10/02/2010
Le poème de la semaine
Henri Michaux
La fortune aux larges ailes, la fortune par erreur
m'ayant emporté avec les autres vers son pays joyeux,
tout à coup, mais tout à coup, comme je respirais enfin heureux,
d'infinis petits pétards dans l'atmosphère me dynamitèrent
et puis des couteaux jaillissant de partout
me lardèrent de coups,
si bien que je retombai sur le sol dur de ma patrie,
à tout jamais la mienne maintenant.
La fortune aux ailes de paille,
la fortune m'ayant élevé pour un instant
au-dessus des angoisses et des gémissements,
un groupe formé de mille caché à la faveur de ma distraction
dans la poussière d'une haute montagne,
un groupe fait à la lutte à mort depuis toujours,
tout à coup nous étant tombé dessus comme un bolide,
je retombai sur le sol dur de mon passé,
passé à tout jamais présent maintenant.
La fortune encore une fois, la fortune aux draps frais
m'ayant recueilli avec douceur,
comme je souriais à tous autour de moi,
distribuant tout ce que je possédais, tout à coup,
pris par on ne sait quoi venu par en-dessous et par derrière,
tout à coup, comme une poulie qui se décroche,
je basculai,
ce fut un saut immense,
et je retombai sur le sol dur de mon destin,
destin à tout jamais le mien maintenant.
La fortune encore une fois, la fortune à la langue d'huile,
ayant lavé mes blessures,
la fortune comme un cheveu qu'on prend
et qu'on tresserait avec les siens,
m'ayant pris et m'ayant uni indissolublement à elle,
tout à coup comme déjà je trempais dans la joie,
tout à coup la Mort vint et dit:
"Il est temps. Viens."
La Mort, à tout jamais la Mort maintenant.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
10:57 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
05/01/2010
Le poème de la semaine
Pierre Reverdy
La vitre
Où quelques gouttes de rosée brillent encore
S’est brisée
Sous la lampe
Le livre s’est ouvert sur une page blanche
Et l’ombre descendue du toit s’est arrêtée
Elle est bien plus grande qu’un homme
Et dans la chambre basse
Où l’éclair est passé
Une lumière sans pétales
Tremble encore un peu sur sa tige
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:13 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
01/01/2009
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Je ne connais pas la vie,
je ne te savais pas.
L'univers était flou, sans contrastes,
sans forme ni objet,
dépourvu de base et de sommet,
de profondeur et de surface.
Asphyxié,
je me perdais dans mes notions de valeurs,
mais quelles valeurs?
L'araignée tissait sa toile
autour de moi.
Etouffement, écœurement,
souvent,
si souvent dans mes déserts
peuplés de vautours
où j'errais avant de te rencontrer.
Solitaire - même au milieu des miens -
j'appris le monde, la vie, les hommes.
Je n'acceptais pas,
alors j'ai préféré partir.
Je cherchais quelque chose
que je devinais important;
mais de cause en effet,
d'innocence en expérience,
je m'évadais sans cesse.
Démence,
appel au salut impossible,
folle inconscience dans ma nuit.
Je vivais, sans que jamais
pourtant
le moindre événement
ne donne un sens à mon existence.
A travers les arrachements,
les cassures, les déchirements,
à travers la stupidité générale,
j'attendais un signe.
Et les voyages encore une fois:
la drogue - qui m'ennuie -,
l'alcool - qui a mauvais goût -.
L'oeuf ne s'est jamais débarrassé
de sa coquille.
Etranger, hors du coup,
résolument en marge,
je m'accrochais...
Mais peut-on vraiment
appeler cela: vivre sa vie?
J'avais perdu le sens
de tout rapprochement
avec le monde extérieur.
Puis, un jour,
m'éveillant comme à l'accoutumée,
je vis un rais de lumière.
Et s'il s'agissait d'un mirage?
Mes os ne supportaient plus
ma tête de clown
et le sang,
toujours témoin de ce voyage
incroyablement difficile,
s'égouttait en larges flaques roses.
Alors, tu es venue.
Le cours de ma vie changea.
Je t'aimais déjà,
revenu miraculeusement de je ne sais
quel pays lointain.
Le temps se cassait à l'aube
et sur mon coeur de craie
les lèvres étrangères ne disaient que bonsoir.
Trop longtemps, je vécus en observateur.
Dans mes voyages,
nulle trace de désir, d'audace
ou d'imagination:
la sève ne montait pas à l'arbre.
Combien de changements
n'as-tu pas déjà provoqués en moi?
Lorsque je pousse la porte de ma chambre,
je n'y trouve point l'écho
d'un souffle de jeunesse et de renouveau.
Je scrute ton regard
et me glisse un instant dans ta vie;
mais si vite, tu retournes
à tes préoccupations
dont je voudrais être le dénouement.
Hélas, je te connais si peu,
et toi, tu es si loin,
tellement absente partout,
alors que chaque heure et chaque jour
ne me parlent que de toi.
Les corbillards de mes années gâchées
gouvernent leurs fantômes
lorsque ta main m'arrache à l'exil.
Si proche et inaccessible pourtant,
dis:
à quoi songes-tu?
Oiseau rare,
éveille en moi la sincérité.
Eprouve-moi du berceau de ton mystère.
La vérité attend
sur le seuil de ta porte.
Cache-toi, prends patience,
et cela je t'en prie,
car mes mots et mes gestes,
la pluie les traverse.
Cerné par tes multiples présences,
fidèle - oh combien fidèle -
j'attends.
Dans l'hiver de ton oeil,
je ne joue plus.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
06:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Je suis tombé du temps
sur un livre qui traîne,
lentement,
progressivement,
sans laisser de trace.
Je suis tombé en petites flaques,
mal à l'aise,
entre deux lignes de vie,
sans surprise,
dans la pauvreté,
dans l'insuffisance,
étouffé,
chiffonné au fond de moi-même.
Je suis tombé subitement,
sans me presser
pour ne choquer personne.
A chacun son affaire ...
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
05:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : textes; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Un visage,
à l'écorce douce et secrète de l'orange,
comme un soleil qui se laisserait éblouir,
après le fléau gelé des larmes,
après le bois-vert des insultes,
après la misère.
Un visage,
comme un appel au large,
quand l'heure est passée,
que s'est éteinte la lanterne de la comédie
dans le lit défait de l'imagination.
Un visage,
ton visage que j'aime et qui vit en moi,
loin des fouillis,
des entassements de bonne famille,
loin de la neige salie de l'enfance,
loin des asiles.
Un visage,
qui soit la fin des asiles,
comme un sursis éphémère au suicide,
mon suicide,
comme un suicide cent fois remis au lendemain
sur le fil cassé de la rancoeur:
mélodie nocturne d'un coeur désillusionné
qui recommence à croire...
Ton visage,
si près de moi que je ne peux le décrire,
ni chaud, ni froid
et que j'engouffre en moi
jusqu'à la déchirure.
Ton visage,
comme une porte cochère,
comme pour oublier que tout n'est qu'illusion,
pour noyer le petit sécateur malmené des mots,
pour oublier qu'on n'oublie rien du tout.
Ton visage,
toi qui trouves la vie insipide,
la drogue sans histoires,
sur la ligne brisée de mes rêves
tu m'imposes l'image d'une étoile qui meurt.
Ton visage,
merveilleux sans fadeur,
ingénu sans vulgarité,
ironique mais si tendre
tandis que tu bascules et t'attaches
à l'enfer ralenti de mes lèvres.
Ombre de mon ombre,
visage reconnaissable entre tous les visages
dont je ne sais le nom,
visage contre le mien,
tant de fois caressé jusqu'à l'usure de mes paumes.
Un visage,
ton visage.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
04:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Mon corps est transparent,
si transparent
que bientôt il y fera jour.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
03:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Le visage d'une amoureuse est sans équivalent
Cerné de toutes parts la nuit l'engloutit
L'inconnu ne réveille pas le mensonge
L'unique langage est celui de l'écolier
qui n'en demandait pas tant
Visage survenu dès la fin du jour
L'homme perd son corps il redevient humain
Sur votre front ramures profondes
j'ai senti le poids de l'irréparable
le frémissement de la terre
le fini est inépuisable
Dans l'écrin de vos yeux la mort est une illusion
l'intelligence un fantasme
l'oubli une imposture
Il n'est plus de ténèbres
l'inaccessible s'évanouit
vertiges vertiges ...
Eventail replié vos lèvres se débattaient
entre savoir et devenir
clou rouillé dans la transparence de l'instant
changé en fontaine
Aiguilles du temps et de la volupté
au balancement subtil du roseau
lorsque la marée montante des désirs
vous griffe avec élégance
fleurs profondes ne vous cassez pas
mais épousez le velours noir de mon incrédulité
Mèches de cheveux
aux ondulations allègres du tournesol
qu'une main écorchant votre peau chassa
volez volez doigts agiles
dans ces broderies sans concurrence
Sous le baiser humide et tendre
vous vous êtes raidie fleur étrange
figée traquée sous la morsure en plein midi
Votre cou s'infléchissait
n'exprimant ni oui ni non
lorsque côte à côte nous dérivions
vers le sommeil vers la mort
La chute des feuilles
comme une épingle retournée m'a dit oui
Parfums caresses ou vents
éclats incandescents de l'amour
pourvoyeurs de signes
balbutiements de mémoire
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour M.M.
02:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Claudio Montale
Verbe de mémoire,
mon ombre sur la terre,
le gouvernail du temps au hasard des intempéries
a démêlé nos liens.
Branches obscures avides de tout,
nos vies ont emprunté un itinéraire différent,
tantôt fondu à la pierre négligée,
tantôt semblable à l'éclair de midi,
impatient et désespéré.
Au seuil du rude hiver,
il a fallu effacer la trace ancienne,
l'écharde blanche
à la dimension de notre impossible amour.
Silence, intériorité en Dieu,
l'ami et l'hôte inattendu.
Absence scellée
aux blessures apparentes.
Hors de toi,
le temps s'est raréfié.
A l'épreuve des vents contraires
je n'ai pas fui l'allégresse
des matins réinventés;
mais pourquoi l'ancolie solitaire
- malgré les mains tendues, amies -
ne s'est-elle ouverte, en larmes,
qu'aux restes de notre incomparable union?
Etoile de sang
qu'un pluriel nourrit sous le givre.
Et toi
- ma raison de vivre et de durer -
dans quels miroirs t'es-tu multipliée?
Et quels horizons
aux signes témaires
ont parcouru ta plaie?
Oiseau vulnérable au profil trop offert,
n'as-tu trouvé de prise sur aucun nid?
Parfois, lumineuse,
l'accalmie des heures communes:
fragments de ta présence aimante,
insoumise, désemparée,
à l'éphémère inondant ma vigne.
Apogée de joie
dans nos yeux et nos rires confondus;
apogée de souffrance
dans le non-dit et le ciel limité.
Nous sommes très proches,
disais-tu:
petit coeur qui ne bat plus,
corps froid ne recueillant que les cendres
de mon être dissous...
Douleur vibrante
au présent consterné.
Rose tardive sollicitant sa tige,
suis-je aujourd'hui, enfin,
à la terre rendu
- difficile apprentissage
des clartés définitives -
quand le pire
n'est point de vouloir mourir,
mais de si peu tenir à vivre?
J'acquiesce et me tais.
L'espace tremble, il mesure mon pas,
et ton ombre s'étend.
A sa douceur hospitalière,
je m'abandonne
comme la graine austère
qui demande à reposer
au coeur de ce qu'elle aime.
Ligne meurtrie où s'inscrit mon souffle
en s'inclinant vers toi.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
pour C.C.
01:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |