18/03/2013
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Dante Alighieri
J'étais parmis ceux qui sont en suspensquand une dame heureuse et belle m'appela,telle que je la priai de me commander.Ses yeux brillaient plus que l'étoile,et elle me parla, douce et calme,d'une voix d'ange, en son langage: "Ô âme courtoise de Mantoue,dont la gloire dure encore dans le monde,et durera autant que le monde,mon ami vrai, et non ami de la fortune,est empêché si fort, sur la plage déserte,que la peur le fait s'en retourner,et je crains qu'il ne soit déjà si égaréque je me sois levée trop tard à son secours,pour ce que j'entendis de lui au ciel.Va donc, et aide-le si bienpar ta parole ornée, et ce qui peut servirà son salut, que j'en sois consolée.Je suis Béatrice, qui te prie d'aller;je viens du lieu où j'ai désir de retourner;Amour m'envoie, qui me fait parler.Quand je serai auprès de mon seigneur,je lui ferai souvent ta louange." Elle se tut alors et je repris: "Ô dame de vertu, vertu qui permet seuleque l'espèce humaine excède tout ce qui estsous le ciel qui a les cercles les plus petits,ton commandement m'agrée si fortqu'y obéir, même aussitôt, me semble tard ;il ne sert plus que tu m'expliques ton désir.Mais dis-moi la raison qui t'enlève la peurde descendre ici en ce centredu vaste lieu où tu désires t'en retourner." "Puisque tu veux savoir un tel secret,je te dirai brièvement," répondit-elle,"pourquoi je n'ai pas craint de venir par ici.Il faut avoir peur seulement de ces chosesqui ont pouvoir de faire mal à autrui;des autres non, car elles ne sont pas redoutables.Je suis faite par Dieu, et par sa grâce, telleque votre misère ne peut me toucher,et que la flamme de cet incendie ne m'atteint pas.Une noble dame est au ciel qui a pitiéde la détresse où je t'envoie,si bien qu'elle brise la dure loi d'en haut.Or cette dame a appelé Lucieet lui a dit : - Ton fidèle a maintenant besoinde toi, et moi, à toi je le recommande - .Lucie, ennemie de toute cruauté,se mit en chemin, et vint là où j'étais,assise auprès de l'antique Rachel,et dit : - Béatrice, louange de Dieu vraie,pourquoi n'aides-tu pas celui qui t'aima tantque pour toi il sortit de la horde vulgaire?N'entends-tu pas la pitié de ses pleurs,ne vois-tu pas la mort qui le menacesur le grand fleuve où la mer ne vient pas? –Personne jamais ne fut plus promptà faire son bien, et à fuir son dommage,que je ne fus, à ces paroles dites,à venir ici-bas de mon siège d'élue,me confiant dans ton parler honnêtequi t'honore toi-même, et ceux qui t'entendent."
Dante Alighieri, L'enfer / extrait, dans: La Divine Comédie, volume 1, édition bilingue (coll. GF/Flammarion, 2011)
traduit de l'italien par Jacqueline Risset
image: Giovanni Battista Comolli, Dante e Beatrice / Villa Melzi, Bellagio (Italie)
08:39 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
Dante, un géant de la littérature dont l'aile nous protège à jamais d'un monde privé de poésie.
Merci, cher Claude.
Sima
Écrit par : Sima Dakkus | 18/03/2013
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