapé de je ne sais plus très bien quelle mélancolie pluvieuse et sombre. Je m’assis sur un banc sous les branches dégagées d’un saule et ainsi, m’abandonnant à des pensées vagues, je voulus m’imaginer que je n’étais nulle part, une philosophie qui me procura un bien-être étrange et délicieux. L’image de la tristesse sur le lac, sous la pluie, était magnifique. Dans son eau chaude et grise tombait une pluie minutieuse et pour ainsi dire prudente. Mon vieux père avec ses cheveux blancs m’apparut en pensées, ce qui fit de moi un enfant timide et insignifiant, et le portrait de ma mère se mêla au doux et paisible murmure et à la caresse des vagues. Avec l’étendue du lac qui me regardait comme je le faisais moi-même, je découvrais l’enfance qui me considérait elle aussi, comme avec de beaux yeux limpides et bons. Tantôt j’oubliais tout à fait où je me trouvais, tantôt je le savais de nouveau. Quelques promeneurs silencieux allaient et venaient sur la rive, deux jeunes ouvrières s’assirent sur le banc voisin et commencèrent à bavarder et là-bas sur l’eau, là-bas sur le lac bien-aimé, où les larmes douces et sereines coulaient paisiblement, des amateurs de navigation voguaient encore dans des bateaux ou des barques, le parapluie ouvert au-dessus de leurs têtes, une image qui me fit rêver que j’étais en Chine ou au Japon ou dans un autre pays de poésie ou de rêve. Il pleuvait si gentiment et si tendrement dans l’eau et il faisait si sombre. Toutes les pensées sommeillaient puis toutes les pensées étaient de nouveau en éveil. Un vapeur sortit sur le lac ; ses lumières scintillaient à merveille dans l’eau lisse et gris argent du lac qui portait ce beau bateau comme s’il éprouvait de la joie à cette apparition féerique. La nuit tomba peu après, et avec elle l’aimable invitation à se lever du banc sous les arbres, à s’éloigner de la rive et à prendre le chemin du retour.

Robert Walser, Au bord du lac, dans: Retour dans la neige (coll. Points/Seuil, 2006)

traduit de l'allemand par Golnaz Hauchidar

image: J.D.Echenard, Lac de Bienne (flickriver.com)

08/04/2015

Le poème de la semaine

Maurice Chappaz

Humer simplement une rose
ou dévaster le jardin
parce que la brise a ouvert la porte?
 
Je me suis assis devant la maison
de ma bien-aimée.
 
L'angoisse scelle mes lèvres
et fait parler mon coeur en silence.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

03/04/2015

La citation du jour

Philippe Jaccottet 

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On ne peut pas porter sur ses épaules tout le fardeau de la douleur du monde. Suffit (?) qu'on n'aggrave pas celui des proches et en soulage une petite part quand cela se peut. Suffit (?) qu'on essaie au moins de porter seul le sien. Mais on peut, mais sûrement on doit porter le non-fardeau des moindres éclaircies encore aperçues, le contre-fardeau des lueurs pour les encore vivants.

Philippe Jaccottet, Trois proses (Revue Europe no 955-956, novembre-décembre 2008)

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/04/2015

Morceaux choisis - Charles-Albert Cingria

Charles-Albert Cingria

littérature; récit; livres

C'est exquis un réveil et surtout de ne pas se lever parce qu'on a toujours froid, c'est-à-dire chaud dans une menace de froid si on exécute une révolution de se lever, laquelle a tout à gagner - en effet rien ne vous y oblige - à rester à l'état de résolution. Donc on ne se lève pas. Plutôt on compte, on s'accorde des délais. On compte jusqu'à cent, très lentement, bien entendu, et puis, quand on est arrivé à cent, on s'arrête simplement de compter, mais on ne se lève pas davantage. 

Vient le moment pourtant où l'on se dresse automatiquement. C'est un subconscient qui fait ça, un trop-plein qui vous propulse. A peine debout, on se précipite sur le petit bois. Une flambée, quelques instants, vous fait retrouver par les jambes et les genoux et les pieds et la prunelle du regard, cette pointe à jour de l'âme, la chaleur que vous venez de quitter. Mais c'est aussi pour faire bouillir de l'eau pour le thé que vous faites ce petit embrasement. 

Un peu de bois sec, un peu de bois vert, un peu de charbon de bois à 50 francs les dix litres, inséré avec escient à des places favorables - des places qui, dans l'incandescence, font s'établir une structure - amuse et stimule l'ingéniosité et, à ce feu, lui accorde une durée. 

Surtout, le charbon se brise avec un infinitésimal bruit précis de harpe qui est délicieux à entendre.

Charles-Albert Cingria, D'un jeudi à l'autre, Oeuvres complètes vol. 1 - Récits (L'Age d'Homme, 2012)

image: lameduseetlerenard.blogspot.com

10/03/2015

Morceaux choisis - Charles-François Landry

Charles-François Landry

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Un temps vient où le ciel est gris comme la gorge de la tourterelle. Il n'y a plus de saison. Rien n'avance ni ne recule. Le vent qui s'élève est si court qu'il retombe au milieu d'un labourage. Rien qui ressemble à une journée comme une journée. Les routes sont vides. Cette neige qui avait déguisé le pays, elle a même renoncé à rester; sans que personne puisse dire comment cela s'est fait, elle a disparu, et cependant on est bien loin encore des lourdes pluies noires de mars qui sentiraient le désespoir et l'espoir. Non, c'est le temps parfait de l'hiver, trop subtilement froid pour qu'on pense au froid, trop dépouillé pour qu'on pense au dépouillement, trop immobile et sans soleil possible, pour qu'on pense que jamais cela changerait ou s'éclaircirait. Dépassés, les gels qui rendaient les chemins sonores et les herbasses crissantes! Dépassé ce temps de buée qui pouvait se suspendre en si fine glace que par milliers, des plantes mortes jamais visibles sur de hautes tiges, se trouvaient brusquement belles et bien vues, et décorées de givre, et si délicates, qu'on se souvenait de tout ce qui est doux, à leur propos: toiles d'araignées dans la fraîcheur des juins d'aube, roseaux à plumets, ailes de libellule, frémissement du peuplier et du saule.

Maintenant, une eau même, et qui court encore sur des cailloux, au fond d'un fossé, n'éveille rien. On sait, l'esprit sait qu'il existe des lois de physique et de mécanique, et que l'eau, corps liquide, suit la pente, si faible soit la pente. Rien de plus froid qu'une loi.

Aussi bien, l'homme qui ne saurait longuement vivre dans les déserts du coeur, l'homme retourne à l'homme, en lui, et hors de lui. Il est bon de marcher dans un méchant climat. Ce poivre dans la gorge, cette douleur aux yeux, cette lèvre supérieure coupée, c'est vivre, tout cela. Il est juste d'avoir des mains de bois dans des poches de manteau qu'on dirait gercées. Il est loyal d'avoir des genoux de scaphandre, et le poids du monde entre les épaules. Aller d'un village à un autre village, c'est une entreprise. De grands aventuriers ont traversé des mers inconnues sur de petits navires; encore avaient-ils un équipage. Quitter une maison chaude et traverser un temps morne pour gagner une autre maison chaude, n'est-ce donc pas une aventure, aussi?

Jamais plus, se dit-on. Jamais plus. Non, jamais ne reviendront ces jours peut-être absurdes où rien n'avait d'importance sinon la joie. Jours immoraux qui allaient de la fraîcheur d'aube à la tiède soirée tardive, en passant par le midi ardent et l'après-midi lourde; jours où la seule caresse du vent sur la peau rendait triste, d'une voluptueuse tristesse; jours où chaque fille venue d'un peu loin, qui oeuvre aux fenaisons par gestes lents et larges, était un peu de Vénus; jours où chaque auberge vous suggérait une soif et vous posait un problème: boire dans la salle fraîche ou sous la fraîcheur des arbres? Qui de nous n'a été le sybarite qui se plaint d'un pétale de rose mal plié; qui de nous, regardant les chiens couchés dans la poussière, plus défaits que des morts, plus vautrés que des ivrognes, et qui ne se soit senti complice de ette fainéantise? C'était le temps où le chat lui-même dormait à bottes ouvertes comme le chat botté et comme un mousquetaire ripailleur, et il en faut avant que le chat n'abandonne sa belle tenue et se couche, à la courtisane, sans même l'excuse d'être une nourrice chatte qui se laisse fourgonner les mamelles par des chatons dormeurs.

Tout cela, dans quel rêve ébloui l'a-t-on imaginé? Les maisons n'avaient pas de portes, les chambres pas de fenêtres. Aujourd'hui, en venant du dehors, on connaît de subtiles différences entre le froid qui circule sur les champs, le froid retenu entre les maisons d'un hameau, le froid qui se tient devant la porte, le froid pris entre la porte première et la seconde porte.

Tant de science pour souffrir!

Le chat dort proche le poële, et non content, parfois replie ses pattes en mitaines, comme un vieux curé. On dit alors que bise va se lever, ou température descendre encore. C'est qu'il est si frileux, ce geste de mettre pattes sous pattes, comme si quelque manche fourrée pouvait encore s'en venir retomber sur la griffe.

C.F. Landry, Pour quatre coins de terre - illustré par Charles Clément (Eynard, 1948)

image: vers-le-vent.blogspot.com

26/02/2015

La citation du jour

Philippe Jaccottet

citations; livres

Le froid qui nous fait frissonner tout à coup, la chaleur qui nous a fait d'abord transpirer au moindre effort, l'ombre qui éteint les formes, le temps qui vous use lentement, rien ne permet de le mettre en doute. Voilà où nous sommes, voilà ce qui nous cerne, nous flatte ou nous blesse, nous exalte ou nous accable, ce qui a plus ou moins de poids, d'éclat, de mouvement, voilà ce à quoi nous avons affaire le temps de notre vie, et qui est inépuisable, et dans quoi nous sommes réels et non des fantômes: car les fantômes ne souffrent ni ne jouissent, on ne peut en tirer du sang, ni des larmes.

Philippe Jaccottet et Alexandre Hollan: Nuages (Fata Morgana, 2002)

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/01/2015

Morceaux choisis - Blaise Cendrars

Blaise Cendrars

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Je voulais indiquer aux jeunes gens d’aujourd’hui qu’on les trompe, que la vie n’est pas un dilemme et qu’entre les deux idéologies contraires entre lesquels on les somme d’opter, il y a la vie, la vie, avec ses contradictions bouleversantes et miraculeuses, la vie et ses possibilités illimitées, ses absurdités beaucoup plus réjouissantes que les idioties et les platitudes de la politique, et que c’est pour la vie qu’ils doivent opter, malgré l’attirance du suicide, individuel ou collectif, et de sa foudroyante logique scientifique. Il n’y a pas d’autres choix possibles. Vivre!

Blaise Cendrars, Le lotissement du ciel (coll. Folio/Gallimard, 2010)

10/12/2014

Le poème de la semaine

Jacques Chessex

Je venais de le rêver 
C'était peut-être celui que j'appelle 
"le rêve de Purcell" 
Ce matin-là je ne savais plus rien de la lumière 
Ni de son harmonie d'avant
 
Tout à coup survint l'oiseau des alarmes heureuses 
Et se posa à contre-jour
 
"Oiseau, dis-je 
Que me veux-tu dans ta sérénité 
Moi qui hésite toujours entre deux maîtres" 
Je vis que l'oiseau riait
 
"Sans doute as-tu raison de rire, dis-je 
Mais tu m'attristes, messager de l'aube 
En te moquant de ma candeur 
Ah détourne de moi le buisson de ta tête 
Regagne tes passerelles vers le vide"
 
"Je ne serais qu'une métaphore à ton regard
dit le sac de plumes 
Un mot entre les vivants et les morts?"
 
Il s'envola aussitôt
Et je demeurai tout le jour
Les heures vides qui m'attendaient
Avec le prophète persifleur
Le messager à la face fleurie de feu blanc
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle