19/10/2011
Le poème de la semaine
Jacques Prévert
Il y a de grandes flaques de sang sur le mondeoù s'en va-t-il tout ce sang répanduEst-ce la terre qui le boit et qui se saouledrôle de saoulographie alorssi sage si monotoneNon la terre ne se saoule pasla terre ne tourne pas de traverselle pousse régulièrement sa petite voitureses quatre saisonsla pluie la neigela grêle le beau tempsjamais elle n'est ivrec'est à peine si elle se permet de temps en tempsun malheureux petit volcan Elle tourne la terreelle tourneavec ses arbres ses jardins ses maisonselle tourne avec ses grandes flaques de sanget toutes les choses vivantestournent avec elle et saignent Elleelle s'en fout la terreelle tourne et toutes les choses vivantesse mettent à hurlerelle s'en fout elle tourneelle n'arrête pas de tourneret le sang n'arrête pas de coulerOù s'en va-t-il tout ce sang répandule sang des meurtres le sang des guerresle sang de la misèreet le sang des hommes torturés dans les prisonsle sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur mamanet le sang des hommes qui saignent de la têtedans les cabanonset le sang du couvreurquand le couvreur glisse et tombe du toitEt le sang qui arrive et qui coule à grands flotsavec le nouveau-né avec l'enfant nouveaula mère qui crie l'enfant pleurele sang coulela terre tournela terre n'arrête pas de tournerle sang n'arrête pas de couler Où s'en va-t-il tout ce sang répandule sang des matraqués des humiliésdes suicidés des fusillés des condamnéset le sang de ceux qui meurent comme ça par accident Dans la rue passe un vivantavec tout son sang dedanssoudain le voilà mortet tout son sang est dehorset les autres vivants font disparaître le sangils emportent le corpsmais il est têtu le sanget là où était le mortbeaucoup plus tard tout noirun peu de sang s'étale encoresang coagulérouille de la vie rouille des corpssang caillé comme le laitcomme le lait quand il tournequand il tourne comme la terrecomme la terre qui tourneavec son lait avec ses vachesavec ses vivants avec ses mortsla terre qui tourneavec ses arbres ses vivants ses maisonsla terre qui tourne avec les mariagesles enterrements les coquillages les régimentsla terre qui tourne et qui tourne et qui tourneavec ses grands ruisseaux de sang Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | | Imprimer | Facebook |
12/10/2011
Le poème de la semaine
Saint-John Perse
Car tu nous reviendras, présence! au premier vent du soir, Dans ta substance et dans ta chairet dans ton poids de mer, ô glaise!dans ta couleur de pierre d'étable et de dolmen, ô Mer!parmi les hommes engendrés et leurs contrées de chênes rouvres,toi Mer de force et de labeur.Mer au parfum d'entrailles femelles et de phosphore,dans les grands fouets claquants du rapt!Mer saisissable au feu des plus beaux actes de l'esprit! ...(Quand les barbares sont à la Cour pour un très bref séjour,l'union avec les filles de serfs rehausse-t-elle d'un si haut tonle tumulte du sang? ...) "Guide-moi, plaisir, sur les chemins de haute mer;au frémissement de toute brise où s'alerte l'instant,comme l'oiseau vêtu de son vêtement d'ailes ...Je vais, je suis un chemin d'ailes,où la tristesse elle-même n'est plus qu'aile ...Le beau pays natal est à reconquérir, le beau pays du Roi,qu'il n'a revu depuis l'enfance,et sa défense est dans mon chant.Commande, ô fifre, l'action, et cette grâce encore d'un amourqui ne nous mette en mains que les glaives de joie! ... " Et vous, qu'êtes-vous donc, ô Sages! pour nous réprimander,ô Sages?Si la fortune de mer nourrit encore, en sa saison,au grand poème hors de raison, m'en refuserez-vous l'accès?Terre de ma seigneurie, et que j'y entre, moi!n'ayant nulle honte à mon plaisir ..."Ah! qu'un scribe s'approche et je lui dicterai ..."Et qui donc, né de l'homme,se tiendrait sans offense aux côtés de ma joie? - Ceux-là qui, de naissance,tiennent leur connaissance au-dessus du savoir. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:44 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | | Imprimer | Facebook |
05/10/2011
Le poème de la semaine
Thierry Renard
La vie n'est pas la même pour tousLa vie n'est pas un long fleuve tranquilleLa vie n'est pas toujours une partiede jambes en l'air ou de plaisirLa vie est malheureuse parfoisou simplementpas très heureuseLa vie fatigue les vivantsLa vie est un chemin parsemé d'embûchesLa vie pourtant nous tient très à coeuret on n'apprécie pas qu'on nous l'enlèveLa vie est aussi une voie rapideun train à grande vitesseun disque durle centre du monde existantLa vie est un noyau de pêche ou de ceriseelle nous réserve de bonnes surpriseslorsqu'elle se laisse alleret qu'on la retrouve quelque partabandonnéeLa vie est une petite joie une petite mortelle est puissante elle est massiveou bien un peu légère un peu fragileet sans véritable butLa vie c'est un aller simpleun détour une pauseune rivière sans retourmais c'est un miracle la viequand elle se perd à nos côtésquand elle transfigure la réalitéquand elle bouge les lignesquand elle franchit le mur du sonet quand elle reste étenduela nuit venuesous la voie lactée C'est un miracle la vie quand elle chanteou qu'elle nous parle tout basquand elle sautille d'un pas contentquand elle transpire en plein étéquand elle saisit la balle au bondC'est un miracle la vie quandelle nous embrasse nous étreintquand elle nous retient dans ses brasLa vie dans sa grande nuditéet l'on voudrait ne jamais mourir Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
28/09/2011
Le poème de la semaine
Claude Faux
Je marche au pas qui me convientJ'ai tout mon temps On ne m'attendPlus et plus rien ne me retientJ'ai tout le temps d'user mon temps Je marche au pas qui me convientJe m'arrête où j'en ai envieJe dis c'est mal je dis c'est bienJ'ai tout le temps d'user la vie Ne prenez pas vos airs de jugesNe me faites pas la leçonNous avons chacun nos refugesChacun pour soi dit la chanson Chacun pour soi Pas de quoi rirePas de quoi non plus pleurnicherParlez Mais qu'avez-vous à direQui n'ait été cent fois prêché Dans vos bouches les mots ont l'airDe terriblement s'ennuyerIls fuient comme pour oublierQu'ils ont eu de si mauvais pères Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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21/09/2011
Le poème de la semaine
Jean-Pierre Schlunegger
Ma plus douce lueur c'est ton corps de feuillageEt sa limpidité prise aux sources du ventOdeur de pomme brune et de renard filantQuand le poids d'une bouche incline vers l'orage Ma plus douce lueur ta peau fière et sauvagePays de l'innocence où ma main va rêvantMa plus douce lueur mon plus tendre sarmentQuand l'amour et la nuit me soufflent ton image Robe de mon amour marronnier du soleilEclair illuminant la voûte du sommeilEn grappes rouge-feu tu flambes sous la pluie Mais quand l'automne triste aux route de bois mortAbat ses herses de malheur nous sommes fortsMa plus douce lueur humaine mon amie Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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14/09/2011
Le poème de la semaine
René Char
Rivière trop tôt partie,d'une traite, sans compagnon,Donne aux enfants de mon paysle visage de ta passion. Rivière où l'éclair finitet où commence ma maison,Qui roule aux marches d'oublila rocaille de ma raison. Rivière, en toi terre est frisson,soleil anxiété.Que chaque pauvre dans sa nuitfasse son pain de ta moisson. Rivière souvent punie,rivière à l'abandon. Rivière des apprentisà la calleuse condition,Il n'est vent qui ne fléchisseà la crête de tes sillons. Rivière de l'âme vide,de la guenille et du soupçon,Du vieux malheur qui se dévide,de l'ormeau, de la compassion. Rivière des farfelus,des fiévreux, des équarrisseurs,Du soleil lâchant sa charruepour s'acoquiner au menteur. Rivière des meilleurs que soi,rivière des brouillards éclos,De la lampe qui désaltère l'angoisseautour de son chapeau. Rivière des égards au songe, rivière qui rouille le fer,Où les étoiles ont cette ombrequ'elles refusent à la mer. Rivière des pouvoirs transmiset du cri embouquant les eaux,De l'ouragan qui mord la vigneet annonce le vin nouveau. Rivière au coeur jamais détruitdans ce monde fou de prison,Garde-nous violentet ami des abeilles de l'horizon. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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07/09/2011
Le poème de la semaine
Abdellatif Laâbi
Amiaccroche-toita bougie est plus belleet tes ongles ne sont noirsque de la crasse des mauvais joursne pleure pasles armes qui te manquentréjouis-toi de la roseque tu ne peux offrirouvre les brasà l'enfant de tes insomniesta plume est proprene la trempe pasdans la glu de la rancoeur ta boue c'est de la bonne boueet ta baraqueun trône de lumière Je n'ai que toipour pouvoir diresans risque de me tromperj'ai un amiet continuer à aimercomme j'aime Accroche-toil'amipour que ce paysne s'écroule pas Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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31/08/2011
le poème de la semaine
René Depestre
Mon avenir sur ton visage est dessiné comme des nervures sur une feuilleta bouche quand tu ris est ciselée dans l'épaisseur d'une flammela douceur luit dans tes yeux comme une goutte d'eaudans la fourrure d'une vivante zibelinela houle ensemence ton corps et telle une clocheta frénésie à toute volée résonne à travers mon sang Comme les fleuves abandonnent leurs litspour le fond de sable de ta beautécomme des caravanes d'hirondelles regagnent tous les ansla clémence de ton méridienen toute saison je me cantonne dans l'invariable journée de ta chairje suis sur cette terre pour être à l'infinibrisé et reconstruit par la violence de tes flotston délice à chaque instant me recrée tel un coeur ses battementston amour découpe ma vie comme un grand feu de boisà l'horizon illimité des hommes Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
24/08/2011
Le poème de la semaine
Jean-Michel Maulpoix
La paix entre dans ma douleur.Des voiles devant mes yeux se tissent,puis se déchirent.La pensée de l'amour me rend à la douceurd'une forme inconnue de croyance.Ma vie n'est plus coupée en deuxpar les oiseaux de la chimère.Naguère orientée par le désirde tout ce qui n'existe pas,elle cherche à prendre maintenantla mesure juste de ce qui est. L'impossible n'est plus son chagrin.Le possible devient sa joie.Dans l'arc tendu de tes brastout le ciel bleu à même la peauavec ses oiseaux, ses nuageset l'orage clair et rouge du désir,et la nuit plus profonde. Le monde, avant de te toucher,je ne le savais pas si proche. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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15/08/2011
Paul Claudel
Paul Claudel
Il est midi.Je vois l'église ouverte.Il faut entrer.Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.Je n'ai rien à offrir et rien à demander.Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.Vous regarder, pleurer de bonheur,savoir celaQue je suis votre fils et que vous êtes là.Rien que pour un moment pendant que tout s'arrête.Midi ! Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.Ne rien dire, regarder votre visage,Laisser le cœur chanter dans son propre langage.Ne rien dire,mais seulement chanter parce qu'on a le cœur trop plein,Comme le merle qui suit son idéeen ces espèces de couplets soudains.Parce que vous êtes belle,parce que vous êtes immaculée. La femme dans la Grâce enfin restituée,La créature dans son honneur premieret dans son épanouissement final,Telle qu'elle est sortie de Dieuau matin de sa splendeur originale.Intacte ineffablementparce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ,Qui est la vérité entre vos bras,et la seule espérance et le seul fruit.Parce que vous êtes la femme,l'Eden de l'ancienne tendresse oubliée,Dont le regard trouve le cœur tout à coupet fait jaillir les larmes accumulées,Parce que vous m'avez sauvé,parce que vous avez sauvé la France,Parce qu'elle aussi, comme moi,pour vous fut cette chose à laquelle on pense,Parce qu'à l'heure où tout craquait,c'est alors que vous êtes intervenue,Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus,Parce qu'il est midi,parce que nous sommes en ce jour d'aujourd'hui,parce que vous êtes là pour toujours,simplement parce que vous êtes Marie,simplement parce que vous existez,Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée ! Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
05:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |