07/06/2014
Raphaël Jérusalmy
Raphaël Jérusalmy, Sauver Mozart - Le journal d'Otto J. Steiner (Actes Sud, 2012)
C'est l'histoire d'un attentat musical. Eté 1939, au lendemain de l'Anschluss, Otto J. Steiner égrène ses jours dans un sanatorium de Salzbourg tandis qu'au-dehors l'Histoire montre les crocs. Autrichien, un peu juif, complétement seul, il n'aime plus que la musique, et la tuberculose le ronge autant que l'humiliation d'être malade, ou les privations qui achèvent de le pousser à la marge du monde. Un monde dissonant à son oreille de mélomane, une faute de goût existentielle pour cette âme libre, témoin privilégié et involontaire du délitement d'une certaine idée de l'homme. Tout semble joué, quand un événement inattendu le conduit à deux doigts de faire basculer le siècle. Mais s'il ne restait jamais plus rien à sauver que Mozart?
Une peinture ironique et cruelle des malades et blessés de guerre au milieu desquels Otto J. Steiner, condamné par la tuberculose, rédige son Journal et confie au lecteur l’acte de résistance malicieux qu’il prépare à travers le célèbre festival de musique de Salzbourg consacré à Mozart, prétexte à une contrefaçon de concert perpétuant – à l’insu des dignitaires du Reich et de la plupart des mélomanes – les voix de ceux qui ne peuvent plus l'entendre… Un premier roman réjouissant!
également disponible en édition de poche (coll. Babel/Actes Sud, 2013)
00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; récit; livres | |
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04/06/2014
Le poème de la semaine
Louis Aragon
Moi qui n'ai jamais pu me faire à mon visageQue m'importe traîner dans la clarté des cieuxLes coutures les traits et les taches de l'âgeMais lire les journaux demande d'autres yeux Comment courir avec ce cœur qui bat trop viteQue s'est-il donc passéLa vie et je suis vieuxTout pèseL'ombre augmente aux gestes qu'elle imiteLe monde extérieur se fait plus exigeantChaque jour autrement je connais mes limitesJe me sens étranger toujours parmi les gensJ'entends mal je perds intérêt à tant de choses Le jour n'a plus pour moi ses doux reflets changeantsLe printemps qui revient est sans métamorphosesIl ne m'apporte plus la lourdeur des lilasJe crois me souvenir lorsque je sens les rosesJe ne tiens plus jamais jamais entre mes brasLa mer qui se ruait et me roulait d'écumeJusqu'à ce qu'à la fin tous les deux fussions las Voici déjà beau temps que je n'ai plus coutumeDe défier la neige et gravir les sommetsDans l'éblouissement du soleil et des brumesMême comme autrefois je ne puis plus jamaisPartir dans les chemins devant moi pour des heuresSans calculer ce que revenir me permetRevenir Ces pas-ci vont vers d'autres demeuresJe ne reprendrai pas les sentiers parcourusDieu merci le repos de l'homme c'est qu'il meureEt le sillon jamais ne revoit la charrueOn se fait lentement à cette paix profondeElle avance vers vous comme l'eau d'une crueElle monte elle monte en vous elle fécondeChaque minuteElle fait à tout ce lointainAmer et merveilleux comme la fin du mondeEt de la sentir proche est plus frais qu'au matinAvant l'épanouissement de la lumièreLe parfum de l'étoile en dernier qui s'éteintQuand ce qui fut malheur ou bonheur se nomme hier Pourtant l'étoile brille encore et le cœur batPourtant quand je croyais cette fièvre premièreApaisée à la fin comme un vent qui tombaQuand je croyais le trouble aboli le vertigeOublié l'air ancien balbutié trop basQue l'écho le répète au loinVoyons que dis-je Déjà je perds le fil ténu de ma penséeInsensible déjà seul et sourd aux prodigesQuand je croyais le seuil de l'ombre outrepasséLe frisson d'autrefois revient dans mon absenceEt comme d'une main mon front est caresséLe jour au plus profond de moi reprend naissance. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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01/06/2014
Lire les classiques - Emile Verhaeren
Emile Verhaeren
Emile Verhaeren, Les Heures d’après-midi, précédé de: Les Heures claires (Mercure de France, 1922)
image: John Charles Arter (1st-art-gallery.com)
00:12 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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28/05/2014
Le poème de la semaine
Marie-Claire Bancquart
O vous du petit matin dans une chambre qui demandez si la grappe du jour vous réserve un grain délectable ne vous levez pas encore, attirez vers vous l'ordinateur, écrivez en italique votre espoir puis vivez vos heures et revenez au cœur du soir. Vous voici devant l'écran, les lettress'inclinent toujours Et vous les transposez en corps dix-huit pour lire Comme une affiche L'inscription de votre désir déçu - qui renaît. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:44 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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27/05/2014
Le poème de la semaine
Charles Vildrac
Arbre mutilé, maintenant sois libre! Ils avaient empoigné tes branchesPour les cingler et les briser ensemblePar le calcul et la rigueur de leurs pesées; Ils les maintenaient en branle éperdu,Ils les tourmentaient de durs élans captifs,Ils se disputaient tes fruits et tes feuillesEt jusqu’à tes nids! Ils ont fait de toi pendant vingt saisonsUn arbre d’hiver et de quel hiver!Le sol est jonché de tes frondaisons.Ton écorce pend en lanières blêmesPoisseuses partout de la même sève! Mais maintenant, veuille revivre et libre!Mais maintenant oh! veuille te garder! Ton faîte est brisé mais le tronc est fort,Mais l’espoir est fort, mais la terre est riche.Et vois tes bourreaux: leur oeuvre n’a puQue précipiter leur décrépitude! Arbre écartelé par leurs convoitises.Tes bras déchirés, tes bras ennemisFais-les se nouer, se croiser, s’étreindre,Se quitter, se tordre et se prendre encoreDe telle façon que tu ne sois plusUn déploiement de forces divergentes.Mais un seul destin, un amour, un arbre! Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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23/05/2014
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
Victor Hugo, Apparition, dans: Les contemplations (coll. GF/Flammarion, 2008)
image: Joseph Mallord William Turner, Angel standing in the Sun (uploads5.wikipaintings.org)
00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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21/05/2014
Le poème de la semaine
René Char
La truite
Rives qui croulez en parureAfin d'emplir tout le miroir,Gravier où balbutie la barqueQue le courant presse et retrousse,Herbe, herbe toujours étirée,Herbe, herbe jamais en répit,Que devient votre créatureDans les orages transparentsOù son coeur la précipita? Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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20/05/2014
Morceaux choisis - Marguerite Duras
Marguerite Duras
Un jour elle n'est plus là. Vous vous réveillez et elle n'est plus là. Elle est partie dans la nuit. La trace du corps est encore dans les draps, elle est froide.
C'est l'aurore aujourd'hui. Pas encore le soleil, mais les abords du ciel sont déjà clairs tandis que du centre de ce ciel l'obscurité tombe encore sur la terre, dense.
Il n'y a plus rien dans la chambre que vous seul. Son corps a disparu. La différence entre elle et vous se confirme par son absence soudaine.
Au loin, sur les plages, des mouettes crieraient dans le noir finissant, elles commenceraient déjà à se nourrir des vers de vase, à fouiller les sables délaissés par la marée basse. Dans le noir, le cri fou des mouettes affamées, il vous semble tout à coup ne l'avoir jamais entendu.
Elle ne reviendrait jamais.
Le soir de son départ, dans un bar, vous racontez l'histoire.
D'abord vous la racontez comme s'il était possible de le faire, et puis vous abandonnez. Ensuite vous la racontez en riant comme s'il était impossible qu'elle ait eu lieu ou comme s'il était possible que vous l'ayez inventée.
Le lendemain, tout à coup, vous remarqueriez peut-être son absence dans la chambre. Le lendemain, peut-être éprouveriez-vous un désir de la revoir là, dans l'étrangeté de votre solitude, dans son état d'inconnue de vous.
Peut-être vous la chercheriez au-dehors de votre chambre, sur les plages, aux terrasses, dans les rues. Mais vous ne pourriez pas la trouver parce que dans la lumière du jour vous ne reconnaissez personne. Vous ne la reconnaîtriez pas. Vous ne connaissez d'elle que son corps endormi sous ses yeux entrouverts. La pénétration des corps vous ne pouvez pas la reconnaître, vous ne pouvez jamais reconnaître. Vous ne pourrez jamais.
Quand vous avez pleuré, c'était sur vous seul et non sur l'admirable impossibilité de la rejoindre à travers la différence qui vous sépare.
De toute l'histoire vous ne retenez que certains mots qu'elle a dits dans le sommeil, ces mots qui disent ce dont vous êtes atteint: Maladie de la mort.
Très vite vous abandonnez, vous ne la cherchez plus, ni dans la ville, ni dans la nuit, ni dans le jour.
Ainsi cependant vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en la perdant avant qu'il soit advenu.
Marguerite Duras, La maladie de la mort (Minuit, 1982)
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | |
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14/05/2014
Le poème de la semaine
Guillaume Apollinaire
Me voici devant tous un homme plein de sens Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour Ayant su quelquefois imposer ses idées Connaissant plusieurs langages Ayant pas mal voyagé Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie Blessé à la tête trépané sous le chloroforme Ayant perdu ses meilleurs amis dans l’effroyable lutte Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre Entre nous et pour nous mes amis Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’inventionDe l’Ordre et de l’Aventure Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu Bouche qui est l’ordre même Soyez indulgents quand vous nous comparez À ceux qui furent la perfection de l’ordre Nous qui quêtons partout l’aventure Nous ne sommes pas vos ennemis Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues Mille phantasmes impondérables Auxquels il faut donner de la réalité Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières De l’illimité et de l’avenir Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés Voici que vient l’été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps Ô Soleil c’est le temps de la Raison ardenteEt j’attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu’elle prend afin que je l’aime seulement Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimantElle a l’aspect charmantD’une adorable rousse Ses cheveux sont d’or on dirait Un bel éclair qui durerait Ou ces flammes qui se pavanent Dans les roses-thé qui se fanent Mais riez riez de moi Hommes de partout surtout gens d’ici Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire Ayez pitié de moi Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
03:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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13/05/2014
Fatou Diome
Fatou Diome, Inassouvies nos vies (Flammarion, 2008)
Betty passe son temps à observer l’immeuble d’en face. Son attention se focalise sur une vieille dame; à son air joyeux, elle la baptise Félicité et se prend d’affection pour elle. Lorsque Félicité est envoyée contre son gré dans une maison de retraite, Betty remue ciel et terre pour la retrouver. Une véritable amitié va les lier. Une nouvelle va plonger Félicité dans le mutisme. Impuissante, Betty prend du recul et part quelques jours. À son retour, Félicité n’est plus. Betty sombre dans la mélancolie. Une rencontre la sort du spleen : l’Ami, qu’elle va aimer comme on aime un homme qu’on ne touchera jamais, car le voir suffit. Mais la vie fait ses trous de dentelle ; au vide de trop, c’est le déclic : Betty largue les amarres, disparaît, on ne sait où. Chez elle, seule la musique, la kora, répond aux questions : inassouvie, la vie, puisqu’il y a toujours un vide à combler.
L’histoire de Betty et de Félicité est plus profonde qu’elle n’y paraît. Si le style de ce roman est habité par la joie de vivre, la musique et une sincère affection pour autrui, il ne s’empêche pas de montrer du doigt les vicissitudes de l’existence, le spleen, les limites de l’amitié ou la soif de réaliser ses rêves, sans moralisme ni accents mélodramatiques. Une bien jolie surprise littéraire.
également en format de poche (coll. J'ai Lu, 2010)
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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