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24/10/2012

Le poème de la semaine

Raymond Radiguet

Aurore, à nul des coeurs qui saignent, 
Ne vas recommander l'école 
Où buissonnière on nous enseigne 
La douleur plutôt que les jeux.
 
Un jour, en mousse se déguise 
L'espiègle Vénus, et son col 
Marin fait le ciel orageux; 
Demain en maîtresse d'école,
 
Mais marine, non buissonnière. 
Ses leçons sont plus à ma guise, 
Ignorante, elle qui serait 
De ses élèves la dernière!
 
Vénus charmant les tableaux noirs 
Figure tracée à la craie, 
Enfin Vénus s'effacerait, 
Ligne à ligne, de nos mémoires.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

09:08 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/10/2012

Le poème de la semaine

Paul-Jean Toulet

Douce plage où naquit mon âme;
Et toi, savane en fleurs
Que l'océan trempe de pleurs
Et le soleil de flamme;

Douce aux ramiers, douce aux amants,
Toi de qui la ramure
Nous charmait d'ombre, et de murmure,
Et de roucoulements;

Où j'écoute frémir encore
Un aveu tendre et fier
Tandis qu'au loin riait la mer
Sur le corail sonore.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

04:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/10/2012

Le poème de la semaine

Andrée Chedid

Il y a des matins en ruines
Où les mots trébuchent
Où les clés se dérobent
Où le chagrin voudrait s'afficher
 
Des jours
Où l'on se suspendrait
Au cou du premier passant
Pour le pain d'une parole
Pour le son d'un baiser
 
Des soirs
Où le coeur s'ensable
Où l'espoir se verrouille
Face aux grilles des regards
 
Des nuits
Où le rêve bute
Contre les murailles de l'ombre
 
Des heures
Où les terrasses
Sont toutes
Hors de portée
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

 

03/10/2012

Le poème de la semaine

Anne Perrier

Le temps est mûr
Je n'en sais rien
Je vois le mur
Et le chemin
La vie peut-être qui s'arrête
Un plomb d'or dans la tête
Et moi toute déserte
Les mains bien lisses bien ouvertes
Vivant d'aumônes
A l'entrée des palais
Et des miettes que les balais
Chassent au vent pour personne
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

26/09/2012

Le poème de la semaine

Jacques Chessex

J'aime ta peau
J'aime son odeur d'air, de chambre
De lit qui a passé le fleuve des morts
Et sur la rive attend sans fin ton ombre
Avec les disparus et les images
De ce miroir où je ne te vois pas

J'aime ta peau sous mes paumes
Ô vivante entre les morts de cette eau calme
Miroir où pourrait glisser le visible d'une autre vie

Mais le monde
Ressemble à ce reflet mal saisissable
Sur ce corps entre l'imaginaire et la mémoire
J'ai ta peau sous mes doigts j'ai la moire
Dans la bouche mais les mots ne parlent pas
Vers l'aube où la mort les apaise même sans songe

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

19/09/2012

Le poème de la semaine

Marceline Desbordes-Valmore

N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
 
N'écris pas!
 
N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais!
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
 
N'écris pas!
 
N'écris pas. Je te crains; j'ai peur de ma mémoire;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
 
N'écris pas!
 
N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire:
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur;
Que je les vois brûler à travers ton sourire;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
 
N'écris pas!
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

03:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/09/2012

Le poème de la semaine

Thierry Renard

Je viens de loin la mer
la mer pourtant au plus près
je viens peut-être de nulle part de nul endroit au monde
je viens toujours très tôt quand le petit jour
se lève à peine que la nuit tient encore debout
je viens plutôt lentement mais je viens
j'arrive en somme j'arrive enfin
le sourire au coin des lèvres et les yeux tristes
je viens par effraction je viens par soustraction
toujours exact sur les lieux
du crime du rendez-vous
l'air parfait l'allure impeccable
je viens j'arrive je me rends
je viens j'arrive je me rends
Nul repos dans les marges

Je viens et je me rends à l'évidence
à l'heure et au jour dits
sur les lieux communs
de notre improbable malheur incessant
je viens par accumulation par distraction
je viens en petits morceaux
je viens en pièces rapportées
plus on me repousse et plus je viens
plus ma présence s'impose
je viens pour voir pour dire pour boire
je viens pour être dans votre collimateur
je viens et comme par miracle j'entre en vous
j'entre en vous en elles aussi
elles me reconnaissent elles sont toutes là
un point de rendez-vous
hélas je n'ai pas beaucoup de temps
devant moi
pas beaucoup de temps pour voir
pour dire et pour boire
pas beaucoup non plus pour vous chérir mes chéries
Nul repos dans les marges
 
Et nulle fatigue
nulle manière de lassitude
puisque je viens à l'aube
toujours discrète toujours muette
je viens par émotion je viens par sensation
je viens cracher dans la soupe
et saisir la balle au bond
la date de mon infraction n'est pas la mieux indiquée
l'heure juste reste celle de mes plus lopintains naufrages
je viens d'en haut je viens d'en bas
je viens d'une planète inventée recyclée démodée
mais d'une planète répertoriée
je viens et j'attends
je garde pour moi les regrets
je laisse l'aube dissoudre les monstres
je viens je vais et je viens
je viens puis j'attends

Nul repos dans les marges
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

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29/08/2012

Le poème de la semaine

René-Guy Cadou

J'ai toujours habité de grandes maisons tristes
Appuyées à la nuit comme un haut vaisselier

Des gens s'y reposaient au hasard des voyages
Et moi je m'arrêtais tremblant dans l'escalier
Hésitant à chercher dans leurs maigres bagages
Peut-être le secret de mon identité
 
Je préférais laisser planer sur moi comme une eau froide
Le doute d'être un homme
Je m'aimais
Dans la splendeur imaginée d'un végétal
D'essence blonde avec des boucles de soleil
 
Ma vie ne commençait qu'au-delà de moi-même

Ébruitée doucement par un vol de vanneaux

Je m'entendais dans les grelots d'un matin blême

Et c'était toujours les mêmes murs à la chaux
La chambre désolée dans sa coquille vide

Le lit-cage toujours privé de chants d'oiseaux

Mais je m'aimais ah ! je m'aimais comme on élève

Au-dessus de ses yeux un enfant de clarté

Et loin de moi je savais bien me retrouver
Ensoleillé dans les cordages d'un poème
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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22/08/2012

Le poème de la semaine

Nadia Tuéni

Mon pays longiligne a des bras de prophète.
Mon pays que limitent la haine et le soleil.
Mon pays où la mer a des pièges d'orfèvre,
que l'on dit villes sous marines,
que l'on dit miracle ou jardin.
Mon pays où la vie est un pays lointain.
Mon pays est mémoire
d'hommes durs comme la faim,
et de guerres plus anciennes
que les eaux du jourdain.
Mon pays qui s'éveille,
projette son visage sur le blanc de la terre.
Mon pays vulnérable est un oiseau de lune.
Mon pays empalé sur le fer des consciences.
Mon pays en couleurs est un grand cerf-volant.
Mon pays où le vent est un noeud de vipères.
Mon pays qui d'un trait refait le paysage.
 
Mon pays qui s'habille d'uniformes et de gestes,
qui accuse une fleur coupable d'être fleur.
Mon pays au regard de prière et de doute.
Mon pays où l'on meurt quand on a de temps.
Mon pays où la loi est un soldat de plomb.
Mon pays qui me dit : "prenez-moi au sérieux",
mais qui tourne et s'affole comme un pigeon blessé.
Mon pays difficile tel un très long poème.
Mon pays bien plus doux que l'épaule qu'on aime.
Mon pays qui ressemble à un livre d'enfant,
où le canon dérange la belle-au-bois-dormant.
 
Mon pays de montagnes que chaque bruit étonne.
Mon pays qui ne dure que parce qu'il faut durer.
Mon pays pays tu ressembles aux étoiles filantes, 
qui traversent la nuit sans jamais prévenir.
Mon pays mon visage,
la haine et puis l'amour
naissent à la façon dont on se tend la main.
Mon pays que ta pierre soit une éternité.
Mon pays mais ton ciel est un espace vide.
 
Mon pays que le chois ronge comme une attente.
Mon pays que l'on perd un jour sur le chemin.
Mon pays qui se casse comme un morceau de vague.
Mon pays où l'été est un hiver certain.
Mon pays qui voyage entre rêve et matin.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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15/08/2012

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

Dans un café j'ai mis mon bras sur tes épaules 
Mon bras mes mains
J'ai vu tes yeux dans la carafe de vin noir
La groseille du verre illuminait ta joue
Tu renversais la tête contre le bois
 
La porte s'ouvrait sur des hommes
Ils apportaient le bruit du lac
Et son haleine d'algue en pénétrant ta robe
Brouillait aussi tes yeux faisait battre ton coeur
 
Tu m'apportes la nuit du lac sur tes épaules
Galets polis par la paume des vagues
Ton corps brun comme un jeune bourgeon
de noisetier
Respire avec le calme des animaux sages
 
Tes épaules me donnent la nuit du lac
Tu me donnes le ciel le soleil et la terre
Et je repose en toi comme sur l'eau la barque
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle