Le poème de la semaine (12/10/2011)

Saint-John Perse

Car tu nous reviendras, présence! au premier vent du soir,
 
Dans ta substance et dans ta chair
et dans ton poids de mer, ô glaise!
dans ta couleur de pierre d'étable et de dolmen, ô Mer!
parmi les hommes engendrés et leurs contrées de chênes rouvres,
toi Mer de force et de labeur.
Mer au parfum d'entrailles femelles et de phosphore,
dans les grands fouets claquants du rapt!
Mer saisissable au feu des plus beaux actes de l'esprit! ...
(Quand les barbares sont à la Cour pour un très bref séjour,
l'union avec les filles de serfs rehausse-t-elle d'un si haut ton
le tumulte du sang? ...)
 
"Guide-moi, plaisir, sur les chemins de haute mer;
au frémissement de toute brise où s'alerte l'instant,
comme l'oiseau vêtu de son vêtement d'ailes ...
Je vais, je suis un chemin d'ailes,
où la tristesse elle-même n'est plus qu'aile ...
Le beau pays natal est à reconquérir, le beau pays du Roi,
qu'il n'a revu depuis l'enfance,
et sa défense est dans mon chant.
Commande, ô fifre, l'action, et cette grâce encore d'un amour
qui ne nous mette en mains que les glaives de joie! ... "
 
Et vous, qu'êtes-vous donc, ô Sages! pour nous réprimander,
ô Sages?
Si la fortune de mer nourrit encore, en sa saison,
au grand poème hors de raison, m'en refuserez-vous l'accès?
Terre de ma seigneurie, et que j'y entre, moi!
n'ayant nulle honte à mon plaisir ...
"Ah! qu'un scribe s'approche et je lui dicterai ..."
Et qui donc, né de l'homme,
se tiendrait sans offense aux côtés de ma joie?
 
- Ceux-là qui, de naissance,
tiennent leur connaissance au-dessus du savoir.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

01:44 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (3) | |  Imprimer |  Facebook | | |