15/05/2015
La citation du jour
André Gide
Le bien écrire que j'admire, c'est celui qui, sans trop se faire remarquer, arrête et retient le lecteur et contraint sa pensée à n'avancer qu'avec lenteur. Je veux que son attention enfonce à chaque pas dans un sol riche et profondément ameubli. Mais ce que cherche, à l'ordinaire, le lecteur, c'est une sorte de tapis roulant qui l'entraîne.
André Gide, Journal / Une anthologie 1889-1949 (coll. Folio/Gallimard, 2012)
00:20 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citation; livres | |
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12/05/2015
Morceaux choisis - Jules Supervielle
Jules Supervielle
Quand je vais à pied dans la campagne, force m'est d'avouer que j'ignore le nom de la plupart des arbres, bien qu'on m'ait souvent renseigné à leur sujet. Mais je n'écoute pas toujours aussi fort que je le voudrais. Et en fait d'arbres, je ne connais personnellement que le chêne, le platane, l'ombu, le peuplier - encore faut-il qu'il soit d'Italie - et les arbres fruitiers dans la saison des fruits. La campagne me devient presque tout de suite intérieure grâce à je ne sais quel glissement du dehors vers le dedans, à quoi ne participe pas seulement l'esprit, mais aussi les yeux, le nez, la bouche. Et j'ai l'impression d'avancer dans le paysage comme dans mon propre monde mental, soit que l'air très léger semble n'avoir pas touché terre, être l'odeur même du ciel, ou qu'il s'épaississe, au voisinage des fermes, jusqu'à devenir presque aussi nourrissant que du lait frais tiré.
Sur la route de Jaxu, je m'arrête devant un ancien manoir. Une vigne rampe sur le haut du mur peint à la chaux et que le sulfate a bleui: je voudrais comprendre le langage de cette ferme d'un autre temps, dirait-on. Elle s'exprime aujourd'hui par une chèvre qui en sort, et, deux minutes après, par ces jeunes porcs agitant leur tête, et enfin, par une carriole et un homme.
Et que signifie cette poule juchée sur le dos de ce porc à plaques noires? Ces associations provisoires d'animaux de différentes espèces me touchent presque toujours. Qui déchiffrera ces hiéroglyphes momentanés? Je songe aussi à l'oiseau hornero que je vis un jour sur les cornes d'un taureau, en Uruguay.
Pourquoi retourner ainsi, chaque jour, voir cet étang, cette ferme pleine pour moi de murmures, de sons qui ont du mal à s'articuler. Que s'est-il passé là? Peut-être qu'un jour, ici même, mon père... ou ma mère... Ou peut-être que rien, absolument rien.
Nous montons à Aradoy. A nos pieds, les fumées indolentes de la ville, ancienne capitale de la Basse-Navarre, semblent nous dire qu'avec de la patience (et du feu) presque tout est possible, qu'il n'y a jamais lieu de désespérer (ni d'espérer) complètement, non plus peut-être que de s'endormir (ni de se réveiller) tout à fait.
Jules Supervielle, Les Pyrénées / extrait, dans: Boire à la source (R.A.Corrêa, 1933)
image: Jaxu, Pyrénées / France (www.cartesfrance.fr)
00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Jules Supervielle, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; voyages; morceaux choisis; livres | |
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11/05/2015
La citation du jour
Victor Hugo
J'aime les bouches sans venin, les cœurs sans stratagème.
Victor Hugo, Oeuvres complètes/Poésie vol. 3 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)
00:09 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : citation; livres | |
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08/05/2015
Morceaux choisis - Hubert Voignier
Hubert Voignier
Aller à la découverte des hautes herbes, au détour de paysages repeints aux couleurs de la reverdie annuelle, est un bonheur comparable à celui de se lever tôt pour constater que le soleil règne en maître absolu sur la campagne, avant que ses rayons, frappant de plein fouet les yeux du promeneur matinal, à peine éveillé, ne le jettent, l'esprit à moitié sonné, sur le carreau éblouissant des routes... Leurs apparitions aléatoires à la fenêtre d'une voiture, au gré d'une promenade le long d'une voie secondaire ou d'un atelier de traverse, dans l'intimité d'une allée ou d'un jardin à l'abandon, au débouché d'un chemin de ferme donnant sur un verger modeste et grave, comme empreint de toute la rude majesté de la terre, leurs occurences furtives et presque inespérées me ravissent, et retiennent longuement mon esprit absorbé dans une rêverie de la profondeur.
Car c'est bien à une certaine vision de la profondeur, semble-t-il, que l'on a affaire ici, à laquelle on est appelé et comme pris au piège, sans pouvoir décider si cette impression ou cette intuition sont l'effet d'une trop grande proximité physique, d'une opération de charme de la nature au printemps, usant de ses appas entêtants mais superficiels pour embobiner et maintenir l'esprit sous son emprise, ou bien plutôt si les hautes herbes mènent réellement au seuil d'un pays intérieur, ouvrent la voie à une autre dimension, un envers ou un endroit confiné du monde. Comme si la nature au printemps étoffait l'espace d'une substance colorée, comme si elle enrobait la campagne d'une lumière devenue matière vivante, et que le temps ainsi se fît palpable sous cette effusion verdoyante.
Et l'on se voit convié à une autre forme de déplacement que dans l'espace, à un autre voyage, non plus au loin mais en profondeur, dans le champ ouvert de ces multitudes colorées d'herbes et de fleurs, ces mêlées de branches et de feuilles virides, une immersion au sein de la couleur verte dont l'assombrissement progressif et la déclinaison de tous les tons intermédiaires, jusqu'à l'exténuation finale sous l'effet conjugué de la sève et de la chaleur, nous relient encore plus étroitement à la terre, et nous rappellent à un ordre antérieur du monde.
Hubert Voignier, Les Hautes Herbes (Cheyne, 2004)
image: Ronan Guérinel, Paysages marins / 2008 (ronanguerinel.eklablog.com)
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; prose; morceaux choisis; livres | |
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07/05/2015
La citation du jour
Marcel Schwob
Les moments sont semblables à des bâtons mi-partis blancs et noirs; n’arrange point ta vie au moyen de dessins faits avec les moitiés blanches. Car tu trouveras ensuite les dessins faits avec les moitiés noires; que chaque noirceur soit traversée par l’attente de la blancheur future. Ne dis pas: je vis maintenant, je mourrai demain. Ne divise pas la réalité entre la vie et la mort. Dis: maintenant je vis et je meurs. Épuise à chaque moment la totalité positive et négative des choses. La rose d’automne dure une saison; chaque matin elle s’ouvre; tous les soirs elle se ferme. Sois semblable aux roses: offre tes feuilles à l’arrachement de voluptés, aux piétinements des douleurs.
Marcel Schwob, Le livre de Monelle (Allia, 2005)
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |
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04/05/2015
Morceaux choisis - Marguerite Yourcenar
Marguerite Yourcenar
Accepter que tel ou tel être, que nous aimions, soit mort. Accepter que tel ou tel être ne soit qu'un mort parmi des millions de morts. Accepter que tel et tel, vivants, aient eu leurs faiblesses, leurs bassesses, leurs erreurs, que nous essayons vainement de recouvrir de pieux mensonges, un peu par respect et par pitié pour eux, beaucoup par pitié de nous-mêmes, et pour la vaine gloire d'avoir aimé seulement la perfection, l'intelligence ou la beauté. Accepter leur indépendance de morts, ne pas les enchaîner, pauvres ombres, à notre char de vivants. Accepter qu'ils soient morts avant leur temps, parce qu'il n'y a pas de temps. Accepter de les oublier, puisque l'oubli fait partie de l'ordre des choses. Accepter de s'en souvenir, puisqu'en secret la mémoire se cache au fond de l'oubli. Accepter même, mais en se promettant de faire mieux la prochaine fois, et à la prochaine rencontre, de les avoir maladroitement ou médiocrement aimés.
Marguerite Yourcenar, En pélerin et en étranger (Gallimard, 1989)
00:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | |
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03/05/2015
Lire les classiques - Alphonse de Lamartine
Alphonse de Lamartine
Alphonse de Lamartine, Un nom, dans: Oeuvres poétiques (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1997)
image: Alfred Stevens, Tête de femme (p6.storage.canalblog.com)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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30/04/2015
Morceaux choisis - Albert Camus
Albert Camus
Maintenant, les arbres s'étaient peuplés d'oiseaux. La terre soupirait lentement avant d'entrer dans l'ombre. Tout à l'heure, avec la première étoile, la nuit tombera sur la scène du monde. Les dieux éclatants du jour retourneront à leur mort quotidienne. Mais d'autres dieux viendront. Et pour être plus sombres, leurs faces ravagées seront nées cependant dans le coeur de la terre.
A présent du moins, l'incessante éclosion des vagues sur le sable me parvenait à travers tout un espace où dansait un pollen doré. Mer, campagne, silence, parfums de cette terre, je m'emplissais d'une vie odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de sentir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres. Non, ce n'était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l'accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l'amour. Amour que je n'avais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et, debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels.
Albert Camus, Noces, dans: Essais (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1967)
image: abritel.fr
00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; morceaux choisis; livres | |
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29/04/2015
Le poème de la semaine
Raymond Queneau
Bien placés, bien choisis,Quelques mots font une poésieLes mots, il suffit qu'on les aimePour écrire un poème.On sait pas toujours ce qu'on ditLorsque naît la poésieFaut ensuite rechercher le thèmePour intituler le poèmeMais d'autres fois, on pleure, on ritEn écrivant la poésieCa a toujours kèkchose d'extrêmeUn poème Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:23 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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28/04/2015
La citation du jour
Blaise Pascal
Ce n’est que l’examen d’un livre qui peut faire savoir que des paroles y sont. Les choses de fait ne se prouvent que par les sens. Si ce que vous soutenez est véritable, montrez−le; sinon ne sollicitez personne pour le faire croire; ce serait inutilement. Toutes les puissances du monde ne peuvent par autorité persuader un point de fait, non plus que le changer; car il n’y a rien qui puisse faire que ce qui est ne soit pas.
Blaise Pascal, Les Provinciales (coll. Folio/Gallimard, 1987)
image: Blaise Pascal (agon.paris-sorbonne.fr)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |
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