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21/11/2013

André Pieyre de Mandiargues

9782070719907.gifAndré Pieyre de Mandiargues, Le musée noir (Coll. Imaginaire/Gallimard, 1990)

Marceline Caïn: on eût dit qu'elle était mêlée de cendre, de sable et de sang. À quatorze ans, elle n'aimait rien ni personne qu'un gros lapin jaune-orange, touffu, qu'elle appelait Souci. Tous les matins, en cette fin de printemps déjà brûlante, Marceline à peine vêtue et lavée courait ouvrir la porte découpée dans le flanc de la caisse où l'on mettait à dormir Souci pendant la nuit. Et la douceur inaugurale par laquelle elle faisait commencer chaque jour de sa vie était de précipiter la tête et les deux bras à l'intérieur de cette caisse chaude, où les derniers relents de tabac disparaissaient sous une quantité d'effluves domestiques qui, tous ensemble, font la véritable odeur de lapin...

Atmosphère lourde, sensuelle, voire inquiétante pour ces nouvelles dont Le sang de l’agneau est l’une des plus achevées. Par un des meilleurs auteurs français modernes, à l’univers proche du fantastique, mêlant les symboles de la vie, du sexe et de la mort avec l’exercice d’une beauté de la langue incomparable.

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/11/2013

Le poème de la semaine

Pierre Reverdy

La vie est simple et gaie
Le soleil clair tinte avec un bruit doux 
Le son des cloches s'est calmé 
Ce matin la lumière traverse tout 
Ma tête est une lampe rallumée
Et la chambre où j'habite est enfin éclairée
 
Un seul rayon suffit
Un seul éclat de rire
Ma joie qui secoue la maison 
Retient ceux qui voudraient mourir 
Par les notes de sa chanson
             
Je chante faux
Ah que c'est drôle
Ma bouche ouverte à tous les vents 
Lance partout des notes folles 
Qui sortent je ne sais comment 
Pour voler vers d'autres oreilles
           
Entendez je ne suis pas fou
Je ris au bas de l'escalier 
Devant la porte grande ouverte 
Dans le soleil éparpillé 
Au mur parmi la vigne verte
Et mes bras sont tendus vers vous
 
C'est aujourd'hui que je vous aime.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

16/11/2013

La citation du jour

Maurice Zundel

fleurs-des-champs-fleurs-af1140T650.jpg

Qu'est-ce que la vie? Quelle mystérieuse solidarité fait concourir à son éclosion la terre, qui la porte et la nourrit, l'air qui la vivifie, la lumière qui la colore, le rythme des saisons et la cadence des astres? Tout l'univers collabore ici par des milliers de liens, dont ma raison ne peut même concevoir le dénombrement. Mais tout cet immense engrenage est aveugle, mais toute cette beauté qui s'offre à moi avec tant de grâce exquise s'ignore elle-même. Capable d'éveiller en moi tant de pensées elle est sans pensée elle-même. Suscitant ma tendresse, elle est sans amour. Le chef-d'oeuvre est aveugle; si chargé d'intelligibilité pourtant, il révèle l'intelligence qui l'a conçu. Une pensée divine s'incarne ici, la tendresse créatrice se penche sur la petite fleur: Dieu l'aime.

Maurice Zundel, A l'écoute du silence (Téqui, 2011)

image: Emmanuel Steffan (http://h2.mabellephoto.com)

13/11/2013

Le poème de la semaine

Paul Claudel

merci à Marie-Elisabeth C

Paul, il nous faut partir pour un départ plus beau!
Pour la dernière fois, acceptant leur étreinte,
J'ai des parents pleurants baisé la face sainte.
Maintenant je suis seul sous un soleil nouveau.
 
Tant de mer, que le vent lugubre la ravage,
Ou quand tout au long du long jour l'immensité
S'ouvre au navigateur avec solennité,
Traversée, et ces feux qu'on voit sur le rivage,
 
Tant d'attente et d'ennui, tant d'heures harassées,
L'entrée au matin au port d'or, les hommes nus,
L'odeur des fleurs, le goût des fruits inconnus,
Tant d'étoiles et tant de terres dépassées
 
Ici cet autre bout du monde blanc et puis
Rien! de ce cœur n'ont réfréné l'essor farouche.
Cheval, on t'a en vain mis le mors dans la bouche.
Il faut fuir! Voici l'astre au ciel couleur de buis.
 
Voici l'heure brûlante et la nuit ennuyeuse!
Voici le Pas, voici l'arrêt et le suspens.
Saisi d'horreur, voici que de nouveau j'entends
L'inexorable appel de la voix merveilleuse.
 
L'espace qui reste à franchir n'est point la mer.
Nulle route n'est le chemin qu'il me faut suivre;
Rien, retour, ne m'accueille, ou, départ, me délivre.
Ce lendemain n'est pas du jour qui fut hier.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

07:58 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/11/2013

François Mauriac

9782253002925.gifFrançois Mauriac, Genitrix (Coll. Livre de poche, 1967)

 

Mathilde Cazenave morte, sa belle-mère jubile; elle va pouvoir reconquérir totalement son fils bien-aimé. Félicité a tort de se réjouir trop vite car sur le visage apaisé de la jeune morte, Fernand entrevoit ce qu'aurait pu être le bonheur avec Mathilde. Qui l'a empêché de s'entendre avec elle sinon sa mère? Vieil enfant égoïste et gâté, il se retourne alors contre cette genitrix coupable de l'avoir trop choyé. Défaite temporaire dont François Mauriac analyse les phases avec une lucidité sans complaisance dans ce roman âpre et poignant. L’un des plus beaux romans de Mauriac! L’histoire de Fernand, en porte à faux entre sa mère dominatrice et son épouse sur le point de mourir, partageant leur vie sous un même toit, baigne dans une atmosphère plus cruelle que dans Le noeud de vipères et moins désespérée que dans Le sagouin, et le style éblouissant de Génitrix séduit comme au jour de sa parution!

08:50 Écrit par Claude Amstutz dans François Mauriac, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/11/2013

Morceau choisis - Marcelle Delpastre

Marcelle Delpastre

littérature; poésie; anthologie; livres

L’ai-je dit ?
Je l’ai dit souvent. Je le redirai.
 
Je suis l’arbre et le sable. La pierre.
Je n’ai guère fleuri ni porté de fruit.
Le feuillage ne me pesait guère.
Et sûrement qu’elle est perdue, la graine de ma race.
Mais ce que j’ai chanté je l’ai chanté.
Et ce que j’aurai dit sera dit.
 
Si je ne l’ai pas labourée, ma terre, je l’ai chantée.
Si je l’ai mal fauchée, j’ai parlé de ses fruits.
Pas une herbe au talus que je n’aie respirée,
Le moindre souffle d’air, j’en ai loué le bruit.
 
Ma terre, mon pays, la parcelle et le pré, la haie, le taillis.
L’eau, la fontaine, la rigole.
L’étang, le ruisseau, la forêt. L’arbre, sa feuille, l’écorce.
La graine, la fleur.
 
Pays proche, pays lointain.
Le fleuve, la source, la mer hauturière.
Et la neige, la brume,
Le soleil qui se lève et le blé qui fleurit.
Les vignes que je n’ai pas vues, et le vin dans la cave,
Le vin que je n’ai pas bu.
Terre ronde entre les bords du ciel, courbe, vallée,
Et la haute montagne et le pays de plaine, et la profonde mer,
Terre, t’ai-je chantée?
 
Ma terre abandonnée à la sauvagine,
Les genêts qui t’ont nourrie, les longues ronces
–terre de ce pays –
Terre de toute la terre, rongée des hommes et des rats,
De sel et de colère
– terre qui roule toute seule au ciel comme une lune morte –
Et la lune et les étoiles,
   Qui sont terre semblable,
Autre terre
– et le feu, ce qui éclate, ce qui luit –
Ce qui hurle dans le silence
– et ce qui ne dit rien –
Et toi même, homme vivant, chair tendre, âme droitière
Ne t’ai-je pas chantée, quand même!
 
Que vous êtes ma voix, ma parole.
Et que je suis le sang de votre sang.
Voici mon fruit, voici ma fleur.
Et mon feuillage.
 
Je l’ai dit. Je l’ai dit souvent.
Aussi longtemps que j’aurai un souffle de vie
je le dirai encore.

Marcelle Delpastre, Mon feuillage, dans: Les petits recueils (Lo Chamin de Sent Jaume/Meuzac, 2001)

image: Cologny / Suisse (2013)

14:30 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/11/2013

Voyage en Suisse

11.jpgUn voyage en Suisse - Récits des Cantons, édités par Dirk Vaihinger et traduits par François Conod (Campiche, 2013)

25 récits de 25 cantons, par 25 écrivains différents, publiés au cours des 25 dernières années: tel est le formidable travail entrepris par Dirk Vaihinger qui, en langue allemande, a déjà édité Les plus beaux poèmes de la Suisse et Les plus beaux contes de la Suisse qui, tous les deux je l'espère, seront un jour traduits en langue française.

Si quelques noms familiers figurent parmi les auteurs de cette anthologie - Anne Cunéo, Alexandre Voisard, Anne-Lise Grobéty, Peter Bichsel, Alberto Nessi, Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Thomas Hürlimann ou Charles Lewinsky - les autres sont, pour la plupart, de vraies découvertes et, comme les cristaux d'un kaléidoscope, réunis dans ce volume, ils dressent un tableau riche en couleurs de cette Suisse débarrassée en la circonstance de ses caricatures, poncifs ou autres fanfaronnades.

A coup sûr, tous les instituteurs de Suisse Romande, surtout s'ils enseignent les lettres, devraient s'empresser de lire cet ouvrage - et de l'inscrire à leur programme - non seulement parce que les textes ou extraits présentés ressemblent à une gourmandise aux multiples parfums, mais témoignent aussi - surtout auprès des jeunes - de l'indispensable ouverture sur l'étranger en Suisse: je veux dire les écrivains qui ne s'expriment pas en langue française, mais en allemand, en romanche, en italien, près de chez nous, et qui ont tant de beautés à nous partager: pas seulement en littérature, soit dit en passant...

07/11/2013

Karin Tuil

KT.jpgKarin Tuil, Douce France (Grasset, 2007) 

 

Une jeune femme sans histoire est arrêtée par erreur avec des immigrés clandestins. Au lieu de protester, mi-fascinée, mi-voyeuse, elle endosse l'identité d'une Roumaine sans-papiers et devient la prisonnière involontaire d'un centre de rétention administrative de la région parisienne. Elle découvre alors un autre monde : tour de Babel des langues, machine bureaucratique, attente effrayée de la décision du juge: libération ou renvoi au pays.


Ce voyage de l’intérieur d'une femme, à la faveur d'un malencontreux concours de circonstances, est dépourvu de clichés ou de banalités. Il est aussi une réflexion émouvante sur les siens, leurs racines, leur terre. Le contexte – Paris – n’a aucune importance et l’ailleurs évoqué pourrait tout aussi bien être ici


également en coll. Livre de poche (LGF, 2008)

06:46 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

06/11/2013

Le poème de la semaine

Philippe Jaccottet

Tu es ici, l'oiseau du vent tournoie
toi, ma douleur, ma blessure, mon bien
De vieilles tours de lumières se noient
et la tendresse entr'ouvre ses chemins
 
La terre est maintenant notre patrie
Nous avançons entre l'herbe et les eaux
de ce lavoir où nos baisers scintillent
à cet espace où foudroie la faux
 
"Où sommes nous?"
Perdus dans le coeur de la paix.
Ici, plus rien ne parle
que sous notre peau, sous l'écorce et la boue,
 
avec sa force de taureau,
le sang fuyant qui nous emmêle et nous secoue
comme ses cloches mûres sur les champs.

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

05/11/2013

Vendanges tardives - De Yllana

Un abécédaire: Y comme Yllana

6.jpg

Tous les matins, invariablement, qu'il pleuve ou qu'il vente, je vois passer Yllana, dos courbé sous mes fenêtres, avec ses papiers sous le bras, avant de se tenir pour la journée, à l'entrée du supermarché de mon quartier, proposant pour la somme modique de deux euros, le journal Sans Abri, consacré à la lutte contre la précarité, dans l'exaspération ou l'indifférence générale.

Or, mon cher Fred, depuis la semaine dernière, au vu de l'insuccès de sa démarche, elle a décidé de changer de stratégie: elle emprunte le tramway ou fait le tour des tables de restaurants en extérieur. Heureuse initiative ou non? Sur son visage, je peux lire toute la douceur, la détresse et la douleur du monde, quand on lui signifie qu'il n'est pas question de payer pour un journal - français de surcroît! - ou de promouvoir l'état de droit de la mendicité. 

Pas vraiment parmi les villes les plus pauvres de Suisse, Genève arbore alors son visage le plus nauséabond, qui vient s'ajouter à l'arrogance, au manque de cordialité et à la froideur, fréquents dans les bistrots, les transports publics ou les commerces. Et quand il m'arrive d'emprunter un taxi, les plus courtois ou serviables s'avèrent être - la plupart du temps - des maghrébins, des hindous, des ressortissants de l'ex-Yougoslavie... et je pourrais multiplier les exemples.

Je sais que mon coup de gueule ne règle aucun problème de société - ce n'est pas mon propos - mais si je n'ai jamais porté cette ville inhospitalière dans mon coeur, sinon pour les amis que j'y retrouve, c'est au nom de ce prétendu esprit libertaire qui cache hypocritement sous une légende - avec de moins en moins de subtilité - ce premier pas qui manque en direction de l'autre - étranger toujours, même venu de Suisse ou de France voisine! - susceptible de favoriser cet épanouissement dans la différence dont parle Albert Jacquard: notre vraie richesse, envers de l'atrophie, de l'indifférence et du déclin.

Mais, heureusement, Genève n'est pas la Suisse! Pas vrai?

Albert Jacquard, Eloge de la différence (coll. Points Science/Seuil, 1981) 

image: Rues de Genève / Suisse, 2010 (planetephotos.blog.tdg.ch)