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29/01/2012

Philippe Sollers

Bloc-Notes, 29 janvier / Les Saules - Nyon

Edouard Manet.jpg

Ce qu'il y a de bien avec les livres, c'est qu'ils parviennent parfois à rendre intelligentes, voire heureuses, des heures qui sans l'ombre qu'ils projettent sur la cour, traduiraient un profond ennui. J'y ai pensé, observant de bon matin avec un léger sourire, mes compagnons de voyage insupportablement conformes à un paysage gris dépouillé de rêves, ou le reposoir technologique d'un quotidien professionnel qui n'a plus rien à m'apprendre, en lisant les premières pages - somptueuses - de L'éclaircie de Philippe Sollers, que vous pouvez retrouver dans la rubrique Morceaux choisis: l'esquisse d'un cèdre, dans l'histoire, sur une photographie, dans sa vie.

Comme il l'avait fait dans Trésor d'amour, se mêlent plusieurs aventures dans le dernier roman de Philippe Sollers, dont celle de la défunte soeur bien-aimée du narrateur, Anne, qui lui rappelle le portrait de Berthe Morisot, peinte par Edouard Manet: Je pense à toi en voyant le portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes, la future belle-soeur de Manet, que ce dernier a peint en 1872. On dirait qu'elle est en grand deuil, mais elle est éblouissante de fraîcheur et de gaieté fine. Ce noir éclatant te convient. Ce que Manet a découvert dans le noir? Le regard du regard, l'interdit qui dit oui, la beauté enrichie du néant.

Puis nous découvrons Lucie, la quarantaine, spécialiste en archéologie et collectionneuse de manuscrits.  Elle lui rappelle à la fois Anne et Berthe Morisot. Ils se rencontrent sous les toits, rue du Bac: Les premiers mots que je lui chuchote lorsqu'on se retrouve, rideaux fermés, après l'avoir embrassée et avant qu'elle se déshabille, sont: Désennuyons-nous. Je lui dis "vous" dans la conversation, et "tu" pendant la séance. On change de corps entre le "tu" et le "vous", la voix du "tu" n'est pas celle du "vous". Les fantasmes réalisés sont en "tu", les raisonnements en "vous". Ordre nécessaire: le basculement du "vous" au "tu" est gênant, le contraire soulage. Une fois desennuyés, la conversation est plus libre, légère. On fait l'amour en "tu", en se parle normalement en "vous". Sol mineur, ré majeur. Trois-quarts d'heure en "tu", une heure et demie en vous".

Comme dans Trésor d'amour où la romance avec Minna entraînait le lecteur dans les rues de Venise et sur les traces de Stendhal, L'éclaircie emprunte la même approche, pour nous dérouler le tapis rouge devant Edouard Manet et Pablo Picasso, tant ces hommes libres que leurs oeuvres. Philippe Sollers les fait revivre sous nos yeux comme au cinéma. Silence, on tourne! Même enthousiasme quand il nous parle des manuscrits de Casanova ou des quatuors de Joseph Haydn. Pourtant, dès le premier tiers du roman, on peine à se débarrasser d'une impression de déjà vu. A peine un grain de sable qui freine notre ardeur. Un déséquilibre dans la structure du récit, entre les personnages modernes et ceux qui surgissent du passé? Oubien cela tient-il à Lucie qui manque singulièrement de relief - le contraire de Minna - entourée de ces monstres sacrés? Trop de digressions, de bavardages, de répétitions? Le big-bang, les chinois, les séries TV, l'archimilliardaire des cosmétiques, etc.

Songeant aux yeux d'Anne, de Lucie, de Berthe Morisot, le narrateur de L'éclaircie note: Trop de mots toujours, trop de phrases. On ne vous en demande pas tant. Dommage que son alter ego, de l'autre côté du miroir, ne s'en soit pas souvenu... 

Cela dit, même si le dernier accouchement littéraire de Philippe Sollers n'est pas du meilleur cru, il se retrouve, débarrassé de son habit d'apparat, dans ces quelques phrases qui font qu'on lui pardonne la plupart de ses outrecuidances ou cabotinages: Toutes et tous me poussent vers la mort, alors que quelque chose me pousse sans arrêt vers la vie. Deux fois par an, au bord de l'eau, j'embrasse les arbres, surtout le vieux cèdre et le jeune acacia. Je les revois toujours pour la première et la dernière fois.

Cette faculté de partager ses émerveillements demeure toute sa richesse de jeune homme aux cheveux blancs. C'est à travers elle qu'à peine sorti de L'éclaircie, on se précipite sur un livre consacré à Edouard Manet et Pablo Picasso, ou mieux, qu'on se rend au musée, vite! En cela, au moins, ce livre est une réussite...

Philippe Sollers, L'éclaircie (Gallimard, 2012)

Philippe Sollers , Trésor d'amour (Gallimard, 2011)

image: Edouard Manet, Le déjeuner sur l'herbe (1862-1863)

23:57 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Joseph Haydn, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/01/2012

Morceaux choisis - Monique Rivet

Monique Rivet

leglacis.jpg

Cette ville s'est enfoncée dans ma mémoire. Avec l'éloignement la réalité de cette époque de ma vie est devenue improbable, j'éprouve comme un besoin de la rattacher à des certitudes qui dépassent l'horizon exigu d'un passé individuel, de l'accrocher à l'histoire, à ses faits avérés. La plus lointaine, la plus récente.

La plus lointaine, celle qui a vu les légions romaines régner sur cette terre, et il me plaît qu'ait soufflé ici aussi le grand vent dont Rome a balayé le monde. La plus récente, celle que j'ai connue: cette ville, sa tragédie étouffée, minuscule dans le chaos environnant mais microcosme où se vivait, où nous vivions le bouleversement de tout un pays. 

Ce pays, je ne lui appartenais pas; je m'y trouvais par hasard. J'y étais de guingois avec tout, choses et gens, frappée d'une frilosité à fleur de peau, incapable d'adhérer à aucun des mouvements qui s'y affrontaient. Cette guerre, je ne la reconnaissais pas, elle n'était pas la mienne. Je la repoussais de toutes mes forces. Si j'avais eu à la faire... s'il avait fallu que je la fasse, aurais-je pu la faire aux côtés des miens? 

Je l'ai oubliée. Je ne suis pas la seule: nous l'avons tous oubliée, ceux qui n'ont pas eu le choix et ceux qui ont refusé de choisir; ceux qui n'ont pas voulu s'en mêler et ceux qui s'y sont perdus. Quelquefois un mot, un simple nom propre dans une conversation, réveille un souvenir à la lumière duquel réapparaissent l'impuissance et l'amertume d'antan, mais parfois aussi une connivence surgit entre vous et l'inconnu qui vous parle, dont vous ne savez rien, qui était peut-être de ceux que vous condamniez jadis, que vous jugiez aveugles - et cet inconnu, vous ne lui demandez pas son passeport et son passé parce que c'est un visage soudain fraternel qui vous regarde ou plutôt qui regarde avec vous, avec vos yeux, un pays plein de soleil et de silence où rien désormais ne peut vous faire ennemis.

Monique Rivet, Le Glacis (Métailié, 2012)

20:41 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/01/2012

Le poème de la semaine

Vénus Khoury-Ghata

Parce qu'ils ont hésité entre la rose et l'ombre
parce qu'ils ont chargé leurs fusils de pluie
ils sont morts d'oubli
 
Ne meurent que les crédules
qui abritent sous leur toit des nuages étrangers
écrivent leur visage sur la buée des villes
étreignent un canon
suivent un grenadier
 
Ne meurent que les naïfs
qui saignent avec le coquelicot
 
Ne meurent tous les soirs
quand les heures s'alignent
qu'elles deviennent couteau
entre les lèvres des horloges
quand la lumière dans leur bouche
se tait.


Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:57 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/01/2012

Georges Bernanos

mouchette.jpgGeorges Bernanos, Nouvelle histoire de Mouchette (coll. Livre de poche/LGF, 2012)

Sans le courage de certains éditeurs - Le Castor Astral, en 2009 - certains chefs d’œuvres auraient sombré dans l'oubli, tels la Nouvelle histoire de Mouchette de Georges Bernanos, enfin réédité en format de poche pour un plus large public.

Tragédie du mal sous toutes ses formes – conformisme social, matérialisme, violence ou mensonge – ce roman nous dévoile le destin de Mouchette, une jeune fille de 14 ans, confrontée à l’indifférence de sa famille : une mère à l’agonie, un père et ses grands frères qui cherchent dans l’ivresse à oublier leur condition misérable. A la faveur d’une tempête, rentrant de l'école, elle s'égare en forêt et croise le chemin d’Arsène le braconnier qui l'accueille, puis la séduit et sous l'emprise de l'alcool, abuse d’elle. Seule, rejetée dans cet environnement qui ne lui fait aucun cadeau – même son institutrice la livre aux moqueries de ses camarades de classe – elle choisit, pour en finir avec le désespoir, la honte et le dégoût qui submergent son innocence perdue, de mettre fin à ses jours.

Aucun roman contemporain ne m’aura à ce point ébranlé. De toute évidence, ce texte écrit en 1937, transposé dans un contexte plus universel, incite à penser que Mouchette est le visage de la France humiliée, bafouée, en proie à la folie des hommes - leur lâcheté, leur mépris - comme si seule une grâce divine saurait illuminer les ténèbres insinuées dans la moindre des réalités.

00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/01/2012

Morceaux choisis - Caroline Boidé

Caroline Boidé

Ruines de Batna.jpg

Tout t'accable, Malek, car rien n'ayant trait à l'écriture n'est prévu, rien de ce qui détourne de Dieu, de ta famille, de la société, de ton futur foyer n'est et ne sera toléré. En poursuivant cette tâche, tu nous trahis, entends-tu? Ton écriture est responsable de nos malheurs. Leur fin est subordonnée à la disparition de ces pages et de toutes celles qui te démangeront. Cette destruction doit prendre effet immédiatement sinon les clés de la maison doivent être rendues à ta mère. Tu écris ce qu'il y a de pire: ton âme en peine. C'est immonde de jeter les tiens sur la place publique, en t'appropriant leurs vies et en marchandant leurs mémoires. Toutes ces idées qui gravissent en toi sont pareilles à des cancers. 

En écrivant, tu dis donner une seconde chance aux événements, tu dis qu'aucun sujet ne préexiste et qu'écrire t'est nécessaire, que c'est là ton chemin de consolation, mais tu te trompes. Que je sois bien clair, ceci n'est pas une discussion où je cherche à l'emporter. Faire chuter le couperet pour te guillotiner toi et ton caractère déviant est pourtant simple. Tu n'es même pas sensible à ce que je te dis et à notre souffrance. Demande pardon. Demande. Ecrire est un caprice de gamine qui passera si tu y mets le coeur. Et les gens, y as-tu pensé? Que vont-ils dire de nous? Tu ne devrais pourtant jamais oublier que tu es une femme musulmane et algérienne avant tout. Comment espères-tu qu'un homme veuille un jour de toi si tu t'es déjà donnée à la multitude? 

Ecrire n'est pas un divertissment, mon père, mais un combat contre une chose plus grande, une émotion assaillante qui vient jusqu'à galvaniser mes mots. Ecrire, c'est écouter la voix d'une fleur de rosée qui a séjourné dans l'enfance et dont les racines de feu me font vivre haut. C'est ranimer le monde en travaillant la langue, et moi-même de l'intérieur, à force d'abandons. C'est ceindre les sanglots pour qu'ils n'aient pas été versés pour rien.

Caroline Boidé, Les impurs (Serge Safran, 2012)

image:  Les ruines de Batna (Algérie)

http://www.le-carrefour-de-lislam.com/Barbaresques/Quaerere.htm

08:30 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/01/2012

Christian Signol

Bloc-Notes, 20 janvier / Les Saules

littérature; roman; livres

Je me souviens d'avoir lu avec enchantement, voici bien des années, le livre Marie des brebis, puis dans la foulée, Les cailloux bleus et Les menthes sauvages - tous disponibles en coll. Pocket - avant de retrouver Christian Signol voici deux ans avec un roman très attachant, Une si belle école, présenté dans les colonnes de La scie rêveuse.

Au coeur des forêts, paru l'automne dernier en librairie, parvient une fois encore à nous étonner et nous émerveiller. L'histoire pourtant, est toute simple. Bastien Fromenteil, à près de soixante-dix ans, est un forestier qui vit seul sa passion de toujours, la forêt voisine. Sans s'appesantir sur le passé, il égrène ses souvenirs de vieil homme: l'évocation de son père et de son épouse défunts, celui de sa fille Jeanne partie pour la ville, celui enfin de sa soeur Justine, disparue sans laisser de trace et qui maintient en lui une douleur tenace, sous le regard complice de la voisine de toujours, Solange, qui prépare les repas sous son toit. Sa vie bien règlée ne semble plus lui réserver de surprises, jusqu'au jour où sa petite-fille Charlotte lui annonce sa venue.

Heureuse de retrouver son grand-père et l'odeur familière du bois de son enfance, elle est pourtant désemparée, atteinte d'une maladie grave - le sarcome d'Ewing - qui affecte une de ses jambes et l'oblige à suivre une chimiothérapie. Désormais, je savais: j'avais lu la gravité de la maladie de Charlotte dans ses yeux, dans son corps, dans ses gestes, sur son visage et je me demandais comment on pouvait tomber si malade à moins de trente ans. Pour moi, la maladie ne doit venir qu'avec la vieillesse.

Ils ne savent pas encore, Bastien et Charlotte, que leurs retrouvailles - avec des périodes d'absences et de silences mêlés de craintes - vont, avec l'aide de la médecine tout de même, les réconcilier avec le monde, passant par la magie de cette forêt qui les fait vibrer à la même mesure, éclaire leur vie et leur en révèle le sens: Les arbres sont des êtres vivants capables de colère, de rancune aussi bien que de compassion. Il suffit de savoir déchiffrer leur langage pour les comprendre, ce qui évidemment n'est pas donné à tout le monde: il y faut une grande attention, beaucoup de soins, de complicité. Il faut savoir devenir arbre, aimer la pluie et la lumière, murmurer dans le vent ce que personne n'a jamais dit et ne dira jamais. (...) Le coeur des forêts ne cesse jamais de battre.

Auprès de Charlotte qui prend de plus en plus de place dans son existence et lui partage un ailleurs qu'il ne connaît pas - son voyage au Québec: le Saint-Laurent, Chicoutimi et les Trois-Rivières - ses blessures intimes s'atténuent peu à peu, avec la guérison progressive de Charlotte et le voile levé sur le mystère de Louise, grâce aux nouvelles technologies - Internet - qui n'ont aucun secret pour sa petite-fille.

Tous les personnages de ce roman - même ceux qui traversent ce livre comme un éclair - ont leur importance et Christian Signol sait trouver les mots justes et simples pour suggérer la beauté des sentiments et de cette nature qui nous confronte à nous-mêmes. Il règne, dans Au coeur des forêts, un léger parfum d'éternité, comme dans ces églises absentes du guide Michelin dont le rayonnement n'est perceptible qu'à ceux qui prennent le temps de s'attarder, de s'imprégner du lieu, d'être à l'écoute du temps.

La clef de ce livre se trouve sans doute dans la citation de Jean Giono, que Christian Signol nous partage en préambule à son récit envoûtant: Ce dont on te prive, c'est de vents, de pluies, de neiges, de soleils, de montagnes, de fleuves, de forêts: les vraies richesses de l'homme...  

Christian Signol, Au coeur des forêts (Albin Michel, 2011)

 

00:53 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/01/2012

Le poème de la semaine

Paul Claudel

pour Jean-Pierre O

Par les deux fenêtres qui sont en face de moi,
les deux fenêtres qui sont à ma gauche,
et les deux fenêtres qui sont à ma droite,
je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie.
 
Je pense qu’il est un quart d’heure après midi :
autour de moi, tout est lumière et eau.
Je porte ma plume à l’encrier,
et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique,
tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.
 
Ce n’est point de la bruine qui tombe,
ce n’est point une pluie languissante et douteuse.
La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru,
d’une attaque puissante et profonde.
Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier,
dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare !
Il n’est pas à craindre que la pluie cesse;
cela est copieux, cela est satisfaisant.
Altéré, mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas.
La terre a disparu, la maison baigne,
les arbres submergés ruissellent,
le fleuve lui-même qui termine mon horizon
comme une mer paraît noyé.
Le temps ne me dure pas, et, tendant l’ouïe,
non pas au déclenchement d’aucune heure,
je médite le ton innombrable et neutre du psaume.
 
Cependant la pluie vers la fin du jour s’interrompt,
et tandis que la nue accumulée prépare un plus sombre assaut,
telle qu’Iris du sommet du ciel fondait tout droit au cœur des batailles,
une noire araignée s’arrête, la tête en bas
et suspendue par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte
sur les feuillages et le Nord couleur de brou.
Il ne fait plus clair, voici qu’il faut allumer.
Je fais aux tempêtes la libation de cette goutte d’encre.

Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/01/2012

Patrick Tafani

Bloc-Notes, 13 janvier / Les Saules

Tafani.jpg

Les poètes empruntent parfois des chemins inhabituels, audacieux ou escarpés pour dire leur sensibilité au monde et aux hommes. Comme de petits tableaux ou une succession de délicates épiphanies, Patrick Tafani cherche et creuse à travers l'oeuvre d'André de Richaud, Armel Guerne, Fernando Pessoa, Friedrich Hölderlin, Cesare Pavese, Charles-Ferdinand Ramuz, Camille Claudel, Stefan Zweig et d'autres encore, ce battement du temps, ce mouvement des couleurs qui désignent sa propre trace, vivante: images surgies des limbes, de son imaginaire et de sa mémoire ouvrant sur sa démarche poétique propre, aux antipodes d'une critique littéraire ou d'un inventaire exhaustif.

Curieusement, les plus beaux passages sont consacrés aux peintres. Sur Pierres Soulages, il note: Lumière arrêtée par les étincelles, par la couche de froid, jadis et à présent, étirée sous un feu primordial, le noir ici n'est jamais noirceur mais beauté béante à travers l'aubier d'une nuit repliée. Sur Nicolas de Staël: Les mille visage du peintre pour ce seul visage. Des fenêtres ouvertes, des rideaux levés pour écouter Webern. Près de ce monde qui déambule, un monde se fonde, une mer s'éloigne, des mouettes s'éploient vers les bâillons du ciel, un piano va jouer sa dernière partition. Puis il fera nuit, on entendra le silence s'élever et la nuit aura l'émotion de ses yeux

On regrettera peut-être l'absence de quelques repères concrets facilitant la lecture aux amoureux de poésie qui connaissent peu ou mal les grandes figures de l'art qui défilent sous nos yeux. Ainsi, le plus long - et peut-être le plus émouvant - des textes de Patrick Tafani, consacré à René Char, semblera parfois hermétique ou inaccessible à ceux qui ignorent son parcours et son oeuvre.

Restent ses poèmes qui jalonnent Etoiles de terre: Que ce soit sur des chemins de terre, des chemins de feuilles, des chemins de ronces, que ce soit sur un toucher de mousse, sur un pli d'écorce ou dans l'entière forêt, que ce soit à l'orée de ma fatigue ou aux confins des premiers orages, c'est vers toi que m'entraînent mes pas, que le regard se noircit pour te reconnaître ainsi dans ton vaste monde, encore souverain et railleur, toi mon extravagant arpenteur, coloriste à tes heures de mépris et d'ardeur, mimant mille fois pour le passant chimérique, ta désinvolture et ta mort, toi au passé mélancolique, au trait bleu de ma lèvre, entre le beige et le noir, la main heureuse de l'enfant.

Si cet ouvrage - par ailleurs très soigné dans sa présentation - vous intéresse, je vous suggère de prendre contact avec son auteur Patrick Tafani, dont l'adresse Internet est mentionnée ci-dessous. Sinon, Le blog de Patrick Tafani - dans les liens permanents de La scie rêveuse - vous permet un accès direct.

Patrick Tafani, Etoiles de terre (L'inaperçu, 2011)

le blog de Patrick Tafani: http://parelie.over-blog.com/ 

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/01/2012

Le poème de la semaine

Jean Cocteau

L'églantier est un piège.
Un cruel errement
Des guerres enfantines.
 
Sade, marquis charmant,
Voleur des églantines,
Rougit sa main d'amant.
 
Il signe sur la neige,
Et sur la glace ment
Avec un diamant.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

03:21 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/01/2012

Morceaux choisis - Clémence Boulouque

Clémence Boulouque

Clémence Boulouque 5.jpg

Les jours passent. Ari rentre immanquablement avec des sacs lourds de ses courses, ces provisions pour m'enfermer, et je pense aux générations de femmes recluses, à toutes celles qui vivent la même séquestration entre les mains de despotes qui se croient généreux.

Il s'est rendu intrus. Mon corps le rejette, il se condense, se referme comme mon regard s'est clos, lui aussi. La porosité de nos corps à la lumière, à l'air, est un signe: le bonheur est porosité et je suis occlusion. (...)

Je tords le ciel, où je consignais mes rêves, ne le regarde plus qu'avec méfiance. Je voudrais aussi esorer mon ventre pour lui faire cracher ce qui le tuméfie et s'y est peut-être installé. Mon souffle se calme, mais mon esprit inspire régulièrement une pensée qui vient de me glacer: si je suis enceinte, je ne garderai pas cet enfant et si mes viscères doivent ne jamais l'oublier, jamais le pardonner, qu'il en soit ainsi. Mon corps ne m'épargnera rien, sale aimant de mains et de gamètes.

Sonne un réveil dont je n'avais pas besoin, je ne dors plus, mime le quotidien apaisé, prépare le petit déjeuner auquel je fais semblant de toucher et, la porte refermée, appelle le méecin, m'habille et traverse une avenue qui me semble un fleuve asséché, la fatigue strie ma vue, les gratte-ciel au loin sont des tesselles de mosaïque mal collées. Au centre de santé, je suis dirigée vers une petite pièce: un bureau, une chaise, une table roulante de métal, du coton, du désinfectant et une fiole à remplir.

"Avez-vous déjà une idée de votre décision si le test est positif?" Je hoche la tête. Ferme les yeux. "Je ne garderai pas l'enfant." Je déglutis.

"Je vais quitter mon compagnon."

Les secondes cognent, le regard par terre: ne pas lever la tête, ne pas voir si la couleur change, la teinte du sol reste, elle au moins, identique. Pas de rouge, surtout, pas de rouge sur la bande de papier. Le sol reste gris. Et le test, blanc. Négatif. Très lisible. "Ce c'est pas toujours le cas", me dit l'infirmière.

Lisible, enfin. Comme ce que j'ai annoncé à cette femme. Dans un étrange alliage de l'esprit, une façon de prendre parfois les inconnus à témoin, nous nous trouvons liés par des mots lancés à un étranger plus encore que par des paroles à des proches car celles-là peuvent être amendées.

Je dois le quitter.

Clémence Boulouque, L'amour et des poussières (Gallimard, 2011)

09:19 Écrit par Claude Amstutz dans Clémence Boulouque, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |