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14/12/2011

Le poème de la semaine

René Char

Tu es pressé d'écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
 
Effectivement tu es en retard sur la vie,
La vie inexprimable,
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir,
Celle qui t'est refusée chaque jour par les êtres et par les choses,
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
Au bout de combats sans merci.
 
Hors d'elle, tout n'est qu'agonie soumise, fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur,
Reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,
En t'inclinant.
Si tu veux rire,
Offre ta soumission,
Jamais tes armes.
 
Tu as été créé pour des moments peu communs.
Modifie-toi, disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption,
Sans égarement.
 
Essaime la poussière
Nul ne décèlera votre union.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/12/2011

Clémence Boulouque

Bloc-Notes, 8 décembre / Nyon

littérature; roman; livres

Certains auteurs, avec une régularité de métronome, nous livrent chaque année, à date fixe pourrait-on dire, leur dernier opus, attendu comme l'incontournable événement de la rentrée littéraire. D'autres occupent rarement le devant de la scène, prennent le temps de peaufiner leur écriture, de soigner la complexité de leurs personnages et la structure de leurs récits en se moquant éperdument du calendrier.

Tel est le cas de Clémence Boulouque qui, d'une expérience douloureuse - le suicide de son père, le juge Gilles Boulouque en 1990 - tire sa passion pour la littérature et sa vocation d'écrivain. Outre La mort d'un silence qui, dans une langue épurée met à nu les résonances affectives de ce drame familial, elle signe deux autres chefs d'oeuvres aux sujets tout à fait différents: Chasse à courre dont l'histoire se déroule dans le milieu impitoyable des chasseurs de têtes, et Nuit ouverte qui nous raconte le destin de Régina Jonas, première femme rabbin ordonnée à Berlin en 1935. Ces deux derniers textes, ainsi que Survivre et vivre - Entretiens avec Denise Epstein, ont déjà été évoqués dans ces colonnes.

Elle nous revient cet automne avec L'amour et des poussières, dont le thème est celui de la recherche du bonheur auquel aspire Dora, après les blessures de l'enfance, après quelques aventures amoureuses qui l'ont étourdie sans la combler. Puisque les gens dansent quand ils sont heureux ou sont heureux quand ils dansent, je prends la vie à son propre jeu et je danse pour que le bonheur vienne à moi. Fake it till you make it. Je m'amuse d'être en vie.

Cette jeune photographe d'une trentaine d'années est parvenue, tant bien que mal, à colmater les brèches du passé, en fixant derrière son objectif un malheur plus ample que le sien: les visages de l'enfance en guerre, sur lesquels on peut lire le temps décomposé, suspendu, ravagé; ceux de l'insupportable paix aussi, où surgit au-delà des viols, des incestes ou de la prostitution, le regard de l'innocence saccagée qui semble chercher dans un ciel vide de quoi se reconstruire et surmonter le désespoir. 

La voici aujourd'hui installée à New York, loin de sa famille et des paillettes parisiennes. Elle reprend ses études - sur le Talmud, et particulièrement le thème du rire de Dieu - auprès de Steve, son professeur de thèse, un ami incomparable qui l'affectionne, la surprend, l'éclaire avec beaucoup de tendresse et de subtilité. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, surgit Ari: L'amour me semblait un repli, une forfaiture, et tout désormais me le prouve et m'en disculpe: rien n'existe plus que lui et moi, je me soustrais à ma ville refuge, et aux heures du monde. Les couleurs du jour et les lumières de la nuit sont un nuancier de nous. Sa voix épouse le rythme de la mienne, achève parfois mes phrases. Il me paraît être tout ce qui, chez moi, est resté inabouti.

Mais l'amour absolu - même s'il permet de retrouver ses rêves - s'accommode-t-il de la liberté d'être, de choisir, de s'ouvrir davantage encore aux murmures du monde? A la fois sage et déterminée dans ses choix de vie, mais fragile et indécise dans sa perception du bonheur, Dora s'apercevra peu à peu que les intentions les plus louables peuvent, dans leur excès, conduire en enfer et que la pire des prisons peut épouser les contours les plus séduisants de la nature humaine: J'ai besoin d'admirer autre chose que nous ou moi, de chercher dans ce monde, même superficiel, ceux qui tentent par toutes ces choses insignifiantes peut-être nées de notre mauvaise conscience, de rendre au monde un peu de sens et de véritable beauté. Sinon je suffoque.

Clémence Boulouque décrit avec beaucoup de véracité l'escalade de cette relation d'amour qui submerge par vagues successives l'identité et la pensée de l'autre, le ravale à un territoire conquis, un trophée de guerre ou une caricature de couple désormais voué à l'incompréhension, à l'asphyxie, à la destruction: Une fine pellicule blanche commence à tout recouvrir, comme un liquide salin séché, une couche de désespoir ou d'indifférence. (...) Il y a peut-être un prix à payer pour être follement aimée.

Au moment où son mentor Steve se meurt, atteint par la maladie de Charcot, lui reviendront en mémoire ses dernières paroles: Sois heureuse. Sois en vie.

Les personnages de Dora et de Steve sont bouleversants d'humanité, en contrepoint au dernier et malheureux héros de ce triangle romanesque, Ari, dès le premier tiers du livre apparu en prédateur, malgré son adoration à la fois désarmante et irréfléchie. Plus tard - alors que Dora peine à s'en défaire - on lui casserait volontiers la figure, ce qui tendrait à souligner que son personnage en clair-obscur, est lui aussi particulièrement réussi! Histoire d'amour, de filiation, de résilience, L'amour et des poussières est servi par une prose à la fois lumineuse et érudite qui nous colle à la peau. La magie opère à merveille, ainsi que dans les autres textes de cet auteur aux apparitions trop rares en littérature... 

Avoir eu peur du vide, voulu m'en protéger, remplacer l'épaule de plus en plus frêle de ma mère, chercher où poser mon front. Un jour, mon front avancera et il n'y aura plus rien. (...) Depuis des milliers d'années, des hommes prient en se balançant d'avant en arrière, à la recherche de pères invisibles, de présences évanouies. Ils arpentent le vide. Moi aussi.

Clémence Boulouque, L'amour et des poussières (Gallimard, 2011)

image: Clémence Boulouque - http://www.germainpire.info/

10:42 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Clémence Boulouque, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/12/2011

La citation du jour

Alexandre Vialatte

citations; livres

On croit au Père Noël, pas à dix Père Noël, pas à cinquante, pas à un syndicat. On a tort de commercialiser; le commerce tue la foi et la poule aux oeufs d'or. Le Noël, la fête des mamans, le jour des pères, entre une journée de détergent et une journée de rasoir à lame bleue. On ne sait plus ce qu'ont été les choses. Elles ne sont plus. La Noël se vend deux mois d'avance. Il faut relire Pourrat pour la retrouver. On ne sait plus ce que purent être une pomme, une rose, une bague, voire un âne, un pâté. C'étaient des trésors spirituels. Ils brillent dans l'ombre du vieux temps, désirs du coeur, désirs de l'âme, hautes récompenses de longues vertus, plaisirs profonds et presque abstraits. On ne sait plus ce que furent la polaire, les Trois Rois, l'étoile du Bouvier. Ni cette tranquillité de la neige de minuit, qui fut une sérénité de l'âme. Ni cette grande nuit d'astres et d'anges qui prit une odeur de jardin quand passa l'étoile du berger. Nous avions tous au fond du coeur je ne sais quel arbre de Noël que les marchands ont mis en vente. Tant pis pour lui, tant pis pour nous, tant pis pour eux. Tout ne se reboise pas.

Alexandre Vialatte, Vialatte à La Montagne (Julliard, 2011)

00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/12/2011

Elie Wiesel

Bloc-Notes, 3 décembre / Les Saules

littérature; récit; document; livres

Il arrive que les livres les plus courts soient les meilleurs. Cela me vient à l'esprit, comme ça, en refermant le récit de Elie Wiesel, Le coeur ouvert: retour sur une année maudite - 2011 - qui commence à la mi-janvier avec une double pneumonie, à laquelle quelques mois plus tard devant un implacable diagnostic - cinq artères bloquées - succède une opération à coeur ouvert: Les infirmières sont prêtes à pousser mon lit à roulettes vers la sortie. Je jette un dernier regard vers la femme avec laquelle je vis depuis plus de quarante-deux ans. Tant d'événements, de découvertes et de projets nous unissent. Tout ce que nous avons accompli dans la vie, nous l'avons fait ensemble. Et voilà une expérience supplémentaire. La dernière?

Au moment de rejoindre le bloc opératoire, Elie Wiesel laisse monter en lui les émotions, les visages, les souvenirs qui l'habitent - malgré l'effroi devant la mort possible - et donnent un sens à sa vie: Ce n'est pas ainsi que j'avais imaginé ma fin. Et puis je ne me sens aucunement prêt. Tant de choses encore à achever. Tant de projets à élaborer. Tant de défis à affronter. Tant de prières à composer. Tant de mots à trouver, de silences à faire chanter.

Elie Wiesel revisite sa mémoire et son présent dans les regards et les gestes les plus simples, porteurs d'espérance et sources de gratitude. De très belles pages consacrées à son épouse jalonnent son texte: Marion, l'unique, est arrivée. Les yeux fermés, je sens sa présence. Je la vois presque. Les qualités de cette femme extraordinaire, douée, motivée. Sa force de caractère. La sensibilité de son intelligence. Son génie? Elle ne cesse jamais de me surprendre. De même à propos de son fils Elisha: Je lui fais signe de s'approcher. Maintenant il se trouve tout près de mon lit, prend ma main dans la sienne et la caresse doucement. J'essaye de la serrer, mais n'y arrive pas. Je sais qu'il désire me transmettre sa force, sa foi en ma guérison. Enfin devant le docteur Patel: C'est fini. Tout s'est bien passé. Vous vivrez... Jamais je n'oublierai le sourire sur son visage.

Entre l'avant et l'après, il s'interroge aussi sur son passé de rescapé, de témoin, de passeur, face à l'ennemi noir qui le presse, face à Dieu: Qui suis-je? Que suis-je devenu? Je sais avoir échappé à la mort. Je sais aussi que ma vie ne sera plus la même. Plus loin, Elie Wiesel ajoute: La différence tient à ce que je sais combien chaque moment est un recommencement, chaque poignée de main une promesse et un signe de paix intérieure. Je sais que toute quête implique l'autre, de même que toute parole peut devenir prière. Si la vie n'est pas une célébration, à quoi bon s'en souvenir?

Malgré la gravité des faits qui ont entraîné l'écriture de ce livre, il en émane une douceur impalpable coulant même entre les pierres du désespoir - parfois avec légèreté ou un certain humour - et dont le fondement se trouve peut-être dans ces mots de l'Ecriture cités par Elie Wiesel: Ubakharta bakhaim - Tu choisiras la vie.

Méfiez-vous des petits livres - celui-ci se compose de 89 pages à peine! - et lisez vite Le coeur ouvert. Puis relisez-le une fois, et encore une autre, car il s'y nichent des trésors de sagesse et matières à réfléchir, à s'émerveiller et se consoler dans l'autre: Le corps n'est pas éternel, mais l'idée de l'âme l'est. Le cerveau sera enterré, mais la mémoire lui survivra...

Dans la catégorie La citation du jour - le 26 novembre 2011 - vous pouvez retrouver un autre extrait magnifique de ce récit de Elie Wiesel

Elie Wiesel, Coeur ouvert (Flammarion, 2011)

image: Marc Chagall, La paix (Sarrebourg, Moselle)

01/12/2011

Emmanuelle Pagano

9782070440818FS.gifEmmanuelle Pagano, L'absence d'oiseaux d'eau (coll. Folio/Gallimard, 2011)

Ce roman était à l'origine un échange de lettres avec un autre écrivain. Nous nous l'étions représenté comme une oeuvre de fiction que nous construisions chaque jour, à deux, et dans laquelle nous inventions que nous nous aimions. Nous ne savions pas jusqu'où le pouvoir du roman nous amènerait. Nous ne connaissions pas la fin de l'histoire. Il est sorti de ma vie brutalement, abandonnant ce texte en cours d'écriture, annonce l'auteur en préambule à son dernier livre.

Chronique amoureuse épistolaire, à une seule voix, où le jeu en écriture vire à l'attirance, au besoin de fusion avec l'autre, à la sublimation, au choc du réel puis à la rupture, ce récit raconte une passion fulgurante qui s'empare d'une femme rangée en apparence, mariée, mère de quatre enfants, prête à tout quitter pour la vivre. Amoureuse des mots, elle décrit avec un rare bonheur les arcanes du désir, la crucifixion de l'absence, les risques que sous-entend cette relation charnelle absolue, sans illusions, ni fards, ni concessions. D'un lyrisme et d'une impudeur qui ne prêtent jamais à la vulgarité ou au voyeurisme, Emmanuelle Pagano use au contraire d'un langage poétique ensorcelant pour dire la brûlure qui l'étreint: La rivière est si profonde quand tu me pénètres que je la confonds avec toi. Je voudrais que tu redeviennes ma rivière chaque jour. Je voudrais que tu glisses, que tu coules, je voudrais te boire, me baigner en toi, encore, elle est si profonde, l'eau, que tu me portes, c'est toi qui es en moi mais tu me portes, je flotte, puis je replonge, et tant pis si le courant t'éloigne, après.

Si le lit de l'amour - ou son point de convergence - est un livre, si le point culminant de cette histoire s'exprime dans un érotisme torride, sans tabou, l'homme pourtant partira, laissant derrière lui une femme meurtrie que hante le souvenir, qu'immortalise le texte. Roman autobiographie, oeuvre de fiction, ou un peu des deux? L'auteur lève un coin du voile à la fin de son récit: Je crois avoir écrit un livre avec un homme qui n'existe pas, je crois avoir rêvé ses réponses pour continuer mes lettres, je crois avoir rêvé ses gestes, son ventre, ses bras. Est-ce que cet homme était toi?

Peu importe la conclusion. La voix d'Emmanuelle Pagano glisse sur le papier pour y éclairer un paysage qui ne ressemble à rien et dans le tremblement des corps laisse une empreinte incandescente. Qui s'en plaindrait?

00:23 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/11/2011

Le poème de la semaine

Gustave Roud

Aux bergers de la rivière on cueille
le mélilot blanc la vipérine
Le chemin mouillé noue aux collines
son collier de flaques et de feuilles
 
Les nuages les roseaux les lentes
herbes en chevelure confuse
le ciel les trois saules de novembre
descendent avec l'eau de l'écluse
 
L'air a le goût du noir gel nocturne
et se déchire au cor des chasseurs
Un oiseau perdu lustre ses plumes
avec un triste cri perce-coeur
 
Tais ce cri Nul ne le peut entendre
Ne fatigue plus ton frêle corps
Je sais qui m'appelle et se lamente
les yeux clos sous le soleil des morts
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

29/11/2011

In memoriam

Bloc-Notes, 29 novembre / Les Saules

Valérie Valère 2.jpg

Bien avant que n'abondent les récits de vie tels qu'on en découvre une dizaine par semaine de nos jours - plus ou moins inspirés - les années 70 auront été marquées par un témoignage d'une force et d'une rage inoubliables: Le pavillon des enfants fous, écrit par une gamine de quinze ans, Valérie Valère.

Elle y relate son internement pour anorexie, à l'âge de treize, dans un grand hôpital parisien. Une vision implacable du monde psychiatrique qui résonne à nos oreilles en écho aux textes fondateurs de l'antipsychiatrie de Ronald Laing - Le moi divisé et Soi et les autres - ou encore au film de Ken Loach, Family Life: En vérité, tout le monde a perdu, je suis là, triste et morose, méfiante et lâche. Je fais semblant de vivre et je me cache pour pleurer. Ils me reprendraient pour dépression nerveuse, ça les amuserait de me revoir. Ils m'ont gardée dans leurs griffes, j'ai conservé l'angoisse d'un emprisonnement, la colère refoulée d'une injustice, la rage de l'impuissance. (...) Je m'acharne à écrire et je retrouve la solitude. Cette volonté de continuer malgré la fatigue, malgré mes doutes et leur menace rejoint l'autre prison. Je suis restée là-bas, dans la chambre vingt-sept, avec mes refus, avec ce mal de vivre. Et je crois bien que je n'arriverai jamais à en sortir.

Elle s'en sortira pourtant, Valérie Valère, à sa manière, jetant un regard lucide et désespéré sur ses deux années d'internement et son avenir possible, à la fin du livre: Et moi, dans votre monde? Je fuis dans la tendresse des salles de cinéma, je rêve devant l'écran magique pendant les quatre séances de l'après-midi. Et dans le métro, l'éclat métallique des rails m'attire, me renverse comme quelque chose venu d'ailleurs, du plus profond de moi-même. Moi-même c'est tout ce qu'il me reste, tout ce que vous m'avez laissé. (...) J'essaie de retrouver un monde, je regarde tous les chemins avant de choisir le mauvais, mais rien n'est indiqué et personne ne veut me tendre la main, ou plutôt, je ne veux en prendre aucune. Une angoisse me serre le coeur. Ici, la solitude est moins belle car elle est fausse tout en ayant l'apparence d'être véritable. Plus douloureuse. Vivre, qu'est-ce que cela veut dire? Je ne sais pas. Je veux dire, je ne sais pas si cette fois-ci j'ai trouvé la vraie route. Je n'arrive pas à oublier et je me réveillerai encore souvent, en criant, pour avoir entendu le petit bruit de la clé tournée dans la serrure.

L'écriture lui aura été d'un grand secours, mais pas suffisamment pour la guérir de son mal-être ou lui apporter le réconfort. Quelques années après la parution de son premier livre, Le pavillon des enfants fous, Valérie Valère s'éteint un certain 17 décembre 1982 dans son sommeil, victime d'une crise cardiaque après une overdose médicamenteuse: une délivrance pour cette écorchée vive de 21 ans à peine, qui, malgré le succès, n'aura jamais connu le bonheur...

Reste l'oeuvre: Outre Le Pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 1983) réédité en 2001, les autres textes de Valérie Valère sont malheureusement tous épuisés. Je vous les mentionne néanmoins ci-dessous, car chez les bouquinistes ou avec un peu de chance dans les bibliothèques, vous pouvez sans doute les dénicher, pour la plupart: Malika ou un jour comme tous les autres (coll. Livre de poche/LGF, 1983), Obsession blanche (coll. Livre de poche, 1992), Laisse pleurer la pluie sur tes yeux (coll. Pocket, 1988), La Station des Désespérés ou Les Couleurs de la Mort (Bartillat, 1992). Il faut y ajouter un livre qui lui fut consacré, écrit par Isabelle Clerc et Françoise Xénakis: Valérie Valère - Un seul regard m'aurait suffi (Perrin, 2001) indisponible lui aussi.  

Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 2001)


26/11/2011

La citation du jour

Elie Wiesel

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J'appartiens à une génération qui s'est souvent sentie abandonnée par Dieu et trahie par l'humanité. Et, pourtant, je crois qu'il nous incombe de ne nous séparer ni de l'un ni de l'autre. Est-ce hier - ou autrefois - que nous avons appris combien l'être humain peut atteindre la perfection dans la cruauté plus que dans la générosité? Que, pour les tueurs et les tortionnaires, il est normal, donc humain, de se montrer inhumain? Dès lors, faudrait-il se détourner de l'humanité? Je crois que la réponse appartient à chacun de nous. Car il incombe à chacun de choisir entre la violence des adultes et le sourire des enfants, entre la laideur de la haine et le désir de s'y opposer. Entre infliger souffrance et humiliation à son semblable et lui offrir la solidarité et l'espoir qu'il mérite. Peut-être.

Je sais - je parle d'expérience - que, même dans les ténèbres, il est possible de créer la lumière et nourrir des rêves de compassion. Que l'on peut se sentir libre et libérateur à l'intérieur des prisons. Que, même en exil, l'amitié existe et peut devenir ancre. Qu'un instant avant de mourir, l'homme est encore immortel. Voilà: je crois en l'homme malgré les hommes. Je crois dans le langage bien qu'il ait été meurtri, déformé et perverti par les ennemis de l'humanité. Et je continue à m'accrocher aux mots parce qu'il nous appartient de les transformer en instruments de compréhension plutôt que de mépris. A nous de choisir si nous souhaitons nous servir d'eux afin de maudire ou de guérir, pour blesser ou consoler. 

Elie Wiesel, Coeur ouvert (Flammarion, 2011)

23/11/2011

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

Je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même
Et j'entraîne avec moi plus d'un être vivant.
Ceux qui seront entrés dans mes froides cavernes
Sont-ils sûrs d'en sortir même pour un moment ?
J'entasse dans ma nuit, comme un vaisseau qui sombre,
Pèle-mêle, les passagers et les marins,
Et j'éteins la lumière aux yeux, dans les cabines,
Je me fais des amis des grandes profondeurs.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

17/11/2011

Nelly Arcan

nelly.jpgNelly Arcan, Putain (Seuil, 2001 - coll. Points/Seuil, 2002))

 

Cachée derrière les rideaux de sa chambre, une prostituée patiente entre deux clients. L’attente se nourrit du souvenir : une famille dévote, une mère absente et un père distrait. Et parfois la jouissance éprouvée avec ces hommes auxquels elle fait l’amour, ces hommes qu’elle déteste peut-être autant qu’elle-même. Un récit obsessionnel qui ressemble à un exorcisme désespéré pour se maintenir en vie...


Les amateurs de pornographie ou de voyeurisme seront déçus par ce premier roman stupéfiant qui témoigne, malgré un langage cru ou impudique, d’une maîtrise émotionnelle et d’une qualité littéraire indiscutables. Au-delà de la haine et du dégoût de soi, cette mise à nu autobiographique est-elle capable de guérir des démons du passé ?

 

Nelly Arcan, l'auteur québécoise de ce texte ainsi que de FolleA ciel ouvert, et Burqa de chair chez le même éditeur, a mis fin à ses jours en 2009, à l'âge de 34 ans.

06:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |