16/03/2011
Le poème de la semaine
Jean-Michel Maulpoix
La neige dit adieu.
Elle prend avec délicatesse le temps de disparaître.
Elle n'insiste pas, ne persiste guère,
ne prend pas racine.
Elle tombe.
Elle s'abandonne.
Elle éprouve à se perdre un vertige,
un plaisir immense.
Toute sa vie
- comprenez-le bien -
ne fut que cela:
se jeter par la fenêtre.
A moins que ce ne fût prendre le temps
de descendre un invisible escalier.
Son corps est si léger
qu'il ralentit sa chute au lieu de l'accélérer.
Personne ne saurait comme elle
se jeter dans le vide.
Personne ne peut mourir avec autant de joie.
Autant de gaieté.
Incomparable est sa qualité d'espérance.
Son dédain de l'éternité.
Il fallait qu'elle aimât passionnément la terre
pour y descendre ainsi,
avec mille précautions,
au lieu de demeurer au ciel.
Brûlant de se donner aux branches nues et aux cailloux,
d'encapuchonner les toits et les cheminées.
La neige meurt du bonheur
d'être allée dans le bleu
comme aucun oiseau et aucun insecte.
Aucun dieu sans doute, aucun ange.
Elle tombe, puis elle se couche.
Il lui plaît de mourir très vite après avoir dansé.
De s'être tenue si près de l'Azur,
elle ne se remet pas.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:29 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Michel Maulpoix, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
09/03/2011
Le poème de la semaine
Paul Eluard
Dans mon chagrin rien n'est en mouvement
J'attends personne ne viendra
Ni de jour ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même
Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance ils perdent leur lumière
Ma bouche s'est séparée de ta bouche
Ma bouche s'est séparée du plaisir
Et du sens de l'amour et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n'avanceront plus il n'y a plus de routes
Ils ne connaîtront plus mon poids ni le repos
Il m'est donné de voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir
Que j'ai crue infinie
Et l'avenir mon seul espoir c'est mon tombeau
Pareil au tien cerné d'un monde indifférent
J'étais si près de toi que j'ai froid près des autres.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:12 Écrit par Claude Amstutz dans Paul Eluard, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
02/03/2011
Le poème de la semaine
Abdellatif Laâbi
Ce ne pourra pas être un pays
avec des drapeaux hissés
au-dessus des maisons
Une langue unique pour prier
Un nom que les tribuns prononcent
la bouche pleine de majuscules
en fermant les yeux de béatitude
Ce ne pourra pas être un pays
qu'il faille quitter ou retrouver
avec les mêmes déchirements
l'obscure litanie du deuil
et ce sanglot des racines
hélant d'improbables rivages
Ce ne pourra pas être un pays
qu'on doive apprendre à l'école
à la caserne
en prison
avec la hantise
de se tromper de pays
Ce ne pourra pas être un pays
juste pour le ventre
ou la tombe
et rien d'autre
hormis le fardeau des peines
qu'on n'ose plus confier
même à l'ami
Ce ne pourra pas être un pays
qui ne sait plus rire
vivre à en être meurtri
peupler la nuit de ses excès
jusqu'à déchirer d'amour
les draps de l'aube
Ce ne pourra pas être un pays
parmi la cohorte des pays
cynique
avare
dur d'oreille
engraissant les voyous
leur offrant le glaive et la balance
alignant les suaires
et payant jusqu'aux pleureuses
pour les doux
Ce ne pourra pas être un pays
qui dans le coeur
chasse un autre pays
pour ériger des murailles
entre le désir et le désir
et vouer au blasphème
l'humble joie de l'errant
Ce ne pourra pas être un pays
qui ferme sa porte à l'hôte
l'étranger
époux de l'étoile
émissaire de nos antiques amours
survivant de la marche
celle des origines
quand la vie nous visitait encore
et que nos pas s'aventuraient
de sillon en sillon
dans ce continent englouti
disparu
avant de nous livrer la clé du rêve
et qu'il a fait glisser dans nos songes
Ah c'est un pays encore à naître
dans la soif et le dénuement
La brûlure qui rend l'âme à l'âme
et de la mer morte
des larmes
soulève la houle des mots
C'est un pays encore à naître
sur une terre coulant de source
éprise d'infini
drapée du bleu de l'enfance
aussi fraîche que la cascade
du premier soleil
C'est un pays encore à naître
dans la lenteur du lointain
et du proche
Dans la langueur de l'espérance
mille fois trahie
Dans la langue éperdue
et retrouvée
C'est un pays encore à naître
sur le chemin
qui ne fait que reprendre
et ne conduit à nul pays
O pays qui m'écarte
et m'éloigne
Laisse-moi au moins te chercher
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:09 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
23/02/2011
Le poème de la semaine
Thierry Renard
Va ma chanson comme un jasmin lunaire
va sur l’hiver odeur captive va
le temps de la transparence d’un secret
quand la mort sera rose de l’air
mon petit cœur se tournera vers toi
Va ma chanson comme un navire
va sur la toile de mon rêve
quand la mort sera rose de l’air
mon cœur deviendra gros
en se tournant vers toi
Et ce sera la fin de l’été
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
09:14 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
16/02/2011
Le poème de la semaine
Pierre Reverdy
Tout est calme
Pendant l'hiver
Au soir quand la lampe s'allume
A travers la fenêtre où on la voit courir
Sur le tapis des mains qui dansent
Une ombre au plafond se balance
On parle plus bas pour finir
Au jardin les arbres sont morts
Le feu brille
Et quelqu'un s'endort
Des lumières contre le mur
Sur la terre une feuille glisse
La nuit c'est le nouveau décor
Des drames sans témoin qui se passent dehors
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:25 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
07/02/2011
Andrée Chedid 1c
Andrée Chedid
Je me souviens
D'ombres plus denses que le plomb
De regards impassibles
De rivières fourbues
De maisons rongées
De coeurs blanchis
D'hirondelles torpillées
Et de cette femme hagarde
sous l'explosion des armes
Je me souviens
Du tumulte des sèves
De l'envolée des mots
De plaines sans discorde
Des chemins de clémence
Des regards qui s'éprennent
Et de ces beaux amants
sous les feux du désir
De tout ceci
De tout cela
Je me souviens
Et me souviens
Quelques traces de craie dans le ciel,
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26/01/2011
Le poème de la semaine
Philippe Jaccottet
Jour de janvier,
ouvre un peu plus grands les yeux,
fais durer ton regard encore un peu
et que la rose colore tes joues
ainsi qu'à l'amoureuse.
Ouvre ta porte
un peu plus grande, jour,
afin que nous puissions au moins
rêver que nous passons.
Jour, prends pitié.
Quelques traces de craie dans le ciel,
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19/01/2011
Le poème de la semaine
Guillaume Apollinaire
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
O mon unique amour et ma grande folie
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:26 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
12/01/2011
Le poème de la semaine
Charles-Ferdinand Ramuz
C'est un petit pays qui se cache
parmi ses bois et ses collines;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers;
il a de beaux vergers et de beaux champs de blé,
des champs de trèfle et de luzerne,
roses et jaunes dans les prés,
par grands carrés mal arrangés;
il monte vers les bois, il s'abandonne aux pentes
vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux
et, la nuit, leurs musiques d'eau
sont là comme un autre silence.
Son ciel est dans les yeux de ses femmes,
la voix des fontaines dans leurs voix;
on garde de sa terre aux gros souliers
qu'on a pour s'en aller dans la campagne;
on s'égare aux sentiers qui ne vont nulle part
et d'où le lac paraît, la montagne, les neiges
et le miroitement des vagues;
et, quand on s'en revient,
le village est blotti, autour de son église,
parmi l'espace d'ombre où hésite et retombe
la cloche inquiète du couvre-feu.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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29/12/2010
Le poème de la semaine
René-Guy Cadou
Je t’attendrai Hélène
A travers les prairies
A travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule fait son nid
Tu es de tous les jours
L’inquiète la dormante.
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes
A ce front transparent
On reconnaît l’été
Et lorsqu’il suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans jamais t’avoir jamais vue
Je t’appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s’ouvrait
Recréait ton visage
Et tu étais l’auberge
Aux portes des villages
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |