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13/12/2010

Tony Judt

Bloc-Notes, 13 décembre / Les Saules

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Tony Judt s'est éteint 6 août 2010 à l'âge de 62 ans à New York. Historien britannique, écrivain et professeur, il fut un spécialiste réputé de l'Europe, directeur de l'Erich Maria Remarque Institute de l'Université de New York et contribua fréquemment à la New York Review of Books. Il nous laisse aujourd'hui en traduction française - 2008 pour l'édition anglaise - une trentaine d'articles publiés dans diverses revues, sous le titre évocateur de Retour sur le XXe siècle: une histoire de la pensée contemporaine.

Nous croyons avoir appris suffisamment du passé pour savoir que bon nombre de vieilles réponses ne marchent pas; et sans doute est-ce vrai. Mais ce que le passé peut réellement nous aider à comprendre, c'est l'éternelle complexité des questions. Par ces mots qui résument fort bien les propos de son auteur, la nécessité et la rigueur de sa démarche, nous sommes invités à revisiter les tragédies de l'histoire du siècle dernier, dans leur contexte, sous un regard plus complexe que celui que nous présentent, trop souvent, les politiques ou les enseignants, les journalistes ou les romanciers.

Le problème est le message, note encore Tony Judt: que tout cela est derrière nous, que le sens en est clair et que nous pouvons maintenant avancer - délestés des erreurs passées - dans une époque meilleure et différente. (...) Au lieu d'apprendre l'histoire récente aux enfants, nous les promenons dans les musées et les mémoriaux. Et c'est bien contre cet effort de simplification ou de tradition commémorative que ce livre formidable trouve un sens fondamental à travers quelques figures marquantes appartenant au monde des idées: Arthur Koestler, Primo Levi, Manès Sperber, Hannah Arendt, Albert Camus ou encore Edward Said, parmi les plus significatives: témoins de leur temps et pourtant incompris, contestés de leur vivant, pour leur anticonformisme, pour leur refus de l'amalgame - politique, religieux, social - que l'on attendait d'eux pour qu'ils intègrent définitivement les manuels d'histoire.

L'engagement des intellectuels en Europe, les défaites de la France, l'héritage de la Grande-Bretagne, le silence des agneaux aux Etats-Unis, la question juive, la chute du communisme comptent parmi les sujets les plus passionnants traités par Tony Judt. A défaut de fournir des solutions aux malaises et aux inégalités du début de ce XXIe siècle, ils réorientent nos leçons d'histoire, réveillent notre mémoire et bousculent nos idées reçues.

Certains portraits ressemblent à une traînée de vitriol plutôt pertinente: Louis Althusser, Tony Blair ou George Bush, par exemple. En revanche, sur la question sociale à l'aube du siècle nouveau - il est vrai que l'article a été écrit en 1997 - sa vision est quelque peu dépassée, voire irréaliste, avec le retour à l'Etat providence dont la majorité des européens aujourd'hui ne veut plus. Néanmoins, là aussi, les réflexions de Tony Judt ne méritent pas d'être ignorées: Dix-sept pour cent de l'actuelle population de l'Union européenne vivent en dessous du seuil officiel de pauvreté, défini comme un revenu d'au moins 50% inférieur au revenu moyen du pays concerné. (...) La crise sociale concerne moins le chômage que ce que les français appellent les exclus. (...) Ces gens - qu'il s'agisse de parents isolés, de travailleurs à temps partiel ou à durée déterminée, d'immigrés, de jeunes sans qualification, ou de manutentionnaires mis à la retraite prématurément - ne peuvent ni vivre décemment, ni participer à la culture de leur communauté locale ou nationale, ni offrir à leurs enfants des perspectives meilleures que la leur.

Si la conception marxiste de l'Etat a marqué de son empreinte l'espoir du XXe siècle et la désillusion qu'elle a entraîné, nous aurions tort de nous frotter les mains: il reste à prouver que celle qui prévaut actuellement un peu partout dans le monde, reposant sur la seule économie de marché, connaîtra un avenir plus radieux. Les réponses à toutes ces questions graves évoquées plus haut risquent, bien au contraire, de se radicaliser si ce modèle peu convaincant - voire cynique - est appelé à perdurer... Tony Judt dixit!        

Tony Judt, Retour sur le XXe siècle: une histoire de la pensée contemporaine (Héloïse d'Ormesson, 2010)

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité; histoire; pensée; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/12/2010

Jean-Luc Coatelem

9782849900222.gifJean-Luc Coatelem, Mardi à Puerto-Azucar (Edition des Equateurs, 2005)

Ce récit d’aventures, d'escroqueries, de supercheries en tous genres truffées d’inventions littéraires, est servi par des dialogues truculents et corrosifs teintés d’humour noir, qui méritent à eux seuls un détour. L'histoire de ce garagiste de légende, Ulysse Rubirosa junior,devenu libraire bibliophile par opportunisme de Montevideo à Santiago en passant par Lima, est racontée avec brio, respire le grand large et vaut un détour. De plus, la présentation du livre est soignée, illustrée par Loustal. Un petit éditeur, un grand auteur, tous deux à encourager. Dans une bibliothèque, il peut être intégré parmi les polars déjantés !

22:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/12/2010

Le poème de la semaine

Jocelyne François


Toute la lumière du jour

absorbée par la vapeur de la terre, un peu avant le crépuscule.

L'éphémère éclat de quelques buissons d'aubépine

adoucit l'austérité de la colline.


Je t'attends.


Nous irons regarder comment meurt le cerisier,

blanc de fleurs en son centre sur sa couronne de bois sec,

là où le vallon se resserre entre les roches,

où le chant des oiseaux du soir rappelle l'âme à elle.


Au plus près des choses j'ai travaillé de longues heures.

Dans un silence augmenté encore de cette humidité

qui peu à peu mangeait la lumière.

Le strident de la lumière, par degré, s'assourdissait.

Je lavais les carreaux du sol jusqu'aux bords

où ils touchent les pierres des murs.

Je me suis souvenue de la force de l'argile

quand elle cherche à échapper au centrage du tour

et de sa docilité soudain

lorsque la tient l'axe vertical.


Je t'attends.


Quelque chose dans l'air

commence à ressembler au mercure,

le fluide lutte contre l'épais.

Les nuages s'accumulent au nord-est.

Pendant la nuit les portes bougeront sur leurs gonds,

inquiétant mon sommeil privé de ta présence.

Le vent gonflera les rideaux de coton brut

jusqu'à ce que je les tire, à l'aube,

sur un paysage de cumulus bordés de gris sombre

que je regarderai longtemps, couchée,

dérivant avec eux, poussée vers le nord

d'où tu vas revenir. 



Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:21 Écrit par Claude Amstutz dans Jocelyne François, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/12/2010

Stéphanie Janicot

Bloc-Notes, 5 décembre / Les Saules

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L'originalité n'est pas la caractéristique la plus répandue en littérature. Pourtant, elle tombe parfois entre nos mains, à l'improviste, comme un fruit mûr tombé du ciel. Cela m'est arrivé voici quelques années avec le roman de Stéphanie Janicot, Dans la tête de Shéhérazade - publié chez Albin Michel en 2008 et présenté dans ces colonnes.

Ce même auteur nous partage aujourd'hui son amour de la littérature avec cette plongée ébouriffante dans le monde des lettres, 100 romans de première urgence pour (presque) tout soigner: Je me doute que, comme tout un chacun, vous êtes parfois la proie de questions existentielles, de problèmes matériels, de petits riens agaçants qui vous rendent la vie quotidienne un peu pénible. Lorsque ces soucis se font plus pressants, vous êtes peut-être tentés de courir chez votre psychanalyste - non, ne rougissez pas, on l'a tous fait -, lequel, moyennant une somme exorbitante, va vous écouter en hochant la tête. Au mieux vous délivrera-t-il une petite dizaine de phrases qui vous auront coûté la bagatelle de 80 euros, tarif parisien moyen pour une demi-heure de thérapie. Autrement dit, chaque phrase vous aura coûté 8 euros. Savez-vous que pour ce même prix - 8 euros - vous pouvez obtenir des centaines e phrases, voire des milliers? Il vous suffit pour cela de trouver le roman - en livre de poche de préférence - adapté à votre problème. Et croyez-moi, il en existe toujours un car il n'est pas un problème sur cette terre qui n'ait été expérimenté par un écrivain et relaté sous la forme d'une bonne histoire.

Ainsi commence cette ballade littéraire composée d'une quarantaine de courts chapitres déclinés en symptômes, remèdes et conseils de lecture: En finir avec la famille, booster son ego, négocier avec l'amour, aimer son travail, garder le moral ou toucher le fond... C'est souvent drôle et les observations de l'auteur sur la vie - à coup sûr d'une battante - sont pertinentes, généreuses, pleines de bon sens et truffées d'anecdotes qui nous rappellent à tous, immanquablement, quelque chose! 

Ses choix littéraires sont aussi des perles de savoir dans notre nuit parfois obscure. Ainsi, d'un thème à l'autre elle constitue un bouquet aux mille senteurs, évoquant - parmi d'autres - Stendhal, Stefan Zweig, Emily Brontë, Joyce Carol Oates, Jim Harrison, Jonathan Coe, Sandor Maraï, Assia Djebar, Léonora Miano ou Fatou Diome.

A titre personnel, je suis heureux que l'on se souvienne encore - grâce à Stéphanie Janicot - de La symphonie pastorale d'André Gide (sur le handicap), du Pavillon des enfants fous de Valérie Valère (sur l'anorexie) ou de La cloche de verre de Sylvia Plath (sur la dépression), à tort un peu négligés, depuis une dizaine d'années.

Une lecture savoureuse à laquelle - adultes ou adolescents - nous pourrons ajouter nos propres remèdes puisés dans les livres de nos bibliothèques et qui sait, un jour en faire un livre, jumeau de celui-ci... 

Stéphanie Janicot, 100 romans de première urgence pour "presque" tout soigner (coll. Livre de poche/LGF, 2010)

01/12/2010

Le poème de la semaine

Paul Eluard


Que voulez-vous la porte était gardée

Que voulez-vous nous étions enfermés

Que voulez-vous la rue était barrée

Que voulez-vous la ville était matée

Que voulez-vous elle était affamée

Que voulez-vous nous étions désarmés

Que voulez-vous la nuit était tombée

Que voulez-vous nous nous sommes aimés


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Paul Eluard, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/11/2010

Actualité de la poésie

Bloc-Notes, 29 novembre / Les Saules

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La poésie demeure le poumon de l'humanité et poursuit sa marche exigeante, discrète, individuelle à l'encontre d'une pensée unique, si présente dans les conversations ou les médias, voire dans la production littéraire de bon nombre d'éditeurs. Cela se vérifie tous les jours, et si vous naviguez parfois sur Facebook, vous serez étonnés par l'omniprésence de la poésie: sous toutes ses formes, obéissant à des desseins différents, surgie d'horizons multiples souvent inattendus, célébrant l'écrit sans frontières autour duquel les lecteurs attentifs se régénèrent, invités à prolonger l'émotion, la confronter à leur vécu, l'intégrer à leur culture. Un bel exemple pour louer au passage les moyens d'expression de ces nouvelles voies de la communication qui prennent le relais des supports traditionnels - plus restrictifs, figés ou absents - afin de favoriser la lecture et l'écriture partagées, signes palpables d'une ouverture au monde, reflets d'un besoin salutaire dans de nombreux domaines, dont la poésie - ou la musique, malheureusement - qui voit son espace réduit de jour en jour, dans les grandes chaînes commerciales... 

J'espère toutefois que les trois nouveautés choisies ci-dessous, échapperont à la règle des 44 jours de présence moyenne en librairie et que vous ne serez pas contraints de vous les procurer par Internet! Pour le premier titre proposé, le mérite en revient aux éditions Gallimard qui, sous la conduite de Eglal Errera, nous proposent une anthologie poétique, Les Poètes de la Méditerranée. Un travail extraordinaire, qui, sur 960 pages au format poche - mais avec une présentation et une typographie très soignées - nous présente les auteurs actuels de 24 pays, en édition bilingue. Si certains poètes sont disponibles dans d'autres éditions courantes - Adonis, Vénus Khoury-Ghata, Abdelattif Laâbi, Nuno Judice, Bernard Noël, Ismail Kadaré - la plupart nous sont inconnus, originaires de Grèce ou de Syrie, d'Egypte ou de Tunisie, du Montenegro ou de Slovénie. Dans la préface de ce livre, Yves Bonnefoy note: La Méditerranée est confiée à la poésie. On peut espérer que la poésie la gardera avec elle; en elle, à combattre, à espérer. Cette anthologie est à chaque page un enchantement, une découverte, une confirmation du rôle essentiel que représente la poésie, véritable contre-pouvoir à la culture de masse, par l'acuité de son regard et l'indépendance de son esprit.

Une autre nouveauté mérite d'être signalée: Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe, né de la plume de Deborah Heissler, seconde publication de cet auteur paru aux éditions Cheyne, vouées à la poésie contre vents et marées depuis trente ans! Un bel objet en parfaite adéquation avec son contenu. Une écriture fine et légère, plus chaleureuse que dans son précédent ouvrage - Près d'eux, la nuit sous la neige - pour dire la force du silence, les sensations mêlées à l'observation de la nature ou de la lumière qui déconstruisent notre vide intérieur et lui redonnent un centre de gravité, pour autant que nous prenions du temps de le lire sans hâte et d'en respirer les senteurs invisibles: J'entre dans la lumière advenant comme un miracle au sein de la durée irréelle de l'hiver. Atonalité des formes, de leurs contours tremblés, qui favorise un autre ordonnancement des lieux, la redécouverte de l'horizon avec au loin l'accord du solide et de l'ajouré. Un des plus beaux recueils poétiques de l'année, dont un autre extrait figurera sous peu dans Le poème de la semaine.

Enfin, j'achève ce tour d'horizon avec Poésies - 1997/2004, écrit par Claire Genoud, qui a publié auprès du même éditeur - Bernard Campiche - deux recueils de nouvelles, Poitrine d'écorce et plus récemment Ses pieds nus, déjà présenté dans ces colonnes. Une écriture viscérale, au plus près du corps, sur le fil continu d'une déchirure: celle du poème en miroir qui tourbillonne au-dessus du vide, tremble au bord du gouffre comme le signale Alexandre Voisard. Le lac peut bien lècher mes sandales comme un chat trop fidèle. Je n'ai qu'une envie, celle de plâtrer ses rives et de sangler sa peau battante au brouillard hivernal, car je ne veux plus des saisons qu'il s'obstine à dresser sur nos toits. D'un coup de plume, je ferai souffler la bise pour assécher son eau. Magnifique!

A cette grande méditerranéenne, Andrée Chedid, le mot de la fin: Il est vital pour le poète de lever des échos, et de le savoir. Nul mieux que lui ne s'accorde aux solitudes ; mais aussi, nul n'a plus besoin que sa terre soit visitée. 

Eglal Errera, Les poètes de la Méditerranée - Anthologie (coll. Poésie/Gallimard, 2010)

Deborah Heissler, Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe (Cheyne, 2010)

Claire Genoux, Poésies / 1997-2004 (coll. Campoche/Campiche, 2010)

Image: Georges Braque, Deux oiseaux sur fond bleu (1963)

27/11/2010

L'Académie française

3145-3245-large.jpgPhilippe de Flers et Thierry Bodin, L'Académie française au fil des lettres - de 1635 à nos jours (Gallimard, 2010)

Ce livre est bien davantage que l'histoire de la célèbre Académie française. En effet, il réunit des documents, lettres et notes rassemblés par sept générations de marquis de Flers - inaccessibles au grand public jusqu'à ce jour - célébrant les immortels qui y furent admis depuis sa fondation, en 1635. On se prend à rêver, découvrant l'écriture manuscrite de Jean Racine, Gustave Flaubert, Henri-Dominique Lacordaire ou plus près de nous Marguerite Yourcenar...

Nombreux sont les écrivains qui, outre la famille de Flers, ont rédigé une notice consacrée à l'un ou l'autre de ces élus: Michel Déon sur Jean La Bruyère et Paul Valéry, Alain Decaux sur Victor Hugo, Jean d'Ormesson sur Charles Baudelaire. Humeurs de leur temps, rivalités, critiques, jalousies, convoitises, expressions du pouvoir ou de la morale, déclarations fracassantes et scandales ayant accompagné leurs candidatures: tout cela nous est restitué dans ce parcours à travers les siècles de ces hommes ou femmes d'exception, pas toujours à la hauteur de leurs oeuvres!

La dernière partie de cet ouvrage nous livre le célèbre Questionnaire de Proust auquel ont répondu, avec un bonheur inégal, les académiciens modernes: Paul Claudel, François Mauriac, Marcel Pagnol, Jean Paulhan, Alain Robbe-Grillet et Jean Rostand.

Un académicien, c'est un homme qui, à sa mort, se change en fauteuil, dit l'un de ses plus illustres membres du XXe siècle, Jean Cocteau...  

20/11/2010

La citation du jour

Graham Greene

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Vous essayer de tout attirer dans les rets de votre foi, mon père, mais vous ne pouvez accaparer toutes les vertus. La douceur n'est pas chrétienne, l'abnégation n'est pas chrétienne, la charité ne l'est pas, le remords non plus. Je suppose que l'homme des cavernes pleurait en voyant couler les larmes de son voisin. N'avez-vous jamais vu pleurer un chien? Dans le dernier refroidissement de la terre, quand le vide de votre croyance sera enfin dévoilé, il restera toujours quelque imbécile, à l'esprit obnubilé, qui couvrira de son corps un autre homme afin de lui procurer la chaleur nécessaire pour vivre une heure de plus.

Graham Greene,La saison des pluies (Robert Laffont, 1977)

 

00:00 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/11/2010

Alexandre Vialatte

Bloc-Notes, 18 novembre / Lausanne - Rolle 

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En ces temps bien ingrats où je vois ployer mon fauteuil sous le poids de trop nombreux livres de l'année pas encore lus auxquels se mêlent les premières épreuves de l'an 2011, je prends un malin plaisir à me dérober à cet exercice de haute voltige, pour me plonger avec délectation dans un de ces ouvrages sur lesquels les intempéries du temps qui passe n'offrent aucune prise. Ainsi, après Albert Camus, Paul Valéry et Alain, c'est à un autre de ces auteurs inoxydables que je reviens aujourd'hui: Alexandre Vialatte, et son dernier livre, Critique littéraire, présentant un choix de chroniques parues entre 1950 et 1970 dans le quotidien La Montagne, le mensuel Le spectacle du monde ou l'hebdomadaire Paris-Match.

Au lieu d'être écrivain, il aurait pu être peintre: celui qui en quelques coups de crayons est capable d'éclairer un style, de suggérer une atmosphère, de mettre en évidence des traits de caractère parfois piquants sans céder à la désinvolture, parfois insolents ou tendres sans déraper vers la méchanceté, mais avec une plume qui traduit la concision d'un dessinateur.

Parmi les auteurs évoqués dans cette anthologie, quelques portraits sont jubilatoires. Sur Antoine Blondin par exemple, il note, à propos de Monsieur Jadis: L'école du soir, c'est l'école de Nerval, pleine de fantasmes et de fantômes, et qui finit au petit matin, sur un pendu ou sur les bancs du commissariat, après un grand feu d'artifice tiré par l'imagination, dans l'exaltation des alcools. (...) C'est le programme de la terre brûlée, en face de l'invasion de la vie avec ses monstres exigeants et monotones. Tout est dit!

Sur Kafka - dont il a signé plusieurs traductions - il écrit: Ses yeux sont comme des soleils noirs; il a l'air de Cocteau; ou du mauvais élève avec sa cravate de travers. Bref, il semble sentir la tombe, ou le soufre, ou la dynamite. C'est l'ombre du corbeau sur la neige du cimetière. J'aimerais chanter le joyeux garçon qui était en lui

Deux autres exemples sont révélateurs de son regard, de son originalité, de son talent. A propos de François Mauriac: Ses romans sentent la résine et le péché mortel. La digitaline, le poison. L'officine de Circé, la chambre de malade. La forêt de pins. La vieille salle à manger. Les vieux papiers de notaire. La table de nuit mal aérée. Puis, de temps en temps, il ouvre une fenêtre et on voit le ciel. Enfin, il dit de Louise de Vilmorin: Elle réalise ce prodige de rester une femme élégante en travaillant comme un homme de métier. C'est une grande dame qui se fabrique ses bijoux avec plus d'art que son joaillier.

Avouez que peu d'écrivains usent d'images aussi vives, minutieuses, pleines d'esprit, de liberté et d'audace pour mettre en perspective leurs contemporains!

L'écriture, le style, la qualité de l'exception littéraire tiennent aussi une place prédominante dans ses critiques, quand il aborde Louis-Ferdinand Céline, Valéry Larbaud ou Roger Nimier. Il amuse ou instruit à tour de bras, n'accordant aucun répit à ses lecteurs qui lui emboîtant le pas avec l'insouciance d'un ami de longue date. Ses mots se bousculent sur le papier, mais combien ses intuitions s'avèrent justes: Le talent est toujours d'actualité. Le génie, encore plus, bien sûr. (...) Gide ne disait-il pas qu'on reconnaît un chef d'oeuvre à ce que, placé en face de lui, on ne songe jamais à comparer? C'est ce qui arriverait avec Buzzati, si Franz Kafka n'avait pas existé. Car il rappelle toujours Kafka. Et pourtant, paraît-il, il ne l'a jamais lu.

La citation d'André Gide pourrait être attribuée à Alexandre Vialatte. Lisez vite Critique littéraire. Je vous promets qu'après l'avoir apprivoisé, vous vous précipiterez dans une bibliothèque ou une librairie pour lire les auteurs dont il nous parle avec tant de passion, de légèreté, de respect. Commencez par les oubliés: Antoine Blondin, Roger Nimier, Jean Dutourd dont la saveur demeure incomparable! Et comme cela arrive - hélas - assez souvent, après ces découvertes, il vous sera peut-être difficile d'enchaîner avec la lecture du dernier chef d'oeuvre qui vient de paraître...  

C'est tout le problème avec les grands crus!

Alexandre Vialatte, Critique littéraire (Arléa, 2010)

Antoine Blondin, Monsieur Jadis  ou l'école du soir (coll. Folio/Gallimard, 2002)

Roger Nimier, Histoire d'un amour (coll. Folio/Gallimard, 1992)

Jean Dutourd, Le déjeuner du lundi (coll. Folio/Gallimard, 1986)

14/11/2010

Le Passe Muraille

Le Passe-Muraille no 84, par Jean-Louis Kuffer

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Dans une semaine paraîtra la nouvelle livraison du Passe-Muraille, No 84. Le numéro est marqué par une cohérence particulière, fondée sur une série de lectures se faisant écho à de multiples égards, autour du thème central de l'Amérique vue et vécue, fantasmée ou critiquée. Auteurs américains et européens s'y croisent...   

Au sommaire:

AMERIQUES

Jean-Stéphane Bron: Matthieu Ruf, jeune écrivain et rédacteur économique à L'Hebdo, analyse le film du réalisateur romand consacré à la crise des subprimes, Cleveland contre Wall Street

Annie Dillard: René Zahnd présente Les Vivants,  roman épique de la conquête de cette auteure majeure, encore trop peu connue, et Jean-Louis Kuffer rend compte d'un recueil de réflexions vertigineuses, intitulé Au présent.

Bret Easton Ellis: Bruno Pellegrino, écrivain et étudiant en lettres actuellement en séjour aux USA, commente le dernier roman traduit de l'observateur aigu du cauchemar climatisé à la manière californienne, dans Suite(s) impériale(s), où l'on retrouve le protagoniste de Moins que zéro vingt ans après...

Adam Haslett: Matthieu Ruf a lu L'Intrusion, roman de la crise américaine contemporaine qui met en scène une vieille prof d'histoire et un trader aux dents longues. 

Barbara  Kingsolver: Hélène Mauler, traductrice et critique, a lu Un autre monde, dernier roman paru en traduction  de la romancière et essayiste.

John Kennedy Toole: Patrick Vallon, éditeur et critique, revisite un classique pré-punk de la littérature américain contemporaine, évoquant aussi les tribulations personnelles de l'auteur de La Conjuration des imbéciles.

Andy Warhol: Jean-François Thomas, critique spécialisé dans le domaine de la SF, décrit le roman très original de Philippe Lafitte, Vies d'Andy, qui offre une seconde vie à l'illustre plasticien, débouchant sur une histoire d'amour pour le moins atypique.

RENTREE 2010

Michel Houellebecq: Antonin Moeri, écrivain et critique, revient sur La carte et le territoire, Prix Goncourt 2010 et roman-essai captivant.

Maylis de Kerangal: Jean-Louis Kuffer détaille son coup de coeur de la rentrée, pour Naissance d'un pont, prix Médicis 2010. 

Douna Loup: Claude Amstutz, libraire et critique, dit tout le bien qu'il pense de L'Embrasure,  très beau premier roman de l'auteure genevoise.

LETTRES ROMANDES

Vincent Gessler: Jean-François Thomas présente un court roman âpre  et captivant d'un jeune auteur roman de science fiction, intitulé Cygnis.

Sébastien Meyer: Jean-Louis Kuffer a aimé le nouveau roman du jeune auteur-éditeur, Wagner=1, qui tient de l'éducation sentimentale et où alternent grand désarroi et rêves fous.

Antonin Moeri: Jean-Louis Kuffer présente également Tam-Tam d'Eden, fresque sensible et drôle de notre dr'ole de société, modulée en un peu moins de vingt nouvelles.

Jean-Michel Olivier: Jean-Louis Kuffer a failli détester L'Amour nègre, satire carabinée de la société mondialisée, entre Hollywood, les îles de rêve et la Suisse, puis le deuxième degré pas immédiatement évident du roman lui est apparu...  

INEDIT

Luisa Campanile: Comédienne et traductrice, elle nous offre deux poèmes extraits de son nouveau recueil, De l'eau et d'autres désirs, paru ces jours chez Samizdat.

Louis Imbert: Voyageur et reporter, il nous a confié des pages de ses Carnets new-yorkais de cette année.

Sébastien Meyer: Pour notre rubrique L'Epistole, le jeune auteur adresse une lettre au Passe-Muraille d'une très belle verve existentielle et poétique.

Le Passe-Muraille se trouve en vente dans certains kiosques et librairies de Suisse romande. On s'y abonne à cette adresse: http://www.revuelepassemuraille.ch/