19/08/2013
Lire les classiques - Hildegarde von Bingen
Hildegarde von Bingen
Depuis mon enfance, avant que mes os, mes nerfs et mes veines se fussent affermis, jusqu'à ce jour où je suis plus que septuagénaire, je vois toujours en mon âme cette vision: la lumière que je vois n'est pas locale; mais elle est infiniment plus brillante que la nuée qui enveloppe le soleil. Je ne puis considérer en cette lumière ni hauteur, ni longueur, ni largeur; pour moi cette lumière se nomme l'ombre de la lumière vivante. Il ne m'est pas plus possible de connaître la forme de cette lumière que de pénétrer parfaitement la sphère du soleil. En cette lumière, de temps à autres, et non fréquemment, je vois une autre lumière qui pour moi se nomme la lumière vivante.
Je ne puis dire quand et comment je la vois; mais tandis que je la considère, toute angoisse m'est enlevée à tel point que, dépouillant des allures de vieille femme, je prends alors celle d'une simple jeune fille. Ainsi mon âme ne manque jamais de cette lumière décrite plus haut, appelée ombre de la lumière vivante; et je la vois comme je regarde un ciel sans étoiles à travers une nuée lumineuse. C'est en cette lumière que souvent je vois ce que je dois dire et que je réponds à qui m'interroge sur la splendeur de ladite lumière vivante. Ce que je ne vois pas en cette lumière, je l'ignore...
Hildegarde von Bingen, Lettre VIII, dans: François Cali, L'ordre cistercien (Arthaud, 1972)
image: Hildegarde von Bingen (konigsberg.centerblog.net)
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16/07/2013
Morceaux choisis - Carlo Carretto
Carlo Carretto
O Eglise, combien tu m'apparais contestable, et cependant combien je t'aime! Combien tu m'as fait souffrir et cependant combien je te dois! Je voudrais te voir détruite, et cependant j'ai besoin de ta présence. Par toi, me sont venus tant de scandales, et cependant tu m'as fait comprendre la sainteté. Je n'ai rien vu au monde de plus obscurantiste, de plus compromis, de plus faux, et je n'ai rien touché de plus pur, de plus généreux, de plus beau. Que de fois j'ai eu le désir de te fermer au nez la porte de mon âme, et que de fois j'ai prié pour mourir entre tes bras qui offrent toute sécurité.
Carlo Carretto, le Dieu qui vient (Apostolat des Editions, 1972)
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02/05/2013
Morceaux choisis - Paul Claudel
Paul Claudel
C'est vrai que Vos saints ont tout pris, mais il me reste mes péchés! Quand je serai sur mon lit de mort, Seigneur, fort jaune et bien mal rasé, quand je repasserai ma vie et ferai mon examen général, je suis riche! et si le bien est rare, il me reste tout le mal. Je n'ai pas mis un jour à Vous préparer, Seigneur, de quoi me pardonner. Ce n'est dans aucun mérite que je m'assure mais dans mes péchés. Chaque jour a le sien, les voici, et j'en sais le compte comme un avare.
S'il Vous faut des vierges, Seigneur, s'il Vous faut des braves sous Vos étendards, s'il y a des gens à qui, pour être chrétien, les paroles n'aient pas suffi, et qui aient su que s'il est beau de Vous suivre, c'est qu'il y va de la vie, voici Dominique et François, Seigneur, voici Saint Laurent et Sainte Cécile!
Mais si Vous aviez besoin par hasard d'un paresseux et d'un imbécile, s'il Vous fallait un orgueilleux et un lâche, s'il Vous fallait un ingrat et un impur, un homme dont le coeur fut fermé et dont le visage fut dur, et tout de même ce n'est pas les justes que Vous êtes venu sauver mais ceux-là, quand Vous en manquiez partout, il Vous restera toujours moi! Et puis il n'est d'homme si vulgaire qui ne Vous ait gardé quelque chose de nouveau, et qui n'ait fabriqué pour Vous, en dehors de ses heures de bureau, espérant que l'idée un jour Vous viendra de le lui demander, et que peut-être ça Vous plaira, quelque chose d'affreux et de compliqué, où il a mis tout son coeur et qui ne sert à quoique ce soit.
Ainsi, ma petite fille, le jour de ma fête qui s'avance avec embarras, et qui m'offre, le coeur gonflé d'orgueil et de timidité, un magnifique petit canard, oeuvre de ses mains, pour y mettre des épingles, en laine rouge et en fil doré.
Paul Claudel, Le jour des cadeaux, dans: Ecoute ma fille (Egloff, 1934)
image: www.lacolline-auxdoudous.com
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19/04/2013
Morceaux choisis - Romano Guardini
Romano Guardini
J'étais assis au bord du Löchstal en Engadine. A mes pieds, la vallée se creusait brusquement. Au fond, tout en bas, le torrent coulait, jailli du glacier. De l'autre côté, c'était à nouveau le puissant ressaut des cimes. Ainsi, la vallée formait comme un immense berceau. Mais ce berceau n'était pas vide. Il était tout empli de silence.
J'étais seul. Pas un bruit à l'entour. Et pourtant l'oreille, celle du corps comme celle de l'âme, percevait le silence. Et le silence était quelque chose de si vaste, et de si profond, que j'en étais inondé, comme par une mer. Et si quelque léger bruit, le cri d'un oiseau, la chute d'une pierre, venait troubler le silence, le son en était tout ensemble si exact, si pur, et si dense qu'il me paraissait n'en avoir jamais entendu de pareil.
Romano Guardini, Promesses, dans: Daniel-Ange, Les feux du désert, vol. 2/Silences (Rémy Magermans, 1973)
image: Celerina/Grisons, Suisse (gemeinde-celerina.ch)
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30/03/2013
Morceaux choisis - Isaac de Ninive
Isaac de Ninive
Hâte-toi d'entrer dans la chambre nuptiale de ton coeur. Là, tu trouveras la chambre nuptiale du ciel. Car ces deux chambres n'en sont qu'une et, par une seule et même porte, ton coeur peut pénétrer dans l'une et dans l'autre. L'escalier qui monte au Royaume est caché au plus profond de ton coeur.
Isaac de Ninive, dans: Daniel-Ange, Les feux du désert, vol. 1/Solitudes (Rémy Magermans, 1973)
image: Pablo Picasso, Nu de dos (francesco.venier.forumcommunity.net)
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14/01/2013
Lire les classiques - Marc-Aurèle
Marc-Aurèle
Il ne tient qu'à toi de te retirer à toute heure au-dedans de toi-même. Nulle part l'homme ne saurait trouver une retraite plus douce et plus tranquille que dans l'intimité de son âme, surtout s'il possède au-dedans de lui ces biens précieux que l'on ne peut considérer sans goûter aussitôt un calme parfait et, par ce calme, j'entends la tranquillité d'une âme où tout est en ordre et à sa place. Jouis donc sans cesse de ta solitude et reprends-y de nouvelles forces.
Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, dans: Daniel-Ange, Les feux du désert vol. 1 / Solitudes (Rémy Magermans, 1973)
image: Buste de Marc-Aurèle (fr.wikipedia.org)
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08/12/2012
Morceaux choisis - Martin Luther King
Martin Luther King
Aujourd'hui, dans la nuit du monde et dans l'espérance, j'affirme ma foi dans l'avenir de l'humanité. Je refuse de croire que les circonstances actuelles rendent les hommes incapables de faire une terre meilleure. Je refuse de partager l'avis de ceux qui prétendent que l'homme est à ce point captif de la nuit, que l'aurore de la paix et de la fraternité ne pourra jamais devenir une réalité. Je crois que la vérité et l'amour sans conditions auront le dernier mot.
La vie, même vaincue provisoirement, demeure toujours plus forte que la mort. Je crois fermement qu'il reste l'espoir d'un matin radieux. Je crois que la bonté pacifique deviendra un jour la loi. Chaque homme pourra s'asseoir sous son figuier, dans sa vigne, et plus personne n'aura plus de raisons d'avoir peur.
Martin Luther King, Je crois (prier.be)
image: tahitinui.blog.lemonde.fr
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25/10/2012
Morceaux choisis - Marie Noël
Marie Noël
Il arrive que nous cherchons, dans notre ami, la consolation et qu'elle ne s'y trouve pas aujourd'hui. Il arrive que nous ayons soif et que la tendresse de notre ami oublie aujourd'hui de nous donner à boire. C'est que la source de douceur humaine n'est pas inépuisable. Le consolateur a, comme nous, ses heures de sécheresse. Celui qui nous donne la force manque aujourd'hui de force. Celui qui relève notre joie est tombé, aujourd'hui, de sa joie.
Comprenons-le. Ayons compassion à notre tour de cette pauvreté. N'exigeons rien. Ne réclamons pas sans cesse de l'amitié, de la bonté, le plus dont elle est capable mais soyons toujours reconnaissant pour le moins dont elle dispose, le peu qu'elle a et nous donne. Et sachons attendre. L'instant vient où la grâce de l'ami lui sera et nous sera rendue.
Marie Noël, Notes intimes, dans: Vives Flammes no 273: La douceur (Ed. du Carmel, 2008)
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01/09/2012
Morceaux choisis- Jean-Loup Charvet 1a
Jean-Loup Charvet
Pleurer est une autre manière de voir, d'entendre, de parler, mais aussi et tout simplement d'aimer. (...) On pleure, comme on aime, sans savoir pourquoi ni comment. Nous ne sommes jamais maîtres de nos larmes, mais tenus par le mouvement qu'elles expriment. L'âme ne sait pas pour lors ni comment ni pourquoi elle aime. Elle ne sait ce qu'elle fait ni ce qu'elle dit, mais elle brûle, elle languit, elle meurt (François Malaval). Le sens de nos larmes, celui de notre amour, de nos actes ou de nos pensées nous sont donnés: nous avons à brûler, à languir, à mourir. (...)
C'est quand nous avons cédé sous le poids de la tristesse qu'éclate notre joie. (...) L'énergie interne de la larme est une énergie profondément jubilatoire. Joie, joie, pleurs de joie. Pascal ne professe pas sa foi, il la pleure. Seules les larmes possèdent cette intelligence du coeur pour témoigner de l'extase mystique. Les larmes que Dieu accorde sont mêlées de joie; on les sent couler sans les avoir recherchées (Thérèse d'Avila). Elles coulent presque à côté de nous, nous disent ce qu'elles sont, à distance de notre âme. Elles n'expliquent rien parce qu'elles ne savent rien. Nous ne comprenons pas pourquoi nous pleurons, car nous pleurons quand, précisément, nous cessons de comprendre.
Le sens de la vraie larme est de nous surprendre au-delà de nos logiques. Nous pleurons parfois sans presque nous en rendre compte, au-delà de nos simples sensations. L'âme est comblée d'une si immense tendresse, qu'elle voudrait fondre non de douleur, mais en larmes de joie. Elle s'en trouve baignée sans avoir rien senti, sans savoir quand elle a pleuré, ni comment (Thérèse d'Avila).
Si les larmes sont pour certains les premiers mots de l'enfance, elles ne font pourtant jamais de l'homme qui pleure un enfant: elles le rendent pareil à un enfant. Le langage d'une âme vraiment atteinte fait l'économie de tout discours comme de toute apparition. Car on ne parle pas plus des larmes que du sommeil d'un enfant. Tout juste de son imprécise joie.
Jean-Loup Charvet, L'éloquence des larmes - Livre/CD (Desclée de Brouwer, 2001)
image: Walter Firle (iamachild.wordpress.com)
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13/10/2011
Michael Lonsdale
Bloc-Notes, 13 octobre / Les Saules
Quand j'écris le nom de Michael Lonsdale, je pense en premier lieu à l'acteur de quelques grands moments de cinéma: Le procès d'Orson Welles, La mariée était en noir de François Truffaut, Monsieur Klein de Joseph Losey, Nelly et Monsieur Arnaud de Claude Sautet, Le nom de la rose de Jean-Jacques Annaud, sans oublier, plus récemment, Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois et Les hommes libres d'Ismaêl Ferroukhi; sa lecture aussi du Très-bas de Christian Bobin, avec son timbre de voix si personnel, comme perméable et attentif à tout ce qui nous interpelle et nous interroge. Mais ce qui m'a surpris et enchanté demeure un tout petit livre intitulé Oraisons, publié dans la collection Souffle de l'esprit chez Actes Sud en 2000, et réédité en 2011. On y retrouve, avec la discrétion qui le caractérise, un homme en prière, avec des mots qui sont les siens et n'appartiennent à nul autre, comme autant de sarments fertiles jaillis d'une solitude aimante.
Cet homme de théâtre - il interprète Samuel Beckett, Marguerite Duras, Friedrich Dürrenmatt - est en effet aussi, peut-être avant toutes choses, un chrétien pratiquant et engagé. Il nous revient aujourd'hui avec L'amour sauvera le monde - Mes plus belles pages chrétiennes, une anthologie de textes choisis, illustrés avec une beauté fervente par Olivier Martel. Si j'ai choisi de partager mes plus belles pages chrétiennes, nous dit Michael Lonsdale, c'est une manière pour moi de rendre hommage à ces hommes et ces femmes - saints, moines, religieuses, prêtres, écrivains, personnes ordinaires - pétris de la parole du Christ, qui m'ont accompagné au long de ma vie. Plus loin il ajoute: Travailler avec le coeur, c'est laisser place à l'inconnu. Si l'on cessait, ne serait-ce que le temps d'une journée, de se noyer dans le bruit, si l'on avait cette patience et ce courage, on obtiendrait, en se mettant à l'écoute, de petites indications pour atteindre à de grandes richesses.
Chaque extrait éclaire un aspect de ses mouvements de l'âme, tels les différents motifs d'un vitrail qui ne prennent corps et sens que dans la réverbération les uns dans les autres et dont la respiration méditative guide nos pas. D'Augustin d'Hippone à Jean Grosjean, de Thérèse d'Avila à Paul Claudel, de Martin Luther à Maurice Zundel, du Curé d'Ars à Sylvie Germain, son choix témoigne de la lumière du monde, délivre de tous les artifices et de toutes les extravagances du temps.
Davantage qu'une simple anthologie personnelle, tous ces textes - une cinquantaine environ - sont aussi, littérairement parlant, des chefs d'oeuvres. Pour le plaisir, je vous citerai un extrait de mon préféré, celui de Bernard de Clairvaux: Avec quelle sûreté la prière monte dans la nuit, quand Dieu seul en est témoin, et l'Ange qui la reçoit pour aller la présenter à l'Autel céleste! Elle est agréable et lumineuse, teinte du rouge de la pudeur. Elle est calme, paisible, lorsqu'aucun bruit, aucun cri ne viennent l'interrompre. Elle est pure et sincère, quand la poussière des soucis terrestres ne peut la salir. Il n'y a pas de spectateur qui puisse l'exposer à la tentation par ses éloges ou ses flatteries. C'est pourquoi l'Epouse agit avec autant de sagesse que de pudeur lorsqu'elle choisit la solitude nocturne de sa chambre pour prier, c'est-à-dire pour chercher le Verbe, car c'est tout un. Vous priez mal, si en priant vous cherchez autre chose que le Verbe, ou si vous ne demandez pas l'objet de votre prière par rapport au Verbe. Car tout est en lui: les remèdes à vos blessures, les secours dont vous avez besoin, l'amendement de vos défauts, la source de vos progrès, bref, tout ce qu'un homme peut et doit souhaiter.
Une présentation soignée pour ce livre qui peut ravir non seulement les croyants, mais aussi les poètes, les amoureux de notre terre et de tout ce qu'elle contient de beau ou de louable, au-delà d'un présent qui parfois s'essouffle en nos murs autant que les caprices du vent. A lire ou relire ces textes d'une profondeur aussi ardente qu'intemporelle, me revient en mémoire la devise de l'Ordre des Chartreux: Stat Crux dum volvitur orbis / La terre tourne, mais la Croix demeure immobile ...
Michael Lonsdale, L'amour sauvera le monde - Mes plus belles pages chrétiennes (Philippe Rey, 2011)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; spiritualité; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |