Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/12/2013

Le poème de la semaine

Abdellatif Laâbi

A la mémoire de Tahar Djaout

La terre s'ouvre
et t'accueille
Pourquoi ces cris, ces larmes
ces prières
Qu'ont-ils perdu
Que cherchent-ils
ceux-là qui troublent
ta paix retrouvée?
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Maintenant
vous allez vous parler sans témoins
Oh vous en avez des choses à vous raconter
et vous aurez l'éternité pour le faire
Les mots d'hier ternis par le tumulte
vont peu à peu se graver dans le silence
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Elle seule t'a désiré
sans que tu lui fasses des avances
Elle t'a tendu sans ruses de Pénélope
Sa patience ne fut que bonté
et c'est la bonté qui te ramène à elle
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Elle ne te demandera pas de comptes
sur tes amours éphémères
filles de l'errance
étoiles de chair conçues dans les yeux
fruits accordés du vaste verger de la vie
souveraines passions qui font soleil
au creux de la paume
au bout de la langue éperdue
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Tu es nu
Elle est encore plus nue que toi
Et vous êtes beaux
dans cette étreinte muette
où les mains savent se retenir
pour écarter la violence
où le papillon de l'âme
se détourne de ce semblant de lumière
pour aller en quête de sa source
 
La terre s'ouvre
et t'accueille
Ta bien-aimée retrouvera un jour
ton sourire légendaire
et le deuil prendra fin
Tes enfants grandiront
et liront sans gêne tes poèmes
Ton pays guérira comme par miracle
lorsque les hommes épuisés par l'illusion
iront s'abreuver à la fontaine de la beauté
 
O mon ami
dors bien
tu en as besoin
car tu as travaillé dur
en honnête homme 
 
Avant de partir
tu as laissé ton bureau propre
bien rangé
Tu as éteint les lumières
et puis en sortant
tu as regardé le ciel
son bleu presque douloureux
Tu as lissé élégamment ta moustache
en te disant: 
seuls les lâches
considèrent que la mort est une fin
 
Dors bien mon ami
Dors du sommeil du juste
Repose-toi
même de tes rêves
Laisse-nous porter un peu le fardeau
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

11/12/2013

Le poème de la semaine

Denise Mützenberg

Ne dis rien
ne dis pas d'où tu viens
ni quel vent t'a souffletée
quand tu rentres
au matin
quand tu te glisses dans ma vie
plus proche du coeur que l'aubier
 
Ne retire pas ton tablier
garde les mains dans la farine
 
La prophétie lèvera doucement
comme un gâteau que tous pourront manger

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

04/12/2013

Le poème de la semaine

Marcelle Delpastre

 Certes, j’en ai parlé, de la terre.
J’en ai parlé, j’en parlerai. 
         La terre, pour moi, tout d’abord, c’était cette terre-ci,
ma terre, la terre de mon pays.
 
La terre que je labourais,
dont je tirais le rocher, le pré où je gardais les vaches,
entre les haies qui montent haut:
le hêtre et le noisetier, le cormier et le châtaignier.
Le sentier où je passais, que je frottais encore un peu.
L’herbe que j’ai fanée, le foin que j’ai fauché.
C’était le ciel de ce pays,
les collines à perte de vue entre la brume et les nuages.
 
Ma maison.
La maison de la terre, de pierre, de bois;
le seuil de la maison et la souche entre les landiers.
Le feu, la fontaine et l’air,
tout ce qu’il faut pour vivre, ce que j’ai à l’entour de moi.
Mais la terre au-delà c’est bien la même terre,
ce que porte la terre, ce que produit la mer,
et le même soleil et les soleils d’ailleurs, nuées d’étoiles,
fumée de poussière.
 
Dans les profondeurs du ciel de tous les cieux,
quelle que tu sois, poussière,
je te chante, la terre, ma terre,
ce qui est en haut, ce qui est en bas,
dans l’apparence comme dans l’être,
je te chanterai toi, l’homme vivant,
dans le secret de l’étincelle et dans le cœur de Dieu.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/11/2013

Le poème de la semaine

Jean Follain

Il arrive que l’on entende
figé sur place dans le sentier aux violettes,
le heurt du soulier d’une femme
contre l’écuelle de bois d’un chien
par un très fin crépuscule,
alors le silence prend une ampleur d’orgue.
Ainsi lorsque l’adolescent,
venu des collèges crasseux,
perçoit sous les peupliers froids
la promeneuse au frémissement de sa narine
émue par le parfum des menthes.
Toutes les lueurs des villages
se retrouvent dans le diamant des villes.
Dans un univers mystérieux
ayant laissé sur ses genoux
l’étoffe où s’attachait ses yeux,
une fille en proie aux rages amoureuses
pique de son aiguille le bout de ses doigts frêles
près d’un bouquet qui s’évapore.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08:24 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/11/2013

Le poème de la semaine

Pierre Reverdy

La vie est simple et gaie
Le soleil clair tinte avec un bruit doux 
Le son des cloches s'est calmé 
Ce matin la lumière traverse tout 
Ma tête est une lampe rallumée
Et la chambre où j'habite est enfin éclairée
 
Un seul rayon suffit
Un seul éclat de rire
Ma joie qui secoue la maison 
Retient ceux qui voudraient mourir 
Par les notes de sa chanson
             
Je chante faux
Ah que c'est drôle
Ma bouche ouverte à tous les vents 
Lance partout des notes folles 
Qui sortent je ne sais comment 
Pour voler vers d'autres oreilles
           
Entendez je ne suis pas fou
Je ris au bas de l'escalier 
Devant la porte grande ouverte 
Dans le soleil éparpillé 
Au mur parmi la vigne verte
Et mes bras sont tendus vers vous
 
C'est aujourd'hui que je vous aime.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/11/2013

Le poème de la semaine

Paul Claudel

merci à Marie-Elisabeth C

Paul, il nous faut partir pour un départ plus beau!
Pour la dernière fois, acceptant leur étreinte,
J'ai des parents pleurants baisé la face sainte.
Maintenant je suis seul sous un soleil nouveau.
 
Tant de mer, que le vent lugubre la ravage,
Ou quand tout au long du long jour l'immensité
S'ouvre au navigateur avec solennité,
Traversée, et ces feux qu'on voit sur le rivage,
 
Tant d'attente et d'ennui, tant d'heures harassées,
L'entrée au matin au port d'or, les hommes nus,
L'odeur des fleurs, le goût des fruits inconnus,
Tant d'étoiles et tant de terres dépassées
 
Ici cet autre bout du monde blanc et puis
Rien! de ce cœur n'ont réfréné l'essor farouche.
Cheval, on t'a en vain mis le mors dans la bouche.
Il faut fuir! Voici l'astre au ciel couleur de buis.
 
Voici l'heure brûlante et la nuit ennuyeuse!
Voici le Pas, voici l'arrêt et le suspens.
Saisi d'horreur, voici que de nouveau j'entends
L'inexorable appel de la voix merveilleuse.
 
L'espace qui reste à franchir n'est point la mer.
Nulle route n'est le chemin qu'il me faut suivre;
Rien, retour, ne m'accueille, ou, départ, me délivre.
Ce lendemain n'est pas du jour qui fut hier.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel, 
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

07:58 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

06/11/2013

Le poème de la semaine

Philippe Jaccottet

Tu es ici, l'oiseau du vent tournoie
toi, ma douleur, ma blessure, mon bien
De vieilles tours de lumières se noient
et la tendresse entr'ouvre ses chemins
 
La terre est maintenant notre patrie
Nous avançons entre l'herbe et les eaux
de ce lavoir où nos baisers scintillent
à cet espace où foudroie la faux
 
"Où sommes nous?"
Perdus dans le coeur de la paix.
Ici, plus rien ne parle
que sous notre peau, sous l'écorce et la boue,
 
avec sa force de taureau,
le sang fuyant qui nous emmêle et nous secoue
comme ses cloches mûres sur les champs.

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

30/10/2013

Le poème de la semaine

Guillevic

Autrefois,
quand j'étais gamin,
je me sentais étranger
au monde.
 
C'était
comme si je n'en étais pas,
et je me suis appliqué
à m'incorporer à ce tout.
 
Maintenant où s'approche
ma fin,
et je le sais, je le vis,
maintenant
je n'ai plus d'effort à faire
pour sentir pleinement
le monde
seconde après seconde.
 
Il est là et je suis en lui,
je suis à lui,
en lui je me plais.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

02:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/10/2013

Le poème de la semaine

René Char

Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier,
fontaine où se mire ma monarchie solitaire,
comment pourrais-je jamais vous oublier
puisque je n’ai pas à me souvenir de vous:
vous êtes le présent qui s’accumule.
Nous nous unirons sans avoir à nous aborder,
à nous prévoir
comme deux pavots font en amour une anémone géante.

Je n’entrerai pas dans votre coeur pour limiter sa mémoire.
je ne retiendrai pas votre bouche
pour l’empêcher de s’ouvrir sur le bleu de l’air et la soif de partir.
je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie
qui passe le seuil de toujours
avant que la nuit ne devienne introuvable.

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

16/10/2013

Le poème de la semaine

Robert Desnos

merci à Christiane H

Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre.
Cette ombre à la fenêtre c'est toi, ce n'est pas une autre, c'est toi.
N'ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s'ouvre et le vent, le vent
qui balance bizarrement la flamme
et le drapeau entoure ma fuite de son manteau.
La fenêtre s'ouvre: ce n'est pas toi.
Je le savais bien.

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |