29/07/2013
Vendanges tardives - De la rupture
Un abécédaire: R comme Rupture
Tout le problème avec Odette, c'est qu'elle n'a jamais justifié sa décision de tout plaquer, là, un beau jour de juillet voici trois ans exactement. Du coup, les rumeurs les plus fantaisistes ont circulé à son sujet: déception amoureuse, maladie contractée au cours de sa brève carrière, crise existentielle à l'approche de la trentaine? Quand je fais parfois allusion à son amitié, je me souviens que, sans être d'une beauté flamboyante, elle dégageait cette sensualité si particulière - à la commissure des lèvres, dans les plis de ses yeux où perçait une gaieté discrète ainsi qu'une absence de crainte et d'innocence - semblable à la houle charriant ces mouvements de l'âme propres aux femmes hardies et déterminées. Avec pourtant ce mur infranchissable qu'elle avait dressé entre sa vie privée dont peu m'était connu et celle, publique: banale, mesurée, conventionnelle, chez une jeune femme de son âge. Sa silhouette se détachait toujours dans les rues de Brive La Gaillarde, solitaire, drapée dans une cape noire dont les mauvaises langues disaient qu'elle n'abritait pas - outre ses bijoux et ses escarpins made in Italy - de parure excessive...
Je ne lui a connu aucune liaison amoureuse officielle, mais toutes et tous semblent l'avoir regrettée - jeunes et moins jeunes - au pays où jamais elle ne refit son apparition. Voici une quinzaine de jours, j'ai reçu - pour la troisième fois en trois ans - de ses nouvelles. Elle vit aujourd'hui quelque part dans les Cévennes, à proximité d'un monastère, avec ses chats et ses livres, cet autre penchant qu'elle a toujours éprouvé. Epanouie dirais-je, libre et secrète comme autrefois. Je ne t'en dirai pas davantage, mon cher Fred, sinon qu'elle a conservé dans un écrin ce ruban rouge qu'elle portait autour du cou et que je lui avais offert pour son vingt-cinquième anniversaire. Me reviennent aussi en mémoire ses derniers mots, tracès à la hâte en bas de page de sa dernière lettre, signés Marcel Proust: Quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir...
Marcel Proust, Du côté de chez Swann (coll. GF/Flammarion, 2009)
image: www.aufeminin.com
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Marcel Proust, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (2) | |
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28/07/2013
Morceaux choisis - Marcel Proust
Marcel Proust
merci à Christiane H
Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne connaissons pas qu'elle vient de nous.
Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs (coll. Livre de poche/LGF, 2001)
image: Pablo Picasso, Femme à la chemise / 1905 (berbec.com)
10:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Marcel Proust, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |
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27/07/2013
La citation du jour
René Char
Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et se pressent, les mots font de même. Nous devons seulement les empêcher de s'écraser comme les larmes, ou de refouler au plus profond. Un lit en premier les accueille: les mots rayonnent. Un poème va bientôt se former, il pourra, par les nuits étoilées, courir le monde, ou consoler les yeux rougis. Mais pas renoncer.
René Char, Le bâton de rosier, dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1983)
image: Katy Betz, Take Flight (mesalina.tumblr.com)
22:34 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |
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26/07/2013
Lire les classiques - Paul Verlaine
Paul Verlaine
Paul Verlaine, Va, chanson, à tire-d’aile, dans: La bonne chanson, Jadis et naguère, Parallèlement (coll. Poésie/Gallimard, 2007)
image: Eugène Carrière, Paul Verlaine / 1891 (eugenecarriere.com)
11:04 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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24/07/2013
Le poème de la semaine
Ilarie Voronca
Rien n’obscurcira la beauté de ce mondeLes pleurs peuvent inonder toute la vision.La souffrance peut enfoncer ses griffes dans ma gorge.Le regret, l'amertume, peuvent élever leurs murailles de cendre,La lâcheté, la haine, peuvent étendre leur nuit,Rien n'obscurcira la beauté de ce monde. Nulle défaite ne m'a été épargnée.J'ai connu le goût amer de la séparation.Et l'oubli de l'ami et les veilles auprès du mourant.Et le retour vide, du cimetière.Et le terrible regard de l'épouse abandonnée.Et l'âme enténébrée de l'étranger,Mais rien n'obscurcira la beauté de ce monde. Ah! On voulait me mettre à l'épreuve,Détourner mes yeux d'ici-bas.On se demandait : "Résistera-t-il?"Ce qui m'était cher m'était arraché.Et des voiles sombres, recouvraient les jardins à mon approcheLa femme aimée tournait de loin sa face aveugleMais rien n'obscurcira la beauté de ce monde. Je savais qu'en dessous il y avait des contours tendres,La charrue dans le champ comme un soleil levant,Félicité, rivière glacée, qui au printempsS'éveille et les voix chantent dans le marbreEn haut des promontoires flotte le pavillon du ventRien n'obscurcira la beauté de ce monde. Allons! Il faut tenir bon.Car on veut nous tromper,Si l'on se donne au désarroi on est perdu.Chaque tristesse est là pour couvrir un miracle. Un rideau que l'on baisse sur le jour éclatant,Rappelle-toi les douces rencontres, les serments,Car rien n'obscurcira la beauté de ce monde. Il faudra jeter bas le·masque de la douleur,Et annoncer le temps de l’homme, la bonté,Et les contrées du rire et la quiétudeJoyeux, nous .marcherons vers la dernière épreuveLe front dans la clarté, libation de l'espoir,Rien n'obscurcira la beauté de ce monde.Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:57 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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20/07/2013
Françoise Baqué
Françoise Baqué, Celle qui détricotait sa vie (Jacqueline Chambon, 2009)
La mort brutale de Nicole, son amie d'enfance, frappe Florence de plein fouet. Tandis que la télévision montre la chute du mur de Berlin, un mur cède à l'intérieur d'elle-même, livrant passage aux monstres jusque-là tenus en respect par la vitalité de Nicole. Elle se décide alors à consulter Ida, une thérapeute un peu suspecte qui habite Mer, petite ville terne et envoûtante...
Florence a toujours vécu à travers le regard des autres. A travers ce deuil, les repères s’évanouissent, sans crier gare. Temps de la souffrance et de malheur, ce moment du milieu de la vie est aussi celui de toutes les interrogations. Il met le cœur à nu afin de mieux le délivrer des fantômes qui l’habitent, au risque d’égratigner les certitudes du passé et les souvenirs. Une ambiance particulière pour ce récit austère, un brin mystique, résolument original.
03:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |
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19/07/2013
Morceaux choisis - André Velter
André Velter
André Velter, Hors de tout, dans: Avec un peu plus de ciel (Gallimard, 2012)
18:45 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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Jacques Chessex
Jacques Chessex, Le vampire de Ropraz (Grasset, 2007)
En 1903 à Ropraz, dans le Haut-Jorat vaudois, la fille du juge de paix meurt à vingt ans d'une méningite. Un matin, on trouve le couvercle du cercueil soulevé, le corps de la virginale Rosa profané, les membres en partie dévorés. Horreur. Stupéfaction des villages alentour, retour des superstitions, hantise du vampirisme, chacun épiant l'autre au cœur de l'hiver. Puis, à Carrouge et à Ferlens, deux autres profanations sont commises. Il faut désormais un coupable. Ce sera le nommé Favez, un garçon de ferme aux yeux rougis, qu'on a surpris à l'étable. Condamné, emprisonné, soumis à la psychiatrie, on perd sa trace en 1915.
A la fois historien soucieux de vérité et conteur incomparable, Jacques Chessex nous offre l’un de ses textes les plus personnels. Les descriptions du Haut Jorat sont magnifiques et sa saisissante évocation nous aspire littéralement dans cette terrible histoire jaillie du silence, des secrets de famille et du sang, porteuse d’une intolérable soif de jugement. Que cache la vérité ? Une interrogation constante dans les œuvres de l’auteur.
également disponible en format de poche (coll. Livre de poche/LGF, 2008)
05:47 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |
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17/07/2013
Le poème de la semaine
Jean Tardieu
D'où (lentement) vient ce qui vient? D'où émerge ce qui s'élève? D'où sort vivement ce qui veut, ce qui veut être et veut être visible? J'assiste je ne sais pasqui voit qui est vu qui gronde qui se taitqui demeure qui se dispersebrille par ici s'éteint là-bas Ce qui veut êtreest-ce moi qui ne suis plus?Ce qui est tenu n'est pas entenduCe qui devait venir n'est pas venuCe peu de chose n'est rien. Mais l'ombre et la lumière (que je connais bien)tournent autour l'un de l'autreformant au regard maints objets pleinspar exemple le silence d'une plantepar exemple le poids d'une pierreou un simple mouvementqui va qui s'éloigne qui revientpendant que je me tiens debout Quelquefois je marche et ne dis rien. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
08:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |
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15/07/2013
Françoise Baqué
Bloc-Notes, 15 juillet / Curio - Les Saules
Arthur Vergobret, gardien prédestiné du château de Varendes, est convié par la mairie du lieu à assurer la visite culturelle de ce domaine à un groupe de non-voyants composé d'hommes, de femmes et d'enfants, tous munis d'appareils photo, certains arborant des lunettes noires, d'autres n'offrant au regard que leurs yeux semblables à des oeufs écalés. Ils ne peuvent voir, mais sont-ils capables d'entendre? Ainsi commence le nouveau roman de Françoise Baqué, Ce fanal obscur.
La tentation est grande de classer d'emblée ce texte parmi les écrits fantastiques ou gothiques, à l'image de ce rescapé du temps des cendres, espérant le retour du paradis perdu, conscient d'être sans doute le dernier homme sur terre encore capable de penser et d'évoquer le désastre qui a balayé les hommes. Mais on aurait tort de réduire Ce fanal obscur à cette unique dimension plutôt tendance, car le livre de Françoise Baqué ouvre sur bien d'autres perspectives. Ainsi la mémoire des objets et des vieux livres en particulier: Dans les livres, nous étions chez nous, dit Arthur Vergobret, soucieux de préserver ces trésors à l'âge du numérique: Regardez-les. Ils enferment côte à côte les rêves d'un individu, les regrets d'un autre, la description qu'un tel fit de tel fragment du monde visible ou invisible, les idées que tel autre conçut d'un fragment à peine plus grand et qu'il prenait pour le tout. Ils sont serrés les uns contre les autres, leurs odeurs se mêlent, mais bien qu'ils soient remplis de mots ils n'en échangent pas un seul.
Les livres sont au coeur de ce monologue surgi de la nuit des temps, témoins d'un monde où, dirait-on, Arthur Vergobret n'a su trouver sa place: Les livres dessinaient dans mon esprit les contours d'un autre monde qui sans doute, plein de fureurs, de sang, de joies fugitives et de malheurs inimaginables de notre temps, n'était pas plus enviable mais me paraissait au moins plus intéressant. Nostalgique de tout ce qui est voué à la disparition, scrutant les brumes du passé et retiré de cet univers dans lequel il se sent étranger, le voici qui observe: Oui, le vide a un poids, il est très lourd, écrasant même. A quoi rime la mesure d'un temps qui ne va nulle part, verdoiement posthume d'une tige coupée?
Maintenant le monde se tait. Il ne m'envoie plus de signaux d'aucune sorte. Ce n'est pas le silence, oh non, les animaux font beaucoup de bruit, le vent et la pluie aussi, et vous ne sauriez croire combien les végétaux eux-mêmes sont sonores, la nuit je les entends pousser, craquer, se donner l'assaut dans leurs luttes impitoyables; et la terre, et les pierres, l'eau et le sable du fleuve ne cessent de bruire. Mais de tous ces sons, aucun ne m'est destiné, dit encore Arthur Vergobret.
Si les passages consacrés à l'histoire du château de Varendes souffrent de longueurs ou de répétitions, il n'en demeure pas moins que le roman de Françoise Baqué nous interpelle: Nous avons peu à peu échangé tous nos pouvoirs spirituels contre une puissance matérielle. L'humain volant grâce aux engins qu'il a fabriqués ne sera jamais l'égal de l'oiseau, en revanche il a abdiqué ce qui le rendait supérieur à l'oiseau: le vol sans limites de l'esprit.
Sans épouser la mélancolie du gardien de ce château, prisonnier du passé et désillusionné devant l'avenir, prenons Ce fanal bleu - un dernier inventaire avant liquidation - qui baigne dans une atmosphère à la Henry James, comme un phare dans la nuit qui voudrait murmurer aux uns: prends garde! et aux autres: la commedia è finita!
Ce fanal m'attire, je marche vers lui, mais à mon approche sa lumière se voile étrangement. Non qu'elle faiblisse, mais la source en devient noire, et au lieu d'éclairer les alentours il y jette, comme un rire, de grands éclats de ténèbres...
Agrégée de lettres et traductrice, Françoise Baqué a publié L'intérieur du désert (Seuil, 1968), Exister le moins possible (Jacqueline Chambon, 2007) et Celle qui détricotait sa vie (chez le même éditeur, 2009). Ce dernier titre a déjà été présenté dans ces colonnes.
Françoise Baqué, Ce fanal obscur (Jacqueline Chambon, 2013)
09:47 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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