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20/08/2010

Issa Makhlouf

Bloc-Notes, 19 août / Les Saules

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Certains livres - fort rares - charment dès les premières lignes, par la pureté de leur style et la qualité de leurs émotions. C'est le cas du roman La vie lente des hommes de Sylvie Aymard (Maurice Nadeau, 2010) déjà évoqué dans ces colonnes, ainsi que de L'embrasure de Douna Loup (Mercure de France, 2010) dont il sera question, très bientôt.

Le livre de ce jour, Lettre aux deux soeurs de Issa Makhlouf, répond aux mêmes critères. En voici le début, d'une beauté à couper le souffle: Paris. La voix de Kathleen Ferrier interprétant "la Passion selon Saint Matthieu" de Bach monte d'un coin éloigné de la salle, quelque part à ma droite. Elle filtre à travers le pâle éclairage et me parvient, ténue, sauf par à-coups où elle s'élève en une vague puissante qui tout aussitôt retombe. Je m'arrête d'écrire et me mets dans son sillage. Elle pénètre partout et, quand le disque s'arrête, elle continue à vibrer et à scintiller telle une lame acérée. Elle me confie ce que la parole peine à exprimer, débarrasse l'âme de sa couverture et lance son appel. Elle oscille, mue, se lève et se couche comme un astre, frappe aux portes fermées, s'insinue dans l'instant qui sépare la pénombre de la clarté.

Telle est l'introduction de cette longue lettre qu'un homme écrit à son amante, espérant par ce biais se découvrir et lui partager ce qu'il n'a jamais pu faire auprès d'une autre personne. Plus tard, il réalisera que sa soeur les a également lues. Deux soeurs : une flamme double. Un jeu de miroirs qui se retrouve également dans le style de l'écriture où la parole est multiple, car l'auteur confond la sienne propre et celle d'autrui, trouvée dans d'autres livres, sur une main peinte clans une grotte préhistorique, sur une toile du Caravage, dans une statue de femme nue au Parc de Bagatelle ou parmi les anges de Giotto.

Véritable hymne à l'amour, à la beauté, à l'harmonie, à la paix, ce texte est à chaque page un enchantement conjugué en deux couleurs: la première exprimée par la lettre elle-même, la seconde - en italique dans le récit - mûrie par la réflexion du narrateur sur la vie, le temps, l'écriture, l'inexprimé, la sagesse:

Je cueille ma rose à même la neige tombant sur les réverbères du sommeil. J'allume le feu de l'attente. Je coupe la folie en deux et dis au chanteur suborneur: Libère ton chant! Des fleuves éternels et provisoires filtrent d'entre tes cuisses croisées comme pour la prière. Et quand tu les ouvres en inspirant profondément, puis quand tu les soulèves comme si tu escaladais l'air, ce dernier gagne en éclat et transparence. Tu dénoues le fil du soir avec les effluves de l'animal qui court autour de toi. Je te marie au soleil. A l'ange en flammes dans tes pupilles. Entre les paroles éthérées et la chair radieuse, je choisis la chair radieuse. De mes deux yeux, je regarde son eau. Je la choisis en sachant ce qu'elle recèle dans son autre versant.

Tout simplement splendide!

Issa Makhlouf, Lettre aux deux soeurs, traduit par Abdellatif Laâbi (José Corti, 2010)

Photo: Thierry Rambaud/IMA

00:29 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Bloc-Notes, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

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