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30/09/2014

La citation du jour

Alexandre Vialatte 

citation; livres

L'homme n'est que poussière. C'est dire l'importance du plumeau.

Alexandre Vialatte, Chroniques de La Montagne, tome 1: 1952-1961 (coll. Bouquins/Laffont, 2000)

image: http://www.classiccleaners.net

21:58 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/08/2012

Quentin Mouron 1a

Bloc-Notes, 20 août / Thonon-les-Bains

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Il m'arrive de redouter la lecture d'un nouveau roman, parce que j'ai beaucoup aimé le précédent du même auteur - généralement le premier - et que je voudrais, comme dans la vraie vie, réduire au mieux la frange de mes déceptions possibles. Si j'ajoute qu'avant même la parution dudit roman, la presse dans une belle unanimité, crie au chef-d'oeuvre, l'inquiétude grandit. La méfiance aussi, avec cette désagréable impression de n'avoir plus rien à découvrir avant même la première ligne, que les jeux sont faits. Le danger enfin de m'exposer à dire les mêmes choses que tout le monde - le péché d'orgueil cher à nos amis catholiques! - ou oser exprimer que je n'aime pas ce livre, qu'à tout prendre il serait préférable de n'en pas parler, par délicatesse.

Cela m'est arrivé avec Quentin Mouron, mais toutes ces interrogations qui m'ont parcouru, pêle-mêle, se sont dissipées dès les premières lignes de Notre-Dame-de-la-Merci dont il est dit à juste titre qu'elles signent souvent - avec les dernières - un bon livre: C'est un matin de novembre. Les premiers flocons tombent sur la forêt québecoise. Le vieux Pottier a connu l'ennui. Qui dévore les personnes et les choses, les forêts, et qui balaie la neige. L'ennui silencieux, angoissé, que l'on ne peut pas dire parce que les mots nous manquent et qu'ils nous ont toujours manqué.

En quelques lignes, le décor est planté, est condensée toute l'atmosphère de ce qui va par la suite réunir trois antihéros sans ambition ni espoir véritable, qui se contentent de s'arranger avec la vie, parce que les dés sont pipés depuis trop longtemps pour qu'ils puissent se hasarder à autre chose. Il y a Jean, le fils du vieux Pottier qui s'est pendu - à qui il fait les poches pour lui piquer sa montre en or et un billet de vingt dollars -, une brute ivrogne, médiocre, qui voudrait devenir quelqu'un. Et Odette - après le décès de son type - est tombée amoureuse de lui, parce qu'elle croit qu'après tous ses déboires, il pourrait lui montrer qu'elle existe, alors qu'il s'en fout et ne pense qu'au fric qu'elle a amassé en vendant de la coke. Au contraire de Daniel, un ouvrier intermittent et rêveur de ce village de retraités paisibles, qui aime Odette, serait prêt à tout pour la mériter, au bout du compte. Enfin, il y a le narrateur de ce récit, du côté de ces trois-là, qui aimerait leur tendre une main, les retenir, à la corniche, éviter qu'ils ne plongent. C'est à lui que l'on doit l'un des plus beaux passages de ce roman, où il évoque l'église de Notre-Dame-de-la-Merci, la grande embrouille, les questions sans réponse, les nouveaux dieux: ceux qui fourguent leur camelote, le confort même s'il y manque toujours quelque chose. L'éternité peut-être...

En revanche, au regard de personnages si denses que la structure du récit - plus aboutie que dans Au point d'effusion des égouts - et la progression dramatique amplifient à merveille, les réflexions du narrateur manquent parfois de profondeur - à propos de l'hédonisme, du libre arbitre et du destin - ou en voix off prolongent ce que la qualité de l'écriture, la description des personnages, le déroulement de l'action ont si bien rendu sans lui: un tremblement plein de tendresse pour ces amputés du coeur.   

Cette réserve étant faite, malgré une intrigue assez noire et désespérée, une humanité sans fard transpire de cette histoire dont le point d'orgue est la difficulté voire l'impossibilité de traduire en mots les rêves, les désirs, les blessures les plus secrètes. Ainsi Daniel - et c'est une des scènes les plus bouleversantes du livre - transi d'amour devant Odette - mais auprès de laquelle les mots n'arrivent pas (...) Les mots qui comptent lui manquent tous.

Odette et Daniel glissent vers le gouffre qui s'est ouvert entre ce qu'ils sont et ce qu'ils aimeraient être. Cet abîme saignant que chacun vit pour soi, duquel on peut crier mais l'autre ne répond pas. La neige a fini de tomber. Le vent ne souffle plus. Il n'y a que des hommes et la nuit. Et les hommes crient et la nuit se tait. Du bord de la falaise, il serait vain de pointer un vainqueur, de dire que celui-ci va se perdre plus que l'autre, ou qu'un tel va mourir, ou qu'un tel autre vivra. Du haut de la falaise je ne vois que des perdants. Des perdants qui crient. Et la nuit qui les brise.

Et c'est ainsi - pour paraphraser l'ami Vialatte - que Quentin Mouron est grand!     

Quentin Mouron, Notre-Dame-de-la-Merci (Olivier Morattel, 2012)

Quentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)

09:11 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/08/2012

Au bar à Jules - Du roman

Un abécédaire: R comme Roman

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Dans Carnets du vieil écrivain, Jean Guéhenno écrit ceci à propos du roman: Lit-on un grand roman? On s'identifie à son héros. On y vit par procuration. Et cela devient  plus conscient, et vient le moment où on ne lit plus pour aucun intérêt, pour aucun profit, rien que pour admirer, en toute gratuité et dans une joie indéfinissable, au-delà de soi-même. Dès lors, on devient de plus en plus difficile. On ne supporte plus les fantômes d'auteurs, les fantômes d'ouvrages. Mais un vrai livre est devenu la chose la plus précieuse. Un homme vous parle et il vous semble qu'il dise précisément ce que vous attendiez, ce que vous vouliez dire mais n'auriez jamais su dire. C'est tout simple et merveilleusement étrange.

A quelques nuances près, tel est mon sentiment quand je découvre un roman qui me captive dès les premières lignes, aussi redoutables que les dernières. Mais alors, d'où vient cette réticence qui me saisit bien souvent, à propos de la littérature française tout particulièrement? Autrefois, invité de la célèbre émission Apostrophes de Bernard Pivot, Maurice Nadeau , éditeur de Malcolm Lowry, Witold Gombrowicz, Leonardo Sciascia, Georges Perec et Hector Bianciotti entre autres, rappelait - je cite de mémoire - ce qu'est un roman: une oeuvre d'imagination, avec un début, une fin, un cadre, des personnages et une action... Le dictionnaire Littré lui fait écho en ces termes: Une histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche à exciter l'intérêt par la peinture des passions, des moeurs, ou par la singularité des aventures.

Et c'est là que la bât blesse, car en France tout est roman, notamment cette majorité de titres parmi les nouveautés dont la qualité n'est pas toujours en cause, mais qui mériterait le titre de récit ou de fiction romanesque - histoire réelle ou inventée que l'on raconte par écrit - ou d'autofiction - autobiographie empruntant les formes narratives de la fiction - prétexte à une quête identitaire de l'auteur. Un éditeur justifiait cette étiquette arbitraire de roman, afin que ses livres puissent figurer sur les rayonnages des grandes chaînes de la distribution. Dans le cas contraire: aucune chance!

Les vrais romans sont ainsi devenus, dans leur construction et leur qualité, plutôt rares. On ne dira jamais assez combien l'émergence du Nouveau Roman aura laissé des traces - exception faite de Samuel Beckett et de Nathalie Sarraute - qui ressemblent à un séisme dont les prolongements demeurent vifs dans la littérature française actuelle. Avec l'acuité habituelle de son regard, Alexandre Vialatte notait: On a tout essayé pour trouver du nouveau: le roman sans histoire, le roman sans personnages, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté a fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu à créer que le roman sans lecteur. C'est un genre connu depuis longtemps!

Rien de tel par exemple chez les anglo-saxons, les italiens ou les espagnols qui savent encore raconter des histoires. Et si nous ne goûtez pas trop les auteurs étrangers, (re)lisez un bon auteur classique ou parmi les auteurs actuels, un roman de Philippe Claudel ou de Pascal Quignard. Vous ne le regretterez pas...  

Jean Guéhenno, Carnets du vieil écrivain (Grasset Digital, 1971)

Alexandre Vialatte, La porte de Bath-Rabimm (Julliard, 1986) 

image: Jean-Jacques Henner, La femme qui lit (culture.gouv.fr)

27/04/2012

Gérard Delaloye

image_mini.jpgGérard Delaloye, Le voyageur (presque) immobile. (Editions de L'Aire, 2009)

Passionné par les journaux d'écrivains, l'auteur nous livre ses impressions, ses angles critiques, ses admirations, ses réhabilitations autour d'une douzaine d'auteurs. Si André Malraux est reconnu dans le monde des lettres et Robert Walser aujourd'hui lu par les jeunes générations, il n'en va pas de même de Gide - injustement recalé - ou de Catherine Pozzi, cette admirable poétesse, amie de Rainer Maria Rilke, de Colette et de Paul Valéry. Jamais pédant, Gérard Delaloye nous dévoile des facettes souvent inattendues de ses auteurs favoris. Les passages consacrés à Paul Morand ou Guy de Pourtalès - remarquables pour leur portrait tout en nuances et contradictions - alternent avec ces oubliés des découvreurs de littérature, tels Jules Renard, Benjamin Constant, Alexandre Vialatte. Une lecture instructive et divertissante à la fois. L'anecdote de Gide - citée page 18 - à propos de Marx m'a bien fait rire...   

02/01/2012

La citation du jour

Alexandre Vialatte

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Les paroles s'envolent, les écrits restent. Où passent-ils? C'est le secret du mois de janvier... Dès le départ des hirondelles, tant de livres affluent de toutes parts chez les critiques, par le train, le bateau ou l'avion. Ils s'y constituent en piles simples, puis en piles doubles, ensuite en murs, ensuite en cubes, enfin en troncs de pyramides. Ils s'y chevauchent, s'y enjambent et s'y soudent. Souvent aussi, ils se détachent: un bruit mat réveille le critique, c'est le livre qui vient de tomber. Ces chutes finissent par combler les passages entre les cubes et les tours. Il faut déblayer à la pelle comme dans un village où la neige bouche les rues, creuser des tranchées pour le trafic. Le critique y circule, grippé, cherchant le talent comme une aiguille dans le foin, une tisane à la main, une bougie dans l'autre (ou alors une torche électrique), pour relever des titres au passage en se retenant d'éternuer. Ici, le futur Goncourt gémit sous une colonne de deux mêtres de haut; là, le futur Femina sort la tête d'un grand cube où il va périr emmuré: l'Interallié appelle du haut d'une pyramide; le Renaudot étouffe entre deux romans-fleuves; un coup de talon involontaire écrase un prochain lauréat. C'est affreux. Moins que l'éternuement. L'éternuement déclenche des avalanches. Tout ce qui était en haut tombe au sol... Il y aurait un remède, si le livre était plus lourd. On en ferait des colonnes plus stables, des pilastres plus pompéiens, des cathédrales plus byzantines. On en tirerait de petits cloîtres gothiques, propices à la méditation, où le critique se promènerait à l'aise, en rond, et soutenu par les Muses.

Alexandre Vialatte, Almanach des quatre saisons (Julliard, 1981)

image: http://www.canstockphoto.fr

07:52 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/12/2011

La citation du jour

Alexandre Vialatte

citations; livres

On croit au Père Noël, pas à dix Père Noël, pas à cinquante, pas à un syndicat. On a tort de commercialiser; le commerce tue la foi et la poule aux oeufs d'or. Le Noël, la fête des mamans, le jour des pères, entre une journée de détergent et une journée de rasoir à lame bleue. On ne sait plus ce qu'ont été les choses. Elles ne sont plus. La Noël se vend deux mois d'avance. Il faut relire Pourrat pour la retrouver. On ne sait plus ce que purent être une pomme, une rose, une bague, voire un âne, un pâté. C'étaient des trésors spirituels. Ils brillent dans l'ombre du vieux temps, désirs du coeur, désirs de l'âme, hautes récompenses de longues vertus, plaisirs profonds et presque abstraits. On ne sait plus ce que furent la polaire, les Trois Rois, l'étoile du Bouvier. Ni cette tranquillité de la neige de minuit, qui fut une sérénité de l'âme. Ni cette grande nuit d'astres et d'anges qui prit une odeur de jardin quand passa l'étoile du berger. Nous avions tous au fond du coeur je ne sais quel arbre de Noël que les marchands ont mis en vente. Tant pis pour lui, tant pis pour nous, tant pis pour eux. Tout ne se reboise pas.

Alexandre Vialatte, Vialatte à La Montagne (Julliard, 2011)

00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/10/2011

Alexandre Vialatte 1b

Bloc-Notes, 27 octobre / Les Saules

Pour le plaisir, voici un dernier extrait de Vialatte à La Montagne, avec une des plus belles chroniques, consacrée ici à Huit et demi, le film de Federico Fellini, l'un de mes dix films préférés: L'art se satisfait du spectacle. Au lieu de résoudre ses contraires, de les harmoniser, d'en biffer, de mutiler un peu les branches basses pour faire pousser l'arbre plus haut, il s'accepte en bloc, décousu, et il fait danser tout ensemble, le blanc et le noir, le bien et le mal, l'atroce et le comique, le tragique, le fantastique, le fascinant. C'est le portrait de la sarabande que danse le monde dans le grenier de l'homme, dans le cerveau du créateur. Il n'a pas peur d'en montrer les ficelles, car elles font partie du tableau. C'est le portrait de ses marionnettes. Et de quelles tailles! De ses problèmes, de sa vie, de l'angoisse, du gâchis, de ses plaisirs, de son foie malade, il a fait un ballet. Il est porté par l'enthousiasme de la chose. C'est l'artiste.  

Et c'est ainsi que Vialatte est grand!



Alexandre Vialatte, Vialatte à La Montagne (Julliard, 2011)

Alexandre Vialatte,  Chroniques de La Montagne, 1952-1971, 2 vols. (coll. Bouquins/Laffont, 2000)

Alexandre Vialatte 1a

Bloc-Notes, 27 octobre / Les Saules

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Alexandre Vialatte nous revient - et c'est tant mieux! - car outre ses admirateurs les plus inconditionnels qui suivent ses écrits depuis des lustres et ne sont manifestement plus en âge d'affronter leur service militaire, la fleur au fusil, voici que les plus jeunes, sans doute un peu agacés par le conformisme ambiant, affirment haut et fort leur ferveur pour cet éternel jeune homme.

J'avais treize ans - nous confie dans sa préface Jean-Pierre Caillard, P.D.G. du Groupe La Montagne -, je croyais déjà à la littérature. L'illumination m'était venue à la lecture des chroniques, rituellement programmées par La Montagne, de cet homme, un écrivain, qui savait sublimer la quintessence imaginaire de la vie, aux yeux éblouis de l'adolescent que j'étais. (...) Jamais nous ne laisserons dire que treize ans est le plus bel âge de la vie. Pourtant, Vialatte, Nizan, Nimier, Blondin et quelques autres encore, auront préparé pour nous des confitures et des goûters littéraires somptueux, qui surpassaient sans peine ceux que nous accordaient les jeux trop attendus de nos âges.

Ainsi, dans le présent volume qui vient de paraître - Vialatte à La Montagne - 25 de ses chroniques sont présentées et choisies par des auteurs actuels, parmi lesquels Amélie Nothomb, Laurence Cossé, Pierre Jourde, Marie-Hélène Lafon, Philippe Meyer, Pascal Ory, Philippe Vandel et la rédaction de La Montagne.

Quel délice de mordre ces textes comme une pomme qui a ce goût d'enfance, cette curiosité de l'instant présent ou cette poésie de la mémoire qui fait notre enchantement et notre légèreté dans un huis-clos de la pensée où souvent les professeurs se prennent pour des innovateurs, les politiques pour des marabout et les écrivains pour des chantres du réel. Mazette, tout un programme! Ni célébration insolente de la vie, ni confrontation audacieuse avec la mort, avec cet entre-deux stations qui bourgeonne, tremble et séduit le lecteur. Mieux encore: l'homme...

Rien de tel chez Alexandre Vialatte, toujours passionnant, respectueux, instructif à la manière d'un instituteur qui distribue des billes de toutes les couleurs dans une cour de récréation à des gosses au sourire désarmant. Qu'il nous parle de grammaire, de ses admirations - Mauriac c'est la fièvre, Chardonne c'est la lumière, Pourrat c'est la chaleur - de nains de jardin, de vacances ou de chiens, il surprend, aiguise le regard et ranime en nous les braises chaque jour prêtes à s'éteindre. Lisez son portrait de l'homme d'aujourd'hui, étrangement contemporain: L'homme d'aujourd'hui entend se comporter comme un adulte responsable. Il se méfie des idées preconçues. Ou imposées. Il recherche les faits. Il dispute, il juge, il décide par lui-même. Il veut connaître le dossier des affaires sur lesquelles il doit s'engager. (...) Le prospectus général l'assure qu'il ne cesse de devenir plus libre, plus intelligent et plus fort. Que les siècles se superposent et qu'il y voit, par conséquent, de plus en plus loin. Mais il en va de ce socle hautain comme de celui de ce procureur auquel un avocat disait: Monsieur l'avocat général, votre position supérieure est une erreur de menuisier.

Parmi d'autres sujets, citons encore son approche piquante du roman: On a tout essayé pour trouver du nouveau: le roman sans histoire, le roman sans personnages, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté a fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu qu'à créer le roman sans lecteur. (...) A lire tant de romans de penseurs qui demandent à bénéficier de l'irresponsabilité de l'enfance, on se demande s'il y a encore des pères de famille dans les lettres, j'entends des hommes qui, arrivés à un certain âge, admettent qu'on ne peut rien faire sans une règle du jeu. La spécialité de notre époque est de la refuser en tout domaine. Notre civilisation en crève. Par peur de vivre. On ne peut avoir de raisons de vivre que si on a des raisons de mourir. Or on ne meurt pas pour le bloc-évier ou l'appareillage électrique. Et pour quoi donc? Demandez au caporal, demandez au romancier de service, c'est le moment ou jamais, notre civilisation vide ses dernières cartouches. Le caporal cherche dans ses poches. Il a égaré la consigne.

Et c'est ainsi - pour paraphraser l'auteur - que Vialatte est grand!   

Alexandre Vialatte, Vialatte à La Montagne (Julliard, 2011)

Alexandre Vialatte,  Chroniques de La Montagne, 1952-1971, 2 vols. (coll. Bouquins/Laffont, 2000)

02:16 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, Bloc-Notes, François Mauriac, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; chroniques; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/03/2011

Kafka, l'éternel fiancé

Bloc-Notes, 10 mars / Nyon

littérature: récit; essai; livres

Il allait seul son chemin, effrayé par le monde. sa maladie lui conférait une sensibilité confinant au miraculeux et un raffinement intellectuel sans compromis, jusqu'aux conséquences les plus terrifiantes. Il était timide, inquiet, doux et bon, mais les livres qu'il écrivait, les plus importants de toute la jeune littérature allemande, sont cruels et douloureux. Il voyait le monde rempli de démons invisibles qui anéantissent l'homme sans défense. Il était trop lucide, trop sage pour pouvoir vivre, trop faible pour combattre, il était de ceux qui depuis toujours se savent impuissants, se soumettent et, ce faisant, couvrent de honte le vainqueur. Ses livres, pleins d'une ironie sèche, décrivent l'horreur de l'incompréhension, de la faute innocente. C'était un artiste qui entendait encore là où les sourds se croyaient en sécurité.

L'extrait de cet hommage bouleversant, paru à la mort de Franz Kafka, est signé Milena Jelenska, la compagne qui a sans doute le mieux appréhendé celui pour qui écrire était sa raison de vivre. et que Jacqueline Raoul-Duval met admirablement en lumière à la fin de son récit Kafka, l'éternel fiancé, présenté sous une perspective originale, celle des femmes qui ont marqué sa trop brève existence. 

Réjouissons-nous, car ce livre démontre que l'érudition n'est pas opposée à la légèreté de la plume et que l'intelligence n'empêche pas une lecture agréable. Comme au théâtre, nous voyons revivre auprès de Franz la berlinoise Felice Bauer, représentante de commerce, la jeune fille qu'il n'a vue qu'un soir, une heure à peine, coiffée d'une capeline beige et blanc, avant de lui dédier - outre une centaine de lettres, télégrammes, messages - Le verdict, le seul récit qu'il jugera valable jusqu'à sa mort. L'a-t-il aimée, espérée ou imaginée, du fond de sa solitude, celle dont il dit au premier coup d'oeil qu'elle est sans charme, sans attrait, décidée, pleine d'assurance, robuste?

Julie Wohryzeck ensuite, une secrétaire de Prague, commune mais étonnante, jolie, auprès de laquelle, encore en bonne santé, il goûtera au bonheur, jusqu'à l'arrivée de Milena Jelenska, journaliste et écrivain qui entre tel un ouragan dans sa vie, une lumière dans les ténèbres, alors que la tuberculose le ronge déjà et le prive de couleurs. Enfin Dora Diamant, institutrice polonaise à Berlin, une merveilleuse créature, intelligente, douce, croyante, pieuse, qui l'accompagnera jusqu'à la fin. D'autres personnages féminins occupent une place singulière et mériteraient d'être mentionnés, mais ceux-là, je vous laisse les découvrir!

L'auteur de cette magnifique évocation de Franz Kafka met en perspective ce qui, dans presque tous les cas de figure, a posé problème à ses conquêtes: une oeuvre en devenir où l'homme n'est qu'une ombre pitoyable devant le soleil, un monde absurde où toute entreprise est vouée à l'échec, où les innocents se reconnaissent coupables. (...) Glacées d'effroi, ces amoureuses ne savent plus qui est l'homme qu'elles aiment, elles ne distinguent plus la fiction de la réalité.

En annexe à ce récit qui se lit avec plaisir comme un véritable roman, Jacqueline Raoul-Duval nous dresse un tableau précis, émouvant, pathétique, de la destinée de tous les familiers de l'écrivain après son décès, un certain 3 juin 1924, à l'âge de 40 ans. Et si la vie de Kafka a été marqué par le sceau de nombreuses tragédies, vous vous apercevrez que le malheur a frappé nombre de ses proches aussi, pour des raisons fort diverses... 

Un mot, pour finir: Si vous voulez en savoir davantage sur la personnalité de Franz Kafka, lisez Pietro Citati; si vous avez lu ses oeuvres et cherchez à approfondir votre perception, lisez Marthe Robert ou - en allemand et en anglais - Klaus Wagenbach dont l'essentiel n'est plus disponible en langue française. Et n'oubliez pas Alexandre Vialatte, le premier traducteur en langue française de ce désormais incontournable prodige des lettres modernes et qui nous en dresse un portrait souvent inattendu!

Jacqueline Raoul Duval, Kafka l'éternel fiancé (Flammarion, 2011)

Pietro Citati, Kafka (coll. Folio/Gallimard, 1991)

Marthe Robert, Seul comme Franz Kafka (Calmann-Lévy, 1994)

Alexandre Vialatte, Mon Kafka (Belles-Lettres, 2010)

18/11/2010

Alexandre Vialatte

Bloc-Notes, 18 novembre / Lausanne - Rolle 

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En ces temps bien ingrats où je vois ployer mon fauteuil sous le poids de trop nombreux livres de l'année pas encore lus auxquels se mêlent les premières épreuves de l'an 2011, je prends un malin plaisir à me dérober à cet exercice de haute voltige, pour me plonger avec délectation dans un de ces ouvrages sur lesquels les intempéries du temps qui passe n'offrent aucune prise. Ainsi, après Albert Camus, Paul Valéry et Alain, c'est à un autre de ces auteurs inoxydables que je reviens aujourd'hui: Alexandre Vialatte, et son dernier livre, Critique littéraire, présentant un choix de chroniques parues entre 1950 et 1970 dans le quotidien La Montagne, le mensuel Le spectacle du monde ou l'hebdomadaire Paris-Match.

Au lieu d'être écrivain, il aurait pu être peintre: celui qui en quelques coups de crayons est capable d'éclairer un style, de suggérer une atmosphère, de mettre en évidence des traits de caractère parfois piquants sans céder à la désinvolture, parfois insolents ou tendres sans déraper vers la méchanceté, mais avec une plume qui traduit la concision d'un dessinateur.

Parmi les auteurs évoqués dans cette anthologie, quelques portraits sont jubilatoires. Sur Antoine Blondin par exemple, il note, à propos de Monsieur Jadis: L'école du soir, c'est l'école de Nerval, pleine de fantasmes et de fantômes, et qui finit au petit matin, sur un pendu ou sur les bancs du commissariat, après un grand feu d'artifice tiré par l'imagination, dans l'exaltation des alcools. (...) C'est le programme de la terre brûlée, en face de l'invasion de la vie avec ses monstres exigeants et monotones. Tout est dit!

Sur Kafka - dont il a signé plusieurs traductions - il écrit: Ses yeux sont comme des soleils noirs; il a l'air de Cocteau; ou du mauvais élève avec sa cravate de travers. Bref, il semble sentir la tombe, ou le soufre, ou la dynamite. C'est l'ombre du corbeau sur la neige du cimetière. J'aimerais chanter le joyeux garçon qui était en lui

Deux autres exemples sont révélateurs de son regard, de son originalité, de son talent. A propos de François Mauriac: Ses romans sentent la résine et le péché mortel. La digitaline, le poison. L'officine de Circé, la chambre de malade. La forêt de pins. La vieille salle à manger. Les vieux papiers de notaire. La table de nuit mal aérée. Puis, de temps en temps, il ouvre une fenêtre et on voit le ciel. Enfin, il dit de Louise de Vilmorin: Elle réalise ce prodige de rester une femme élégante en travaillant comme un homme de métier. C'est une grande dame qui se fabrique ses bijoux avec plus d'art que son joaillier.

Avouez que peu d'écrivains usent d'images aussi vives, minutieuses, pleines d'esprit, de liberté et d'audace pour mettre en perspective leurs contemporains!

L'écriture, le style, la qualité de l'exception littéraire tiennent aussi une place prédominante dans ses critiques, quand il aborde Louis-Ferdinand Céline, Valéry Larbaud ou Roger Nimier. Il amuse ou instruit à tour de bras, n'accordant aucun répit à ses lecteurs qui lui emboîtant le pas avec l'insouciance d'un ami de longue date. Ses mots se bousculent sur le papier, mais combien ses intuitions s'avèrent justes: Le talent est toujours d'actualité. Le génie, encore plus, bien sûr. (...) Gide ne disait-il pas qu'on reconnaît un chef d'oeuvre à ce que, placé en face de lui, on ne songe jamais à comparer? C'est ce qui arriverait avec Buzzati, si Franz Kafka n'avait pas existé. Car il rappelle toujours Kafka. Et pourtant, paraît-il, il ne l'a jamais lu.

La citation d'André Gide pourrait être attribuée à Alexandre Vialatte. Lisez vite Critique littéraire. Je vous promets qu'après l'avoir apprivoisé, vous vous précipiterez dans une bibliothèque ou une librairie pour lire les auteurs dont il nous parle avec tant de passion, de légèreté, de respect. Commencez par les oubliés: Antoine Blondin, Roger Nimier, Jean Dutourd dont la saveur demeure incomparable! Et comme cela arrive - hélas - assez souvent, après ces découvertes, il vous sera peut-être difficile d'enchaîner avec la lecture du dernier chef d'oeuvre qui vient de paraître...  

C'est tout le problème avec les grands crus!

Alexandre Vialatte, Critique littéraire (Arléa, 2010)

Antoine Blondin, Monsieur Jadis  ou l'école du soir (coll. Folio/Gallimard, 2002)

Roger Nimier, Histoire d'un amour (coll. Folio/Gallimard, 1992)

Jean Dutourd, Le déjeuner du lundi (coll. Folio/Gallimard, 1986)