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21/07/2010

Le poème de la semaine

Yves Bonnefoy



Heurte.

Heurte à jamais.


Dans le leurre du seuil.


A la porte, scellée,

A la phrase, vide.

Dans le fer, n'éveillant

Que ces mots, le fer.


Dans le langage, noir.


Dans celui qui est là

Immobile, à veiller

A sa table, chargée

De signes, de lueurs. Et qui est appelé


Trois fois, mais ne se lève.


Dans le rassemblement, où a manqué

Le célébrable.


Dans le blé déformé

Et le vin qui sèche.


Dans la main qui retient

Une main absente.


Dans l'inutilité

De se souvenir.


Dans l'écriture, en hâte

Engrangée de nuit


Et dans les mots éteints

Avant même l'aube.


....................................................


Dans la bouche qui veut

D'une autre bouche

Le miel que nul été

Ne peut mûrir.


Dans la note qui, brusque,

S'intensifie

Jusqu'à être, glaciaire,

Presque la passe


Puis l'insistance de

La note tue

Qui désunit sa houle

Nue, sous l'étoile.


Dans un reflet d'étoile

Sur du fer.

Dans l'angoisse des corps

Qui ne se trouvent.


Heurte, tard.


Les lèvres désirant

Même quand le sang coule,


La main heurtant majeure

Encore quand

Le bras n'est plus que cendre

Dispersée...


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/07/2010

Le poème de la semaine

Jean Cocteau


Je n'aime pas dormir quand ta figure habite,

La nuit, contre mon cou ;

Car je pense à la mort laquelle vient trop vite,

Nous endormir beaucoup.


Je mourrai, tu vivras et c'est ce qui m'éveille!

Est-il une autre peur?

Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille

Ton haleine et ton coeur.


Quoi, ce timide oiseau replié par le songe

Déserterait son nid !

Son nid d'où notre corps à deux têtes s'allonge

Par quatre pieds fini.


Puisse durer toujours une si grande joie

Qui cesse le matin,

Et dont l'ange chargé de construire ma voie

Allège mon destin.


Léger, je suis léger sous cette tête lourde

Qui semble de mon bloc,

Et reste en mon abri, muette, aveugle, sourde,

Malgré le chant du coq.


Cette tête coupée, allée en d'autres mondes,

Où règne une autre loi,

Plongeant dans le sommeil des racines profondes,

Loin de moi, près de moi.


Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge,

Par ta bouche qui dort

Entendre de tes seins la délicate forge

Souffler jusqu'à ma mort.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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07/07/2010

Le poème de la semaine

Paul Valéry


Tes pas, enfants de mon silence,

Saintement, lentement placés,

Vers le lit de ma vigilance

Procèdent muets et glacés.


Personne pure, ombre divine,

Qu'ils sont doux, tes pas retenus !

Dieux !... tous les dons que je devine

Viennent à moi sur ces pieds nus !


Si, de tes lèvres avancées,

Tu prépares pour l'apaiser,

A l'habitant de mes pensées

La nourriture d'un baiser,


Ne hâte pas cet acte tendre,

Douceur d'être et de n'être pas,

Car j'ai vécu de vous attendre,

Et mon coeur n'était que vos pas.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Paul Valéry, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/06/2010

Le poème de la semaine

Paul Fort


Le petit cheval dans le mauvais temps,

qu'il avait donc du courage !

C'était un petit cheval blanc,

tous derrière et lui devant.


Il n'y avait jamais de beau temps

dans ce pauvre paysage.

Il n'y avait jamais de printemps,

ni derrière ni devant.


Mais toujours il était content,

menant les gars du village,

A travers la pluie noire des champs,

tous derrière et lui devant.


Sa voiture allait poursuivant

sa belle petite queue sauvage.

C'est alors qu'il était content,

eux derrière et lui devant.


Mais un jour, dans le mauvais temps,

un jour qu'il était si sage,

Il est mort par un éclair blanc,

tous derrière et lui devant.


Il est mort sans voir le beau temps,

qu'il avait donc du courage !

Il est mort sans voir le printemps

ni derrière ni devant.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/06/2010

Le poème de la semaine

Guillaume Apollinaire


J'ai cueilli ce brin de bruyère

L'automne est morte souviens-t'en

Nous ne nous verrons plus sur terre

Odeur du temps Brin de bruyère

Et souviens-toi que je t'attends

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

07:29 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/06/2010

Le poème de la semaine

Henri de Régnier


Un petit roseau m'a suffi

pour faire frémir l'herbe haute

et tout le pré

et les deux saules

et le ruisseau qui chante aussi ;

un petit roseau m'a suffi

à faire chanter la forêt.


Ceux qui passent l'ont entendu

au fond du soir, en leurs pensées

dans le silence et dans le vent,

clair ou perdu,

proche ou lointain...

Ceux qui passent en leurs pensées

en écoutant, au fond d'eux-mêmes

l'entendront encore et l'entendent

toujours qui chante.


Il m'a suffi

de ce petit roseau cueilli

à la fontaine où vint l'Amour

mirer, un jour,

sa face grave

et qui pleurait,

pour faire pleurer ceux qui passent

et trembler l'herbe et frémir l'eau;

et j'ai du souffle d'un roseau

fait chanter toute la forêt.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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02/06/2010

Le poème de la semaine

Paul Claudel


Il est une conception dans la joie, je le veux,

il est une vision dans le rire.

Mais ce mélange de béatitude et d'amertume

que comporte l'acte de création,

pour que tu le comprennes, ami,

à cette heure où s'ouvre une sombre saison,

je t'expliquerai la tristesse de l'eau.


Du ciel choit ou de la paupière déborde

une larme identique.


Ne pense point de ta mélancolie accuser la nuée,

ni ce voile de l'averse obscure.

Ferme les yeux, écoute!

La pluie tombe.


Ni la monotonie de bruit assidu

ne suffit à l'explication.


C'est l'ennui d'un deuil

qui porte en lui-même sa cause,

c'est l'embesognement de l'amour,

c'est la peine dans le travail.

Les cieux pleurent sur la terre qu'ils fécodent.

Et ce n'est point surtout l'automne

et la chute future du fruit

dont elles nourrissent la graine

qui tire ces larmes de la nue hivernale.

La douleur est l'été

et dans la fleur de la vie

l'épanouissement de la mort.


Au moment que s'achève cette heure

qui précède Midi,

comme je descends dans ce vallon

qu'emplit la rumeur de fontaines diverses,

je m'arrête ravi par le chagrin.

Que ces eaux sont copieuses!

et si les larmes comme le sang ont en nous

une source perpétuelle,

l'oreille à ce choeur liquide

de voix abondantes ou grêles,

qu'il est rafraîchissant d'y assortir

toutes les nuances de sa peine!


Il n'est passion qui ne puisse

vous emprunter ses larmes, fontaines!

et bien qu'à la mienne

suffise l'éclat de cette goutte unique

qui de très haut dans la vasque

s'abat sur l'image de la lune,

je n'aurai pas en vain pour maints après-midi

appris à connaître ta retraite,

val chagrin.


Me voici dans la plaine.

Au seuil de cette cabane où,

dans l'obscurité intérieure,

luit le cierge allumé

pour quelque fête rustique,

un homme assis tient dans sa main

une cymbale poussiéreuse.

Il pleut immensément,

et j'entends seul,

au milieu de la solitude mouillée,

un cri d'oie.

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:30 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/05/2010

Le poème de la semaine

René Char


Je sais bien que les chemins marchent

Plus vite que les écoliers

Attelés à leur cartable

Roulant dans la glu des fumées

Où l’automne perd le souffle

Jamais douce à vos sujets

Est-ce vous que j’ai vu sourire

Ma fille ma fille je tremble

N’aviez-vous donc pas méfiance

De ce vagabond étranger

Quand il enleva sa casquette

Pour vous demander son chemin

Vous n’avez pas paru surprise

Vous vous êtes abordés

Comme coquelicot et blé

Ma fille ma fille je tremble


La fleur qu’il tient entre les dents

Il pourrait la laisser tomber

S’il consent à donner son nom

A rendre l’épave à ses vagues

Ensuite quelque aveu maudit

Qui hanterait votre sommeil

Parmi les ajoncs de son sang

Ma fille ma fille je tremble


Quand ce jeune homme s’éloigna

Le soir mura votre visage

Quand ce jeune homme s’éloigna

Dos voûté front bas et mains vides

Sous les osiers vous étiez grave

Vous ne l’aviez jamais été

Vous rendra-t-il votre beauté

Ma fille ma fille je tremble


La fleur qu’il gardait à la bouche

Savez-vous ce qu’elle cachait

Père un mal pur bordé de mouches

Je l’ai voilé de ma pitié

Mais ses yeux tenaient la promesse

Que je me suis faite à moi-même

Je suis folle je suis nouvelle

C’est vous mon père qui changez


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:25 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : anthologie; littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/05/2010

Le poème de la semaine

Louis Aragon


Il avait tout à coup cédé

Le long hiver interminable

Et la douleur

Et la douleur dans tout ce printemps adorable

Humide et lourd

Et la douleur qui porte sous ses yeux

Les précoces lilas de mars

La douleur qui marchait sourdement dans la rue

Aurait-t-elle après tout remarqué le printemps

N’était que tant de fleurs escortaient la douleur

Le long l’interminable hiver de la douleur

Qui marchait

Qui marchait sur le bitume bleu


Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette


On croyait cependant que dans le fond du verre

Tout le breuvage bu pour amer qu’il parût

N’était pas plus amer que l’épreuve ancienne

Et le sang tant de fois versé des jeunes gens

On croyait cependant après la guerre noire

A tout jamais fait le tour des larmes


Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette


Tout en haut du Père-La-Chaise

Où quand ils n’eurent plus derrière eux que ce mur

Chantèrent-ils La Marseillaise

Comme ceux que nos yeux connurent

Où noirs de poudre et de colère

Ils s’arrêtèrent pour mourir les fédérés

Tout en haut du Père-La-Chaise

Il y avait tant de roses rouges

Qu’on perdait mémoire du sang


Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette


La tribune de drap grenat

Dans l’absence des feuilles d’arbres

La tribune voyait passer les derniers traînards

Des enfants de vieilles femmes fatiguées

La tribune dans le soleil de cette fin d’après-midi

La tribune dans ce beau jour encore étonné de lui-même

Et la fosse ouverte semblait une aventure contredite

Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette


Oh nous avons tant de fois piétiné cette allée

Tant de fois en passant salué cette tombe

Et naturellement levé nos yeux distraits

Vers les maisons voisines

Vers cet immeuble neuf où la vie continue

Au-delà du mur vert de lierre

Qui ressemble à l’oubli plus qu’à la mémoire

Oh tant de fois

Tant de fois nous avons salué

Ceux qui ne sont plus que les mots

D’une chanson mécanique


Et c’est ici pourtant que j’ai vu pleurer Jeannette


Il devait y avoir un deuil plus grand

Un deuil sans aucune mesure

Ni dans ces lieux

Accoutumés aux sombres pensées des passants

Soudain s’est déchiré le cœur

S’est déchirée l’accoutumance

Et le courage et la résolution prise

De regarder quoiqu’il advienne

L’avenir avec ces grands yeux bleus

De l’optimisme et du bonheur

Soudain s’est déchiré quelque chose

Que je sens avec surprise en moi

Comme une lointaine marée


Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette


Toute la famille noire était là qui barrait le chemin

Descendant dans un extraordinaire silence

Qui barrait le chemin du monde machinal

Une famille noire et calme et raisonnable

Et qui savait si bien épargner les sanglots

Et rendait sagement la poignée de main

Sans gémir

La poignée de main que l’on donne

A défaut de dire les mots nuls

A la famille noire


Et c’est alors que j’ai vu


Et c’est alors que j’ai vu

amily: 'Trebuchet MS'; font-size: small;">Dans le printemps funèbre et tendre

Et la lumière pâle et fraîchement ouverte

Cette terre et les fleurs

Et les fleurs qui couvraient tout autour

Tant de tombeaux abandonnés

Avec la seule gloire et le nom des héros

D’or gravé dans la pierre

Et les fleurs dépassant le territoire assigné

A la mémoire d’un seul mort

C’est alors que j’ai vu

Que j’ai vu


Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

23:59 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/05/2010

Le poème de la semaine

Jean-Michel Maulpoix


Compose avec ce bleu.


Cette histoire t'appartient.

Tu ne pourras jamais te défaire de tout le vague

qui s'accumule en toi:

tu t'y emploieras, c'est assez.

Dresse-toi sur tes faiblesses

autant que sur tes forces:

ne résiste pas à celui que tu es.


Sache reconnaître combien le ciel est pauvre

tandis que la terre mélange la misère à la beauté.

Dans les yeux de tes semblables,

l'infini n'est jamais monotone.

Tes limites sont certaines:

fais en sorte qu'elles soient vraiment tiennes.

Ne fais pas de l'oubli un mauvais usage.

Garde en réserve de l'espérance

pour les heures de disette:

il te faudra quelque jour rendre des comptes.


Ne rechigne pas à la dépense.


Quand tu ne lui arracherais que des loques,

il te faut écrire

comme si tu devais liquider la mer.

Les mots sont tout ce qu'il te reste:

lance-toi à l'assaut de ce bleu.

Tu dois courir encore derrière la mer.

Il t'appartient d'en modifier la teinte,

comme de recolorer de temps en temps le ciel,

et de rhabiller ses fantômes

avec des vêtements neufs.

Pour se perpétuer,

l'invisible a besoin de figures.

L'infini est avide de formes.

Il ne prend corps que sur ses bords

où se conjoignent le large et le rivage,

là où se noie de ton poème

le beau regard exact et bleu:

la mer

est le grand encrier indestructible.


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Michel Maulpoix, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |