21/07/2010
Le poème de la semaine
Yves Bonnefoy
Heurte.
Heurte à jamais.
Dans le leurre du seuil.
A la porte, scellée,
A la phrase, vide.
Dans le fer, n'éveillant
Que ces mots, le fer.
Dans le langage, noir.
Dans celui qui est là
Immobile, à veiller
A sa table, chargée
De signes, de lueurs. Et qui est appelé
Trois fois, mais ne se lève.
Dans le rassemblement, où a manqué
Le célébrable.
Dans le blé déformé
Et le vin qui sèche.
Dans la main qui retient
Une main absente.
Dans l'inutilité
De se souvenir.
Dans l'écriture, en hâte
Engrangée de nuit
Et dans les mots éteints
Avant même l'aube.
....................................................
Dans la bouche qui veut
D'une autre bouche
Le miel que nul été
Ne peut mûrir.
Dans la note qui, brusque,
S'intensifie
Jusqu'à être, glaciaire,
Presque la passe
Puis l'insistance de
La note tue
Qui désunit sa houle
Nue, sous l'étoile.
Dans un reflet d'étoile
Sur du fer.
Dans l'angoisse des corps
Qui ne se trouvent.
Heurte, tard.
Les lèvres désirant
Même quand le sang coule,
La main heurtant majeure
Encore quand
Le bras n'est plus que cendre
Dispersée...
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
19/07/2010
Adieu à Gutenberg
Bloc-Notes, 19 juillet / Les Saules
Son propos contrasté, toujours plein d'humour ou d'impertinence, mérite d'être évoqué dans ces colonnes: L'invention de Gutenberg a duré cinq cent cinquante-huit ans. J'ai essayé de lire sur iPad: c'est très amusant. Un ingénieur chez Apple a pensé faire en sorte que l'écran tactile émette un bruit de papier froissé quand on glisse son doigt sur la surface. On vit une époque de malades ou pas? Toute la Bibliothèque d'Alexandrie tiendra bientôt dans la poche de mon blouson. Parfois je me dis que je dois être vraiment un vieux con pour penser une seule seconde qu'une telle invention n'est pas un progrès.
Mais il interpelle vraiment tous les lecteurs potentiels avec le prolongement suivant: On pourrait dire que le livre de Gutenberg implique un cérémonial silencieux, une forme de lenteur, un mode de vie moins stressé, plus détaché. Lire sur le papier est une lutte contre l'éparpillement, le livre sur écran est une fenêtre ouverte sur le zapping. (...) Mais il y a surtout une grande différence, plus grave. Il me semble que le numérique égalise tous les livres alors que le papier sacralise le texte. Lire sur papier suppose qu'on respecte l'auteur comme un être admirable, génial ou talentueux, bref, meilleur que soi; l'écran en fait un semblable, un pote, un mec normal, presque un blogueur, donc n'importe qui! En supprimant le papier, on banalise l'écrivain.
Contrairement à ce que je viens de vous citer, je crois que les moyens actuels pour accéder à la culture en général, ne rejettent pas aux oubliettes nos bons vieux livres, mais au contraire élargissent notre horizon, réduisent nos préjugés et nous surprennent bien davantage que les médias traditionnels qui, hélas trop souvent, disent à peu de choses près la même chose, au même moment et sur les mêmes livres, ce que j'appelle le diktat de la nouveauté. J'ajoute que, pas plus vieux con que Frédéric Beigbeder, j'ai découvert parmi mes amis sur Facebook, bon nombre d'oeuvres littéraires que spontanément, je n'aurais pas fait l'effort d'approcher.
En revanche, je ne lis jamais... un texte sur ordinateur! Le parcourir, à la rigueur, mais pas davantage car je sais que je ne me souviendrai pas de ce que j'ai lu: La toile est éphémère... Aussi, j''imprime les pages de son auteur et les lis à mon rythme, selon l'humeur du jour sur une chaise de jardin, dans l'autobus, dans le train ou dans mon lit, ravi de tenir entre mes mains un morceau de papier résistant à la déferlante des actualités. A l'étape suivante, ayant aimé un écrivain présenté, je m'empresse de me procurer le texte dans son intégralité, sur papier - Mahmoud Darwich, Addellatif Laâbi ou André Velter pour les plus récents - avec la dédicace invisible de la personne qui a servi de trait d'union à cet aboutissement, et à laquelle je pense avec une infinie reconnaissance.
Gutenberg a encore de beaux jours devant lui, croyez-moi! Le bûcher attendra...
00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va, Mahmoud Darwich | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité; presse; livres | | Imprimer | Facebook |
17/07/2010
Georges Perros 1b
Georges Perros
Recopiez le lien ci-dessous pour découvrir un extrait du très beau documentaire réalisé par Jérôme Garcin dans le cadre de l'émission Boîte aux Lettres.
http://www.dailymotion.com/video/xbj6ic_georges-perros_creation
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; entretiens; livres | | Imprimer | Facebook |
Georges Perros 1a
Bloc-Notes, 17 juillet / Les Saules
Georges Perros est un immense écrivain, malgré lui, pourrait-on dire, car cet homme atypique qui se tourne plutôt vers le piano et l'art dramatique dans sa jeunesse, doit aujourd'hui sa célébrité aux trois volumes de Papiers collés, recueil de notes, réflexions ou commentaires rédigés sur des bouts de papier, des tickets de métro, des boîtes d'allumettes ou les pages d'un livre, comme une petite blessure qui n'attend pas d'être cicatrisée.
Loué pour son style épuré, sa sensibilité peu commune et son regard lucide, parfois grinçant sur le monde qui l'entoure ou le parcourt, la rigueur, la liberté de ton et l'honnêteté de sa démarche poétique sont reconnaissables entre mille dans les cinq entretiens radiophoniques réalisés avec la complicité de Jean Daive, Jean-Marie Gibbal et Michèle Cohen en 1975 parus sous le titre Graver sur le mur du vent, où son oeuvre poétique est aussi évoquée, La vie ordinaire par exemple ou les Poèmes bleus:
Peut-être que le poème est le fragment de langage le plus utile à l'homme qui veut changer le monde. Peut-être. Aujourd'hui, c'est peut-être ça. Je ne sais pas.
J'écris à ras de ligne, dit Georges Perros, ou encore: Ecrire c'est rayer la vitre. Sur son prolongement - la lecture - il ajoute enfin: La lecture, c'est l'écriture remise en mouvement, en fait. (...) C'est un des fragments de l'écriture de l'auteur. (...) C'est pour ça que c'est passionnel. On ne peut pas lire sans passion.
Dans ce même livre, vous pouvez découvrir deux dessins, un poème et trois lettres - inédits - de Georges Perros, un texte de Michel Butor et un cahier de photographies signées par Jacqueline Salmon, le tout formant un objet précieux, propre aux éditeurs de poésie, inspirant un sentiment de gaieté, si chère à cet auteur qui, dans ma bibliothèque, est le voisin de René Char...
Georges Perros, Graver sur le mur du vent (Marcel Le Poney, distr. Actes Sud, 2010)
Georges Perros, Papiers collés I, II, III (coll. Imaginaire/Gallimard, 1989-1999)
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georges Perros, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; entretiens; livres | | Imprimer | Facebook |
16/07/2010
Elizabeth George
Elizabeth George, Le rouge du péché (Presses de la Cité, 2008)
Après, et malgré, les événements dramatiques qui ont entraîné la mort de son épouse – voir Sans l’ombre d’un témoin et Anatomie d’un crime – l’inspecteur Thomas Lynley, pour le plaisir de tous ses fans, est de retour ! Fragile et désemparé, il vit retiré en Cornouailles, lorsqu’une tache rouge, apparue au loin au cours d’une de ses promenades solitaires, s’avère être un cadavre… Elizabeth George parvient une fois encore à surprendre ses lecteurs, puisque dans cet opus nous ferons connaissance, dans le rôle principal, de l’inspectrice locale Bea Hannaford, un personnage truculent et sympathique : ses conversations privées avec Barbara Havers – qui rejoint son ex-chef au cours de l’enquête - sont des morceaux d’anthologie sur la nature humaine ! Ébranlé dans ses certitudes, Lynley, qui se borne à une aide discrète pour élucider ce crime, nous montre un visage plus compatissant et humble que par le passé, alors que ses rapports souvent conflictuels avec Barbara gagnent en profondeur et en réciprocité.
Egalement disponible en coll. de poche (Pocket, 2009)
00:31 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
14/07/2010
Le poème de la semaine
Jean Cocteau
Je n'aime pas dormir quand ta figure habite,
La nuit, contre mon cou ;
Car je pense à la mort laquelle vient trop vite,
Nous endormir beaucoup.
Je mourrai, tu vivras et c'est ce qui m'éveille!
Est-il une autre peur?
Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille
Ton haleine et ton coeur.
Quoi, ce timide oiseau replié par le songe
Déserterait son nid !
Son nid d'où notre corps à deux têtes s'allonge
Par quatre pieds fini.
Puisse durer toujours une si grande joie
Qui cesse le matin,
Et dont l'ange chargé de construire ma voie
Allège mon destin.
Léger, je suis léger sous cette tête lourde
Qui semble de mon bloc,
Et reste en mon abri, muette, aveugle, sourde,
Malgré le chant du coq.
Cette tête coupée, allée en d'autres mondes,
Où règne une autre loi,
Plongeant dans le sommeil des racines profondes,
Loin de moi, près de moi.
Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,
Par ta bouche qui dort
Entendre de tes seins la délicate forge
Souffler jusqu'à ma mort.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
13/07/2010
In memoriam
Bloc-Notes, 13 juillet / Les Saules
Peu de jeunes lecteurs savent qui était Henri-François Rey, disparu en 1987 à l'âge de 67 ans. Pourtant, de son oeuvre assez inégale, il faut bien le dire, il est triste que La fête espagnole - Prix des Deux Magots 1959 - Les pianos mécaniques - Prix Interralié 1962 - ou encore Les chevaux masqués ne soient plus disponibles, parmi une quinzaine d'autres titres ayant subi le même sort.
Par bonheur, il subsiste encore un roman dans les librairies - un seul! - à mon sens le chef d'oeuvre de son auteur, écrit en 1960 et intitulé La comédie. Il nous raconte l'histoire de Franck, un alcoolique qui, de bar en bar recherche dans l'ivresse l'oubli de ses angoisses, de sa désespérance, de son vide intérieur. Un jour, il rencontre Kim, dont le regard cristallise en lui un possible attachement, peut-être plus durable que les autres. Pourtant, même avec elle, c'est la dérive continuelle, l'abime tout proche qui le précipite en cure de désintoxication. Guéri en apparence, il entreprend un voyage en Espagne où la fête anéantira ses efforts, le replongera dans un univers où, malgré les efforts de Kim, ses humeurs noires et autodestructrices noyées dans l'alcool lui apporteront la paix, définitivement.
Ce récit nous réserve des pages magnifiques, terribles ou bouleversantes sur le mal de Franck: Enfin je sais de quoi je souffre et de quoi je crève. Enfin je suis sûr de moi.C'est encore sournois, mais je sais que quelque chose s'est installé en moi qui va me détruire. Un oiseau a fait son nid à l'intérieur de moi-même. (...) J'ai l'impression de descendre un immense escalier, toujours plus bas, toujours plus profond, encore des marches. En bas, j'entre dans une pièce, il fait bon, il y a une odeur de géranium. Les portes se ferment derrière moi. Je suis tranquille, je suis à l'abri. Je suis sauvé.
L'une de ses dernières crises est décrite avec une lucidité implacable: Ca tremblait devant ses yeux, c'était flou, la table et le bout du lit, et les vêtements sur la chaise de paille. Des petites lueurs comme des cristaux qui dansaient et le narguaient. Des mouches de glace qui se poursuivaient et, derrière, des visages qui se déformaient très vite et devenaient hideux, de la gélatine poisseuse qui coulait. Et les masques défilaient, le regardant, l'épiant. Mais les plus atroces étaient ceux qui détournaient les yeux et faisaient semblant de ne pas le voir.
De cette descente aux enfers subsiste cet écrit poignant auquel un autre - non moins célèbre - fait écho: Le repos du guerrier de Christiane Rochefort, inspiré sans doute de sa relation avec un certain Henri-François Rey...
Henri-François Rey, La comédie (Robert Laffont, 1960)
Christiane Rochefort, Le repos du guerrier (coll.Livre de poche, 1992)
00:44 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, In memoriam, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
09/07/2010
Les pièces de Shakespeare - 4b
La tragédie de Richard III
00:33 Écrit par Claude Amstutz dans Films inoubliables, Littérature étrangère, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |
Les pièces de Shakespeare - 4a
La tragédie de Richard III
Tout comme les trois parties de Henry VI, Richard III fait partie des oeuvres de jeunesse de son auteur. Très populaire, cette oeuvre théâtrale demeure célèbre pour sa première scène: Ores voici l'hiver de notre déplaisir (...) Moi qui suis marqué au sceau de la rudesse et n'ai pas la majesté de l'amour, pour m'aller pavaner devant une impudique nymphe minaudière; moi qui suis tronqué de nobles proportions, floué d'attraits par la trompeuse nature, difforme, inachevé, dépêché avant terme dans ce monde haletant à peine à moitié fait, si boiteux et si laid que les chiens aboient quand je les croise en claudiquant; eh bien, moi, en ce temps de paix alangui à la voix de fausset, je n'ai d'autre plaisir pour passer le temps que d'épier mon ombre au soleil...
Richard ajoute: Si je ne puis être l'amant qui charmera ces jours si beaux parleurs, je suis déterminé à être un scélérat, et à haïr les plaisirs frivoles de ces jours. J'ai tramé des intrigues, de perfides prologues...
Nous voilà fixés sur ses dessins, car sa vengeance sera machiavélique, terrible, sanglante. Ainsi, révolté contre la nature qui ne l'a pas favorisé et avide de pouvoir, il va dresser l'un contre l'autre ses deux frères, le roi Edouard IV et Georges duc de Clarence. Ce dernier sera emprisonné, puis assassiné et jeté dans un tonneau de malvoisie. Au décès du roi - la seule mort naturelle de cette histoire - il fait la cour à Anne, la veuve du prince de Galles, alors qu'elle suit le cercueil de son époux! Devenu régent pendant la minorité d'Edouard V, il complote afin de s'emparer du trône, avec la complicité du duc de Buckingham, et fait enfermer le futur roi ainsi que son frère à la Tour de Londres. Il les fait assassiner, eux aussi. Répudiant sa première femme afin d'épouser sa nièce, il fait ensuite exécuter Buckingham. Il sera finalement rattrapé par son destin, hanté par les fantômes de toutes ces morts qui jalonnent son règne, vaincu et tué au cours de la bataille de Bosworth, par les troupes du futur Henri VII d'Angleterre.
Résumée ainsi, l'intrigue suggère sans ambiguïté que Richard III est l'incarnation du Mal absolu. Vraiment? Méfions-nous, car avec Shakespeare, une vérité en cache souvent une autre, car manipulateur, tyrannique et cynique, Richard III l'est indiscutablement, mais il se joue avec intelligence des mesquineries de la cour, des conflits de famille, des trahisons, des ambitions de ses futures victimes - qui, souvent impopulaires, sans envergure ou changeantes, ne sont pas forcément des anges! - et souligne avec une cruelle ironie les caprices de la fortune, de même que la vanité et l'absurdité du pouvoir, car s'il compose un personnage qu'il s'est délibérément choisi - qui est-il vraiment derrière ses masques? - le roi n'en est pas moins lucide jusqu'au bout de sa folie.
Les cendres de Richard III seront dispersées sans égard ni rituel royal et de nos jours, il n'existe pas même une stèle funéraire célébrant la mémoire de ce roi usurpateur. Pourtant, il demeure l'un des héros les plus connus de Shakespeare, même auprès de ceux qui ne l'ont pas lu. Le mal fascine, vous en conviendrez...
traduit par Jean-Michel Déprats (édition bilingue: Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 2008)
00:20 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
07/07/2010
Le poème de la semaine
Paul Valéry
Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.
Personne pure, ombre divine,
Qu'ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux !... tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !
Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l'apaiser,
A l'habitant de mes pensées
La nourriture d'un baiser,
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d'être et de n'être pas,
Car j'ai vécu de vous attendre,
Et mon coeur n'était que vos pas.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Paul Valéry, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |