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25/05/2011

Le poème de la semaine

Louis Aragon

Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon

Passe ton doigt là sur ta tempe 
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux

Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus

Peu à peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps

C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie

C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux

O mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées

Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

06:10 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/05/2011

Le poème de la semaine

René Char

J'appelle les amours
qui roués et suivis par la faulx de l'été,
au soir embaument l'air
de leur blanche inaction.
 
Il n'y a plus de cauchemar,
douce insomnie perpétuelle.
Il n'y a plus d'aversion.
Que la pause d'un bal
dont l'entrée est partout
dans les nuées du ciel.
 
Je viens avant la rumeur des fontaines,
au final du tailleur de pierre.
 
Sur ma lyre,
mille ans pèsent moins qu'un mort.
 
J'appelle les amants  
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:07 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/05/2011

Le poème de la semaine

Nadia Tuéni

Qu'elle soit courtisane, érudite, ou dévote,
péninsule de bruits, des couleurs, et de l'or,
ville marchande et rose, voguant comme une flotte
qui cherche à l'horizon la tendresse d'un port,
elle est mille fois mort, mille fois revécue.
 
Beyrouth des cents palais, et Béryte des pierres,
où l'on vient de partout ériger ses statues,
qui font prier les hommes, et font crier les guerres.
Ses femmes aux yeux de plages qui s'allument la nuit,
et ses mendiants semblables à d'anciennes pythies.
A Beyrouth chaque idée habite une maison.
A Beyrouth chaque mot est une ostentation.
A Beyrouth l'on décharge pensées et caravanes,
flibustiers de l'esprit, prêtresses ou bien sultanes.
 
Qu'elle soit religieuse, ou qu'elle soit sorcière,
ou qu'elle soit les deux, ou qu'elle soit charnière,
du portail de la mer ou des grilles du levant,
qu'elle soit adorée ou qu'elle soit maudite,
qu'elle soit sanguinaire, ou qu'elle soit d'eau bénite,
qu'elle soit innocente ou qu'elle soit meurtrière,
en étant phénicienne, arabe ou routière,
en étant levantine, aux multiples vertiges,
comme ces fleurs étranges fragiles sur leurs tiges,
Beyrouth est en orient le dernier sanctuaire,
où l'homme peut toujours s'habiller de lumière.


Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

11/05/2011

Le poème de la semaine

Charles Péguy
(d'après Augustin d'Hippone)

La mort n’est rien,

je suis simplement passé dans la pièce à côté.
Je suis moi, vous êtes vous.
Ce que nous étions les uns pour les autres,
nous le sommes toujours.

Donnez-moi le nom que vous m’avez toujours donné,
parlez-moi comme vous l’avez toujours fait,
n’employez pas un ton solennel ou triste,
continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble,
priez, souriez, pensez à moi,
que mon nom soit prononcé comme il l’a toujours été,
sans emphase d’aucune sorte, sans trace d’ombre.

La vie signifie tout ce qu’elle a toujours signifié,
elle est ce qu’elle a toujours été.
Le fil n’est pas coupé,
simplement parce que je suis hors de votre vue.
Je vous attends. 

Je ne suis pas loin.
Juste de l’autre côté du chemin.
Vous voyez : tout est bien.

Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/05/2011

Le poème de la semaine

Paul Eluard

Au nom du front parfait profond
Au nom des yeux que je regarde
Et de la bouche que j'embrasse
Pour aujourd'hui et pour toujours
 
Au nom de l'espoir enterré
Au nom des larmes dans le noir
Au nom des plaintes qui font rire
Au nom des rires qui font peur
 
Au nom des rires dans la rue
De la douceur qui lie nos mains
Au nom des fruits couvrant les fleurs
Sur une terre belle et bonne
 
Au nom des hommes en prison
Au nom des femmes déportées
Au nom de tous nos camarades
Martyrisés et massacrés
Pour n'avoir pas accepté l'ombre
 
Il nous faut drainer la colère
Et faire se lever le fer
Pour préserver l'image haute
Des innocents partout traqués
Et qui partout vont triompher

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

05:05 Écrit par Claude Amstutz dans Paul Eluard, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/04/2011

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Siméon

 

Rien n'est plus beau

qu'un amour qui ne se croit pas immortel

qui a la souple respiration du voilier

endormant la vague

prodige oui mais qui se sait tributaire

d'un vent si incertain

qu'il voudrait d'un seul déploiement de son erre

boire toute une nuit d'étoiles et de lune pleine

 

 un amour comme une joie d'enfance

grandie de sa fin trop proche

et qui se tient timide

au faîte de l'instant 

 

nid d'hirondelle

dans le noir

ah ce n'est pas cela un amour de légende

qui se targue des mélancolies

et geint à genoux sous la couronne des roses

 

 toi mon aimée

demeure princière en ton rire

chaque matin devant ta mort et ma mort

sois libre et fière et ferme

car il suffit de la caresse d'un rire

pour que tout en nous se recompose

et que soit le monde uniment

sous nos mains le passage et la durée

la nudité d'une âme dans la douceur du corps

 

 nous mourrons mon amour sans rien perdre

si nous séjournons visages étonnés

dans l'instant qui nous prolonge

et fait de nos gestes les plus simples

- baiser murmure épaule lente -

un feu dormant

 

 demeurons mon aimée

fût-ce au coeur d'un sanglot silencieux

une joie ouverte

 

 sommet de l'éclair

rire et bonté persistants

dans la disparition

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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20/04/2011

Le poème de la semaine

Saint John Perse

 

Nous n'habiterons pas toujours ces terres jaunes,

notre délice ...


L'Eté plus vaste que l'Empire

suspend aux tables de l'espace

plusieurs étages de climats.

La terre vaste sur son aire roule à pleins bords

sa braise pâle sous les cendres ...

couleur de soufre, de miel,

couleur de choses immortelles,

toute la terre aux herbes

s'allumant aux pailles de l'autre hiver ...

et de l'éponge verte d'un seul arbre

le ciel tire son suc violet.


Un lieu de pierres à mica!

Pas une graine pure dans les herbes du vent.

Et la lumière comme une huile ...

De la fissure des paupières

au fil des cimes m'unissant,

je sais la pierre tachée d'ouïes,

les essaims du silence aux ruches de lumière;

et mon coeur prend souci d'une famille d'acridiens ...


Chamelles douces sous la tonte,

cousues de mauves cicatrices,

que les collines s'acheminent

sous les données du ciel agraire ...

qu'elles cheminent en silence

sur les incandescences pâles de la plaine;

et s'agenouillent à la fin, dans la fumée des songes,

là où les peuples s'abolissent

aux poudres mortes de la terre.


Ce sont de grandes lignes calmes

qui s'en vont à des bleuissements de vignes improbables.

La terre en plus d'un point

mûrit les violettes de l'orage;

et ces fumées de sable qui s'élèvent

au lieu des fleuves morts,

comme des pans de siècles en voyage ...


A voix plus basse pour les morts,

à voix plus basse dans le jour.

Tant de douceur au coeur de l'homme,

se peut-il qu'elle faille à trouver sa mesure? ...

"Je vous parle, mon âme ...

mon âme tout enténébrée d'un parfum de cheval."

Et quelques grands oiseaux de terre,

naviguant en Ouest,

sont de bons mimes de nos oiseaux de mer.


A l'orient du ciel si pâle,

comme un lieu saint scellé des linges de l'aveugle,

des nuées calmes se disposent,

où tournent les cancers du camphre et de la corne ...

Fumées qu'un souffle nous dispute!

La terre tout attente en ses barbes d'insectes,

la terre enfante des merveilles! ...

Et à midi, quand l'arbre jujubier

fait éclater l'assise des tombeaux,

l'homme clôt ses paupières

et rafraîchit sa nuque dans les âges ...

Cavalerie du songe au lieu des poudres mortes,

ô routes vaines qu'échevèle

un souffle jusqu'à nous!

Où trouver,

où trouver les guerriers

qui garderont les fleuves dans leurs noces?


Au bruit des grandes eaux en marche sur la terre,

tout le sel de la terre tressaille dans les songes.

Et soudain, ah! soudain que nous veulent ces voix?

Levez un peuple de miroirs

sur l'ossuaire des fleuves,

qu'ils interjettent appel dans la suite des siècles!

Levez des pierres à ma gloire,

levez des pierres au silence,

et à la garde de ces lieux,

les cavaleries de bronze vert

sur de vastes chaussées! ...


 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

 

06:38 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/04/2011

Le poème de la semaine

Jocelyne François



Trente ans déjà

que tu m'as nommée de mon nom public

que tu as écrit

sur le papier toujours prêt

cette ouverture

alors que l'air vibrait

dans la douceur palpable et transparente

 

Aujourd'hui

je mesure quelle jeunesse nous habitait

celle de l'élan pur

que ne comblera pas l'apparence

 

Tous les mots

furent dits qui devaient être dits

tous les gestes

furent faits qui devaient être faits

 

Ce qui fut écrit demeure

 

Eté de la Saint-Martin sur Paris

Le soleil glisse derrière la coupole

L'air vibre

dans la douceur palpable et transparente

 

Ici ne se récoltent

ni figues ni amandes ni raisins

Ici les pensées se chevauchent

s'accompagnent patientent

 

Aujourd'hui

dans le cimetière de l'Ile-sur-Sorgue

les lézards paressent sur ta tombe

C'est l'heure des crocus jaunes

 

Ce qui fut demeure

Moi vivante

personne ne dilacérera ce trésor


 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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30/03/2011

Le poème de la semaine

Claire Genoux


Le lac peut bien lécher mes sandales

comme un chien trop fidèle

je n'ai qu'une envie

celle de plâtrer ses rives

et de sangler sa peau battante

au brouillard hivernal

car je ne veux plus de saisons

qu'il s'obstine à dresser sur nos toits

d'un coup de plume

je ferai souffler la bise

pour assécher son eau

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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23/03/2011

Le poème de la semaine

Norge


Rien qu'un petit bonheur, Suzette,

Un petit bonheur qui se tait.

Le bleu du ciel est de la fête;

Rien qu'un petit bonheur secret.


Il monte! C'est une alouette

Et puis voilà qu'il disparaît;

Le bleu du ciel est de la fête.

Il chante, il monte, il disparaît.


Mais si tu l'écoutes, Suzette,

Si dans tes paumes tu le prends

Comme un oiseau tombé des crêtes,

Petit bonheur deviendra grand.


 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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