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02/11/2013

Morceaux choisis - François Mauriac

François Mauriac

Marcel Feguide.jpg

Sans mari, sans enfants, sans amis, certes on ne pouvait être plus seule au monde; mais qu'était cette solitude, au prix de cet autre isolement dont la plus tendre famille ne l'eût pas délivrée: celui que nous éprouvons à reconnaître en nous les signes d'une espèce singulière, d'une race presque perdue et dont nous interprétons les instincts, les exigences, les buts mystérieux? Ah! ne plus s'épuiser dans cette recherche! Si le ciel était encore pâle d'un reste de jour et de lune naissante, les ténèbres s'amassaient sous les feuilles tranquilles. Le corps penché dans la nuit, attiré, comma aspiré par la tristesse végétale, Maria Cross cédait moins au désir de boire à ce fleuve d'air encombré de branches qu'à la tentation de se perdre en lui, de se dissoudre, pour qu'enfin son désert intérieur se confondit avec celui de l'espace, pour que ce silence en elle ne fût plus différent du silence des sphères.

François Mauriac, Le désert de l'amour / extrait, dans : Oeuvres romanesques (coll. Pochothèque/LGF, 1992)

image: Marcel Feguide, La jeune fille sous l'arbre (feguide.free.fr)

30/10/2013

Le poème de la semaine

Guillevic

Autrefois,
quand j'étais gamin,
je me sentais étranger
au monde.
 
C'était
comme si je n'en étais pas,
et je me suis appliqué
à m'incorporer à ce tout.
 
Maintenant où s'approche
ma fin,
et je le sais, je le vis,
maintenant
je n'ai plus d'effort à faire
pour sentir pleinement
le monde
seconde après seconde.
 
Il est là et je suis en lui,
je suis à lui,
en lui je me plais.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

02:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/10/2013

Véronique Olmi

9782246668718.gifVéronique Olmi, Sa passion (Grasset, 2007)

La rupture amoureuse – thème central de ce court roman – qui broie les cœurs et les corps, retire à Hélène sa raison de vivre, mais éprise d’absolu, saura-t-elle vivre le deuil de sa passion sans détruire ce qui l’a émue, épanouie, révélée à elle-même ? Prise dans un étau entre désir et raison, elle traversera les affres de la jalousie, de la possessivité, de la rancœur, avant de trouver la voie qui la libérera de sa prison. Au passage, une subtile évocation des milieux littéraires et de la famille d’Hélène.

également en format de poche (Livre de poche/LGF, 2008)

05:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/10/2013

Morceaux choisis - Jean-Louis Kuffer

Jean-Louis Kuffer

Cortona_1.jpg

Je me trouvais ce soir-là dans la lumière accordée de Cortone, et de ce balcon je voyais le monde, et je me disais que tout était bien. Je ne connaissais personne et nul ne savait où je me tenais à l'instant précis dans ce lieu de beauté. Je me sentais pure liberté et pure bonté dans cette lumière intemporelle. Je n'étais que réceptacle, ou qu'alambic, ou que vase communicant. Je ne voyais alors que la face claire du monde et je me délectais.

Un jour je m'étais éveillé à cette conscience et à cette effusion de l'être qui se reconnaît, et cette seconde naissance m'avait vu commencer de balbutier et de griffonner sur des paperoles avec la gravité de l'aspirant druide retrouvant les antiques formules au bois sacré.

Alors je me croyais seul au monde à éprouver cela puisque Verlaine et Rimbaud n'étaient plus, ni Vincent dont les soleils noirs irradiaient mes veilles enfumées de mage essentialiste de seize ans, ni Cendrars qui m'emmenait au bout du monde pour m'y laisser tout à fait enchanté, non moins qu'esseulé. Je pénétrais donc sans complice incarné dans cet invisible cercle où se perpétuaient les rites de la société des êtres, ne me doutant même pas de l'existence de celle-ci. Plus tard seulement me serait accordée la grâce de la Rencontre. Pour lors il ne me semblait voir alentour que des gens pratiques et pragmatiques aux yeux desquels la convenance se bornait à se lever le matin et à prendre le tramway, à se rendre au bureau puis à reprendre le tramway, et cela tous les jours ouvriers jusqu'au dimanche voué à la divine acclamation puis à la procession non moins rituelle dans les allées de l'ennui.

Or, plus j'avais cheminé par les années et plus je m'étais défié de cette espèce de somnolence suroccupée dans laquelle s'activait la nouvelle humanité programmée à la seule réalisation de son plan de carrière.

A Cortone, cette année-là, j'incarnais certes, la trentaine approchant, et n'ayant rien accompli jusque-là, le parangon du raté selon les critères de la norme, et pourtant je rendais grâce et me sentais tout allègre. A Cortone, ce soir-là, je ne voyais de l'Univers que les couleurs du tableau qui s'estompaient dans la lumière d'éternité: tous les verts assourdis des petits prés suspendus, de l'autre côté de la plaine du fond de laquelle montaient quelques fumées pensives, les touches d'ocre tendre ou de gris rouillé des murets, le gris bleuté des oliviers, les flammèches noir océan des cyprès solitaires ou groupés en rangs de croches sur la partition, et la couleur orange de l'heure diluant les tuiles tièdes et les murs terre de Sienne, et la paille dans le bleu du vert, et le blanc dans l'argile rougeoyante, et tantôt comme un voile de gaze, tantôt comme une feuille de papier huilé brouillaient la vision, puis se distinguaient de nouveaux détails et de nouveaux rapports dont la totalité plénière m'apparaissait comme une figure de l'harmonie pure.

C'était à Cortone, ce pouvait être partout mais ce soir-là c'était à Cortone que je m'étais retrouvé dans cet état chantant. J'avais sous les yeux l'image même du jardin humain: non la mythique prairie originelle mais le bocage et le pacage, le champ labouré, la haie, l'amenée d'eau, le plant de vigne arraché aux jachères, et subsistant aussi là-dedans le pavot et l'ortie, la ronce et l'odeur sauvage, le serpent cinglant là-bas sous les rocs et, là-haut, l'oiseau d'argent fusant de son propre élan sur champ d'azur coupé d'or. 

Jean-Louis Kuffer, A la vie à la mort, dans: Par les temps qui courent (Campiche, 1995)

image: Cortone, Toscane / Italie (iltorrino.eu)

Marie-Hélène Lafon

9782283023488.gifMarie-Hélène Lafon, L'annonce (Buchet-Chastel, 2009)

Eric savait par coeur certaines annonces choisies, Célibataire quarante-quatre ans un mètre soixante-sept soixante-neuf kilos sans enfants chauffeur agriculteur cherche jeune femme aimant campagne voulant fonder un foyer heureux désirant enfants ; ou encore, Cherche compagne cinquante soixante-deux ans féminine (bien bustée) sans attaches pour vie alternée Paris campagne. Paul, quarante-six ans, paysan à Fridières, Cantal, ne veut pas finir seul. Annette, trente-sept ans, vit à Bailleul dans le Nord avec son fils. Elle n'a jamais eu de vrai métier. Elle a aimé Didier, le père d'Eric, mais ça n'a servi à rien. Elle doit s'en aller. Recommencer ailleurs. Elle répond à l'annonce que Paul a passée... 

Avec des mots aussi rugueux et chaleureux que ces paysages du Cantal, Marie-Hélène Lafon vous invite pour une saison à la campagne. Vous y ferez la rencontre de Paul, célibataire de 46 ans et d’Annette, 37 ans, mère d’Eric. Tout résonne avec justesse dans cette jolie histoire d’amour qui se découvre et s’épanouit au rythme lent de la terre. Vous l’adorerez !

également disponible en coll. de poche (Folio/Gallimrd, 2011)

06:26 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/10/2013

Claire Genoux

littérature; poésie; livresClaire Genoux, Faire feu (Campiche, 2011)

Si ce livre était un roman, il serait parsemé de points de suspension, pour précéder les premiers mots, un passé de griffures, de désirs, d'attentes; si ce livre était un roman, il serait suivi de points de suspension, un avenir incertain peut-être, précaire, obsédant; mais il s'agit de poésie, d'instants célébrés, là où l'obscurité de toutes choses révèle le corps, la peur et la faim, la vivante flamme jaillie de l'abîme qu'entretient l'autre, cette étoile qui danse. Un présent d'interrogations où alternent la résistance et l'abandon, l''avidité et l'insondable: Rien ne vous parlera de ma part d'errance / sous le pré bouclé des lunes / ni de l'amitié des morts claquée à la corde des doigts.

Une mélodie attachante comme une musique de chambre épanouie et sèche, mélancolique à la manière d'une liane rare qui enserre l'arbre, s'accroche à ses plus hautes branches sans pouvoir s'y maintenir.

Donnez-moi un tas dur / une croix sous le bâton du vent / que ce soit vos bras / votre main nue / qui me rende lourde à la neige des feuilles / car ceux qui m'aiment ne savent pas / ce qui enfonce en moi / et qui jamais ne se tassera.

Outre un recueil de nouvelles, Ses pieds nus et Poésies 1997-2004 qui ont déjà été présentés dans ces colonnes, Claire Genoux - née à Lausanne en 1971 - a obtenu, avec Saisons du corps, le Prix Ramuz de la poésie en 1999. Ses ouvrages sont disponibles aux éditions Bernard Campiche.   

00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/10/2013

Le poème de la semaine

René Char

Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier,
fontaine où se mire ma monarchie solitaire,
comment pourrais-je jamais vous oublier
puisque je n’ai pas à me souvenir de vous:
vous êtes le présent qui s’accumule.
Nous nous unirons sans avoir à nous aborder,
à nous prévoir
comme deux pavots font en amour une anémone géante.

Je n’entrerai pas dans votre coeur pour limiter sa mémoire.
je ne retiendrai pas votre bouche
pour l’empêcher de s’ouvrir sur le bleu de l’air et la soif de partir.
je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie
qui passe le seuil de toujours
avant que la nuit ne devienne introuvable.

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

22/10/2013

Lire les classiques - Alfred de Musset

Alfred de Musset

Gustave-Jean Jacquet.jpg

Avec tout votre esprit, la belle indifférente,
Avec tous vos grands airs de rigueur nonchalante, 
Qui nous font tant de mal et qui vous vont si bien, 
Il n'en est pas moins vrai que vous n'y pouvez rien.
 
Il n'en est pas moins vrai que, sans qu'il y paraisse, 
Vous êtes mon idole et ma seule maîtresse;
Qu'on n'en aime pas moins pour devoir se cacher, 
Et que vous ne pouvez, Ninon, m'en empêcher.
 
Il n'en est pas moins vrai qu'en dépit de vous-même, 
Quand vous dites un mot vous sentez qu'on vous aime, 
Que, malgré vos mépris, on n'en veut pas guérir, 
Et que d'amour de vous, il est doux de souffrir.
 
Il n'en est pas moins vrai que, sitôt qu'on vous touche, 
Vous avez beau nous fuir, sensitive farouche, 
On emporte de vous des éclairs de beauté, 
Et que le tourment même est une volupté.
 
Soyez bonne ou maligne, orgueilleuse ou coquette, 
Vous avez beau railler et mépriser l'amour,
Et, comme un diamant qui change de facette,
Sous mille aspects divers vous montrer tour à tour;
 
Il n'en est pas moins vrai que je vous remercie,
Que je me trouve heureux, que je vous appartiens, 
Et que, si vous voulez du reste de ma vie,
Le mal qui vient de vous vaut mieux que tous les biens.
 
Je vous dirai quelqu'un qui sait que je vous aime:
C'est ma Muse, Ninon; nous avons nos secrets.
Ma Muse vous ressemble, ou plutôt, c'est vous-même; 
Pour que je l'aime encor elle vient sous vos traits.
 
La nuit, je vois dans l'ombre une pâle auréole, 
Où flottent doucement les contours d'un beau front;
Un rêve m'apparaît qui passe et qui s'envole; 
Les heureux sont les fous: les poètes le sont.
 
J'entoure de mes bras une forme légère;
J'écoute à mon chevet murmurer une voix; 
Un bel ange aux yeux noirs sourit à ma misère; 
Je regarde le ciel, Ninon, et je vous vois;
 
O mon unique amour, cette douleur chérie, 
Ne me l'arrachez pas quand j'en devrais mourir! 
Je me tais devant vous; - quel mal fait ma folie? 
Ne me plaignez jamais et laissez-moi souffrir.
 

Alfred de Musset, A Ninon, dans: Poésies complètes (coll. Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1986)

image:  Gustave Jean Jacquet (artrenewal.org)

07:46 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/10/2013

Morceaux choisis - André Gide

André Gide

2.jpg

Elle tourna les yeux vers les naissantes étoiles. Je connais tous leurs noms, dit-elle; chacune en a plusieurs; elles ont des vertus différentes. Leur marche, qui nous paraît calme, est rapide et les rend brûlantes. Leur inquiète ardeur est cause de la violence de leur course, et leur splendeur en est l’effet. Une intime volonté les pousse et les dirige; un zèle exquis les brûle et les consume; c’est pour cela qu’elles sont radieuses et belles.

Elles se tiennent l’une à l’autre toutes attachées, par des liens qui sont des vertus et des forces, de sorte que l’une dépend de l’autre et que l’autre dépend de toutes. La route de chacune est tracée et chacune trouve sa route. Elle ne saurait en changer sans en distraire aucune autre, chacune étant de chaque autre occupée. Et chacune choisit sa route selon qu’elle devait la suivre; ce qu’elle doit, il faut qu’elle le veuille, et cette route, qui nous paraît fatale, est à chacune la route préférée, chacune étant de volonté parfaite. Un amour ébloui les guide; leur choix fixe les lois, et nous dépendons d’elles; nous ne pouvons pas nous sauver. 

André Gide, Hymne, dans: Les nourritures terrestres, suivi de: Les nouvelles nourritures (coll. Folio/Gallimard, 2007)

image: Les nourritures terrestres / page manuscrite (e-gide.blogspot.ch)

18:55 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Virginie Ollagnier

image.html.jpegVirginie Ollagnier, Rouge argile (coll.Piccolo/Liana Levi, 2013)

Au sein de la bonne bourgeoisie parisienne, la vie de Rosa ressemble à un paysage mélancolique dont tout éclat s’estompe peu à peu, malgré la réussite de son époux Antoine avec lequel elle ne partage plus que des silences. Quant à ses enfants, Maurice a trouvé sa voie à la Caisse des Dépôts et Consignations, tandis que sa soeur Julie s'est tournée vers le journalisme. Quand Rosa apprend le décès de son père adoptif Egon Baum, elle revient sur les lieux de son enfance au Maroc, à Sejâa plus précisément. Elle y rejoint sa maison, celle où elle aurait bien voulu mourir un jour, si Egon était encore là, alors que maintenant, seule au monde en quelque sorte avec le poids de cette douleur irréparable, que faire?

Là-bas, en France, elle a depuis longtemps abdiqué et si elle a réussi un beau mariage vingt ans plus tôt dans la capitale, qu'en reste-t-il? Devant ce nouveau deuil qui frappe l'un des deux hommes de sa vie - le premier fut son père Gabriel, mort alors qu'elle n'était encore qu'une petite fille - tout un passé défile devant ses yeux: sa mère Suzanne - si touchante, si tendre, si aimée -, sa marraine Monde - l'amie de France - soeur de sa mère et la vieille Sherifa - la nounou, la confidente - qu'elle est heureuse de retrouver aux côtés de son fils Mehdi. Au fil des jours, elle perd ses artifices de la métropole, laisse ressurgir son accent pied-noir dont autrefois elle avait honte, comme de cette maison, fardeau d'un passé colonial qu'elle refuse de lèguer à ses enfants: Le temps est venu de rompre avec sa culpabilité, de rendre la terre. 

Enveloppée par la chaleur bienfaisante des siens, face à son propre destin et ce mort tant aimé qui lui parle, elle pénètre ainsi l'intimité du coeur d'Egon et se voit révéler un fragment de sa vie dont elle ignorait tout ou presque... Après cette immersion douloureuse et tendre, plus rien ne sera comme avant.

Un roman plein de délicatesse où le deuil, charriant ses blessures profondes, oriente Rosa vers ses propres choix de vie, réveillant ses besoins d'appartenance et de liberté.

00:26 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |