05/01/2011
La citation du jour
Rainer-Maria Rilke
Je n'ai pas honte, Chère, d'avoir pleuré un autre dimanche dans la gondole froide et trop matinale qui tournait et tournait toujours, passant par des quartiers vaguement ébauchés qui me semblaient appartenir à une autre Venise située dans les limbes. Et la voix du barcaiolo qui demandait le passage au coin d'un canal restait sans réponse comme en face de la mort. Et les cloches qui un moment avant, entendues de ma chambre (de ma chambre où j'avais vécu toute une vie, où j'étais né et où je me préparais à mourir), me semblaient si limpides; ces mêmes cloches traînaient des sons en lambeaux derrière elles, errant sur les eaux et se rencontrant sans se reconnaître. C'est toujours encore cette mort qui continue en moi, qui travaille en moi, qui transforme mon coeur, qui augmente le rouge de mon sang, qui comprime la vie qui fut la nôtre, afin qu'elle soit une goutte douce-amère qui circule dans mes veines, qui entre partout, qui soit la mienne infiniment. Et tout en étant dans ma tristesse, je suis heureux de sentir que vous êtes, Belle; je suis heureux de m'être donné sans peur à votre beauté comme un oiseau se donne à l'espace; heureux, Chère, d'avoir marché en vrai croyant sur les eaux de notre incertitude jusqu'à cette île qu'est votre coeur où fleurissent des douleurs. Enfin: heureux.
Rainer-Maria Rilke, Lettres à une amie vénitienne (coll. Arcades/Gallimard, 1985)
08:40 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
04/01/2011
Dans le rétroviseur
Bloc-Notes, 4 janvier / Les Saules
Voilà, c'est reparti! Le très sérieux Livres Hebdo - revue professionnelle consacrée au livre - n'annonce pas moins de 510 nouveaux romans à paraître au cours des deux premiers mois de l'année, dont 329 voués à la littérature francophone, mais... pas si vite, car l'année 2010 à peine achevée, je prends plaisir à vous partager les petites ou grandes joies que la saison dernière aura suscitées, au nez et à la barbe des statistiques qui, au contraire de la résonance affective des uns et des autres, masquent souvent l'essentiel, heureusement!
Avec un constat très encourageant: Le lecteur actuel cède beaucoup moins que par le passé, aux sirènes des prix littéraires. S'il les lit ou les offre, c'est parce qu'il les découvre ou les aime, qu'il s'agisse de Michel Houellebecq avec La carte et le territoire (Flammarion), de Jean-Michel Olivier avec L'amour nègre (De Fallois/L'Age d'Homme), de Maylis de Kérangal avec Naissance d'un pont (Verticales), de Patrick Lapeyre avec La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L.), de Fatou Diome avec Celles qui attendent (Flammarion) ou encore de Sofia Oksanen avec Purge (Stock) et de David Vann avec Sukkwan island (Gallmeister).
Il est aussi plus curieux, exigeant et surtout... prend son temps pour choisir ses livres! Ainsi, il a jeté son dévolu - pour mon plus grand plaisir! - sur Douna Loup avec L'embrasure (Mercure de France), Valérie Zenatti avec Les âmes soeurs (L'Olivier), Rosa Montero avec Instructions pour sauver le monde (Métailié), Erri de Luca avec Le jour d'avant le bonheur (Gallimard) ou Sarah Hall avec Comment peindre un homme mort (Bourgois) - à mon avis le plus beau roman de l'année! - sans oublier Kathryn Stockett avec La couleur des sentiments (Jacqueline Chambon) dont le succès repose pour une part prépondérante sur le bouche à oreille entre lecteurs et le coup de pouce des libraires, ou Jean d'Ormesson avec C'est une chose étrange à la fin que le monde (Laffont), bel exemple de fidélité entre le public et un auteur qui n'a cessé de se remettre en question, de partager ses passions, ses convictions, ses interrogations, auprès des plus jeunes et des autres...
Qu'on se le dise enfin: La poésie n'est pas reléguée aux oubliettes. Le succès de la correspondance entre René Char et Nicolas de Staël (Editions des Busclats), l'anthologie des Poètes de la Méditerranée (coll. Poésie/Gallimard) ou les écrits récents de Jean-Michel Maulpoix, Andrée Chédid et Charles-Ferdinand Ramuz en sont la preuve vivante.
Seuls auront manqué en 2010 quelques romans légers et attachants comme on les aime... Hormis une réédition - Les raisons du coeur de Mary Wesley (Héloïse d'Ormesson) - et une nouveauté, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi de Katherine Pancol (Albin Michel), je n'ai pas oublié - comme de nombreux lecteurs, ces plaisirs de lecture plus anciens que sont La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt (Actes Sud) ou Les bonnes dames de Jean-Louis Kuffer (Campiche) qui rencontrent aujourd'hui encore un succès aussi vif que celui des dernières parutions en librairie!
Pour en finir avec ce petit tour d'horizon de l'année écoulée, j'ajoute que le lecteur actuel - pour autant qu'il trouve dans les librairies ou bibliothèques ce qu'il cherche - n'est pas nécessairement conditionné par l'attrait de la nouveauté, ce qui me ravit! Savez-vous que le roman de Léon Tolstoï, Anne Karénine, demeure le roman le plus populaire de 17 à 87 ans, aux côtés de celui d'Alexandre Dumas, Le comte de Monte-Cristo, parmi les classiques? Que Lark et Termite, le chef d'oeuvre de Jayne Anne Phillips (Bourgois), paru en 2009, demeure l'un des choix préférés du public, avec L'ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon (Laffont et Livre de poche) paru en 2004? Qu'on lit toujours le roman d'Axel Munthe, Le livre de San Michele (Albin Michel) ou La montagne magique de Thomas Mann (Fayard et Livre de poche)?
Sur le site de Culture Café - http://500-livres.com/index.html - vous pouvez consulter les 500 meilleurs livres choisis par les internautes, en 2008 - peu de changements, sans doute, avec aujourd'hui - avec près de 5'000 votes et 3'000 titres proposés. Comme moi, vous y reconnaîtrez bien des vôtres...
image: Jean-Honoré Fragonard, La liseuse (National Gallery of Art, Washington)
12:35 Écrit par Claude Amstutz dans Andrée Chedid, Bloc-Notes, Charles Ferdinand Ramuz, Douna Loup, Erri de Luca, Jayne Anne Phillips, Jean d'Ormesson, Jean-Louis Kuffer, Jean-Michel Maulpoix, Katherine Pancol, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature policière, Mary Wesley, Nicolas de Staël, René Char, Rosa Montero, Sarah Hall | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres | | Imprimer | Facebook |
02/01/2011
Anna Akhmatova 1b
Anna Akhmatova
La folie déjà de son aile
Recouvre la moitié de mon âme,
Et l'abreuve d'un vin brûlant
Et l'entraîne dans la sombre vallée.
Et j'ai compris, c'est à elle
Que je dois céder la victoire,
Prêtant l'oreille à mon propre
Délire comme à celui d'un autre.
Et elle ne me laissera
Rien emporter avec moi
(J'aurai beau la supplier,
Et l'accabler de prières):
Ni les yeux terribles de mon fils -
Souffrance devenue pierre, -
Ni le jour de l'orage,
Ni l'heure du revoir en prison,
Ni la fraîcheur aimée des mains
Ni l'ombre inquiète des tilleuls,
Ni ce bruit ténu, lointain -
Paroles d'ultime consolation.
extrait de Requiem, in L'églantier fleurit et autres poèmes (La Dogana, 2010)
10:02 Écrit par Claude Amstutz dans Anna Akhmatova, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Anna Akhmatova 1a
Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes (La Dogana, 2010)
Dans la même présentation soignée où ont vu le jour, en édition bilingue, Les élégies de Duino de Rainer-Maria Rilke - traduction: Philippe Jaccottet -, Quarante-sept poèmes d'Emily Dickinson - traduction: Philippe Denis -, Simple promesse d'Ossip Mandelstam - traduction: Philippe Jaccottet, Louis Martinez et Jean-Claude Schneider -, Hyperion de John Keats - traduction: Paul de Roux - et Les solitudes de Gongora - traduction: Philippe Jaccottet -, c'est au tour d'Anna Akhmatova de faire l'objet d'une magnifique anthologie, L'églantier fleurit et autres poèmes.
Traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy - avec le texte original en regard - ces poèmes rendent hommage à l'un des plus grands auteurs russes du siècle dernier. Anna Akhmatova, elle-même traductrice de Victor Hugo, de Rabindranath Tagore et de Giacomo Leopardi, dans un style à la fois empreint d'un lyrisme inoubliable et d'une concision impressionnante. Amie d'Ossip Mandelstam, d'Amedeo Modigliani, de Joseph Brodsky, son oeuvre toute entière est un cri d'amour et de douleur dont Le requiem et Poème sans héros - traduction: Jean-Louis Backès, coll. Poésie/Gallimard - sont un témoignage bouleversant sur les horreurs du stalinisme.
Au poète Robert Frost qui lui rend visite dans sa datcha en 1962, elle écrit : J'ai tout eu: la pauvreté, les voies vers les prisons, la peur, les poèmes seulement retenus par cœur, et les poèmes brûlés. Et l'humiliation, et la peine. Et vous ne savez rien à ce sujet et ne pourriez pas le comprendre si je vous le racontais....
Elle s'éteint en 1966, à l'âge de 77 ans, et son oeuvre intégrale n'est publiée que vingt ans plus tard, à Moscou...
sources: http://fr.wikipedia.org/wiki/Anna_Akhmatova
10:01 Écrit par Claude Amstutz dans Anna Akhmatova, Littérature étrangère, Philippe Jaccottet, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
01/01/2011
La scie rêveuse
Bloc-Notes, 1er janvier / Les Saules
J'ai créé La scie rêveuse en décembre 2009. Elle doit son titre à un texte de mon poète préféré, René Char. Sur le blog, dans catégories/la scie rêveuse, le texte est publié. Et voici, pour illustrer ces passions partagées, Polina Semionova - danseuse russe née en 1964 - incarnant dans ce ballet tout l'amour de la vie qu'il m'est impossible de traduire par des mots...
source YouTube: http://youtu.be/UaO7bS5Ky6M
15:19 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, La scie rêveuse, Polina Semionova | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; musique classique; danse | | Imprimer | Facebook |
31/12/2010
Ma plus belle histoire d'amour
Bloc-Notes, 31 décembre / Les Saules
Avec beaucoup de tendresse, de simplicité et de gratitude, mes meilleurs voeux de bonheur pour l'année 2011, à vous, amis fidèles et souvent invisibles qui visitez souvent le blog de La scie rêveuse - vous êtes plus d'une centaine par jour! - déposant vos commentaires, impressions ou souvenirs, ici ou sur Facebook. A vous donc, pour ce dernier jour de l'année, je dédicace cette magnifique chanson de Barbara, Ma plus belle histoire d'amour c'est vous ...
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Barbara, Bloc-Notes, Chansons inoubliables | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : musique; variété | | Imprimer | Facebook |
30/12/2010
Steven Carroll
Steven Carroll, Le temps qu'il nous a fallu (Phébus, 2009)
Vous souvenez-vous de L’art de conduire sa machine et Un long adieu, cette bouleversante chronique familiale des années 50, située dans les faubourgs de Melbourne ? Avec ce dernier volet, elle s’achève dans les années 70. Nous y retrouvons Vic, Rita et Michael. Une nouvelle fois, vous tomberez sous le charme de ces gens ordinaires. Célébration mélancolique de la mémoire qui s’épanche à travers l’évocation sensible du quotidien, ce roman est aussi le témoin ironique du temps qui passe et d’un monde qui change. Eblouissant !
00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Steven Carroll | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
29/12/2010
Le poème de la semaine
René-Guy Cadou
Je t’attendrai Hélène
A travers les prairies
A travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule fait son nid
Tu es de tous les jours
L’inquiète la dormante.
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes
A ce front transparent
On reconnaît l’été
Et lorsqu’il suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans jamais t’avoir jamais vue
Je t’appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s’ouvrait
Recréait ton visage
Et tu étais l’auberge
Aux portes des villages
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
28/12/2010
Steven Carroll
Steven Carroll, Un long adieu (Phébus, 2006)
Steven Carroll signait avec De l’art de conduire sa machine un chef d’œuvre. Il nous revient ici, avec certains personnages déjà présents dans son précédent ouvrage : Rita et Vic, le conducteur de train du premier livre, ainsi que leur fils Michael aujourd’hui fasciné par le cricket, une véritable ligne de défense selon son auteur. Photographie en sépia d’une banlieue paisible après la guerre avec son atmosphère communicative – un mélange de compassion et de mélancolie - qui s’ouvre aux résonances du monde.
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Steven Carroll | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
27/12/2010
Steven Carroll
Steven Carroll, De l'art de conduire sa machine (Phébus, 2005)
Tout l’art de Steven Carroll consiste à nous faire partager le destin de personnages simples aux émotions brutes, contenues, violentes parfois, dans une langue précise où une économie verbale rend l’émotion plus intense encore. Situé dans une banlieue de Melbourne, nous suivons, à travers la fin des locomotives à vapeur des années 50, un monde entraîné dans la modernité, bousculant les rêves de Rita, Vic et Michael - les héros du livre - noyant les repères des uns et des autres, sans réduire à néant, malgré tout, leur instinct de survie. La fin du roman arrache les larmes, et c’est bien rare. Un des chef d'oeuvres de la décennie!
00:53 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Steven Carroll | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |