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13/07/2013

La citation du jour

Jean Cocteau

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La faculté de rire aux éclats est preuve d'une âme excellente. Je me méfie de ceux qui évitent le rire et refusent son ouverture. Ils craignent de secouer l'arbre, avares qu'ils sont de fruits et d'oiseaux, craintifs qu'on s'aperçoive qu'il ne s'en détache pas de leurs branches.

Jean Cocteau, La difficulté d'être (coll. Livre de poche/LGF, 2011)

image: Amedeo Modigliani, Jean Cocteau (1919)

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/07/2013

Morceaux choisis - Kim Thuy

Kim Thuy

KimThuy.jpg

Maman et moi, nous ne nous ressemblons pas. Elle est petite, et moi je suis grande. Elle a le teint foncé, et moi j'ai la peau des poupées françaises. Elle a un trou dans le mollet, et moi j'ai un trou dans le coeur.

Ma première mère, celle qui m'a conçue et mise au monde, avait un trou dans la tête. Elle était une jeune adulte, ou peut-être encore une fillette, car aucune femme vietnamienne n'aurait osé porter un enfant sans porter un jonc au doigt.

Ma deuxième mère, celle qui m'a cueillie dans un potager au milieu des plants d'okra, avait un trou dans la foi. Elle ne croyait plus aux gens, surtout quand ils parlaient. Alors elle s'est retirée dans une paillote, loin des bras puissants du Mékong, pour réciter des prières en sanscrit.

Ma troisième mère, celle qui m'a vue tenter mes premiers pas, est devenue Maman, ma Maman. Ce matin-là, elle a voulu ouvrir ses bras à nouveau. Alors, elle a ouvert les volets de sa chambre, qui jusqu'à ce jour étaient restés fermés. Au loin, dans la lumière chaude, elle m'a vue et je suis devenue sa fille. Elle m'a donné une seconde naissance en m'élevant dans une grande ville, un ailleurs anonyme, au fond d'une cour d'école, etourée d'enfants qui m'enviaient d'avoir une mère enseignante et marchande de bananes glacées.

Chaque matin, très tôt, avant le début des classes, nous faisions les courses. Nous commencions par la marchande de noix de coco matures, celles qui sont riches en chair et pauvres en jus. La dame nous râpait la première moitié de la noix à l'aide d'une capsalu récupérée sur une bouteille de boisson gazeuse et fixée au bout d'un bâton plat. De grandes lamelles tombaient en frise décorative comme des rubans sur la feuille de bananier étalée sur le kiosque. Cette marchande parlait sans cesse et posait toujours la même question à Maman: Qu'est-ce que vous lui donnez à manger pour qu'elle ait des lèvres si rouges? Pour éviter sa remarque, j'avais pris l'habitude de retourner mes lèvres vers l'intérieur, mais la vitesse à laquelle elle râpait la seconde moitié de la nix me fascinait tant que je l'observais toujours avec la bouche entrouverte. Elle mettait son pied sur une longue spatule en métal noir dont une partie du manche était posée sur un petit banc en bois. Sans regarder les dents pointues du bout arrondi de la spatule, elle émiettait la chair en grattant la noix avec la rapidité d'une machine.

La chute des miettes par le centre troué de la spatule ressemble peut-être au vol des flocons de neige au pays du Père Noël, disait toujours Maman, qui en fait citait sa mère. Elle faisait parler sa mère pour l'entendre de nouveau.

Kim Thuy, Man (Liana Levi, 2013)

image: Sylvie Biscioni, Kim Thuy (franceinter.fr)

15:43 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Le poème de la semaine

Guillevic

Regardez une fois de plus
Les arbres s'habiller de vert,
 
Occuper plus d'espace,
Tendre leurs branches.
 
Regardez-les s'offrir
A la joie de la vie,
 
De cette vie que l'hiver
Trouve inguérissable.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

01:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/07/2013

Georges Simenon

littérature: récit; livresGeorges Simenon, Les mémoires de Maigret (Coll. Livre de poche, 1997)

C'était en 1927 ou 1928. Je n'ai pas la mémoire des dates et je ne suis pas de ceux qui gardent soigneusement des traces écrites de leurs faits et gestes, chose fréquente dans notre métier, qui s'est avérée fort utile à quelques-uns et même parfois profitable. Et ce n'est que tout récemment que je me suis souvenu des cahiers où ma femme, longtemps à mon insu, voire en cachette, a collé les articles de journaux qui me concernaient.

Essentiel pour comprendre l’univers de Simenon, ce roman insolite, tout à fait à part dans son oeuvre, met en scène… Simenon lui-même – sous le nom de Georges Sim, son pseudonyme de jeune écrivain – et Maigret ! Une fantaisie à deux voix où se mêlent la démystification du - roman - policier, la pratique de l’auto-dérision et les réflexions sur la complexité de la vie.

00:28 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Simenon, Littérature francophone, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/07/2013

Morceaux choisis - Christian Bobin

Christian Bobin

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merci à Christiane H

La légèreté, elle est partout, dans l’insolente fraîcheur des pluies d’été, sur les ailes d’un livre abandonné au bas d’un lit, dans la rumeur des cloches d’un monastère à l’heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d’une lumière au détour d’un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets le soir, dans une fine touche de bleu, bleu pâle, bleu violet, sur les paupières d’un nouveau-né, dans la douceur d’ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l’instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant au sol et dans la maladresse d’un chien glissant sur un étang gelé, j’arrête là, la légèreté , vous voyez bien, elle est partout donnée. Et si en même temps, elle est rare, d’une rareté incroyable, c’est qu’il nous manque l’art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.

Christian Bobin, La folle allure (coll. Folio/Gallimard, 1997)

image: http://cdn1.albayan.ae

05:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/07/2013

Le poème de la semaine

Paul Eluard

Je t'aime pour toutes les femmes
Que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tout le temps
Où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large
Et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond
Pour les premières fleurs
Pour les animaux purs
Que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes
Que je n'aime pas
 
Qui me reflète sinon toi-même
Je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien
Qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts
Que j'ai franchies
Sur de la paille
Je n'ai pas pu percer
Le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre
Mot par mot la vie
Comme on oublie
 
Je t'aime pour ta sagesse
Qui n'est pas la mienne
Pour la santé je t'aime
Contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce cœur immortel
Que je ne détiens pas
Que tu crois être le doute
Et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil
Qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

02/07/2013

La citation du jour - S.Corinna Bille

S. Corinna Bille

Corinna Bille.jpg

J’écoute dans un coquillage la voix de mon amour. Il parlera jusqu’à la fin du monde à mon corps redevenu blanc coquillage.

S. Corinna Bille, Le goût du rocher (Empreintes, 1997)

image: S. Corinna Bille (musee-olsommer.ch)

02:26 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/07/2013

Lire les classiques - François de Malherbe

François de Malherbe

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Beauté de qui la grâce étonne la nature,
Il faut donc que je cède à l'injure du sort,
Que je vous abandonne, et loin de votre port
M'en aille au gré du vent suivre mon aventure.
 
Il n'est ennui si grand que celui que j'endure:
Et la seule raison qui m'empêche la mort,
C'est le doute que j'ai que ce dernier effort
Ne fût mal employé pour une âme si dure.
 
Caliste, où pensez-vous? qu'avez-vous entrepris?
Vous résoudrez-vous point à borner ce mépris,
Qui de ma patience indignement se joue?
 
Mais, ô de mon erreur l'étrange nouveauté,
Je vous souhaite douce, et toutefois j'avoue
Que je dois mon salut à votre cruauté.

François de Malherbe, Poésies (coll. Poésie/Gallimard, 1997)

image: Elisabeth Louise Vigée-Lebrun, La baigneuse (s644.photobucket.com)

08:38 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/06/2013

Morceaux choisis - Paul Fort

Paul Fort

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- Ecureuil du printemps, écureuil de l'été,
qui domines la terre avec vivacité,
que penses-tu 
là-haut de notre humanité?
 
- Les hommes sont des fous
qui manquent de gaîté.
 
- Ecureuil, queue touffue, doré trésor des bois, 
ornement de la vie et fleur de la nature,
juché sur ton pin vert,
dis-nous ce que tu vois?
 
- La terre qui poudroie sous des pas
qui murmurent.
 
- Ecureuil voltigeant, frère du pic bavard,
cousin du rossignol, ami de la corneille,
dis-nous ce que tu vois
par delà nos brouillards?
 
- Des lances, des fusils
menacer le soleil. 
 
- Ecureuil, cul à l'air, cursif et curieux,
ébouriffant ton col et gloussant un fin rire,
dis-nous ce que tu vois
sous la rougeur des cieux? 
 
- Des soldats, des drapeaux
qui traversent l'empire. 
 
- Ecureuil aux yeux vifs, pétillants,
noirs et beaux, humant la sève d'or,
la pomme entre tes pattes,
que vois-tu sur la plaine autour de nos hameaux?
 
- Monter le lac de sang
des hommes qui se battent. 
 
- Ecureuil de l'automne, écureuil de l'hiver,
qui lances vers l'azur, avec tant de gaîté,
ces pommes...
que vois-tu? 
 
Demain tout comme Hier. 
 
Les hommes sont des fous
et pour l'éternité.
 

Paul Fort, L'écureuil, dans: Ballades du beau hasard - Poèmes inédits et autres poèmes (coll. GF/Flammarion, 2009)

image: Les Saules / Cologny (2013)

 

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27/06/2013

Morceaux choisis - Jean-Pierre Lemaire

Jean-Pierre Lemaire

Jean-Pierre Lemaire.jpg

Le soleil de Pau
découpe dans les murs successifs des années
des trous circulaires
à travers lesquels tu vois se parler
la mère et la fille en robes de mariée,
Eurydice âgée et la jeune ménade
qui lui rapporte enfin la tête d'Orphée;
il chante à nouveau sur le mode majeur
en respirant l'odeur résineuse des Landes.
Il entend de loin le choeur de l'océan
avec toutes ses voix étagées dans le temps,
formidables déjà
comme les trompettes qui proclameront
à la fin sur les toits
ce qu'au fil des jours, dans l'ombre des maisons,
aura murmuré la fidélité.
 

Jean-Pierre Lemaire, Choral, dans: Faire place (Gallimard, 2013)

22:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |