Le poème de la semaine (04/06/2014)
Louis Aragon
Moi qui n'ai jamais pu me faire à mon visageQue m'importe traîner dans la clarté des cieuxLes coutures les traits et les taches de l'âgeMais lire les journaux demande d'autres yeux Comment courir avec ce cœur qui bat trop viteQue s'est-il donc passéLa vie et je suis vieuxTout pèseL'ombre augmente aux gestes qu'elle imiteLe monde extérieur se fait plus exigeantChaque jour autrement je connais mes limitesJe me sens étranger toujours parmi les gensJ'entends mal je perds intérêt à tant de choses Le jour n'a plus pour moi ses doux reflets changeantsLe printemps qui revient est sans métamorphosesIl ne m'apporte plus la lourdeur des lilasJe crois me souvenir lorsque je sens les rosesJe ne tiens plus jamais jamais entre mes brasLa mer qui se ruait et me roulait d'écumeJusqu'à ce qu'à la fin tous les deux fussions las Voici déjà beau temps que je n'ai plus coutumeDe défier la neige et gravir les sommetsDans l'éblouissement du soleil et des brumesMême comme autrefois je ne puis plus jamaisPartir dans les chemins devant moi pour des heuresSans calculer ce que revenir me permetRevenir Ces pas-ci vont vers d'autres demeuresJe ne reprendrai pas les sentiers parcourusDieu merci le repos de l'homme c'est qu'il meureEt le sillon jamais ne revoit la charrueOn se fait lentement à cette paix profondeElle avance vers vous comme l'eau d'une crueElle monte elle monte en vous elle fécondeChaque minuteElle fait à tout ce lointainAmer et merveilleux comme la fin du mondeEt de la sentir proche est plus frais qu'au matinAvant l'épanouissement de la lumièreLe parfum de l'étoile en dernier qui s'éteintQuand ce qui fut malheur ou bonheur se nomme hier Pourtant l'étoile brille encore et le cœur batPourtant quand je croyais cette fièvre premièreApaisée à la fin comme un vent qui tombaQuand je croyais le trouble aboli le vertigeOublié l'air ancien balbutié trop basQue l'écho le répète au loinVoyons que dis-je Déjà je perds le fil ténu de ma penséeInsensible déjà seul et sourd aux prodigesQuand je croyais le seuil de l'ombre outrepasséLe frisson d'autrefois revient dans mon absenceEt comme d'une main mon front est caresséLe jour au plus profond de moi reprend naissance. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:01 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |