Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/09/2013

Lire les classiques - Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine

66.jpg

O terre, vil monceau de boue
Où germent d'épineuses fleurs,
Rendons grâce à Dieu, qui secoue
Sur ton sein ses fraîches couleurs!
 
Sans ces urnes où goutte à goutte
Le ciel rend la force à nos pas,
Tout serait désert, et la route
Au ciel ne s'achèverait pas.
 
Nous dirions: A quoi bon poursuivre
Ce sentier qui mène au cercueil?
Puisqu'on se lasse en vain à vivre,
Mieux vaut s'arrêter sur le seuil.
 
Mais pour nous cacher les distances,
Sur le chemin de nos douleurs
Tu sèmes le sol d'espérances,
Comme on borde un linceul de fleurs!
 
Et toi, mon cœur, cœur triste et tendre,
Où chantaient de si fraîches voix;
Toi qui n'es plus qu'un bloc de cendre
Couvert de charbons noirs et froids,
 
Ah!laisse refleurir encore
Ces lueurs d'arrière-saison!
Le soir d'été qui s'évapore
Laisse une pourpre à l'horizon.
 
Oui, meurs en brûlant, ô mon âme,
Sur ton bûcher d'illusions,
Comme l'astre éteignant sa flamme
S'ensevelit dans ses rayons!

Alphonse de Lamartine, Les fleurs, dans: Poésies diverses, précédé de: Méditations poétiques et Nouvelles méditations poétiques (coll. Poésie/Gallimard, 2000)

image: Schynige Platte, Oberland Bernois / Suisse (2007)

23:02 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/09/2013

La citation du jour

Lyonel Trouillot

wedding83.jpg

J'ai marché si longtemps à côté de moi-même, en peau de lièvre ou de lézard. Un soir, dans une rue, j'ai croisé une femme, et j'ai voulu lui dire: tu es la beauté même. Mais j'ai pris peur. Il n'y a pas de mérite à aimer la beauté. Pour ne pas l'effrayer, j'ai continué loin d'elle ma dérive ordinaire et vécu avec son image. Si je la croise de nouveau, oserai-je lui dire: C'est comme si toute ma vie je t'avais attendue, non pour te posséder (qui peut prétendre te posséder? La lumière du jour n'appartient à personne...) mais pour nourrir mon chant de ta présence au monde?

Lyonel Trouillot, Parabole du failli (Actes Sud, 2013)

image: lapetitehaiti.files.wordpress.com

11:35 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Le poème de la semaine

Marie Noël

Au mois de mai j’avais le cœur si grand
Que pour l’emplir je me suis en allée
Cherchant l’amour sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on prend…
 
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s’il en reste encore?
L’hiver vient…
 
J’allais, j’allais. Où trouver de l’amour?
Au bas de la côte, au faîte, derrière?
Au fond du bois, au bout de la rivière?
Ici, là-bas, à ce prochain détour?...
 
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
De l’été, sais-tu s’il en reste encore?
L’hiver vient…
 
Quand je le vis, je n’osai pas à temps
M’en approcher ou lui faire une avance;
Je l’attendais ouvrant mon cœur immense…
Il n’est tombé qu’une goutte dedans…
 
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du soleil, sais-tu s’il en reste encore?
L’hiver vient…
 
Est-ce là tout, cette goutte, est-ce tout?
Je voudrais bien recommencer l’année,
La goutte d’eau qui m’était destinée,
Je voudrais bien la boire encore un coup…
 
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Des feuilles, sais-tu s’il en reste encore?
L’hiver vient…
 
Est-ce bien tout?... Peut-être, dans un coin
Que j’oubliai, peut-être avant la neige,
Un peu d’amour encor le trouverai-je,
Peut-être ici, peut-être un peu plus loin…
 
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du bonheur, sais-tu s’il en reste encore?
L’hiver vient...
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

00:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/09/2013

Laurence Tardieu

images.jpgLaurence Tardieu, Un temps fou (Stock, 2009)

 

Assurément, ce roman pourrait difficilement être écrit par un homme. Et de quoi nous parle-t-il ? De la pudeur des sentiments, du temps qui s’étire ou se contracte, du désir et de l’amour, alors que les années passent … Les émotions délicates tout au long du récit, avec des mots justes, déclinent la passion, mais aussi la liberté. L’histoire de Maud – la narratrice - et de Vincent, est touchante comme une vague inattendue de l’océan, réveillant notre intense joie de vivre et d’aspiration au bonheur.


Egalement disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2010)

07:51 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/09/2013

Philippe Jaccottet

b1cd5ca4-15c8-11e1-b82f-9af57c99f8a6.jpgPhilippe Jaccottet, L'encre serait de l'ombre: Notes, proses et poèmes choisis par l'auteur (coll. Poésie/Gallimard, 2011)

Comme autrefois René Char avec Commune présence ou Henri Michaux avec L'espace du dedans, l'auteur nous invite à une promenade au coeur de son oeuvre dont il a lui-même choisit les textes, de 1946 à 2008. En attendant son apparition prochaine dans la prestigieuse Bibibliothèque de la Pléiade, les amoureux des oeuvres de Philippe Jaccottet auront tout le loisir de se persuader qu'il est, aux côtés d'Yves Bonnefoy, l'une des voix les plus importantes de la poésie d'expression française. 

Philippe Jaccottet, en introduction à son anthologie, nous livre un autoportrait très émouvant qui pourrait à lui seul résumer sa démarche d'homme et d'écrivain: Je me redresse avec effort et je regarde: il y a trois lumières, dirait-on. Celle du ciel, celle qui est de là-haut s'écoule en moi, s'efface, et celle dont ma main trace l'ombre sur la page. L'encre serait de l'ombre. Ce ciel qui me traverse me surprend. On voudrait croire que nous sommes tourmentés pour mieux montrer le ciel. Mais le tourment l'emporte sur ces envolées, et la pitié noie tout, brillant d'autant de larmes que la nuit.

30/08/2013

Vendanges tardives - Du vol

Un abécédaire: V comme vol

HPH75pilote-1.jpg

En souvenir de L.D., la soeur de mon père

Il arrive que la réalité dépasse la fiction, dans l'énormité des faits et pourtant, Fred, l'histoire de Valentine adolescente est authentique, je te le jure! Figure-toi, que cette fugueuse - enfermée à double-tour dans sa chambre pour mauvaise conduite, qui escaladait le balcon et sans bruit dévalait le mur de son immeuble, le long des conduites d'eau jusqu'au sol, pour s'en aller guincher - tomba follement amoureuse d'un étranger venu du sud de la France. A tous, elle annonça d'un ton péremptoire qu'elle allait épouser sans délai l'homme de sa vie: un aviateur. Au petit bal du samedi soir, il lui avait en effet avoué qu'il opérait des vols de nuit.

Elle se voyait déjà en marraine d'une escadrille, comme dans le roman de l'écrivain Antoine de Saint-ExupéryTrois pilotes, chacun à l'arrière d'un capot lourd comme un chaland, perdus dans la nuit, méditaient leur vol, et, vers la ville immense, descendraient lentement de leur ciel d'orage ou de paix, comme d'étranges paysans descendent de leurs montagnes.

Or, le tragi-comique de cette aventure de Valentine - confirmé par les journaux de l'époque - fut sa fin brutale. On découvrit quelques jours plus tard, dans la gare de triage voisine, à même les voies de chemin de fer, le corps inanimé d'un homme criblé de balles: son homme, dont on ne put ignorer bien longtemps qu'il était fiché au grand banditisme, recherché par toutes les polices de l'Hexagone, victime d'un règlement de comptes, là, à deux pas de chez nous.

N'empêche que, aujourd'hui mariée à un instituteur comme il faut, elle s'en souvient encore, avec un léger pincement au coeur, comme si c'était hier. Après tout, un braqueur avec le sens de l'humour, ça ne court pas les rues...

Antoine de Saint-Exupéry, Vol de nuit (coll. Folio/Gallimard, 2007)

image: Curtiss H 75 (gc2-4.com)

28/08/2013

Le poème de la semaine

Francis Carco

Les persiennes ouvraient sur le grand jardin clair
Et, quand on se penchait pour se griser à l'air
Humide et pénétré de fraîcheurs matinales,
Un vertige inconnu montait à nos fronts pâles
Et nos cœurs se gonflaient comme un ruisseau grossi,
Car c'était tout un vol de parfums adoucis
Dans l'éblouissement heureux de la lumière:
Les langueurs avaient des langueurs particulières
Où se décomposait une odeur de terreau.
Tout le printemps chantait de l'éveil des oiseaux
Et, dans le déploiement des ailes engourdies,
Passait le grand élan paisible de la vie.
Une rumeur sonore emplissait la maison.
On entendait des bruits d'insectes; des frissons
Faisaient trembler les grappes mauves des glycines
Tandis qu'allègrement des collines voisines
Un parfum de sous-bois arrivait jusqu'à nous.
O matins lumineux! matins dorés et flous,
Je vous respirerai plus tard à la croisée
Et vous aurez l'odeur des feuilles reposées.
Et ce sera comme un très ancien rendez-vous.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

07:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/08/2013

Fatou Diome

fatou_diomc3a9.jpgFatou Diome, Celles qui attendent (coll. Livre de poche/LGF, 2013)

Les conditions de vie difficiles des émigrés dans la clandestinité et l'exil, loin des leurs, ont été souvent abordées en littérature, avec leur cortège d'espoirs, leurs rêves d'eldorados improbables, leurs désillusions au fil du temps qui passe. Les victimes, c'étaient eux, débarqués quelque part au sud de l'Italie ou de l'Espagne. Avec Fatou Diome - et sans atténuer le moins du monde leur chemin de croix - l'originalité du récit de Celles qui attendent tient dans l'évocation de ces femmes qui sont restées au pays. Epouses ou mères, réduites à la dépendance, à l'attente incertaine, au silence, au manque d'amour, à la solitude. 

Cela se passe sur l'île de Niodior, au large du Sénégal, où l'auteur a vu le jour. Arame vit aux côtés d'un mari aigri qu'elle ne s'est pas choisi, qui pourrait être son père, dont la déchéance physique augmente encore ses rancoeurs; son amie Bougna, quant à elle, vit très mal son statut de seconde épouse dont la progéniture ne connaît pas la réussite des enfants de la première. Elles persuadent leurs fils respectifs, Lamine et Issa, que pour leur propre avenir et celui de leurs familles, il leur faut partir en Europe afin de trouver du travail, gagner de l'argent avant de revenir au pays, la réussite au bout de leurs souliers. Pour une durée indéterminée, ils abandonnent ainsi dans l'île leurs épouses, Coumba et Daba...

Chronique sociale autant que portrait de familles attachant qui rettrace avec beaucoup de réalisme et parfois d'humour les contours de ce coin de terre voué à l'indigence, Celles qui attendent est aussi un réquisitoire contre les méfaits de la polygamie et autres manifestations d'une société à l'africaine, construite par et pour les hommes. Fatou Diome, au passage, règle aussi quelques comptes avec cet ailleurs où l'herbe paraît si verte et plein d'espoir, alors que sans éducation ni instruction, on n'y est rien du tout. Enfin, elle pointe du doigt une certaine mentalité européenne en mal d'exotisme, compréhensive mais condescendante dont la fille de porcelaine avec laquelle Issa débarque un beau jour dans lîle, est la plus détestable illustration. 

Servie par une écriture riche en couleurs qui verse rarement dans l'excès ou la complaisance, Fatou Diome cerne avec ardeur et sincérité ce quotidien des femmes et d'un pays, le Sénégal que, malgré quelques coups de griffes, elle aime tant et lui voudrait une perspective d'avenir plus salutaire. 

06:20 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/08/2013

Morceaux choisis - Lyonel Trouillot

Lyonel Trouillot

Lyonel Trouillot.jpg

Le soir d'automne où tu t'es jeté du douzième étage de cette grande ville, la Folle ne souriait pas. Les gamins qui d'habitude n'ont peur de rien évitaient son regard, ils rôdaient autour de la maison sans oser nous aborder, à croire qu'ils savent quand nos poches sont bourrées et quand l'argent nous manque. Tu t'en souviens? Ils nous appellent des riches fauchés, à cause des photos de famille que tu avais amenées un jour, celles, en noir et blanc, sur lesquelles on voit ta mère assise en jeune fille modèle, les mains sagement posées sur sa robe, et tes grands-parents protecteurs et sévères debout en arrière-garde, une maison avec une cour et un jardin, de vieilles photos d'avant ta venue au monde et puis d'autres plus récentes, avec beaucoup de couleurs, sur lesquelles on te voyait toi et tes soeurs, toi sur un vélo portant un chapeau de cow-boy et brandissant une hache indienne, comme si depuis l'enfance tu avais besoin d'être deux personnes en même temps. Rappelle-toi, nous les avions montrées aux enfants du quartier, pour rire, pour poser une énigme en leur demandant lequel de nous c'était, parce qu'aucun de nous trois ne ressemble à son enfance. Ils t'ont reconnu. Ils nous ont fait de beaux sourires avec leurs dents gâtées.

Puis ils nous ont réclamé de l'argent, parce que vous êtes des riches fauchés, mais des riches quand même. Seuls les riches possèdent une famille et des photos pour le prouver qui remontent jusqu'aux grand-parents, et des jouets quand ils étaient petits. Seuls les riches possèdent des livres en quantité et passent des nuits entières à discuter de leur contenu entre copains. Et enfin seuls les riches habitent une maison avec une façade qui donne sur une vraie rue. Les pauvres, ils ont le droit de vivre dans la rue ou dorment dans des maisonnettes qui poussent sur les sentiers comme des herbes folles, grimpent les unes sur le dos des autres, tremblantes mais solidaires, s'accrochent, tombent, se relèvent, pansent leurs blessures comme elles peuvent avec de la chaux et du mastic, ou vivent avec leurs plaies ouvertes, s'appuient de nouveau les unes sur les autres, je te tiens tu me tiens, ne laissent pas de place au secret, se conduisent mal, glissent et sautillent comme des enfants qui ne se fatiguent jamais de jouer à saute-mouton, mais elles connaissent leurs limites, les barrières à ne pas franchir, elles se tiennent toujours derrière et ne changent jamais de quartier, ne donnent pas sur une grande rue. Vous êtes des riches fauchés, sympas parce que toujours fauchés.

Ils se trompent, les gosses, même s'ils sont devenus, à force de chercher à comprendre pour mieux se débrouiller, bien meilleurs sociologues que les doctes. Je n'ai qu'une photo de mes parents. Je l'ai décrochée après leur décès. Elle est dans la malle avec les titres de propriété de notre logis. Des papiers qui ne servent à rien. Le bateau, il est à nous trois. A nous deux, maintenant que tu n'es plus là. Cela n'avait nulle importance, lequel l'avait pris le premier, lequel était le capitaine, mon capitaine... Nous étions trois marins sans titres ni hiérarchie. Nous ne venions pas de la même enfance. Tu arrivais de loin avec tes photos. L'enfance de l'Estropié n'a pas eu droit aux photos. Ni aux jouets. La mienne ne fut pas sans cadeaux, mais c'étaient des urgences, du strict minimum que mes parents avaient fait patienter jusqu'à Noël, pour donner un air de fantaisie à une paire de chaussures neuves, un cahier, un cartable. Contrairement à toi, nous étions très fauchés. Moi quelque part entre les gamins et toi. Entre les corridors et les notables, l'Estropié, à Peau-Noire. Il a un peu bougé. Des corridors à la façade. Toi, tu as traversé la ville pour venir jusqu'à nous.

Quelques jours après ta mort, rien n'a changé dans nos vies et dans le quartier. Sauf qu'il ne reste plus que deux faux riches fauchés. La mort ne commence rien, à part ce sentiment de perte qui habite nos insomnies... 

Lyonel Trouillot, Parabole du failli (Actes Sud, 2013)

03:19 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/08/2013

Le poème de la semaine

Andrée Chedid

Homme de tous lieux
 
Otage des mots 
Violenté par le sort 
Empoigné par le temps
 
Jamais les meutes ne trancheront ton cri 
Aucun traquenard n'asservira ton rêve
 
Homme de tous lieux
 
Dont la voix s'évase 
Vers la houle du chant
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle