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16/04/2015

La citation du jour

Marcel Proust

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On reconnaissait le clocher de Saint-Hilaire de bien loin, inscrivant sa figure inoubliable à l'horizon où Combray n'apparaissait pas encore ; quand du train qui, la semaine de Pâques, nous amenait de Paris, mon père l'apercevait qui filait tour à tour sur tous les sillons du ciel, faisant courir en tous sens son petit coq de fer, il nous disait : "Allons, prenez les couvertures, on est arrivé." Et dans une des plus grandes promenades que nous faisions de Combray, il y avait un endroit où la route resserrée débouchait tout à coup sur un immense plateau fermé à l'horizon par des forêts déchiquetées que dépassait seul la fine pointe du clocher de Saint-Hilaire, mais si mince, si rose, qu'elle semblait seulement rayée sur le ciel par un ongle qui aurait voulu donner à ce paysage, à ce tableau rien que de nature, cette petite marque d'art, cette unique indication humaine. Quand on se rapprochait et qu'on pouvait apercevoir le reste de la tour carrée et à demi détruite qui, moins haute, subsistait à côté de lui, on était frappé surtout du ton rougeâtre et sombre des pierres ; et, par un matin brumeux d'automne, on aurait dit, s'élevant au-dessus du violet orageux des vignobles, une ruine de pourpre presque de la couleur de la vigne vierge.

Marcel Proust, Du côté de chez Swann - A la recherche du temps perdu (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1954)

00:00 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/03/2015

La citation du jour

Marcel Proust

citations; livres 

C'est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l'avertissement arrive qui peut nous sauver; on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu'on aurait recherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s'ouvre.

Marcel Proust, Le temps retrouvé (coll. Livre de poche/LGF, 1999)

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/01/2014

Jean Cocteau

jeancocteau2b2b663ds6.jpgDominique Marny, Jean Cocteau, archéologue de sa nuit (Textuel, 2010)

Dominique Marny n'en est pas à son coup d'essai. Elle a déjà consacré deux études à cet intarissable créateur sous toutes ses formes - par les chemins multiples de la littérature, du cinéma, du dessin - en signant Les Belles de Cocteau (Lattès, 1995) et La Belle et la Bête, les coulisses du tournage (Le Pré aux Clercs, 2005).

Dans l'esprit de la collection de cet éditeur - voir les ouvrages consacrés à Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire, Guillaume Apollinaire, Colette, Marcel Proust, Jacques Brel ou Barbara - Dominique Marny vous invite à feuilleter un album de famille truffé de photographies, lettres et documents souvent inédits. Cette promenade poétique permet de mesurer combien Jean Cocteau a marqué de son empreinte tout le XXe siècle. Jugé souvent frivole par ses contemporains, déroutant parfois et indifférent à aucune expression artistique, il a soigneusement caché ses blessures - le suicide de son père, les années de guerre ou la condescendance de ses pairs - et répondu à ses détracteurs: Pour quelqu'un que l'on accuse de dilettantisme, j'ai beaucoup travaillé.

Un bien bel hommage à celui qui a célébré - outre son immense talent - la constance dans ses amitiés et pratiqué le luxe de la désobéissance.

Faire semblant de pleurer mes amis - conclut Jean Cocteau - puisque le poète ne fait que semblant d'être mort. (Le testament d'Orphée)

29/07/2013

Vendanges tardives - De la rupture

Un abécédaire: R comme Rupture

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Tout le problème avec Odette, c'est qu'elle n'a jamais justifié sa décision de tout plaquer, là, un beau jour de juillet voici trois ans exactement. Du coup, les rumeurs les plus fantaisistes ont circulé à son sujet: déception amoureuse, maladie contractée au cours de sa brève carrière, crise existentielle à l'approche de la trentaine? Quand je fais parfois allusion à son amitié, je me souviens que, sans être d'une beauté flamboyante, elle dégageait cette sensualité si particulière - à la commissure des lèvres, dans les plis de ses yeux où perçait une gaieté discrète ainsi qu'une absence de crainte et d'innocence - semblable à la houle charriant ces mouvements de l'âme propres aux femmes hardies et déterminées. Avec pourtant ce mur infranchissable qu'elle avait dressé entre sa vie privée dont peu m'était connu et celle, publique: banale, mesurée, conventionnelle, chez une jeune femme de son âge. Sa silhouette se détachait toujours dans les rues de Brive La Gaillarde, solitaire, drapée dans une cape noire dont les mauvaises langues disaient qu'elle n'abritait pas - outre ses bijoux et ses escarpins made in Italy - de parure excessive...  

Je ne lui a connu aucune liaison amoureuse officielle, mais toutes et tous semblent l'avoir regrettée - jeunes et moins jeunes - au pays où jamais elle ne refit son apparition. Voici une quinzaine de jours, j'ai reçu - pour la troisième fois en trois ans - de ses nouvelles. Elle vit aujourd'hui quelque part dans les Cévennes, à proximité d'un monastère, avec ses chats et ses livres, cet autre penchant qu'elle a toujours éprouvé. Epanouie dirais-je, libre et secrète comme autrefois. Je ne t'en dirai pas davantage, mon cher Fred, sinon qu'elle a conservé dans un écrin ce ruban rouge qu'elle portait autour du cou et que je lui avais offert pour son vingt-cinquième anniversaire. Me reviennent aussi en mémoire ses derniers mots, tracès à la hâte en bas de page de sa dernière lettre, signés Marcel Proust: Quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir...  

Marcel Proust, Du côté de chez Swann (coll. GF/Flammarion, 2009)

image: www.aufeminin.com

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Marcel Proust, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (2) | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/07/2013

Morceaux choisis - Marcel Proust

Marcel Proust

littérature; roman; morceaux choisis; livres

merci à Christiane H

Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne connaissons pas qu'elle vient de nous.

Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs (coll. Livre de poche/LGF, 2001)

image: Pablo Picasso, Femme à la chemise / 1905 (berbec.com)

10:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Marcel Proust, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/06/2013

Morceaux choisis - Marcel Proust

Marcel Proust

littérature; nouvelles; morceaux choisis; livres

merci à Christiane H

La mer fascinera toujours ceux chez qui le dégoût de la vie et l'attrait du mystère ont devancé les premiers chagrins, comme un pressentiment de l'insuffisance de la réalité à les satisfaire. Ceux-là qui ont besoin de repos avant d'avoir éprouvé encore aucune fatigue, la mer les consolera, les exaltera vaguement. Elle ne porte pas comme la terre les traces des travaux des hommes et de la vie humaine. Rien n'y demeure, rien n'y passe qu'en fuyant, et des barques qui la traversent, combien le sillage est vite évanoui! De là cette grande pureté de la mer que n'ont pas les choses terrestres. Et cette eau vierge est bien plus délicate que la terre endurcie qu'il faut une pioche pour entamer. Le pas d'un enfant sur l'eau y creuse un sillon profond avec un bruit clair, et les nuances unies de l'eau en sont un moment brisées; puis tout vestige s'efface, et la mer est redevenue calme comme aux premiers jours du monde. Celui qui est las des chemins de la terre ou qui devine, avant de les avoir tentés, combien ils sont âpres et vulgaires, sera séduit par les pâles routes de la mer, plus dangereuses et plus douces, incertaines et désertes. Tout y est plus mystérieux, jusqu'à ces grandes ombres qui flottent parfois paisiblement sur les champs nus de la mer, sans maisons et sans ombrages, et qu'y étendent les nuages, ces hameaux célestes, ces vagues ramures.

La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir, une promesse que tout ne va pas s'anéantir, comme la veilleuse des petits enfants qui se sentent moins seuls quand elle brille. Elle n'est pas séparée du ciel comme la terre, est toujours en harmonie avec ses couleurs, s'émeut de ses nuances les plus délicates. Elle rayonne sous le soleil et chaque soir semble mourir avec lui. Et quand il a disparu, elle continue à le regretter, à conserver un peu de son lumineux souvenir, en face de la terre uniformément sombre. C'est le moment de ses reflets mélancoliques et si doux qu'on sent son coeur se fondre en les regardant. Quand la nuit est presque venue et que le ciel est sombre sur la terre noircie, elle luit encore faiblement, on ne sait par quel mystère, par quelle brillante relique du jour enfouie sous les flots.

Elle rafraîchit notre imagination parce qu'elle ne fait pas penser à la vie des hommes, mais elle réjouit notre âme, parce qu'elle est, comme elle, aspiration infinie et impuissante, élan sans cesse brisé de chutes, plainte éternelle et douce. Elle nous enchante ainsi comme la musique, qui ne porte pas comme le langage la trace des choses, qui ne nous dit rien des hommes, mais qui imite les mouvements de notre âme. Notre coeur en s'élançant avec leurs vagues, en retombant avec elles, oublie ainsi ses propres défaillances, et se console dans une harmonie intime entre sa tristesse et celle de la mer, qui confond sa destinée et celle des choses.

Marcel Proust, Les plaisirs et les jours (coll. Folio/Gallimard, 2007)

image: lapetitesourie.canalblog.com 

04/04/2013

Le questionnaire Marcel Proust - 3/3

 

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Mes peintres favoris?

Sandro Botticelli, Amedeo Modigliani, Vincent Van Gogh, J.M.W. Turner, Johannes Vermeer, Nicolas de Staël.

Mes héros dans la vie réelle?

Jésus-Christ, les anonymes, les justes, mes proches.

Mes noms favoris?

Catherine, puis les prénoms féminins qui se terminent en "a"...

Ce que je déteste par-dessus tout?

L'asservissement, la médiocrité, l'hypocrisie, la lâcheté, la trahison, l'indifférence.

Caractères historiques que je méprise le plus?

Toutes les formes de totalitarisme au nom du pouvoir, de l'ordre, de l'argent ou des croyances.

Le fait militaire que j'admire le plus?

Toutes les formes de résistance au mal.

La réforme que j'estime le plus?

La lutte pour l'indépendance et l'égalité des femmes.

Le don de la nature que je voudrais avoir?

La tempérance, la sociabilité, la patience. 

Comment j'aimerais mourir?

De préférence sans trop souffrir, et vite...

Etat présent de mon esprit?

Comme une fleur épanouie, enraçinée dans la terre humide et fertile, inondée de soleil, auprès de mes amis visibles ou invisibles, sur ou sous la terre.

Fautes qui m'inspirent le plus d'indulgence?

Celles commises par amour.

Ma devise?

"Je n'ai pas peur, j'ai seulement le vertige." (René Char)

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Le questionnaire Marcel Proust, Marcel Proust, René Char | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : autobiographie | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/04/2013

Le questionnaire Marcel Proust - 1/3

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Le questionnaire Marcel Proust n'a pas d'âge et conserve encore de nos jours tout son intérêt. Si vous voulez vous amuser un peu, faites comme moi, ci-dessous: Laissez-vous séduire et répondez aussi spontanément que possible à ce jeu anglais datant de 1860 environ et rendu célèbre par les réponses que Marcel Proust lui-même a fournies. Présenté ici-même en juin 2010, le voici actualisé cette semaine, en 3 parties dont voici la première...

Le principal trait de mon caractère?

L'intuition, puis la curiosité, la faculté d'émerveillement, la révolte, la prudence.

La qualité que je désire chez un homme?

La sensibilité, l'intelligence, le courage, la franchise.

La qualité que je préfère chez une femme?

Le charme, la complicité, l'humour, l'originalité, l'audace, l'intelligence, le désir.

Ce que j'apprécie le plus chez mes amis?

La simplicité, la loyauté, la spontanéité, la fidélité.

Mon principal défaut?

L'impulsivité, l'instinct de vengeance, même maîtrisé...

Mon occupation préférée?

L'amour, la lecture, la musique, la photographie, les ballades interminables en montagne.

Mon rêve de bonheur?

Vivre auprès de ceux que j'aime.

Quel serait mon plus grand malheur?

L'envers du bonheur: La perte de ceux que j'aime.

Ce que je voudrais être?

La sonate de Vinteuil (dans "A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust).

Le pays où je désirerais vivre?

Où je vais, où je suis, auprès de mon amie de coeur et de mes amis. Sinon l'Oberland bernois, la Riviera vaudoise, la Toscane ou Londres.

La couleur que je préfère?

Le jaune, puis le rouge et le bleu.

La fleur que j'aime?

Le tamaya, le coquelicot, le camélia, toutes les fleurs sauvages des bois, des champs, de la montagne.

L'oiseau que je préfère?

Le rouge-gorge, puis le chardonnet, le merle, la sitelle, la mésange.

(à suivre)

23:33 Écrit par Claude Amstutz dans Le questionnaire Marcel Proust, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : autobiographie | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/10/2012

Lire les classiques - Marcel Proust

Marcel Proust

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Par l'art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini, et qui bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont ils émanaient, qu'il s'appelât Rembrandt ou Vermeer, nous envoient leur rayon spécial.

Ce travail de l'artiste, de chercher à apercevoir sous de la matière, sous de l'expérience, sous des mots quelque chose de différent, c'est exactement le travail inverse de celui que, à chaque minute, quand nous vivons détourné de nous-même, l'amour-propre, la passion, l'intelligence et l'habitude aussi accomplissent en nous, quand elles amassent au-dessus de nos impressions vraies, pour nous les cacher maintenant, les nomenclatures, les buts pratiques que nous appelons faussement la vie. En somme, cet art si compliqué est justement le seul art vivant. Seul il exprime pour les autres et nous fait voir à nous-même notre propre vie, cette vie qui ne peut pas s'observer, dont les apparences qu'on observe ont besoin d'être traduites, et souvent lues à rebours, et péniblement déchiffrées. Ce travail qu'avaient fait notre amour-propre, notre passion, notre esprit d'imitation, notre intelligence abstraite, nos habitudes, c'est ce travail que l'art défera, c'est la marche en sens contraire, le retour aux profondeurs, où ce qui a existé réellement gît inconnu de nous...

Marcel Proust, Le temps retrouvé (coll. Livre de poche/LGF, 1999)

image: Marcel Proust, Le temps retrouvé - Manuscrit (agodin.wordpress.com)

03/08/2012

Au bar à Jules - De la qualité

Un abécédaire: Q comme Qualité

Joseph DeCamp (1858-1923) The Window Blind 1921.jpg

On peut se poser la question de savoir pourquoi certains livres incontournables - objectivement des oeuvres de qualité - ne parviennent pas à nous intéresser. C'est le cas aujourd'hui encore, en ce qui me concerne, pour Guerre et paix de Leon Tolstoï - contrairement à Anne Karénine -, Le côté de Guermantes de Marcel Proust ou L'homme sans qualités de Robert Musil, dont je ne parviens pas à dépasser le premier tiers; parmi les publications plus récentes, Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez est marqué de ce même sceau, même si je considère par ailleurs du même auteur L'automne du patriarche  comme un chef d'oeuvre de la littérature sud-américaine. Enfin, tout près de nous, j'ajoute Les Bienveillantes de Jonathan Littell, malgré les éloges de la critique et celles de nombreux de mes amis lecteurs.

Même si l'originalité du propos, la beauté de la langue ou la structure du récit peut susciter l'admiration, cela ne suffit pas à entretenir la curiosité ou stimuler le plaisir et la magie que peut nous procurer un livre. De plus, ne sont pas nombreux ceux qui se sentent à l'aise avec toutes les littératures et toutes les cultures: freins d'une traduction, d'une éducation rigide, de notre trajectoire personnelle, de désirs de voyages tôt abandonnés. Et que sais-je encore!

Dans son dernier ouvrage Alphabets, Claudio Magris soulève - à propos d'une parabole de Jorge Luis Borgès - une réflexion qui peut s'appliquer aux motivations de nos lectures, s'apparentant à la construction de notre propre visage à travers elles: Notre identité, c'est notre façon de voir et de rencontrer le monde: notre capacité ou notre incapacité de le comprendre, de l'aimer, de l'affronter et de le changer. Nous traversons le monde; ses figures, sur lesquelles se fixe notre regard, nous renvoient comme un miroir notre image, nos images, qui au fur et à mesure que nous avançons vers la destination finale du voyage restent en arrière, elles appartiennent peu à peu à un temps qui n'est plus le nôtre, épaves qui s'accumulent dans le passé.

Dans ce visage à la fois contruit et déconstruit au fil du temps, certaines lectures n'ont pas leur place; d'autres sont délaissées ou prêtes à dessiner une nouvelle empreinte, mais rares sont les ouvrages - à bien y réfléchir - à briller d'un même éclat, inaltérables dans notre souvenir, et tout autant catalyseurs de nos émotions fugitives, là, maintenant, aux premières lueurs du jour...

Claudio Magris, Alphabets (L'Arpenteur, 2012)

Gabriel Garcia Marquez, L'automne du patriarche (coll. Livre de poche/LGF, 1982)

image: Joseph De Camp, The Window Blind (1921)