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22/12/2010

Le poème de la semaine

Deborah Heissler


Garde le silence

tu as longuement parlé


Au-dessus des arbres et des prés,

à l'instant même où cesse la pluie, 

on entend recommencer le chant de la fauvette

à la fois liquide et limpide

- goutte-à-goutte obstiné au coeur des feuilles.

Ostinato.


Et puis

les nuages bas, épais,

leurs trouées mobiles sur la toison des prairies,

jusqu'à l'horizon.

Louange de l'eau et de la lumière,

emportée si vite par le vent.

Versatile, atmosphérique,

l'esquisse de l'air cru et blanc,

dans les plis de l'herbe comme un cantique.

Bonheur d'un instant

à regarder les fleurs éclatantes,

parmi les festons de sombre vigne vierge,

la terre jusqu'à l'horizon

et la crête de la nuit qui s'enflamme.

Les cerisiers ne sont presque plus

que des panaches de neige.


Une autre après-midi se lève lentement en moi.

Chaque jour, chaque heure presque décline,

autant d'appâts nouveaux qui sonnent, 

semblables à des harmonies nouvelles

peut-être bien.


Je me souviens


Le bleu des nues d'orage et celui de la source,

le bleu de la sauge fait pour être froissé dans la main.

L'abandon, le don, cela seul.

Les derniers arbres fleuris dans les jardins.

La pluie de juin qui tombe

comme un chuchotement,

universel,

sur un chemin d'herbe et de violettes mêlées

- et la fraîcheur du soir

qui vous saisit.


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

04:48 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/12/2010

Le poème de la semaine

Jacques Prévert


Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là

Et tu marchais souriante

Épanouie ravie ruisselante

Sous la pluie

Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest

Et je t'ai croisée rue de Siam

Tu souriais

Et moi je souriais de même

Rappelle-toi Barbara

Toi que je ne connaissais pas

Toi qui ne me connaissais pas

Rappelle-toi

Rappelle-toi quand même ce jour-là

N'oublie pas

Un homme sous un porche s'abritait

Et il a crié ton nom

Barbara

Et tu as couru vers lui sous la pluie

Ruisselante ravie épanouie

Et tu t'es jetée dans ses bras

Rappelle-toi cela Barbara

Et ne m'en veux pas si je te tutoie

Je dis tu à tous ceux que j'aime

Même si je ne les ai vus qu'une seule fois

Je dis tu à tous ceux qui s'aiment

Même si je ne les connais pas

Rappelle-toi Barbara

N'oublie pas

Cette pluie sage et heureuse

Sur ton visage heureux

Sur cette ville heureuse

Cette pluie sur la mer

Sur l'arsenal

Sur le bateau d'Ouessant

Oh Barbara

Quelle connerie la guerre

Qu'es-tu devenue maintenant

Sous cette pluie de fer

De feu d'acier de sang

Et celui qui te serrait dans ses bras

Amoureusement

Est-il mort disparu ou bien encore vivant

Oh Barbara

Il pleut sans cesse sur Brest

Comme il pleuvait avant

Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé

C'est une pluie de deuil terrible et désolée

Ce n'est même plus l'orage

De fer d'acier de sang

Tout simplement des nuages

Qui crèvent comme des chiens

Des chiens qui disparaissent

Au fil de l'eau sur Brest

Et vont pourrir au loin

Au loin très loin de Brest

Dont il ne reste rien.


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/12/2010

Le poème de la semaine

Jocelyne François


Toute la lumière du jour

absorbée par la vapeur de la terre, un peu avant le crépuscule.

L'éphémère éclat de quelques buissons d'aubépine

adoucit l'austérité de la colline.


Je t'attends.


Nous irons regarder comment meurt le cerisier,

blanc de fleurs en son centre sur sa couronne de bois sec,

là où le vallon se resserre entre les roches,

où le chant des oiseaux du soir rappelle l'âme à elle.


Au plus près des choses j'ai travaillé de longues heures.

Dans un silence augmenté encore de cette humidité

qui peu à peu mangeait la lumière.

Le strident de la lumière, par degré, s'assourdissait.

Je lavais les carreaux du sol jusqu'aux bords

où ils touchent les pierres des murs.

Je me suis souvenue de la force de l'argile

quand elle cherche à échapper au centrage du tour

et de sa docilité soudain

lorsque la tient l'axe vertical.


Je t'attends.


Quelque chose dans l'air

commence à ressembler au mercure,

le fluide lutte contre l'épais.

Les nuages s'accumulent au nord-est.

Pendant la nuit les portes bougeront sur leurs gonds,

inquiétant mon sommeil privé de ta présence.

Le vent gonflera les rideaux de coton brut

jusqu'à ce que je les tire, à l'aube,

sur un paysage de cumulus bordés de gris sombre

que je regarderai longtemps, couchée,

dérivant avec eux, poussée vers le nord

d'où tu vas revenir. 



Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:21 Écrit par Claude Amstutz dans Jocelyne François, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/12/2010

Le poème de la semaine

Paul Eluard


Que voulez-vous la porte était gardée

Que voulez-vous nous étions enfermés

Que voulez-vous la rue était barrée

Que voulez-vous la ville était matée

Que voulez-vous elle était affamée

Que voulez-vous nous étions désarmés

Que voulez-vous la nuit était tombée

Que voulez-vous nous nous sommes aimés


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Paul Eluard, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/11/2010

Le poème de la semaine

Anne de Noailles


Déjà la vie ardente incline vers le soir, 

Respire ta jeunesse, 

Le temps est court qui va de la vigne au pressoir, 

De l'aube au jour qui baisse.


Garde ton âme ouverte aux parfums d'alentour, 

Aux mouvements de l'onde,

Aime l'effort, l'espoir, l'orgueil, aime l'amour, 

C'est la chose profonde ;


Combien s'en sont allés de tous les coeurs vivants

Au séjour solitaire,

Sans avoir bu le miel ni respiré le vent

Des matins de la terre,


Combien s'en sont allés qui ce soir sont pareils

Aux racines des ronces,

Et qui n'ont pas goûté la vie où le soleil

Se déploie et s'enfonce !


Ils n'ont pas répandu les essences et l'or

Dont leurs mains étaient pleines,

Les voici maintenant dans cette ombre où l'on dort

Sans rêve et sans haleine.


- Toi, vis, sois innombrable à force de désirs,

De frissons et d'extase,

Penche sur les chemins, où l'homme doit servir,

Ton âme comme un vase ;


Mêlée aux jeux des jours, presse contre ton sein 

La vie âpre et farouche ;

Que la joie et l'amour chantent comme un essaim 

D'abeilles sur ta bouche.


Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment, 

Les rives infidèles, 

Ayant donné ton coeur et ton consentement 

A la nuit éternelle...


Quelques traces de craie dans le ciel,

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03/11/2010

Le poème de la semaine

Marie Noël


Mon père me veut marier,

Sauvons-nous, sauvons-nous par les bois et la plaine,

Mon père me veut marier,

Petit oiseau, tout vif te laisseras-tu lier?


L'affaire est sûre: il a du bien,

Sauvons-nous, sauvons-nous, bouchons-nous les oreilles;

L'affaire est sûre: il a du bien...

C'est un mari... courons, le meilleur ne vaut rien!


Quand il vaudrait son pesant d'or,

Qu'il est lourd, qu'il est lourd et que je suis légère!

Quand il vaudrait son pesant d'or,

Il aura beau courir, il ne m'a pas encore!


Malgré ses louis, ses écus,

Ses sacs de blé, ses sacs de noix, ses sacs de laine,

Malgré ses louis, ses écus,

Il ne m'aura jamais, ni pour moins, ni pour plus.


Qu'il achète, s'il a de quoi

Les bois, la mer, le ciel, les plaines, les montagnes,

Qu'il achète, s'il a de quoi

Le monde entier plutôt qu'un seul cheveu de moi! ...


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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27/10/2010

Le poème de la semaine

Henri Michaux


Rends-toi, mon coeur.

Nous avons assez lutté,

Et que ma vie s'arrête,

On n'a pas été des lâches,

On a fait ce qu'on a pu.


Oh! Mon âme,

Tu pars ou tu restes, 

Il faut te décider,

Ne me tâte pas ainsi les organes,

Tantôt avec attention, tantôt avec égarement,

Tu pars ou tu restes,

Il faut te décider.

Moi, je n'en peux plus.


Seigneurs de la Mort

Je ne vous ai ni blasphémés ni applaudis.

Ayez pitié de moi,

voyageur déjà de tant de voyages sans valise,

Sans maître non plus, sans richesse,

et la gloire s'en fut ailleurs,

Vous êtes puissants assurément

et drôles par-dessus tout,

Ayez pitié de cet homme affolé

qui avant de franchir la barrière

vous crie déjà son nom,

Prenez-le au vol,

Et puis,

qu'il se fasse à vos tempéraments

et à vos moeurs,

s'il se peut,

Et s'il vous plaît de l'aider,

aidez-le, je vous prie.


Quelques traces de craie dans le ciel,

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20/10/2010

Le poème de la semaine

André Gide


Elle tourna les yeux vers les naissantes étoiles.

Je connais tous leurs noms, dit-elle:

chacune en a plusieurs;

elles ont des vertus différentes.

Leur marche, qui nous paraît calme, est rapide et les rend brûlantes.

Leur inquiète ardeur est cause de la violence de leur course,

et leur splendeur en est l’effet.

Une intime volonté les pousse et les dirige;

un zèle exquis les brûle et les consume;

c’est  pour cela qu’elles sont radieuses et belles.

Elles se tiennent l’une à l’autre toutes attachées,

par des liens qui sont des vertus et des forces,

de sorte que l’une dépend de l’autre et que l’autre dépend de toutes.

La route de chacune est tracée et chacune trouve sa route.

Elle ne saurait en changer sans en distraire aucune autre,

chacune étant de chaque autre occupée.

Et chacune choisit sa route selon qu’elle devait la suivre;

ce qu’elle doit, il faut qu’elle le veuille,

et cette route, qui nous paraît fatale,

est à chacune la route préférée,

chacune étant de volonté parfaite.

Un amour ébloui les guide;

leur choix fixe les lois, et nous dépendons d’elles;

 nous ne pouvons pas nous sauver.


Quelques traces de craie dans le ciel,

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13/10/2010

Le poème de la semaine

Pierre Reverdy


Le soir


Le monde est creux

A peine une lumière

L'éclat d'une main sur la terre

Et d'un front blanc sous les cheveux

Une porte du ciel s'ouvre

Entre deux troncs d'arbre


Le cavalier perdu regarde l'horizon

Tout ce que le vent pousse

Tout ce qui se détache

Se cache

Et disparaît

Derrière la maison


Alors les gouttes d'eau tombent

Et ce sont des nombres

Qui glissent

Au revers du talus de la mer


Le cadran dévoilé

L'espace sans barrières

L'homme trop près du sol

L'oiseau perdu dans l'air

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

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06/10/2010

Le poème de la semaine

Jacques Chessex


Blanche est déjà la lune

Silencieux le vent qui bouge

Et je ne choisis pas quel souvenir

M'accompagnera cette nuit

Le croissant ancien sur la colline

Ou la maison allée au bas du fleuve

Qui m'emplit de mélancolie entre les rives


(Et le vide à ne pas oublier de la neige)


Si plus aucune blessure

Ou le sol revenu herbe ou cendre

Comme si l'humide, la buée

Descendaient dans les choses, la terre

Maintenant terre de printemps


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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