Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/04/2013

La citation du jour

Friedrich Nietzsche

masque-dor56.jpg

Voyageur, qui es-tu? Je te vois aller ton chemin, sans sarcasme et sans amour, avec ton regard indéchiffrable; te voilà humide et triste comme la sonde qui des profonds abîmes remonte inassouvie à la lumière. Qu'es-tu allé chercher là-bas au fond? Aucun soupir ne gonfle ta poitrine, ta lèvre dissimule son dégoût, ta main ne saisit plus que lentement. Qui es-tu? Qu'as-tu fait? Repose-toi ici, ce lieu est hospitalier à tous, délasse-toi. Et qui que tu sois, dis-moi ce qui pourrait te plaire, dis ce qui pourrait servir à ton délassement. Tu n'as qu'à parler; ce que j'ai, je te l'offre. Délassement, délassement, ô curieux, qu'as-tu dit? Donne-moi, je t'en prie, donne-moi... Quoi donc? Un autre masque, un second masque?

Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal (coll. 10-18/UGE, 1994)

traduit de l'allemand par Geneviève Bianquis

image: cr44.fond-ecran-image.com 

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/03/2013

Joyeuses fêtes

Joyeuses fêtes

A toutes et à tous, amis ou oiseaux de passage sur La scie rêveuse ou sur Facebook, je souhaite d'heureuses fêtes, avec cette très belle chanson de Leonard CohenGod Is Alive, Magic Is Afoot, chantée par Buffy Sainte-Marie. Pour les visiteurs qui ne maîtrisent pas la langue anglaise, vous trouverez ci-dessous le lien pour la traduction française...

pour Depi P


 

Leonard Cohen, Les perdants magnifiques (Bourgois, 2002)

Traduction française: Martina Charbonnel, Leonard Cohen / Un texte magique (http://emportesparlafoule.blogs.nouvelobs.com/leonard-cohen)

Morceaux choisis - Isaac de Ninive

Isaac de Ninive

20100505011124517.jpg

Hâte-toi d'entrer dans la chambre nuptiale de ton coeur. Là, tu trouveras la chambre nuptiale du ciel. Car ces deux chambres n'en sont qu'une et, par une seule et même porte, ton coeur peut pénétrer dans l'une et dans l'autre. L'escalier qui monte au Royaume est caché au plus profond de ton coeur.

Isaac de Ninive, dans: Daniel-Ange, Les feux du désert, vol. 1/Solitudes (Rémy Magermans, 1973)

image:  Pablo Picasso, Nu de dos (francesco.venier.forumcommunity.net)

07:43 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; spiritualité; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/03/2013

Lire les classiques - William Shakespeare

William Shakespeare

littérature; poésie; théâtre; anthologie; livres

Que chaque fée vagabonde à travers cette maison.
Nous irons au plus beau des lits nuptiaux
Et il sera par nous béni:
Et la lignée qui y sera créée
Sera heureuse à tout jamais.
 
Ainsi ces trois couples toujours
Seront fidèles en amour;
Et les flétrissures de la nature
Devront épargner leur progéniture.
Ni tache, bec-de-lièvre ou cicatrice,
Aucune des marques funestes
Que l'on redoute à la naissance,
Ne doit atteindre leurs enfants.
 
Que chaque fée vienne répandre
Cette rosée sacrée des champs,
Et qu'elle bénisse chaque chambre du palais
D'une douce paix,
Et que le maître en soit béni.
 

William Shakespeare, Le songe d'une nuit d'été - édition bilingue (coll. Folio Théatre/Gallimard, 2003)

traduction de l'anglais par Jean-Michel Déprats

image: Sandro Botticelli, Simonetta Cattaneo Vespucci, 1974 (robswebstek.com) 

César Aira

Bloc-Notes, 23 mars / Thonon-les-Bains

Cesar Aira.jpg

Le 31 décembre au matin, les Pagalday visitèrent en couple l'appartement, qui leur appartenait déjà, sur le chantier de la rue José-Bonifacio, au numéro 2161, en compagnie de Bartolo Sacristan Olmedo, le paysagiste qu'ils avaient engagé afin de disposer les plantes sur les deux vastes balcons de l'appartement, en façade et côté cour.

Ainsi commence cet étonnant roman de César Aira où, passées ces premières lignes de facture classique, nous allons être constamment surpris - dans la forme et dans le style - par cette histoire qui nous met en présence des propriétaires, de leurs enfants, des ouvriers de chantier, du concierge de cet immeuble de luxe inachevé, au sommet duquel, sur la terrasse, ils ont décidé de fêter ensemble, le passage à la nouvelle année. Aucun de ces personnages, à l'exception de Patri, la fille aînée des Vinas, ne s'impose durablement au récit. Nous suivons les instants saisis au vif de leurs rencontres imprévues: un lot de situations, de plaisanteries, de réflexions, de banalités puisées dans leur existence ordinaire.

Mais où donc César Aira a-t-il décidé de nous embarquer avec cette histoire sans véritable point d'ancrage, dépourvue d'intentions, de signes, d'arrières-pensées? Le titre du roman, Les fantômes, en livre la clef principale, car cet immeuble de la rue José-Bonifacio est habité... par des fantômes, entièrement nus, que seuls les membres de la famille Vinas peuvent voir! 

Et voici que ces fantômes, facétieux, s'invitent à la fête - peut-être même en sont-ils les instigateurs? - trouvant en la personne de Patri, un écho, sinon un courant de sympathie: Arrêtez-vous! hurlait son âme, ne partez jamais plus! Elle voulait les voir ainsi pour l'éternité, même si l'éternité devait durer un instant, et surtout si elle durait un instant. Elle ne concevait pas l'éternité d'une autre façon. Viens, éternité, viens, et sois l'instant de ma vie! s'exclamait-elle pour elle-même... Un monde dont il lui semble faire partie, au contraire de celui des siens. Et cette aventure, jusqu'où la conduira-t-elle? A attirer les fantômes dans sa propre réalité ou, au contraire, les rejoindre dans une irréalité apparente et inexpliquée, par un de ces caprices du destin?

Elle mettait la meilleure volonté du monde, appelait l'imagination à son secours, à ses dons de créatrice sauvage, naïve si l'on veut, et elle parvenait toujours à la même conclusion: un sourire mystérieux que dessinaient les lèvres des fantômes. C'était une espèce de fatalité qui surgissait du fond d'elle-même, de son scepticisme: le sourire mystérieux comme fin, comme barrière infranchissable.

Comme les auteurs argentins excellent souvent à cet exercice - chez Ernesto Sabato, par exemple - nous naviguons constamment entre le réel et le fantastique dans Les fantômes, sans véritables repères. Une démarche délibérée de César Aira qui, au détour de ces êtres transparents et familiers à la fois, nous parle des classes moyennes, de l'argent - cette seule virilité qui compte en Argentine -, du rêve, de littérature ou de philosophie. Un roman qui ressemble à une route inachevée dont chaque segment, ainsi que dans l'immeuble de la rue José-Bonifacio, interpelle, désarçonne, interroge nos certitudes en péril: Une personne peut n'avoir jamais pensé, pas une seule fois dans sa vie, elle peut sembler être un ensemble désorganisé de tremblements et de passions futiles, passagères, et cependant à n'importe quel moment, sur demande, peuvent naître en elle les idées les plus subtiles qu'ont eues un jour les plus grands philosophes. Ce qui semble si paradoxal se passe tous les jours.  

Ne cherchez pas dans ce livre une explication aux fantômes: vous n'en trouverez pas. Pour les uns, ils seront sans doute le fruit de notre imagination; pour d'autres, les témoins de nos vies minuscules dans un univers de béton dissocié du passé ou les silhouettes mélancoliques d'un espace - la proximité? l'éternité? - qui n'a plus cours. Et vous, qu'en direz-vous?

Les fantômes de César Aira, est l'un des romans les plus singuliers de ce printemps, comme un miroir qui saurait, à l'envers des 155 pages de ce livre, modifier notre centre de gravité.

Il est faux que, comme on le disait, les morts se transformaient en étoiles: c'était le contraire...

César Aira est né en 1949 dans la province de Buenos Aires. Après la disparition de Roberto Bolano, il est considéré comme l'un des écrivains sud-américains les plus importants. Les fantômes est le seixième de ses ouvrages traduits en langue française. Parmi ses oeuvres majeures, peuvent être cités Un épisode dans la vie du peintre voyageur (André Dimanche, 2000), Varamo (Bourgois, 2002), La preuve (Bourgois, 2008) et Anniversaire (coll. Titres/Bourgois, 2011).  

César Aira, Les fantômes (Bourgois, 2013)

traduit de l'argentin par Serge Mestre

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature sud-américaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/03/2013

La citation du jour

Proverbe arabe

sad_boy.jpg

N'ouvre la bouche que si tu es sûr que ce que tu vas dire est plus beau que le silence.

Proverbe arabe, dans: Daniel-Ange, Les feux du désert, vol. 2/Silences (Rémy Magermans, 1973)

image: whatislove-2010.blogspot.com

08:17 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/03/2013

Marcello Fois

9782020934039.gifMarcello Fois, Mémoire du vide (Seuil, 2008)

Un rituel de mort qui dit la vie : ainsi se joue, dans l’odeur et le goût du sang, le destin de Samuele Stocchino, le plus célèbre bandit sarde au début du XXe siècle. Il nous semble être confortablement assis dans un fauteuil près d’une cheminée, et entendre Marcello Fois nous raconter son histoire, tant son style, empreint de tradition orale, nous séduit dès les premières pages. Qu’est-ce que la vérité, et où commence la légende ? Il laisse à chacun le soin de conclure, comme il lui plaira, au gré du déroulement de ce récit dans lequel seule Mariangela, la fatzuda – l’effrontée – par quelques scènes fugaces mais déterminantes, incarne un choix qui repose sur l’amour plutôt que sur la rancune, la transgression ou la violence.

18:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/03/2013

Lire les classiques - Dante Alighieri

Dante Alighieri

dante-et-beatrice-visoterra-43105.jpg

J'étais parmis ceux qui sont en suspens
quand une dame heureuse et belle m'appela,
telle que je la priai de me commander.
Ses yeux brillaient plus que l'étoile,
et elle me parla, douce et calme,
d'une voix d'ange, en son langage:
 
"Ô âme courtoise de Mantoue,
dont la gloire dure encore dans le monde,
et durera autant que le monde,
mon ami vrai, et non ami de la fortune,
est empêché si fort, sur la plage déserte,
que la peur le fait s'en retourner,
et je crains qu'il ne soit déjà si égaré
que je me sois levée trop tard à son secours,
pour ce que j'entendis de lui au ciel.
Va donc, et aide-le si bien
par ta parole ornée, et ce qui peut servir
à son salut, que j'en sois consolée.
Je suis Béatrice, qui te prie d'aller;
je viens du lieu où j'ai désir de retourner;
Amour m'envoie, qui me fait parler.
Quand je serai auprès de mon seigneur,
je lui ferai souvent ta louange."
 
Elle se tut alors et je repris:
 
"Ô dame de vertu, vertu qui permet seule
que l'espèce humaine excède tout ce qui est
sous le ciel qui a les cercles les plus petits,
ton commandement m'agrée si fort
qu'y obéir, même aussitôt, me semble tard ;
il ne sert plus que tu m'expliques ton désir.
Mais dis-moi la raison qui t'enlève la peur
de descendre ici en ce centre
du vaste lieu où tu désires t'en retourner."
 
"Puisque tu veux savoir un tel secret,
je te dirai brièvement," répondit-elle,
"pourquoi je n'ai pas craint de venir par ici.
Il faut avoir peur seulement de ces choses
qui ont pouvoir de faire mal à autrui;
des autres non, car elles ne sont pas redoutables.
Je suis faite par Dieu, et par sa grâce, telle
que votre misère ne peut me toucher,
et que la flamme de cet incendie ne m'atteint pas.
Une noble dame est au ciel qui a pitié
de la détresse où je t'envoie,
si bien qu'elle brise la dure loi d'en haut.
Or cette dame a appelé Lucie
et lui a dit : - Ton fidèle a maintenant besoin
de toi, et moi, à toi je le recommande - .
Lucie, ennemie de toute cruauté,
se mit en chemin, et vint là où j'étais,
assise auprès de l'antique Rachel,
et dit : - Béatrice, louange de Dieu vraie,
pourquoi n'aides-tu pas celui qui t'aima tant
que pour toi il sortit de la horde vulgaire?
N'entends-tu pas la pitié de ses pleurs,
ne vois-tu pas la mort qui le menace
sur le grand fleuve où la mer ne vient pas? –
Personne jamais ne fut plus prompt
à faire son bien, et à fuir son dommage,
que je ne fus, à ces paroles dites,
à venir ici-bas de mon siège d'élue,
me confiant dans ton parler honnête
qui t'honore toi-même, et ceux qui t'entendent."
 

Dante Alighieri, L'enfer / extrait, dans: La Divine Comédie, volume 1, édition bilingue (coll. GF/Flammarion, 2011)

traduit de l'italien par Jacqueline Risset

image: Giovanni Battista Comolli, Dante e Beatrice / Villa Melzi, Bellagio (Italie)

12/03/2013

Sarah Hall 1b

Morceaux choisis

Sarah Hall 3.jpg

Quand nous sortions, c'était le plus souvent en ville, du côté des pubs, là où Manda pensait peut-être apercevoir un garçon qu'elle avait remarqué. De temps en temps, si un de ses frères ne voyait pas d'objection à ce que nous l'accompagnions pour une livraison ou à un concert, nous poussions jusqu'à Carlisle. C'était toujours un trajet complètement dément. Ces deux-là conduisaient de façon insensée et multipliaient les dépassements dangereux, car ils étaient fous de vitesse. Ils en raffolaient à cheval, à moto, à ski, tout véhicule capable d'accélérer à leur aplatir la cervelle contre le crâne.

Il y avait deux nationales qui partaient de la ville: la vieille route à péage et celle qu'avaient tracée les Romains, pour ainsi dire abandonnée et qui traversait l'échine de Lazonby Fell. Et puis il y avait la M6. C'était un tronçon d'autoroute désert, la dernière longueur avant l'Ecosse, si bien qu'elle paraissait ne mener nulle part.

J'étais tassée contre la portière, la joue plaquée contre le froid de la vitre, agrippée à la ceinture qui me barrait la poitrine. Manda se battait pour avoir la mainmise sur les boutons de la radio. Un de ses frères était au volant. C'était le plus souvent Aaron. Il brûlait le bitume comme s'il se trouvait sur un circuit privé. Nous traversions cette portion d'arrière-pays comme les gens le font encore aujourd'hui, comme ils l'ont toujours fait et le feront probablement toujours, sans se soucier de radars ou de policiers embusqués: à fond de train, à tombeau ouvert, comme si on nous donnait la chasse.

Je détestais le trajet pour aller en ville, les vingt-cinq minutes de traversée de ce sinistre bas-fond. On avait, tout au long, le sentiment que quelque chose nous coursait. C'étaient les badlands originels, apprenait-on à l'école si on ne le savait déjà. On n'avait aucune envie d'y moisir. Aucune envie de se retrouver toute seule, roulant lentement, visible comme le nez au milieu de la figure, dans cette rase campagne. C'était là que les maraudeurs se retrouvaient, venus du sud ou du nord. C'était le territoire des fermes brûlées, des rivières de sang, des viols. Un paysage de jupes lacérées et de gorges tranchées, où les toitures étaient arrosées de pétrole et incendiées, où les fenils servaient pour découper et saler des enfants. En baissant sa vitre, on pouvait presque entendre tout ça: les alertes au feu et le crépitement des flammes, les femmes éventrées, hurlant tandis que leurs hommes suffoquaient, des tendons enfoncés dans le gosier. Quand elles n'étaient pas fortifiées, les maisons situées dans la zone frontalière étaient provisoires, faites de clayonnage en terre et bouse de vache, faciles à démonter; car lorsque survenaient les pillards, ou bien on leur tenait tête derrière deux mètres cinquante de pierre équarrie, ou bien on pliait bagage et décampait.

La camionnnette embardait violemment au passage des chicanes, m'écrasant la pommette contre la vitre, tandis qu'Aaron chantait à tue-tête en accompagnement des Stone Roses...

Sarah Hall, Le parfum du boucher, dans: La belle indifférence (Bourgois, 2013)

traduit de l'anglais par Eric Chédaille

Sarah Hall 1a

Bloc-Notes, 12 mars / Les Saules

littérature; nouvelles; livres

Connaissez-vous Sarah Hall? Si tel n'est pas le cas, lisez de toute urgence, aux éditions Bourgois, Le Michel-Ange électrique, son premier roman traduit en français (2004) ou mieux encore, son chef d'oeuvre, Comment peindre un homme mort (2010) qui a été présenté dans ces colonnes au moment de sa sortie en librairie. Mais pourquoi ne pas tenter votre chance avec sa dernière parution, La belle indifférence, un recueil de nouvelles, de quoi vous familiariser avec son style et son univers?

Sept nouvelles donc, qui ont pour cadre la Cumbrie - au nord-ouest de l'Angleterre -, l'Afrique et la Finlande, dont le personnage principal est, à chacun de ces récits extrêmement diversifiés, une femme. Mais quels traits communs peut-on trouver entre la redoutée Mandy qui ressemble à un chien enchaîné et rudoyé dans Le parfum du boucher, l'infirmière qui attend son amant et ne parvient pas à franchir le mur de l'indicible dans La belle indifférence, ou Dolly convertie à la chasse afin de confectionner une pélerine de vison pour son amie Magda, gravement malade dans La rivière de la nuit?

Ces nouvelles qui peuvent être comprises à des niveaux de lecture différents - comme ses deux précédents romans - fournissent un début de réponse, ici: une femme, à chaque fois, dans toute son intériorité charnelle et multiple, se trouve confrontée à l'autre - homme ou animal - ainsi qu'aux éléments naturels, à même de révéler en elle des zones d'ombre, des dysfonctionnements, des désirs enfouis, des pulsions instinctives.

Si la tonalité change d'une histoire à l'autre, les mêmes défis pour survivre à un monde émotionnel qui s'atrophie et bascule dans le néant habite ces personnages: le besoin de sexe sans connection aucune avec le vernis quotidien dans L'Agence; le culte sauvage et familial des chevaux dans Le parfum du boucher; les coups d'aviron pour déjouer la peur d'un paysage silencieux et crépusculaire dans Vuotjäarvi; ou la forme blanche et blessée sur la plage, reflet peut-être de la bête - incontrôlée et fragile - qui se tapit en chacun de nous dans Elle l'assassina, lui qui était mortel. Une plongée vertigineuse dans l'inconscient féminin, envahissante comme un parfum obsédant qui ne nous lâche plus.

La vérité de la mort est chose singulière. Car quand ils nous quittent, les êtres chers sont comme s'ils n'avaient jamais été. En disparaissant de cette terre ils disparaissent de l'air même. Ne restent que les landes et les montagnes, le monde matériel sur lequel nous nous trouvons et sur lequel nous régnons. Nous sommes les loups. Nous sommes les lions. L'ultime défi - ou déni? - dans La rivière dans la nuit...

Avant de devenir romancière, Sarah Hall aspirait à la poésie, et cela est tout particulièrement perceptible dans l'écriture de Les abeilles, Elle l'assassina, lui qui était mortel, et Vuotjärvi, la plus angoissante de ces nouvelles dont la fin ne lève pas tous les voiles!

Une lecture à recommander à tous les écrivains en herbe, pour leur apprendre comment se construit un texte capable de donner l'impression de glisser à la surface des choses et de finalement presque tout révéler, sans tabous ni esbroufe, tel un torrent d'une sensualité envoûtante, dans une progression dramatique constante, hors du commun. Leila Sanai, dans les colonnes de The Independent note que, dans La belle indifférenceon se noie comme dans une peinture de Rothko.

Et comme elle a raison!     

Sarah Hall, La belle indifférence (Bourgois, 2013)

traduit de l'anglais par Eric Chédaille

00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Sarah Hall | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |