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27/08/2010

Philippe Jaccottet

9782070428618.gifPhilippe Jaccottet, Cahier de verdure - Après beaucoup d'années (Coll. Poésie/Gallimard, 2003)

Les deux recueils rassemblés ici se tiennent sur un versant apaisé de l'œuvre de Philippe Jaccottet, et témoignent d'une prise de distance avec les peurs, les douleurs, les alarmes passées. Non que la destinée humaine ait changé de trajectoire et se soit magiquement affranchie de sa finitude, mais des passages, des éclaircies sont ici entrevus qui tentent de déjouer les pièges du temps. Un carnet poétique, subtil, léger, concret, rythmé par les saisons de la vie et de la nature, qui invite à l’unité de la création pour ouvrir les portes à l’invisible et au silence intérieur. Une oeuvre incontournable.

publié dans le supplément La bibliothèque idéale des vaudois / 24 Heures

25/08/2010

Le poème de la semaine

Louis Aragon


Ne t’en va pas mon cœur ma vie

Sans toi le ciel perd ses couleurs

Désert des champs jardins sans fleurs

Ne t’en va pas


Ne t‘en va pas où va le vent

Sans toi tous les oiseaux s’envolent

Et toutes les nuits sont des folles

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas où se perd l’eau

Méprisant le bonheur des verres

Et l’univers des arbres verts

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas comme le sang

Qui saute à la main qui me blesse

Ma chère force et ma faiblesse

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas où fuit le feu

Quand la paille à peine défaille

Qu’elle est cendre pour qu’il s’en aille

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas dans les nuées

Mon bel aigle ami des orages

Je peux mourir de ton courage

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas chez l’ennemi

Qui t’a pris la terre et tes armes

Crois en la mémoire des larmes

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas c’est félonie

Ces discours ces chansons ces fêtes

Hommes sachez ce que vous faites

Ne t’en va pas



Ne t’en va pas où l’on te dit

Avec de grands mots pour enseignes

Quand c’est la blessure qui saigne

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas chez le tyran

Forger sa puissance toi-même

Et des fers pour ceux que tu aimes

Ne t’en va pas


Ne t’en va pas prends ton fusil

Siffle ton chien chasse les ombres

Chasseur chasseur tu es le nombre

Ne t’en va pas


Prends ton fusil



Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

07:01 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/08/2010

La citation du jour

Jean d'Ormesson

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Je ne crois pas à grand-chose. Je me dis souvent, avec une ombre de regret, avec un peu d'inquiétude, que je ne crois presque à rien. Je ne crois ni aux honneurs, ni aux grandeurs d'établissement, ni aux distinctions sociales, ni au sérieux de l'existence, ni aux institutions, ni à l'Etat, ni à l'économie politique, ni à la vertu, ni à la vérité, ni à la justice des hommes, ni à nos fameuses valeurs. Je m'en arrange. Mais je n'y crois pas. Les mots ont remplacé pour moi la patrie et la religion. C'est vrai: J'ai beaucoup aimé les mots. Ils sont la forme, la couleur et la musique du monde. Ils m'ont tenu lieu de patrie, ils m'ont tenu lieu de religion.

Jean d'Ormesson, C'est une chose étrange à la fin que le monde (Laffont, 2010)

09:03 Écrit par Claude Amstutz dans Jean d'Ormesson, La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/08/2010

Andrew O'Hagan 1b

Au cinéma, le rôle le plus bouleversant de Marilyn Monroe reste celui de The Misfits (Les désaxés) réalisé par John Huston en 1961, sur un scénario d'Arthur Miller, avec pour principaux partenaires Clark Gable, Montgomery Clift, Eli Wallach et Thelma Ritter.



11:53 Écrit par Claude Amstutz dans Films inoubliables | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film; marilyn monroe; montgomery clift | |  Imprimer |  Facebook | | |

Andrew O'Hagan 1a

Bloc-Notes, 22 août / Les Saules 

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Les chiens ont de la chance : ils peuvent s’introduire en toute impunité là où la plupart des humains sont éconduits! Tel est le cas de Maf, au pedigree irréprochable, qui a passé des mains de Vanessa Bell - la soeur aînée de Virginia Woolf - à celles de Natalie Wood, puis de Frank Sinatra, enfin à celles de Marilyn Monroe, aux dernières années de sa vie. Un brin intellectuel et snob – il a hérité du collier de Pinker, la chienne de Vita Sackville-West, compagne de Virginia Woolf à une certaine époque – ce dernier nous entraîne dans un voyage sentimental, amusant et inventif pour tous les amoureux de la vie culturelle américaine. Car il a voix humaine, Maf! Avec un penchant pour la philosophie et la littérature - au fil de quelques passages savoureux consacrés à Aristote, Descartes ou Montaigne - il est un incorrigible optimiste qui, servi par des dialogues souvent désopilants jette sur ce petit monde en pleine mutation un regard tendre et plein de malice. 

Bien sûr, les rencontres les plus illustres de Maf - diminutif de Mafia Honey - gravitent autour de Hollywood, avec une Nathalie Wood qui se fait constamment un film ou Frank Sinatra dépeint comme un crooner frustre, vulgaire, dépourvu de culture et paranoïaque. A son contact, Maf nous réserve les chapitres les plus hilarants de cette histoire. On y croise ainsi Georges Cukor, Ernst Lubitsch, Liliane Gish, Peter Lawford ou John Wayne dont Frankie dresse un portrait peu flatteur: Ca fait trente ans que ce mec est à côté de la plaque. C'est un taré. (...) Je vais te dire, princesse. Ce type enverrait un millier de gars qui valent mieux que lui en prison rien que pour montrer que c'est lui le gros dur qui fait la police en ville. Il brûlerait un millier de livres plutôt que d'avoir à en lire un.

Mais le coeur de ce roman délicieux et sympathique est voué à Marilyn Monroe. Pas de révélations fracassantes sur les circonstances de sa mort ou ses liens avec le clan des Kennedy, car Andrew O'Hagan s'attache surtout à la personnalité intérieure de son idole: Sa solitude, sa tristesse, sa quête du respect des autres, son manque de confiance sur la scène et dans la vie, sa soif de connaissance, son chemin de douleur qui aboutit à un excès de pilules un certain samedi soir. Un tableau attachant et follement drôle à la fois, car de l'humour, elle en n'en manque pas, cette prétendue ravissante idiote... Un très beau moment du roman se déroule devant la tombe de sa meilleure amie, Alice Tuttle, emportée par une crise d'asthme à l'âge de douze ans: Elle passe un moment à caresser l'inscription de la plaque, suivant chaque mot du doigt comme si elle voulait graver quelque chose de personnel dans sa loi d'airain. (...) Marilyn expliqua qu'elle voulait apporter des fleurs, mais qu'elle n'en avait pas, elle toucha la plaque et se toucha la bouche avant de prendre dix dollars dans sa pochette pour les mettre dans un petit vase en verre plein de poussière. L'herbe semblait très verte, comme de l'herbe de cinéma, mais le vent était réel.

Maf survivra à tous ces héros de légende, nimbé de mélancolie et de reconnaissance. Il mourra néanmoins - comme tout le monde, me direz-vous! - auprès de la gouvernante de Marilyn, Mme Murray, le jour de la démission de Richard Nixon.

La vie et les opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe est le quatrième roman de l'écossais Andrew O'Hagan. Il a déjà publié, en traduction française, Le crépuscule des pères (Flammarion, 2000), Personnalité (Flammarion, 2000) et Sois près de moi (Bourgois, 2008).

Andrew O'Hagan, La vie et les opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe (Bourgois, 2010)

11:33 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/08/2010

Issa Makhlouf

Bloc-Notes, 19 août / Les Saules

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Certains livres - fort rares - charment dès les premières lignes, par la pureté de leur style et la qualité de leurs émotions. C'est le cas du roman La vie lente des hommes de Sylvie Aymard (Maurice Nadeau, 2010) déjà évoqué dans ces colonnes, ainsi que de L'embrasure de Douna Loup (Mercure de France, 2010) dont il sera question, très bientôt.

Le livre de ce jour, Lettre aux deux soeurs de Issa Makhlouf, répond aux mêmes critères. En voici le début, d'une beauté à couper le souffle: Paris. La voix de Kathleen Ferrier interprétant "la Passion selon Saint Matthieu" de Bach monte d'un coin éloigné de la salle, quelque part à ma droite. Elle filtre à travers le pâle éclairage et me parvient, ténue, sauf par à-coups où elle s'élève en une vague puissante qui tout aussitôt retombe. Je m'arrête d'écrire et me mets dans son sillage. Elle pénètre partout et, quand le disque s'arrête, elle continue à vibrer et à scintiller telle une lame acérée. Elle me confie ce que la parole peine à exprimer, débarrasse l'âme de sa couverture et lance son appel. Elle oscille, mue, se lève et se couche comme un astre, frappe aux portes fermées, s'insinue dans l'instant qui sépare la pénombre de la clarté.

Telle est l'introduction de cette longue lettre qu'un homme écrit à son amante, espérant par ce biais se découvrir et lui partager ce qu'il n'a jamais pu faire auprès d'une autre personne. Plus tard, il réalisera que sa soeur les a également lues. Deux soeurs : une flamme double. Un jeu de miroirs qui se retrouve également dans le style de l'écriture où la parole est multiple, car l'auteur confond la sienne propre et celle d'autrui, trouvée dans d'autres livres, sur une main peinte clans une grotte préhistorique, sur une toile du Caravage, dans une statue de femme nue au Parc de Bagatelle ou parmi les anges de Giotto.

Véritable hymne à l'amour, à la beauté, à l'harmonie, à la paix, ce texte est à chaque page un enchantement conjugué en deux couleurs: la première exprimée par la lettre elle-même, la seconde - en italique dans le récit - mûrie par la réflexion du narrateur sur la vie, le temps, l'écriture, l'inexprimé, la sagesse:

Je cueille ma rose à même la neige tombant sur les réverbères du sommeil. J'allume le feu de l'attente. Je coupe la folie en deux et dis au chanteur suborneur: Libère ton chant! Des fleuves éternels et provisoires filtrent d'entre tes cuisses croisées comme pour la prière. Et quand tu les ouvres en inspirant profondément, puis quand tu les soulèves comme si tu escaladais l'air, ce dernier gagne en éclat et transparence. Tu dénoues le fil du soir avec les effluves de l'animal qui court autour de toi. Je te marie au soleil. A l'ange en flammes dans tes pupilles. Entre les paroles éthérées et la chair radieuse, je choisis la chair radieuse. De mes deux yeux, je regarde son eau. Je la choisis en sachant ce qu'elle recèle dans son autre versant.

Tout simplement splendide!

Issa Makhlouf, Lettre aux deux soeurs, traduit par Abdellatif Laâbi (José Corti, 2010)

Photo: Thierry Rambaud/IMA

00:29 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Bloc-Notes, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/08/2010

Le poème de la semaine

Stéphane Mallarmé


O rêveuse, pour que je plonge

Au pur délice sans chemin,

Sache, par un subtil mensonge,

Garder mon aile dans ta main.


Une fraîcheur de crépuscule

Te vient à chaque battement

Dont le coup prisonnier recule

L'horizon délicatement.


Vertige! Voici que frissonne

L'espace comme un grand baiser

Qui, fou de naître, pour personne

Ne peut jaillir ni s'apaiser.


Sens-tu le paradis farouche

Ainsi qu'un rire enseveli

Se couler du coin de ta bouche

Au fond de l'unanime pli?


Le sceptre des rivages roses

Stagnants sur l'or des soirs, ce l'est,

Ce blanc vol fermé que tu poses

Comme le feu d'un bracelet.


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

17:22 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/08/2010

Relire Paul Valéry - 3/3

Bloc-Notes, 15 août / Les Saules

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Connaissez-vous la devise de l'ordre des Chartreux? Stat Crux dum volvitur orbis, c'est-à-dire La terre tourne, la Croix demeure immobile... Quel rapport avec Paul Vary me direz-vous? Une seule observation, mais d'importance: Si, depuis sa mort en 1945, les eaux tumultueuses de l'histoire ont bouleversé l'ordre des choses, l'organisation de la société ou l'appréhension de l'avenir, l'essentiel des valeurs auxquelles nous accordons quelque peu de crédit, n'ont guère déplacé notre centre, notre perception du sens, sinon dans les apparences, le discours et les moyens de communiquer, de partager notre pensée, nos contradictions ou notre sensibilité.

Nous ne savons que penser des changements prodigieux qui se déclarent autour de nous, et même en nous. Pouvoirs nouveaux, gênes nouvelles, le monde n'a jamais moins su où il allait, note Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel.

Par les traversées actuelles de l'espace et du temps que nous offrent la science et la technologie, nous connaissons, il est vrai, une chance inouïe de nous informer, de nous cultiver, de nous enrichir, de remédier à notre solitude, subie au prix d'une séduction infinie et souvent désordonnée dans laquelle nous risquons de nous laisser engloutir si nous n'y prenons garde, par manque de discernement ou par frénésie, loin, si loin de ce qui est indispensable à notre raison d'être, confondant sur les plus hautes cimes de notre désert intérieur les objectifs et les moyens mis à disposition pour les atteindre.

L'homme moderne est l'esclave de la modernité, dit Paul Valéry. Il n'est point de progrès qui ne tourne à sa complète servitude. Le confort nous enchaîne. La liberté de la presse et et les moyens trop puissants dont elle dispose nous assassinent de clameurs imprimées, nous percent de nouvelles à sensations. La publicité, un des plus grands maux de ce temps, insulte nos regards, falsifie toutes les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique, exploite l'arbre, le roc, le monument, et confond sur les pages que vomissent les machines, l'assassin, la victime, le héros, le centenaire du jour et l'enfant martyr.

Il ajoute: Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles n'entreront; dans lesquels l'ignorance de toute politique sera préservée et cultivée. On y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétition, de nouveauté et de crédulité. C'est là, qu'à certains jours on ira, à travers les grilles, considérer quelques spécimens d'hommes libres.

Mais tout Paul Valéry n'est pour nous parole d'évangile, heureusement! Avec un peu d'ordre dans nos idées, de clairvoyance dans l'appréhension de notre temps quotidien, de résistance aux sirènes hasardeuses de la pensée unique, tout reste possible à nos coeurs parfois lourds ou fatigués. Un jour peut-être, néanmoins - qui sait? - le must sera pour nous de faire halte dans une abbaye cistercienne du XIIe siècle, dont la musique silencieuse, au sein d'une solitude choisie, nous réconciliera avec l'univers, avant de nous permettre de reprendre la route d'un pas joyeux et assuré...

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel et autres essais (coll. Folio/Gallimard, 1988)

18:16 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/08/2010

La citation du jour

Oscar Wilde

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Quand les gens nous parlent d'autrui, ils sont généralement ennuyeux. Quand ils nous parlent d'eux-mêmes, ils sont presque toujours intéressants, et si l'on parvenait à les faire taire, quand ils commencent à devenir lassants, aussi facilement qu'on peut faire taire un livre que l'on a plus envie de lire, ils seraient tout à fait parfaits.

Oscar Wilde, La critique en tant qu'artiste - Aphorismes (coll. poche/Arléa, 2008)

06:19 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : auteurs; citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/08/2010

Relire Paul Valéry - 2/3

Bloc-Notes, 13 août / Les Saules

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Quand nous parlons de littérature, entre amis, ne nous arrive-t-il pas de nous exclamer, à propos d'un roman lu: J'ai beaucoup aimé le sujet... Mauvais signe, dirait Paul Valéry, car les bons auteurs captent notre attention, quel que soit le sujet qu'ils abordent. Regardez François Mauriac, Albert Camus ou plus près de nous J.M.G. Le Clézio.

Autre lieu commun que nous distillons volontiers auprès de notre entourage: Ce roman est d'une lecture facile... Là encore, le grand homme nous interpellerait pour nous dire qu'une lecture qui ne demande pas le moindre effort - qu'il s'agisse d'érudition, de fantaisie ou de distraction - est sans intérêt, ennuyeuse pour le lecteur - qui en dix pages comprend déjà les deux cent suivantes -, vouée à une mort rapide, programmée...

A propos des livres - reconnaissons-le - nous aimons  asséner des vérités premières telles que: Cette oeuvre me séduit par son réalisme... Par rapport à qui? Par rapport à quoi? Selon quelles valeurs? A quel moment précis de notre histoire? Et si cette réalité n'est que la photographie de ce que nos yeux voient, ce n'est plus de la littérature, mais du reportage. N'est pas Louis-Ferdinand Céline, Vassili Grossmann ou Boris Pasternak qui veut... De plus, là encore, Paul Valéry nous rappellerait qu'il n'est pas rare que les oeuvres qui survivent au temps soient souvent... fantastiques!

A une semaine de la rentrée littéraire d'automne - 701 nouveautés dont 497 francophones, soit 6.32% de plus qu'en 2009! - la parole revient assurément aux auteurs, s'ils veulent échapper à ces commentaires superflus ou mondains dont fleurissent les salons de thé. Dans Tel Quel, Paul Valéry hasarde à leur intention, qu'il faut écrire et travailler pour ceux-là seuls sur qui l'injure ou la louange n'ont pas de prise; qui ne se laissent émouvoir ni imposer par le ton, l'autorité, la violence et tous les débordements. (...) Ecrire pour le lecteur qui va: ou vivre votre idée, ou la détruire, ou la rejeter - pour celui à qui vous donnez le pouvoir suprême sur elle; et qui possède le droit de sauter, de passer, de ne pas poursuivre; et celui de penser le contraire, et celui de ne pas croire, de ne pas épouser votre intention.

Rassurez-vous, car si les oeuvres romanesques insignifiantes ou fades sont en constante augmentation - parce que les éditeurs souvent manquent autant de métier, de rigueur ou de clarté que certains de leurs auteurs - bon nombre d'écrivains de cette rentrée littéraire sont proches des idées de Paul Valéry, capables de nous étonner, de nous surprendre et d'exprimer ce qui nous est impossible avec un style et une transcendance aptes à nous émerveiller, nous séduire et nous offrir quelques moments de bonheur.

Parmi ces rescapés de l'urgence - de publier, d'envahir, de monopoliser - plusieurs titres vous seront présentés dans ces colonnes, dès la semaine prochaine, signés Yves Bonnefoy (L'inachevable - Entretiens sur la poésie/Albin Michel), Andrée Chedid (Les quatre morts de Jean de Dieu/Flammarion), Douna Loup (L'embrasure/Mercure de France), Andrew O'Hagan (La vie et les opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe/Bourgois) et Hernan Roncino (Dernier train pour Buenos Aires/Liana Levi), entre autres publications hors du commun.

Songez à ce qu'il faut pour plaire à trois millions de lecteurs, note encore Paul Valéry... Paradoxe: il en faut moins que pour ne plaire qu'à cent personnes exclusivement.

Mais de cela, nous nous en serions douté... Pas vrai?

Paul Valéry, Tel Quel - Oeuvres vol. 2 (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1960)