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28/11/2013

Morceaux choisis - Anna Akhmatova

Anna Akhmatova

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Moi, comme un fleuve,
Une époque de fer m'a détournée.
On m'a changé de vie.
Elle a suivi un autre lit, vu d'autres paysages,
Et mes rivages me sont inconnus.
 
O combien de spectacles j'ai manqués,
Que de rideaux levés en mon absence et retombés!
Combien de mes amis je n'ai jamais croisés,
Combien de villes dont les contours
Auraient pu m'arracher des pleurs,
Alors que je n'en connais qu'une,
Que je saurais retrouver même en rêve
Et à tâtons.
 
Et combien de poèmes que je n'ai pas écrits:
Leur choeur secret,
Il rôde autour de moi, et un beau jour
Il se pourrait qu'il vienne m'étouffer...
 
Je connais tout, commencements et fins,
La vie après la fin, et quelque chose
Qu'il ne faut pas rappeler à présent.
Et quelqu'un d'autre,
Une femme inconnue a pris ma place, 
Mon unique place,
Et porte ici mon légitime nom,
Ne me laissant qu'un surnom
Dont j'ai fait tout ce que l'on pouvait,
je le crois bien.
 
Ma tombe, hélas, ne sera pas pour moi.
Mais qu'une folle brise de printemps,
Ou deux mots dans un livre de hasard,
Ou le sourire de quelqu'un 
M'entraînent soudain
Dans cette vie inaccomplie...
 
Cette année-là il serait arrivé ceci, et puis cela:
Partir au loin, voir et penser,
Se ressouvenir,
Entrer comme on ferait dans un miroir
Dans un amour nouveau,
Avec la sourde conscience de trahir,
Et une ride nouvelle,
Qui n'était pas encore là
Hier...
 
Si de là-bas pourtant
J'apercevais ma vie de maintenant,
Je connaîtrais enfin
L'envie...
 

Anna Akhmatova, Cinquième élégie, dans: Philippe Jaccottet, D'autres astres, plus loin, épars - Poètes européens du XXe siècle (La Dogana, 2005)

image: Anna Akhmatova (beautifulrus.com)

07:03 Écrit par Claude Amstutz dans Anna Akhmatova, Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/11/2013

Morceaux choisis - Hermann Hesse

Hermann Hesse

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merci à Catherine A

Toutes les fleurs veulent se changer en fruits,
Toute matinée veut devenir soirée,
Sur terre rien n’est éternité,
Si ce n’est le mouvement, le temps qui fuit.
 
Même le plus bel été veut voir une fois
La nature qui se fane, l’automne qui vient.
Reste tranquille, feuille, garde ton sang-froid
Lorsque le vent veut t’enlever au loin.
 
Poursuis tes jeux et ne te défends pas,
Laisse les choses advenir sans heurts,
Laisse enfin le vent qui te détacha
Te conduire jusqu’à ta demeure.
 

Hermann Hesse, Feuille morte, dans: Eloge de la vieillesse (coll. Livre de poche Biblio/LGF, 2003)

image: Les Saules, Cologny / Suisse (2012)

07:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

15/11/2013

Morceaux choisis - Yorgos Thèmelis

Yorgos Thèmelis

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C'est pour toi que j'aime la lumière
Les hommes les arbres qui te ressemblent
Tout ce qui bouge et respire et la pierre éternelle
Et le flot partageant tes espaces
Et l'eau chantant l'amour
 
C'est pour toi et c'est toi
Qui marches dans les miroirs
Et partout dans les choses
Mes soeurs si proches
 
Et cette table tendre qui voit
Dans son sommeil les deux ailes de tes mains
Et cette table tendre qui entend
Ton écho secret dans son épais silence
 
C'est mon coeur qui te soutient comme un drapeau
C'est mon coeur qui t'accueille comme un ciel
 

Yorgos Thèmelis, C'est pour toi, dans: Michel Volkovitch, Anthologie de la poésie grecque contemporaine 1945-2000 (coll. Poésie/Gallimard, 2000)

image: Miroir - Grèce classique, Ve siècle avant J.C. / Le Louvre (pinterest.com)

17:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les pièces de Shakespeare 10a

Henry V

William Shakespeare.jpg

Avec une certaine ironie, le public français considère souvent Henry V - comme on a pu le lire voici quelques années dans les colonnes de Libération - l'une des pièces les moins palpitantes de Shakespeare! Il n'est pas étonnant non plus qu'au Royaume-Uni, elle demeure l'une des plus populaires: et pour cause...

En effet, si Henry V nous raconte la vie de ce roi dont le règne n'aura duré que neuf ans, l'histoire a retenu qu'après le règne agité de son père, Henry IV, il a incarné - en quelques traits de sa personnalité - la vertu, la droiture, la sincérité, la foi. Mais ces dispositions ne pèseraient pas lourd sans la puissance étendue de l'Angleterre sous son ère, dont le point déterminant se situe lors de la célèbre Bataille d'Azincourt, où, avec 6'000 hommes à peine, il inflige l'une des plus cinglantes défaites au Royaume de France, malgré ses 18'000 combattants. A Hardricourt - alors que la progression de l'armée anglaise a vu tomber Rouen et marche sur Paris - Henry V demande la main de Catherine de Valois, fille du roi Charles VI, héritant du même coup de l'Aquitaine et de la Normandie. Reconnu par le Traité de Troyes comme héritier et régent de France, tous les états d'Europe sont désormais sous son influence, mais son ascension fulgurante est interrompue à Vincennes, en 1422, où il meurt d'une dysenterie à l'âge de 35 ans: jeune donc, comme Alexandre le Grand...

La pièce de Shakespeare s'attache en priorité à faire revivre sous nos yeux un homme d'état - un vrai - pour lequel il éprouve une authentique admiration. Redoutable diplomate, fin stratège militaire, habile en paroles et doté d'un charisme politique exceptionnel, il se révèle aussi manipulateur, refoulant au fond de lui-même ses doutes, les incertitudes de l'histoire, notamment avant la Bataille d'Azincourt où il prononce devant ses troupes un discours célèbre entre tous - voir l'annexe 1b - dont la détermination affichée n'est peut-être pas le reflet de son intime conviction. Mais qu'importe, puisque seul le résultat compte et que les soldats lui emboîtent le pas et se reconnaissent en lui!

Shakespeare s'est sans doute laissé emporter par sa vénération pour un roi personnifiant l'unité de la Nation, le courage et la domination de l'Angleterre, à travers ses caricatures et moqueries envers la France, plongée alors dans un chaos indescriptible. Bien des critiques littéraires anglo-saxons - dont Harold Bloom - soulignent non sans humour, que Henri V est un homme qu'on admire certainement, auquel on ne peut résister en raison de sa force de persuasion; mais l'aimer? Rien n'est moins sûr, car sa sécheresse de coeur - le prix payé pour sa réussite et ses victoires -, son insolence typiquement britannique ou son autoritarisme n'abondent pas dans ce sens.   

Mais l'histoire effacera ces ombres singulières pour retenir ces mots: Faites-nous jurer que vous valez autant que vos origines, ce dont je ne doute pas, puisqu'à aucun de vous, si modeste qu'il soit ne manque dans les yeux l'éclat de la noblesse... 

Et comme on voudrait aujourd'hui que nos politiques sachent parler ainsi... 

William Shakespeare, Henry V (coll. Folio Théâtre/Gallimard, 1999)

traduit de l'anglais par Jean-Michel Déprats

Harold Bloom, Shakespeare - The Invention of the Human (Fourth Estate, 1998)

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les pièces de Shakespeare 10b

Henry V

En 1989, Kenneth Branagh - après Laurence Olivier et les adaptations télévisées de la Royal Shakespeare Company - porte à l'écran Henry V. Aux côtés de Derek Jacobi, Simon Shepherd et James Larkin, Kenneth Branagh interprète le rôle de Henri V. La scène III de l'Acte IV, présentée ici, est celle du célèbre discours que Henry V déclame devant ses troupes avant la Bataille d'Azincourt. La traduction française - de Jean-Michel Dépratsen extrait - a été ajoutée ci-dessous.

 

Cette histoire, l'homme de bien l'apprendra à son fils,
Et la Crépin Crépinien ne reviendra jamais
À compter de ce jour jusqu'à la fin du monde
Sans que de nous on se souvienne,
De nous, cette poignée, cette heureuse poignée d'hommes, cette bande de frères.
Car quiconque aujourd'hui verse son sang avec moi
Sera mon frère; si humble qu'il soit,
Ce jour anoblira sa condition.
Et les gentilshommes anglais aujourd'hui dans leur lit
Se tiendront pour maudits de ne pas s'être trouvés ici,
Et compteront leur courage pour rien quand parlera
Quiconque aura combattu avec nous le jour de la Saint-Crépin.
 

William Shakespeare, Henry V (coll. Folio Théâtre/Gallimard, 1999)

traduit de l'anglais par Jean-Michel Déprats

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; cinéma | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/11/2013

Henning Mankell

9782020593243.gifHenning Mankell, L'homme qui souriait (Seuil, 2005)

Imaginez un avocat, rentrant chez lui en voiture, par un épais brouillard. Il aperçoit, au milieu de la route, une chaise. Intrigué, il descend de voiture et découvre sur ladite chaise, un mannequin grandeur nature. Ce sera la dernière vision de sa vie… Ainsi commence le génial roman de l’auteur – entre autres - déjà de deux chefs d’œuvres, La cinquième femme et Les morts de la Saint Jean, parus en poche. Peinture crépusculaire d’une société suédoise malade et d’une justice corrompue où, plus que jamais, les doutes de l’inspecteur Wallander, son regard pessimiste sur le monde qu’il côtoie, ajoutent une dimension humaine très personnelle à un suspense exceptionnel. 

Egalement disponible en coll. Points (Seuil, 2006)

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/11/2013

Morceaux choisis - Hermann Hesse

Hermann Hesse

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pour Catherine A

O pluie, pluie d'automne,
Montagnes drapées de gris,
Branches lasses traînant au sol!
Par les fenêtres embuées,
Tu vois partir l'année malade.
Tu sors, transi et ruisselant.
A l'orée des forêts, salamandre et crapaud
Marchent en titubant sur les feuilles jaunies.
Dans un bouillonnement sans fin,
L'au dévale inlassablement,
Et dans le pré, près du figuier,
Se forme une patiente mare.
Goutte à goutte, dans la vallée,
Le glas tinte au clocher, là-bas.
Le village enterre un des siens.
 
Ne pleure pas, ami, le voisin décédé,
Ni le bonheur disparu de l'été,
Ni les fêtes de la jeunesse!
Tout vit encor dans ta pieuse mémoire,
Tout reste dans le mot, le chant, l'image,
Et n'attend plus, pour fêter son retour,
Que de vêtir une forme nouvelle.
Que tout cela en toi vive et mûrisse,
Et tu verras bientôt que dans ton coeur
La foi joyeuse éclôt comme une fleur.
 

Hermann Hesse, Tessin - textes de prose et poèmes / avec 16 aquarelles hors texte (Metropolis, 2000)

image: Capolago, Tessin / Suisse (cdt.ch)

07:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/11/2013

Nick Hornby

 littérature: roman; livresNick Hornby, Vous descendez (Plon, 2005)

La veille du Nouvel An, à Londres, quatre individus se retrouvent, par coïncidence, sur le toit d'un immeuble de quatorze étages, tous avec la ferme intention de sauter pour mettre un terme à une vie devenue intolérable. L’histoire de ces quatre ratés qui veulent en finir avec la vie se lit avec infiniment de plaisir, car malgré les échecs et désespoirs à l’anglaise de ses personnages, l’auteur de Haute fidélité sait communiquer aux lecteurs sa sympathie et sa complicité pour Martin, Jess, JJ et Maureen. Même la fin du roman évite les pièges d’un happy end trop évident. La conclusion – sans être désespérée – porte décidément la marque d’un humour tout à fait britannique ! Une réussite.

Egalement disponible en coll. 10/18 (UGE, 2006)

07:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/11/2013

Morceaux choisis - Michela Murgia

Michela Murgia

Michela Murgia.jpg

Nous avons joué dans la même rue.

C'est ainsi qu'on devient vraiment frères et soeurs à Crabas, étant donné que naître de la même mère n'a jamais apparenté quiconque, pas même les chats. Que soit toujours béni le respect pour la chair de notre chair, mais la rue et le fait d'avoir joué ensemble offrent aux enfants un lien de parenté plus étroit, qu'ils n'oublieront pas à l'âge adulte. Il n'y a rien d'intuitif dans la génération: le sang suit des parcours troubles, et aucun gamin ne peut imaginer que partager le nom d'un père suffit pour revendiquer une semence commune.

Comment on naît, voilà une des questions qu'il est besoin de se faire expliquer plusieurs fois, et c'est sans doute pour ce motif que nombre d'adultes s'efforcent leur vie durant de se libérer de liens de parenté fortuits en s'en créant d'autres par de purs actes de volonté. Des témoins de mariage sont ainsi élevés au rang de frères et de soeurs. Les parrains et marraines des enfants, promus membres de la famille d'occasion. Des compères et des commères naissent au début de chaque été, la nuit de la Saint-Jean, quand l'île entière brille de feux à sauter main dans la main afin de conquérir une fraternité qui ne soit redevable à aucune mère. Des arbres généalogiques surgissent sans cesse du feu, du vin, de la faute et de l'eau bénite. Pourtant, ces rituels millénaires eux-mêmes ne parviennent pas à engager la mémoire du coeur aussi efficacement que les jeux que les enfants célèbrent dans la rue.

Aucune famille ne l'emportera jamais sur les après-midi d'été ensoleillés au cours desquels on a réussi à marquer son premier but parmi les cris des copains, ou libéré avec eux une libellule gigantesque entrée par mégarde dans un filet à papillons. Et la voix de son propre sang est vaine face à la certitude d'avoir fait saigner involontairement le genou d'un ami. Jamais un Noël parmi les siens ne rivalisera intimement avec le souffle du vent sur le visage lorsqu'on dévale une pente à vélo sans les mains; avec le reflet d'une natte sombre se balançant dans le dos de la fille la plus jolie; on encore avec la honte cuisante d'un magazine pour adultes trouvé au milieu des broussailles et feuilleté en bande dans un silence hagard. C'est dans ces virginités perdues que résident le pacte secret des vrais complices, le pouvoir normatif des premières certitudes communes, devant lesquelles il n'y a pas de famille qui puisse revendiquer de droits plus importants.

C'est ainsi qu'on entend dans les bars certains adultes, des hommes mille fois faits et défaits par la vie, se vanter encore des liens que la rue de leur enfance a créés entre eux - nous avons partagé le jeu - comme s'il s'agissait d'un pacte respecté.

Michela Murgia, Prologue, dans: La guerre des saints (Seuil, 2013)

traduit de l'italien par Nathalie Bauer

01/11/2013

La citation du jour

Rainer Maria Rilke

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Que je sois le veilleur de tous tes horizons... Permets à mon regard plus hardi et plus vaste d'embrasser soudain l'étendue des mers. Fais que je suive la marche des fleuves afin qu'au-delà des rumeurs de leurs rives j'entende monter la voix silencieuse de la nuit.

Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort (Actes Sud, 1992)

traduit de l'allemand par Arthur Adamov

image: Débarcadère de Nyon / Suisse (uprapide.com)

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |