17/08/2014
Robert Bober
Robert Bober, On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux (coll. Folio/Gallimard, 2012)
Avec On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux - titre emprunté à l'auteur de La plupart du temps, Pierre Reverdy - Robert Bober délivre son style magique de conteur et nous entraîne sur le plateau du tournage de Jules et Jim où le personnage central du roman, Bernard - un double de son ami Robert, à la fois inventé et bien réel - se voit confier un rôle de figurant. Cet événement sert de prétexte à décrire, de Belleville à Ménilmontant, le Paris des années 60, ses cafés, ses artistes, les chansons d'Aristide Bruant, les films de Marcel Ophüls, de Jacques Becker et bien sûr de François Truffaut. A la manière d'un Robert Doisneau, le regard de Robert Bober nous entraîne avec beaucoup de tendresse, d'humour et de nostalgie, dans ce récit truffé d'anecdotes pittoresques, qui n'en est pourtant qu'à ses balbutiements.
A la fin du tournage, en effet, Bernard tout fier d'apparaître dans le film, invite sa mère au cinéma pour partager avec elle ce moment de bonheur. A la sortie de la salle, sa mère bouleversée, s'accroche à son bras et lui confie que Jules et Jim - un ménage à trois, disait François Truffaut - c'est son histoire... Il va ainsi plonger dans le passé, sur la trace de son père qu'il a perdu trop jeune - mort en déportation - et de son beau-père - disparu dans l'avion qui coûta la vie à Marcel Cerdan - tous deux amoureux de la même femme, sa mère, amis depuis leur jeunesse en Pologne. La correspondance avec sa tante des Amériques, Esther - la soeur de son père, nous immerge une fois encore dans le monde du cinéma, des Ziegfeld Follies à Harpo Marx, renouant par ce biais les liens familiaux qui, pour un temps, s'étaient malencontreusement interrompus.
Au dernier chapitre de ce livre, le narrateur entreprend un voyage à Auschwitz, pour rejoindre son père, une dernière fois: Je n'ai pas noté le numéro du block consacré aux déportés venant de France. Celui où naturellement on nous conduisit d'abord. Je n'ai pas entendu ce que dans ce lieu le guide nous disait. Il y avait là, devant moi, la photographie de mon père. Celle que je connaissais et que j'avais toujours vue dans son cadre de cuir brun posée sur le buffet de la salle à manger. Sur cette photo, considérablement agrandie, mon père avait retrouvé sa dimension d'homme. Nous étions là, ensemble, debout, tout près, l'un en face de l'autre, dans la même immobilité. Nous avions le même âge. Il me souriait.
Beaucoup d'émotion contenue, de délicatesse et de pudeur dans ce roman de Robert Bober qui évite soigneusement les pièges du mélodrame, avec cette infinie douceur d'un funambule qui foule la neige, atténuant les rumeurs alentour, les yeux tendus vers le ciel et les étoiles.
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15/08/2014
Morceaux choisis - Abdellatif Laâbi
Abdelattif Laâbi
Abdellattif Laâbi, La Saison manquante, suivi de: Amour jacaranda (La Différence, 2014)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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13/08/2014
Le poème de la semaine
Andrée Chedid
Parcourir l'Arbre Se lier aux jardins Se mêler aux forêts Plonger au fond des terres Pour renaître de l'argile Peu à peu S'affranchir des sols et des racines Gravir lentement le fûtEnvahir la charpenteSe greffer aux branchages Puis dans un éclat de feuilles Embrasser l'espace Résister aux orages Déchiffrer les soleils Affronter jour et nuit Evoquer ensuite Au cœur d'une métropole Un arbre un seul Enclos dans l'asphalteEloigné des jardins Orphelin des forêts Un arbre Au tronc rêche Aux branches tariesAux feuilles longuement éteintes S'unir à cette soif Rejoindre cette retraite Ecouter ces appels Sentir sous l'écorce Captives mais invincibles La montée des sèves La pression des bourgeons Semblables aux rêves tenaces Qui fortifient nos vies Cheminer d'arbre en arbre Explorant l'éphémère Aller d'arbre en arbre Dépistant la durée. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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12/08/2014
Jacques Chessex
Jacques Chessex, Pardon mère (Grasset, 2008)
Longtemps j’ai eu le temps. C’était quand ma mère vivait. J’étais désagréable avec elle, ingrat, méchant, je me disais: j’aime ma mère. Elle le sait ou elle finira bien par le savoir. J’ai le temps. (…) En attendant, le temps passait. Je rencontrais ma mère, je la blessais parce que tout en elle me blessait. Son esprit était droit, sa pensée juste, son élégance de bon goût, sa taille bien prise, son regard d’un bleu un peu gris était pur et me voyait. Et moi je n’étais pas digne de ce regard. Jacques Chessex
Les relations entre une mère et son fils sont souvent uniques, incomparables. Et chacun de nous – les hommes! – aurait pu dire ce vertige de l’origine, ce temps remis à plus tard, ces balbutiements du fils prodigue entre gaucherie et provocation, entre admiration et défi, entre blessure et reconnaissance.. Seulement voilà: Nous n’avons pas le talent littéraire de Jacques Chessex pour mettre en perspective l’inexprimable avec tant de retenue et d’émotion. Alors, contentons-nous de savourer ce bonheur de lecture, à l’abri de rien …
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |
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11/08/2014
La citation du jour
Jean Dutourd
Faire parler un homme politique sur ses projets et son programme, c'est comme demander à un garçon de restaurant si le menu est bon. Tout ce qui l'intéresse c'est que vous payiez l'addition: ce n'est pas lui qui aura mal au ventre!
Jean Dutourd, Les pensées (Cherche Midi, 1990)
19:59 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |
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10/08/2014
Morceaux choisis - François Beaune
François Beaune
L'arthrose est la blague de vieux la plus sale que je connaisse. Je ne vais pas la raconter, elle est irracontable, surtout à l'écrit. Simplement je veux dire que la vieillesse est un âge drôle et sale, où la conscience s'ébrèche et le corps ressurgit.
La vieille ville de Palerme, par exemple, a de vrais problèmes d'incontinence. Tous les balcons s'effritent, sont comme rongés par en dessous, et les gens les rafistolent en leur mettant des couches-culottes vertes. On m'explique d'abord que c'est à cause des constructeurs véreux. Après le Sacco di Palermo dans les années 60, qui a vu la démolition de nombreuses villas anciennes, les entreprises immobilières ont fait pousser des immeubles modernes dont ni l'architecte ni le chef de chantier n'avaient vraiment pensé qu'un jour des gens habiteraient dedans. Le problème c'est que l'on retrouve aussi, dans la vieille ville, des balcons des siècles passés, avec leurs armatures en fer forgé, leurs plaques de marbre, vêtus des mêmes couches-culottes vertes qui évitent aux passants de se faire assommer.
Si on imagine que l'épidémie de vérole balconique s'est propagée à partir des quartiers neufs, elle a vite gagné l'ensemble de la ville, favorisée par la situation de celle-ci, qui comme beaucoup d'autres a été construite sur d'anciens marais. Si l'on ajoute à cela les fortes températures d'été, la rosée venue des montagnes, les vapeurs d'eau des nouilles, la pesanteur des décolletés des femmes, qui font appel d'air, et le piétinement des sabots des chevaux à la cave, on comprend déjà mieux l'ampleur du phénomène. Il n'y a d'ailleurs pas que l'érosion naturelle: les palermitains aiment garnir leurs balcons de plantes en pots, qu'ils arrosent abondamment, et observer le monde en trépignant, en agitant les bras: l'érosion humaine a été exacerbée depuis la fin des années 90, qui a vu la société et les bars s'ouvrir, et la ville se mettre à faire la fête.
Palerme est construite en tufo, cette pierre jaune de sable concrétisé. Palerme tient sur son socle de balate, ces pavements de pierres grises, un marbre populaire, bourgeois au sens propre du terme, qui chuinte, humide, sali par les marchés del Capo, de la Vucchiria, piqué par les marteaux pour être moins glissant, au-dessus des anciens ruisseaux. Mais Palerme est une invention fragile, comme un château de sable sorti de l'imagination d'artisans de génie, qui ne tient que par la grâce des stucs baroques et orfèvrerie des marbres, la malice des enchevêtrements de câbles téléphoniques, l'élastique d'une petite culotte tendue entre deux balcons.
François Beaune, Palerme - Novembre 2012, dans: La lune dans le puits - Des histoires vraies de Méditerranée (Verticales, 2013)
image: Palerme / Sicile, Italie (recitsindiens.blogspot.com)
00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récits; morceaux choisis; livres | |
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09/08/2014
La citation du jour
Albert Camus
Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée.
Albert Camus, La peste (coll. Folio/Gallimard, 2000)
16:58 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |
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Lire les classiques - François de Malherbe
François de Malherbe
François de Malherbe, Poésies (coll. Poésie/Gallimard, 1997)
image: Giovanni Antonio Pellegrini, Vénus et Cupidon (educar.wordpress.com)
02:31 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
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06/08/2014
Le poème de la semaine
Paul Eluard
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,Un rond de danse et de douceur,Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécuC’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.Feuilles de jour et mousse de rosée,Roseaux du vent, sourires parfumés,Ailes couvrant le monde de lumière,Bateaux chargés du ciel et de la mer,Chasseurs des bruits et sources des couleurs,Parfums éclos d’une couvée d’auroresQui gît toujours sur la paille des astres,Comme le jour dépend de l’innocenceLe monde entier dépend de tes yeux pursEt tout mon sang coule dans leurs regards. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Paul Eluard, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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04/08/2014
Morceaux choisis - Charles Ferdinand Ramuz
Charles Ferdinand Ramuz
Aline avait les mains encore maladroites ; tantôt elles appuyaient trop fort et tantôt hésitaient. Il semble qu’un rien va briser ces membres fragiles. Elle se perdait par moment dans ces soins. Alors le monde s’en va. Il n’y a plus qu’un petit enfant sur une table. Elle souriait parfois comme au temps de son bonheur. Elle chantait:
Dodo, l’enfant do,L’enfant dormira bientôt,Dodo, l’enfant do,Pour avoir du bon gâteau.Son sourire ne s’ouvrait qu’à grand-peine comme sous un fardeau, et sa voix retombait comme un oiseau dans sa cage, parce que l’enfant pleurait. Il était si malingre qu’il faisait pitié.
Et sa douleur revenait. Et un soir encore ce fut la musique au village. Aline était assise près du berceau. On dansait à l’auberge, et ses souvenirs l’entraînèrent en arrière jusque sous le grand poirier. Et une autre fois qu’elle fouillait dans un tiroir, ce furent les boucles d’oreilles que Julien lui avait données dans le petit bois au commencement de l’été. La boîte de carton avec les petits personnages peints dessus était encore enveloppée de son papier de soie. Les grains de corail ressemblaient à deux gouttes de sang pâle. C’était tout ce qui restait de son amour, avec l’enfant. Elle se dit: Et lui où est-il? Ah! il ne pense plus à moi. Les larmes lui vinrent aux yeux et elle se moucha sans bruit.
Elle se soulevait ainsi, aussitôt reprise et ramenée, ayant comme une chaîne qui l’empêchait de fuir. Elle s’encourageait pourtant avec des paroles qu’elle se répétait dans le fond de son cœur, se disant encore: Il faut bien que je l’aime, ce petit, tant l’aimer pour lui faire du bien et qu’il prenne de la vie. C’est un mauvais temps à passer. Quand il aura son année, il ira tout seul. Il faut bien que je l’aime, puisqu’il n’a rien que moi. Maman est vieille, et on ne sait pas, à son âge, ce qui peut arriver. Et puis il deviendra grand, pour quand je serai vieille aussi. Et sa chair tressaillait en se penchant sur lui.
Charles Ferdinand Ramuz, Aline (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 2002)
02:54 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | |
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