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06/08/2011

Sacha Sperling

Bloc-Notes, 6 août / Les Saules

littérature; roman; livres 

Peut-être vous souvenez-vous de ce jeune auteur, âgé de 21 ans à peine aujourd'hui, qui m'avait littéralement bluffé - si l'on peut dire - avec un premier roman étonnant: Mes illusions donnent sur la cour (Fayard, 2009). 

J'attendais avec quelques craintes un second texte. Souvent en effet, je me suis retrouvé déçu devant une soudaine conscience d'écriture plutôt agaçante, sans cette originalité initiale dans le sujet ou la forme, sans cette magie des commencements. Avec Sacha Sperling et Les coeurs en skaï mauve, il en va par bonheur tout autrement. L'histoire pourtant, est banale à souhait: Deux jeunes un peu fous dans leur genre, Jim et Lou, qui se rencontrent, s'inventent une autre vie et qui, pour un temps, font semblant de croire aux mirages. 

Auprès de Lou, Jim se sent comme un Buffalo Bill qui flotte au-dessus des périphériques, un mercenaire à travers les cités d’or; il veut être gavé de rayonnements cathodiques, rêve de bolides, de non-lieux quand les miroirs ne reflètent rien d'autre que du vide: Jim semble toujours au bord d'un gouffre immense. Se tenir près de lui, c'est accoster sur une île que l'on croit déserte. La plage est un bras mince entre l'écume argentée et la forêt qui exhale des odeurs de pamplemousse. La lumière s'insinue entre les palmes. Les ombres dessinent des formes sombres mais éclatantes comme l'ébène.

En Lou, il voit un sourire à dix millions de dollars, un regard parme, une dégaine de Cadillac, une battante qui voudrait plus de glaçons dans son verre; auprès d'elle, un peu par hasard, il lui semble être enfin passé de l'autre côté du monde: Tu m'as appris que c'est la poussière qui donne sa superbe au soleil quand il se couche. Un peu plus loin, il lâche: J'ai besoin de toi pour garder les yeux ouverts. (...) Elle est Baby Lou. Celle qui est trop jolie pour qu'on l'appelle seulement par son prénom. Celle qui reste dans son champ de vision. Le plus gros oeuf de Pâques caché dans le jardin.

Mais même les supernovas s’éteignent à un moment, et Lou s'aperçoit au fil des jours que son héros n'est qu'un rêveur immobile prisonnier de son présent imaginaire, qu'il joue toujours un rôle, incapable d'être lui-même face à celle qu'il croit aimer: Jim appartenait aux faces cachées des lunes, aux plaines arides, aux villes fantômes. Il sentait l'infini et le soleil qui tape trop fort. Sa peau était douce comme les vents nocturnes qui traversent les canyons. 

Chronique d'une attraction irrésistible puis d'un désamour, ce roman est bien le négatif d'un Roméo et Juliette moderne. Le ton grinçant et lucide, servi par une écriture d’une incroyable maturité, renverse ou détourne en permanence les clichés qui foisonnent chez les auteurs classiques et les autres, se refermant sur une image inoubliable de Jim: Il ne savait pas qu'une poussière provoquerait une éclipse en passant devant le soleil.

Sacha Sperling, Les coeurs en skaï mauve (Fayard, 2011)

00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/08/2011

Le poème de la semaine

Henri Pichette

Soleil, ouvre grandes les Portes:
Ce monde est parsemé d'oeuvres douces et fortes.
Eclaire-moi, qui me veux illuminateur
Tel un fou, tel un sage, oui, tel un créateur.
Que paroles du coeur voient le jour sur mes lèvres!
Si j'ai, d'interminables nuits, tremblé
De perdre la flamme tandis que je suais la fièvre,
Jamais les champs ne m'ont apparu noirs de blé.
J'ai vu la petite Aube sourire à l'Océan.
Je ne suis plus l'animal seul
A se lamenter entre deux néants,
Ni l'insane qui songe à déserter le sol.
Parmi les hommes à la peine
Je m'instruirai.
Touché, je haïrai la haine.
Je participerai plein de coeur aux efforts
De la verte forêt toutes feuilles dehors.
L'espoir, voici l'espoir, le grave espoir lucide
Qui veut qu'âme, ombre et chair on se décide.
O prometteuses fleurs! possibles fruits heureux!
Que le sang vénéré provigne, généreux.
O le travail de la contemplative prière,
Une rosée en larmes de lumière.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

10:28 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

31/07/2011

Georges Simenon 2/2

9782253142805.gifGeorges Simenon, Pedigree (Coll. Livre de Poche, 2003)

Le 13 février 1903 naît à Liège Roger Mamelin, fils de Désiré, employé d'assurances, et d'Elise Peeters, sans profession. Autour de l'enfant, des oncles et des tantes, des cousins, puis plus tard les pensionnaires auxquels sa mère loue des chambres : tout un monde de personnages avec ses bonheurs et ses malheurs, ses petitesses, ses folies, comme celle de l'oncle Léopold, protecteur de l'anarchiste Marette, coupable d'un attentat. Puis viennent la guerre, les premiers émois sexuels, la révolte aussi, lorsque le jeune garçon prend conscience de sa pauvreté, en même temps que de la médiocrité du monde qui l'environne. Il s'arrêtera in extremis sur le chemin de la délinquance et du vice, résolu à se construire, ailleurs, une autre existence...

Le plus autobiographique de tous les Simenon, sans doute l’un des plus troublants et émouvants. Les descriptions de Liège et de ses petites gens y sont instinctivement poétiques. Tout Simenon ou presque est concentré dans ce roman.

06:59 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Simenon, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/07/2011

Georges Simenon 1/2

9782070766963.gifMichel Lemoine, Simenon - Ecrire l'homme (Coll. Découvertes/Gallimard, 2003)

 

Georges Simenon a réussi cette double gageure de devenir l'un des écrivains les plus populaires de son siècle et d'être considéré par ses contemporains à l'égal des meilleurs, à commencer par André Gide, qui voyait en lui le plus grand peut-être que nous ayons en littérature française aujourd'hui. Son nom est indissociable de celui de Maigret, ce policier des âmes, héros de plus de cent romans et nouvelles. Mais Simenon est aussi l'auteur d'une œuvre purement romanesque, au sein de laquelle il s'est livré à une quête de l'homme prisonnier de sa condition. Tout en suivant au jour le jour la formidable production de ce prodigieux raconteur d'histoires, Michel Lemoine analyse cet univers de la fuite et du drame, où les protagonistes vont au bout d'eux-mêmes. Une introduction idéale à la complexité de l’homme – écrivain, journaliste, reporter, marin, photographe - et de l’œuvre, riche en extraits, documents et illustrations, avec ses prolongements incontournables au cinéma, sous le regard des contemporains de Simenon. Un théâtre d’ombres et de lumières mis en scène avec beaucoup d’originalité.

06:37 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Simenon, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/07/2011

La citation du jour

Pierre-Jean Jouve

pierre_jean_jouve.jpg

Il se trouvait entre les bâtiments misérables une charmante arcade ancienne, reste déchu d'une belle villa, et à l'ombre de l'arcade une paysanne était assise, épluchant des pommes de terre. Cette femme se levait pour accueillir l'arrivant, et un doux étrange sourire donnait à son visage une signification imprévue, comme si dans la paysanne apparaissait un être qui n'avait rien de paysan. Elle portait un corsage noir de toile grossière, car l'été commençait, une jupe sale et un tablier fait avec un sac. Sur ses épaules, seulement, un morceau déchiré d'un châle à fleurs qui avait été beau. Elle était âgée, sans avoir la cinquantaine; elle était plutôt usée. L'âge de cette femme troublait quiconque la regardait. On remarquait que ses cheveux blancs, tirés en bandeaux, gardaient un beau mouvement naturel. La paysanne offrit sa main à l'étranger qui la serra avec effusion et s'assit. L'étranger gardait la main de la femme prisonnière dans ses deux mains. Après un instant la paysanne retira sa main abîmée par les grosses besognes, dont les ongles étaient chargés de terre, et la laissa tomber sur son tablier. L'étranger dit quelques paroles, elle répondit. Mais oui ils étaient aussi contents l'un que l'autre de se revoir. Elle continua de peler ses pommes de terre, en adressant parfois à son visiteur un sourire sans raison et sans but qui exprimait sûrement quelque chose de profond dans son coeur. 

Pierre-Jean Jouve, Paulina 1880 (coll. Folio/Gallimard, 1974)

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27/07/2011

Le poème de la semaine

Guillevic

Je ne parle pas pour moi,
Je ne parle pas en mon nom,
Ce n'est pas de moi qu'il s'agit.

Je ne suis rien
Qu'un peu de vie, beaucoup d'orgueil.

Je parle pour tout ce qui est,
Au nom de tout ce qui a forme et pas de forme.
Il s'agit de tout ce qui pèse,
De tout ce qui n'a pas de poids.

Je sais que tout a volonté, autour de moi,
D'aller plus loin, de vivre plus,
De mieux mourir aussi longtemps
Qu'il faut mourir.

Ne croyez pas entendre en vous
Les mots, la voix de Guillevic.

C'est la voix du présent allant vers l'avenir
Qui vient de lui sous votre peau.

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

06:37 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/07/2011

La rentrée littéraire 2/3

Bloc-Notes, 25 juillet / Les Saules

littérature; livres

Poursuivons un bout de chemin en compagnie des auteurs de langue française, plutôt inspirés en cette rentrée littéraire automnale, contrairement aux années précédentes.

Ainsi, mérite d'être signalé le troisième roman d'une lyonnaise, Virginie Ollagnier, Rouge argile (Liana Levi). Intimiste et grave, mais sans lourdeur, il évoque à la mort du père adoptif de la narratrice, un retour aux sources dans le Maroc des années 50, peuplé de fantômes et de souvenirs, mais aussi porteur d'un temps qui lave les deuils et les blessures. Un ton sobre, chaleureux pour un livre que les extraits de correspondance intégrés au récit, nous font respirer tous les parfums et la proximité.

Après la Tunisie de Colette Fellous, de même que chez Virginie Ollagnier, Fouad Laroui nous emmène avec La vieille dame du riad (Julliard) au Maroc où un couple de français qui vient d'acquérir une maison à Marrakech, découvre une femme mystérieuse ne parlant pas un traître mot de français, qui semble habiter les lieux depuis toujours et se montre peu encline à partir ... Un timbre enjoué, comme dans ses précédents romans - Une année chez les français ou Les dents du topographe - pour nous partager avec une tendre ironie des réalités pas toujours drôles.

Lionel Trouillot, quant à lui, dans La belle amour humaine (Actes Sud), célèbre la fraternité des Caraïbes nécessaire à la survie face aux puissants qui tiennent pour acquis leurs droits, leurs possessions. A travers une femme sur les traces de son père, à la manière d'un Dany Laferrière, il réhabilite - si besoin est - les qualités de coeur de son peuple, avec une générosité contagieuse.

Surprise de l'an dernier dans ce paysage littéraire pour Mon couronnement - chouchouté par les libraires - Véronique Bizot nous revient aujourd'hui avec Un avenir (Actes Sud) et sonde une famille qui revit sous nos yeux au rythme du quotidien, ponctué par les événements ordinaires des heures et des saisons, l'imprégnant d'une saveur particulière. Un écriture séduisante, proche de la poésie.

Avant de passer aux lettres étrangères, je conclus ce tour d'horizon sommaire - non sans mentionner L'équation africaine de Yasmina Khadra (Julliard) et Le cas Sneidjer de Jean-Paul Dubois (L'Olivier) - avec Nos souvenirs de David Foenkinos (Gallimard), déjà pressenti selon quelques experts, pour un Prix Goncourt 2011, ce qui, je l'avoue, me ravirait bien davantage que la cuvée 2010 consacrée à La carte et le territoire de Michel Houellebecq! Dans ce livre, l'auteur de La délicatesse, au décès du grand-père de notre narrateur, interroge sa mémoire, médite sur le temps et les liens entre les générations. Un auteur qui, décidément, sait exprimer avec talent et sensibilité la gravité des choses de la vie avec une légéreté très émouvante!

A suivre ... 

image: Virginie Ollagnier

00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Colette Fellous, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/07/2011

La rentrée littéraire 1/3

Bloc-Notes, 24 juillet / Les Saules

arton2226.jpg

L'édition française deviendrait-elle enfin raisonnable? Il semble bien que oui, car la production de la rentrée littéraire de cet automne est annoncée avec - enfin! - une baisse globale de 6.7 %, et 12.5 % en ce qui concerne les titres francophones uniquement. Pas de quoi pavoiser pour autant, puisque ces chiffres reflètent tout simplement la situation éditoriale de 2005, et mériteraient encore davantage d'être revus à la baisse afin de ne pas noyer sous un flot ininterrompu de romans peu attrayants, ceux qui se distinguent par une qualité de style, l'originalité d'un sujet, l'audace narrative.

Si les médias ne manqueront pas, sous peu, de nous décrire le dernier Amélie Nothomb, Tuer le père (Albin Michel), celui d'Eric-Emmanuel Schmitt, La femme au miroir (Albin Michel) ou d'Emmanuel Carrère, Limonov (P.O.L.), je préfère vous présenter en avant-première quelques titres choisis au gré de mes humeurs littéraires - parmi la production française - et qui seront évoqués au moment de leur parution, sur La scie rêveuse.

Les coeurs en skaï mauve de Sacha Sperling (Fayard), par exemple - auteur de Mes illusions donnent sur la cour - le négatif d'un Roméo et Juliette moderne, avec ses rêves d'un ailleurs possible, le temps d'un été. Une écriture d'une rare maturité pour cet auteur âgé d'à peine 21 ans, qui détourne les clichés habituels avec un humour parfois féroce mêlé à une lucidité impressionnante!

Sur un tout autre registre, il vaut la peine de découvrir La lanterne d'Aristote de Thierry Laget (Gallimard) - un admirateur fervent de Stendhal et de Proust - dont le héros est chargé par une comtesse de recenser la bibliothèque de son château et qui, à la manière de ses maîtres, saisit avec bonheur chaque émotion émanant de ce château, de ses dédales, de ses personnages, confrontant le narrateur à ses ombres propres ou ses lumières. Une langue magnifique pour explorer, entre autres choses, la résonance affective des livres. 

Stéphane Audéguy, dans Rom@ (Gallimard) - comme son titre l'indique - exalte Rome. La ville au féminin et au masculin, parle. Vous êtes invités au bord du Tibre, dans les jardins de Lucullus, vous croisez Mussolini ou Audrey Hepburn pour une célébration poétique, lyrique, imaginative où le présent et le passé se confondent, se découvrent, se juxtaposent. Une fête de l'amour, toujours!

Avec Un amour de frère (Gallimard) Colette Fellous - après Avenue de France, Aujourd'hui et Plein été - poursuit l'exploration fragile et sensuelle de sa mémoire, avec cette fois-ci les souvenirs autour de son frère Georgy, disparu à l'âge de 27 ans. Illustré de quelques images, photographies et dessins, ce poignant récit né sous l'une des plus belles plumes de France, séduit par la qualité de son écriture et sa délicatesse.

On peut en rapprocher Delphine de Vigan qui, avec Rien ne s'oppose à la nuit (Lattès) nous parle de sa mère avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, de même que Laurence Tardieu qui, dans La confusion des peines (Stock) aborde la question du père absent, condamné pour escroquerie. Une quête douloureuse survenue au moment du décès de sa mère. Attachant ...

La plupart de ces titres seront disponibles en librairie, entre fin août et octobre 2011.

A suivre ... 

image: Stéphane Audéguy

12:51 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Colette Fellous, Littérature francophone, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/07/2011

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

Voilà que je me surprends à t'adresser la parole,
Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes
Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes.
Je regarde les autels, la voûte de ta maison,
Comme qui dit simplement:
Voilà du bois, de la pierre,
Voilà des colonnes romanes.
Il manque le nez à ce saint.
 
Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine.
Je baisse les yeux sans pouvoir m'agenouiller pendant la messe,
Comme si je laissais passer l'orage au-dessus de ma tête.
Et je ne puis m'empêcher de penser à autre chose.
Hélas ! j'aurai passé ma vie à penser à autre chose.
Cette autre chose, c'est encore moi.
C'est peut-être mon vrai moi-même.
C'est là que je me réfugie.
C'est peut-être là que tu es.
 
Je n'aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants.
Le moment présent est un cadeau dont je n'ai pas su profiter.
Je n'en connais pas bien l'usage.
Je le tourne dans tous les sens,
Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile.
Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même.
J'ai bien parlé aux étoiles, bien que je les sache sans vie,
Aux plus humbles des animaux, quand je les savais sans réponse,
Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe.
Je me suis parlé à moi-même, quand je ne sais pas bien si j'existe.
Je ne sais si tu entends nos prières, à nous les hommes,
Je ne sais si tu as envie de les écouter.
Si tu as, comme nous, un coeur qui est toujours sur le qui-vive
Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes.
Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici.
Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète terre
Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons,
Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons.
Je veux t'adresser sans tarder ces humbles paroles humaines
Parce qu'il faut que chacun tente à présent tout l'impossible.
Même si tu n'es qu'un souffle d'il y a des milliers d'années,
Une grande vitesse acquise,
Une durable mélancolie
Qui ferait tourner encore les sphères dans leur mélodie.
Je voudrais, mon Dieu sans visage et peut-être sans espérance
Attirer ton attention parmi tant de ciels vagabonde
Sur les hommes qui n'ont pas de repos sur la planète.
 
Ecoute-moi ! Cela presse.
Ils vont tous se décourager
Et l'on ne va plus reconnaître les jeunes parmi les âgés.
Chaque matin, ils se demandent si la tuerie va commencer.
De tous côtés,
L'on prépare de bizarres distributeurs de sang, de plaintes et de larmes,
L'on se demande si les blés ne cachent pas déjà des fusils.
Le temps serait-il passé où tu t'occupais des hommes ?
T'appelle-t-on dans d'autres mondes, médecin en consultation,
Ne sachant où donner de la tête
Laissant mourir sa clientèle ?
 
Ecoute-moi ! Je ne suis qu'un homme parmi tant d'autres.
L'âme se plait dans notre corps,
Ne demande pas à s'enfuir dans un éclatement de bombe.
Elle est pour nous une caresse, une secrète flatterie.
Laisse-nous respirer encore sans songer aux nouveaux poisons,
Laisse-nous regarder nos enfants sans penser tout le temps à la mort.
Nous n'avons pas du tout le coeur aux batailles, aux généraux.
Laisse-nous notre va-et-vient, comme un troupeau dans ses sonnailles,
Une odeur de lait frais se mélant à l'odeur de l'herbe grasse.
 
Ah ! si tu existes, mon Dieu, regarde de notre côté.
Viens te délasser parmi nous.
La terre est belle, avec ses arbres, ses fleuves et ses étangs,
Si belle, que l'on dirait que tu la regrettes un peu.
Mon Dieu, ne va pas faire la sourde oreille
Et ne va pas m'en vouloir si nous sommes à tu et à toi,
Si je te parle avec tant d'abrupte simplicité.
Je croirais moins qu'en tout autre en un Dieu qui terrorise.
Plus que par la foudre, tu sais t'exprimer par les brins d'herbe
Et par les jeux des enfants et par les yeux des ruisseaux.
Ce qui n'empêche pas les mers et les chaînes de montagnes.
Tu ne peux pas m'en vouloir de dire ce que je pense,
De réfléchir comme je peux sur l'homme et sur son existence
Avec la franchise de la terre et des diverses saisons,
Et peut-être de toi-même dont j'ignorerais les leçons
Je ne suis pas sans excuses.
Veuille accepter mes pauvres ruses.
Tant de choses se préparent sournoisement contre nous.
Quoi que nous fassions, nous craignons d'être pris au dépourvu
Et d'être comme le taureau
Qui ne comprend pas ce qui se passe.
Le mène-t-on à l'abattoir,
Il ne sait où il va comme ça
Et juste avant de recevoir le coup de mort sur le front
Il se répète qu'il a faim et brouterait résolument,
Mais qu'est-ce qu'ils ont ce matin avec leurs tabliers pleins de sang
A vouloir tous s'occuper de lui ?
 
 Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

18/07/2011

J.M.C. Le Clézio

9782070754885.gifJ.M.C. Le Clézio, L'inconnu sur la terre (Coll. Imaginaire/Gallimard, 1999)

Ceci n'est pas tout à fait un essai, pas tout à fait une tentative pour comprendre quelques mystères, ou pour forger quelques mythes. Ceci est une histoire, écrite sur plusieurs cahiers d'écolier italiens, en même temps que, selon un autre mode, et sur des feuilles de papier machine 21 x 27, s'écrivaient les phrases de Mondo et autres histoires. C'est une longue histoire, qui pourrait être celle d'un oiseau, celle d'un poisson et celle d'un arbre, car elle parle beaucoup du ciel, de la mer et de la terre où avancent les racines. A la fin de cette histoire, rien n'a changé, ou presque. Mais c'est comme une très longue journée qui serait passée, depuis la première heure de l'aube jusqu'à la nuit. Ceci est peut-être aussi, tout simplement, l'histoire d'un petit garçon inconnu qui se promène au hasard sur la terre, pas loin de la mer, un peu perdu dans les nuages - et qui aime la lumière extrême du jour... Eloge du regard, de la simplicité, de la magie, du vertige devant les beautés du monde, ce texte célèbre avec les yeux de l’enfance la puissance du rêve, le désir de liberté, l’ancrage dans le réel. Une lecture fluide, poétique, étourdissante – jamais savante ou artificielle -  qui illumine le cœur et dont la joie éprouvée ne peut qu’être contagieuse.

06:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |