Le poème de la semaine (20/04/2011)
Saint John Perse
Nous n'habiterons pas toujours ces terres jaunes,
notre délice ...
L'Eté plus vaste que l'Empire
suspend aux tables de l'espace
plusieurs étages de climats.
La terre vaste sur son aire roule à pleins bords
sa braise pâle sous les cendres ...
couleur de soufre, de miel,
couleur de choses immortelles,
toute la terre aux herbes
s'allumant aux pailles de l'autre hiver ...
et de l'éponge verte d'un seul arbre
le ciel tire son suc violet.
Un lieu de pierres à mica!
Pas une graine pure dans les herbes du vent.
Et la lumière comme une huile ...
De la fissure des paupières
au fil des cimes m'unissant,
je sais la pierre tachée d'ouïes,
les essaims du silence aux ruches de lumière;
et mon coeur prend souci d'une famille d'acridiens ...
Chamelles douces sous la tonte,
cousues de mauves cicatrices,
que les collines s'acheminent
sous les données du ciel agraire ...
qu'elles cheminent en silence
sur les incandescences pâles de la plaine;
et s'agenouillent à la fin, dans la fumée des songes,
là où les peuples s'abolissent
aux poudres mortes de la terre.
Ce sont de grandes lignes calmes
qui s'en vont à des bleuissements de vignes improbables.
La terre en plus d'un point
mûrit les violettes de l'orage;
et ces fumées de sable qui s'élèvent
au lieu des fleuves morts,
comme des pans de siècles en voyage ...
A voix plus basse pour les morts,
à voix plus basse dans le jour.
Tant de douceur au coeur de l'homme,
se peut-il qu'elle faille à trouver sa mesure? ...
"Je vous parle, mon âme ...
mon âme tout enténébrée d'un parfum de cheval."
Et quelques grands oiseaux de terre,
naviguant en Ouest,
sont de bons mimes de nos oiseaux de mer.
A l'orient du ciel si pâle,
comme un lieu saint scellé des linges de l'aveugle,
des nuées calmes se disposent,
où tournent les cancers du camphre et de la corne ...
Fumées qu'un souffle nous dispute!
La terre tout attente en ses barbes d'insectes,
la terre enfante des merveilles! ...
Et à midi, quand l'arbre jujubier
fait éclater l'assise des tombeaux,
l'homme clôt ses paupières
et rafraîchit sa nuque dans les âges ...
Cavalerie du songe au lieu des poudres mortes,
ô routes vaines qu'échevèle
un souffle jusqu'à nous!
Où trouver,
où trouver les guerriers
qui garderont les fleuves dans leurs noces?
Au bruit des grandes eaux en marche sur la terre,
tout le sel de la terre tressaille dans les songes.
Et soudain, ah! soudain que nous veulent ces voix?
Levez un peuple de miroirs
sur l'ossuaire des fleuves,
qu'ils interjettent appel dans la suite des siècles!
Levez des pierres à ma gloire,
levez des pierres au silence,
et à la garde de ces lieux,
les cavaleries de bronze vert
sur de vastes chaussées! ...
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:38 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
Splendide Saint-John Perse !
Merci pour ce blog , qui nous rappelle ou nous fait connaître de si beaux textes...
Écrit par : Monique Sicard | 20/04/2011
C'est le plus grand poète français, le plus lyrique et je le redécouvre à la lecture d'aujourd'hui le plus profondément minéral, assoifé de courants souterrains ressemblant à un monde d'avant la création, tout en étant une célébration constante du créé. Merci donc Claude de le célébrer à ton tour, merci d'y associer tous ceux qui sont faits pour aimer ce poète et qui le dècouvrent éblouis.
JPO
Écrit par : JEAN-PIERRE OBERLI | 20/04/2011
Merci pour vos propositions de bouquins. On voudrait avoir deux vies, l'une juste pour lire!
Écrit par : Natacha S. | 22/04/2011