26/10/2011
Le poème de la semaine
Louis Aragon
pour Catherine P
Que ce soit dimanche ou lundi Soir ou matin minuit midi Dans l'enfer ou le paradis Les amours aux amours ressemblent C'était hier que je t'ai dit Nous dormirons ensembleC'était hier et c'est demain Je n'ai plus que toi de chemin J'ai mis mon cœur entre tes mains Avec le tien comme il va l'amble Tout ce qu'il a de temps humain Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera Le ciel est sur nous comme un drap J'ai refermé sur toi mes bras Et tant je t'aime que j'en tremble Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
05:36 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature; poésie | |
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19/10/2011
Le poème de la semaine
Jacques Prévert
Il y a de grandes flaques de sang sur le mondeoù s'en va-t-il tout ce sang répanduEst-ce la terre qui le boit et qui se saouledrôle de saoulographie alorssi sage si monotoneNon la terre ne se saoule pasla terre ne tourne pas de traverselle pousse régulièrement sa petite voitureses quatre saisonsla pluie la neigela grêle le beau tempsjamais elle n'est ivrec'est à peine si elle se permet de temps en tempsun malheureux petit volcan Elle tourne la terreelle tourneavec ses arbres ses jardins ses maisonselle tourne avec ses grandes flaques de sanget toutes les choses vivantestournent avec elle et saignent Elleelle s'en fout la terreelle tourne et toutes les choses vivantesse mettent à hurlerelle s'en fout elle tourneelle n'arrête pas de tourneret le sang n'arrête pas de coulerOù s'en va-t-il tout ce sang répandule sang des meurtres le sang des guerresle sang de la misèreet le sang des hommes torturés dans les prisonsle sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur mamanet le sang des hommes qui saignent de la têtedans les cabanonset le sang du couvreurquand le couvreur glisse et tombe du toitEt le sang qui arrive et qui coule à grands flotsavec le nouveau-né avec l'enfant nouveaula mère qui crie l'enfant pleurele sang coulela terre tournela terre n'arrête pas de tournerle sang n'arrête pas de couler Où s'en va-t-il tout ce sang répandule sang des matraqués des humiliésdes suicidés des fusillés des condamnéset le sang de ceux qui meurent comme ça par accident Dans la rue passe un vivantavec tout son sang dedanssoudain le voilà mortet tout son sang est dehorset les autres vivants font disparaître le sangils emportent le corpsmais il est têtu le sanget là où était le mortbeaucoup plus tard tout noirun peu de sang s'étale encoresang coagulérouille de la vie rouille des corpssang caillé comme le laitcomme le lait quand il tournequand il tourne comme la terrecomme la terre qui tourneavec son lait avec ses vachesavec ses vivants avec ses mortsla terre qui tourneavec ses arbres ses vivants ses maisonsla terre qui tourne avec les mariagesles enterrements les coquillages les régimentsla terre qui tourne et qui tourne et qui tourneavec ses grands ruisseaux de sang Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | |
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16/10/2011
Michel Crépu
Bloc-Notes, 16 octobre / Les Saules
Certains auteurs ont le privilège de vous emmener au septième ciel, même s'ils ne choisissent pas la voie de la facilité. Prenez Michel Crépu, par exemple: oser parler de Chateaubriand n'est déjà un sujet particulièrement engageant pour bon nombre de lecteurs potentiels soudain convoqués aux souvenirs de leurs années scolaires, à propos de l'homme des Mémoires d'outre-tombe, dont les 3'600 pages font frémir rien que d'y penser, autant que les 2'400 pages de A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Et le passé - ce XIXe siècle qui ressemble si peu à ce début de XXIe - est souvent jugé assez lointain pour qu'il ressemble à un livre refermé une fois pour toutes, avec sa fine pellicule de poussière qui le recouvre à la manière d'un 1er cru classé auquel manquent les grandes occasions de le déguster!
Alors, pourquoi ne parvient-on pas à lâcher Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand, le dernier livre de Michel Crépu? Peut-être tout simplement, parce qu'il est un grand écrivain, qu'il joint à son impressionnante érudition sur l'auteur et son époque, un ton chaleureux, vif, percutant, parfois drôle ou léger qui fait mouche à chaque page.
Vous croyez connaître Chateaubriand? Alors, préparez-vous à quelques surprises, car l'intérêt de cet essai consiste à démontrer ce qui se cache derrière l'image tant de fois rabâchée - entre autres par Chateaubriand lui-même - d'un incorrigible séducteur romantique. Michel Crépu note: Chateaubriand s'est trouvé pris dans le piège de la légèreté inadmissible. Au fond, ce qu'on appellerait aujourd'hui un délit de sale gueule. La sale gueule, ici? Trop d'élégance, trop d'intelligence bien-fondée, trop de succès de librairie et avec les femmes, trop de qualités en somme pour qu'on les supporte à l'échelle d'une haute fonction. Au portrait de ce lyrique aux grandes orgues, il ajoute: Il est perçu comme l'était le jeune Proust, avant de s'enfermer: un dilettante, un faiseur de phrases ayant des idées sur tout, complètement irresponsable, développant des obscénités sur l'honneur et la liberté de l'esprit.
Figure emblématique d'un monde qui change - avec son langage, ses valeurs, son art de vivre - ce dernier catholique heureux, comme le mentionne Michel Crépu, n'est-il pas celui qui fustige son propre temps, avec sa lente et irrémédiable désagrégation de l'antique substance allégorique française qui reposait sur le sens de l'honneur, la charité et le don de soi? Le parallèle avec le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, pour audacieux qu'il soit, s'avère pertinent: Il n'y a pas si loin des dernières pages des Mémoires au Bardamu de Céline, c'est la même route, le même voyage qui continue, droit dans les ténèbres. Entre-temps, les choses n'ont pas fini de se déliter, de se défaire à mesure, le faux n'a pas cessé non plus de gagner en puissance persuasive. Qui pour voir cela, après le vicomte? Céline relit les Mémoires d'outre-tombe pendant sa détention au Danemark, après la guerre, en pleine écriture de Féerie pour une autre fois, testament d'outre-tombe pour un autre siècle. Chateaubriand voulait conduire les Français par la voie des songes, comme de Gaulle lui empruntera plus tard la formule, en pleine nuit de juin 40, Céline en aura choisi une autre, non moins porteuse de vérité. Tout cela se tient, on a tort d'ignorer les uns comme les autres.
Le passionnant, dans Le souvenir du monde, est dans la puissance d'identification de l'auteur avec son sujet: l'impression qu'il est Chateaubriand, qu'il est Napoléon Bonaparte, qu'il est Juliette Récamier: à la manière d'un Henri Guillemin dans les années 70, d'un Jean d'Ormesson ou d'un Pietro Citati aujourd'hui. Débordant de visions savoureuses, il souligne l'admiration irrésistible et l'incompréhension dégoûtée pour Bonaparte, alors que de Madame Récamier il retient l'art de transformer le mois d'avril en une fournaise d'août et la maison qui console des errances... On ne saurait mieux le dire!
Alors, moderne, finalement ou visionnaire, Chateaubriand? Un dernier signe de la main puisé dans Le génie du christianisme est cité par Michel Crépu: Détruisez le culte évangélique, et il vous faudra dans chaque village une police, des prisons, des bourreaux.
L'agaçant avec les génies, c'est qu'ils ont souvent raison...
Michel Crépu, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand (Grasset, 2011)
Henri Guillemin, L'homme des mémoires d'outre-tombe (Gallimard, 1965)
Jean d'Ormesson, Mon dernier rêve sera pour vous (coll. Livre de poche/LGF, 2010)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Jean d'Ormesson, Littérature francophone, Louis-Ferdinand Céline, Marcel Proust | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; livres | |
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13/10/2011
Michael Lonsdale
Bloc-Notes, 13 octobre / Les Saules
Quand j'écris le nom de Michael Lonsdale, je pense en premier lieu à l'acteur de quelques grands moments de cinéma: Le procès d'Orson Welles, La mariée était en noir de François Truffaut, Monsieur Klein de Joseph Losey, Nelly et Monsieur Arnaud de Claude Sautet, Le nom de la rose de Jean-Jacques Annaud, sans oublier, plus récemment, Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois et Les hommes libres d'Ismaêl Ferroukhi; sa lecture aussi du Très-bas de Christian Bobin, avec son timbre de voix si personnel, comme perméable et attentif à tout ce qui nous interpelle et nous interroge. Mais ce qui m'a surpris et enchanté demeure un tout petit livre intitulé Oraisons, publié dans la collection Souffle de l'esprit chez Actes Sud en 2000, et réédité en 2011. On y retrouve, avec la discrétion qui le caractérise, un homme en prière, avec des mots qui sont les siens et n'appartiennent à nul autre, comme autant de sarments fertiles jaillis d'une solitude aimante.
Cet homme de théâtre - il interprète Samuel Beckett, Marguerite Duras, Friedrich Dürrenmatt - est en effet aussi, peut-être avant toutes choses, un chrétien pratiquant et engagé. Il nous revient aujourd'hui avec L'amour sauvera le monde - Mes plus belles pages chrétiennes, une anthologie de textes choisis, illustrés avec une beauté fervente par Olivier Martel. Si j'ai choisi de partager mes plus belles pages chrétiennes, nous dit Michael Lonsdale, c'est une manière pour moi de rendre hommage à ces hommes et ces femmes - saints, moines, religieuses, prêtres, écrivains, personnes ordinaires - pétris de la parole du Christ, qui m'ont accompagné au long de ma vie. Plus loin il ajoute: Travailler avec le coeur, c'est laisser place à l'inconnu. Si l'on cessait, ne serait-ce que le temps d'une journée, de se noyer dans le bruit, si l'on avait cette patience et ce courage, on obtiendrait, en se mettant à l'écoute, de petites indications pour atteindre à de grandes richesses.
Chaque extrait éclaire un aspect de ses mouvements de l'âme, tels les différents motifs d'un vitrail qui ne prennent corps et sens que dans la réverbération les uns dans les autres et dont la respiration méditative guide nos pas. D'Augustin d'Hippone à Jean Grosjean, de Thérèse d'Avila à Paul Claudel, de Martin Luther à Maurice Zundel, du Curé d'Ars à Sylvie Germain, son choix témoigne de la lumière du monde, délivre de tous les artifices et de toutes les extravagances du temps.
Davantage qu'une simple anthologie personnelle, tous ces textes - une cinquantaine environ - sont aussi, littérairement parlant, des chefs d'oeuvres. Pour le plaisir, je vous citerai un extrait de mon préféré, celui de Bernard de Clairvaux: Avec quelle sûreté la prière monte dans la nuit, quand Dieu seul en est témoin, et l'Ange qui la reçoit pour aller la présenter à l'Autel céleste! Elle est agréable et lumineuse, teinte du rouge de la pudeur. Elle est calme, paisible, lorsqu'aucun bruit, aucun cri ne viennent l'interrompre. Elle est pure et sincère, quand la poussière des soucis terrestres ne peut la salir. Il n'y a pas de spectateur qui puisse l'exposer à la tentation par ses éloges ou ses flatteries. C'est pourquoi l'Epouse agit avec autant de sagesse que de pudeur lorsqu'elle choisit la solitude nocturne de sa chambre pour prier, c'est-à-dire pour chercher le Verbe, car c'est tout un. Vous priez mal, si en priant vous cherchez autre chose que le Verbe, ou si vous ne demandez pas l'objet de votre prière par rapport au Verbe. Car tout est en lui: les remèdes à vos blessures, les secours dont vous avez besoin, l'amendement de vos défauts, la source de vos progrès, bref, tout ce qu'un homme peut et doit souhaiter.
Une présentation soignée pour ce livre qui peut ravir non seulement les croyants, mais aussi les poètes, les amoureux de notre terre et de tout ce qu'elle contient de beau ou de louable, au-delà d'un présent qui parfois s'essouffle en nos murs autant que les caprices du vent. A lire ou relire ces textes d'une profondeur aussi ardente qu'intemporelle, me revient en mémoire la devise de l'Ordre des Chartreux: Stat Crux dum volvitur orbis / La terre tourne, mais la Croix demeure immobile ...
Michael Lonsdale, L'amour sauvera le monde - Mes plus belles pages chrétiennes (Philippe Rey, 2011)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; spiritualité; anthologie; livres | |
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12/10/2011
Le poème de la semaine
Saint-John Perse
Car tu nous reviendras, présence! au premier vent du soir, Dans ta substance et dans ta chairet dans ton poids de mer, ô glaise!dans ta couleur de pierre d'étable et de dolmen, ô Mer!parmi les hommes engendrés et leurs contrées de chênes rouvres,toi Mer de force et de labeur.Mer au parfum d'entrailles femelles et de phosphore,dans les grands fouets claquants du rapt!Mer saisissable au feu des plus beaux actes de l'esprit! ...(Quand les barbares sont à la Cour pour un très bref séjour,l'union avec les filles de serfs rehausse-t-elle d'un si haut tonle tumulte du sang? ...) "Guide-moi, plaisir, sur les chemins de haute mer;au frémissement de toute brise où s'alerte l'instant,comme l'oiseau vêtu de son vêtement d'ailes ...Je vais, je suis un chemin d'ailes,où la tristesse elle-même n'est plus qu'aile ...Le beau pays natal est à reconquérir, le beau pays du Roi,qu'il n'a revu depuis l'enfance,et sa défense est dans mon chant.Commande, ô fifre, l'action, et cette grâce encore d'un amourqui ne nous mette en mains que les glaives de joie! ... " Et vous, qu'êtes-vous donc, ô Sages! pour nous réprimander,ô Sages?Si la fortune de mer nourrit encore, en sa saison,au grand poème hors de raison, m'en refuserez-vous l'accès?Terre de ma seigneurie, et que j'y entre, moi!n'ayant nulle honte à mon plaisir ..."Ah! qu'un scribe s'approche et je lui dicterai ..."Et qui donc, né de l'homme,se tiendrait sans offense aux côtés de ma joie? - Ceux-là qui, de naissance,tiennent leur connaissance au-dessus du savoir. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
01:44 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | |
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09/10/2011
La citation du jour
Paul Valéry
Souffrance. Je n'ai pas un coin pour être seul, pas une chambre personnelle, ni une heure pure de bruit, légère de soucis, sans limite pensée, sans l'idée qui déjà présentement la termine. J'envie le prisonnier d'une cellule qui le préserve et qui dans elle est propriétaire du temps, de la solitude et de la continuité. Pas de silence, de suite, de profondeur sans argent. Pas de noblesse, sans paix et séparation.
Paul Valéry, Les Cahiers (coll. Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2010)
23:58 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | |
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05/10/2011
Le poème de la semaine
Thierry Renard
La vie n'est pas la même pour tousLa vie n'est pas un long fleuve tranquilleLa vie n'est pas toujours une partiede jambes en l'air ou de plaisirLa vie est malheureuse parfoisou simplementpas très heureuseLa vie fatigue les vivantsLa vie est un chemin parsemé d'embûchesLa vie pourtant nous tient très à coeuret on n'apprécie pas qu'on nous l'enlèveLa vie est aussi une voie rapideun train à grande vitesseun disque durle centre du monde existantLa vie est un noyau de pêche ou de ceriseelle nous réserve de bonnes surpriseslorsqu'elle se laisse alleret qu'on la retrouve quelque partabandonnéeLa vie est une petite joie une petite mortelle est puissante elle est massiveou bien un peu légère un peu fragileet sans véritable butLa vie c'est un aller simpleun détour une pauseune rivière sans retourmais c'est un miracle la viequand elle se perd à nos côtésquand elle transfigure la réalitéquand elle bouge les lignesquand elle franchit le mur du sonet quand elle reste étenduela nuit venuesous la voie lactée C'est un miracle la vie quand elle chanteou qu'elle nous parle tout basquand elle sautille d'un pas contentquand elle transpire en plein étéquand elle saisit la balle au bondC'est un miracle la vie quandelle nous embrasse nous étreintquand elle nous retient dans ses brasLa vie dans sa grande nuditéet l'on voudrait ne jamais mourir Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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28/09/2011
Le poème de la semaine
Claude Faux
Je marche au pas qui me convientJ'ai tout mon temps On ne m'attendPlus et plus rien ne me retientJ'ai tout le temps d'user mon temps Je marche au pas qui me convientJe m'arrête où j'en ai envieJe dis c'est mal je dis c'est bienJ'ai tout le temps d'user la vie Ne prenez pas vos airs de jugesNe me faites pas la leçonNous avons chacun nos refugesChacun pour soi dit la chanson Chacun pour soi Pas de quoi rirePas de quoi non plus pleurnicherParlez Mais qu'avez-vous à direQui n'ait été cent fois prêché Dans vos bouches les mots ont l'airDe terriblement s'ennuyerIls fuient comme pour oublierQu'ils ont eu de si mauvais pères Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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23/09/2011
In memoriam
Bloc-Notes, 23 septembre / Les Saules
La jeunesse de ma grand-mère paternelle semble tout juste tirée d'un roman d'Emile Zola. Issue d'un milieu modeste, elle quitta l'école à l'âge de quatorze ans, pour apporter sa contribution financière à la famille. A son père, plutôt, un pilier de bistrots qui l'attendait en fin de semaine à la sortie de sa blanchisserie, pour lui piquer ses sous. Pas d'études donc, ni d'instruction particulière sinon pratique, comme pour bon nombre de femmes de son époque. Je l'ai toujours connue penchée sur France Dimanche, Ici Paris, Le Détective ou La Feuille d'Avis de Lausanne - devenu par la suite 24 Heures - qui occupaient ses après-midis quand elle nous rejoignait cinq ou six fois par an, pour une quinzaine de jours. Ou plongée dans les romans à l'eau de rose, signés Delly ou Max Du Veuzit que je lui offrais à son anniversaire et à Noël. Une manière comme une autre de réhabiliter cette notion de bonheur qui lui avait été refusée. Un événement pourtant allait chambouler ses habitudes: Une émission TV - en noir et blanc, dans les années 60/70 - intitulée Préfaces, magazine culturel d'une quarantaine de minutes produit par la Télévision Suisse Romande, en collaboration avec l'ORTF, présentée par Albert Zbinden et Guy Dumur, réalisée par Maurice Huelin.
Préfaces consacra en première partie de l'émission des dossiers passionnants à Jean Cocteau, Marcel Jouhandeau, Michel Simon, Joseph Kessel, Henry de Montherlant, Françoise Sagan ou Ivo Andric - pour n'en citer que quelques-uns - avant de cèder la place, dans un salon où l'on n'entendait pas même bourdonner une mouche, à Henri Guillemin et ses rendez-vous littéraires. Ce catholique engagé, professeur au Caire puis à Bordeaux avant la guerre de 39-45, fuyant la France en 1942 pour s'établir en Suisse - à Neuchâtel - devint pour la petite histoire attaché culturel à l'ambassade de France jusqu'à sa retraite, en 1962. Boudé par les intellectuels français pour sa vision anticonformiste et passionnée, il n'accèda jamais à ce vieux rêve: devenir professeur à La Sorbonne.
Ma grand-mère donc - pour laquelle j'ai toujours éprouvé une immense tendresse - malgré ses études embryonnaires, était vive, intelligente, curieuse. Elle n'a raté aucune des émissons de Henri Guillemin et était capable de résumer chacune de ses interventions - une quinzaine de minutes - avec un lumineux sourire. Je me souviens particulièrement de son évocation de Pascal - pourtant pas facile à décrypter - qui l'avait captivée. Il avait réussi là où tous - notre entourage et les autres - avaient échoué: susciter la soif d'apprendre, aiguiser la curiosité, traquer la vérité...
Une même ferveur chez ma mère, par contre impregnée de littérature et qui m'a transmis entre autres sa passion pour les auteurs russes du XIXe siècle. Préfaces fut pour elle un moment exceptionnel de télévision: elle applaudissait quand Henri Guillemin parlait d'Emile Zola, d'Alphonse de Lamartine, de François Mauriac ou de Charles Péguy avec son drapeau tricolore à la main... Elle lui a écrit plusieurs fois, fière de brandir les réponses du maître à ses interprétations ou critiques. Quant à moi, je me rappelle qu'il avait ressuscité Jules Vallès, tombé à cette époque en désuétude: au lendemain de sa présentation - j'étais alors apprenti libraire - tout le monde voulait découvrir cet illustre inconnu de la Commune, comme s'il s'agissait du dernier lauréat d'un prix littéraire! Plus tard, il m'avait entraîné sur les traces d'un auteur étonnant aujourd'hui - hélas! - oublié: Jean Sulivan, prêtre-écrivain de l'après-guerre, auteur de Car je t'aime ô Eternité et Devance tout adieu.
Avec Henri Guillemin, cela nous amusait de compter les coups. Un peu injustement - parfois, souvent - contre André Gide, par exemple ou pire encore, contre Jean-Jacques Rousseau. Cela dit, son plus grand mérite fut de populariser la littérature - au sens noble du terme - sur les ondes ou à la télévision, de l'avoir rendue accessible hors de la sphère privilégiée des universitaires, avec une élocution et une force de conviction qui n'ont jamais été égalées depuis, pas même par Alain Decaux ou plus tard Bernard Pivot.
Bien sûr qu'il peut lui être reproché d'avoir pris des libertés avec l'histoire, d'avoir été fasciné ou au contraire indigné par certains écrivains et hommes politiques, mais en revanche, sceptique devant les modèles préfabriqués, il aimait chercher ce qui se cache derrière les choses et cela incitait son auditoire à dépasser avec lui les apparences, les lieux-dits, fut-ce dans une autre direction que la sienne, au coeur de l'homme, loin des abstractions.
Parmi une riche bibliographie, il vaut la peine de lire A vrai dire (1956), L'énigme Esterhazy (1962), L'homme des Mémoires d'Outre-tombe (1965), Sulivan ou la parole libératrice (1977) et Charles Péguy (1981).
Henri Guillemin nous a quittés en 1992, à l'âge de 89 ans et je suis ému qu'en 2011, un auteur lui consacre un vibrant hommage. Il s'agit de Michel Crépu. Dans son dernier ouvrage, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand, il note: Henri Guillemin, un inquisiteur en quelque sorte amoureux de son prévenu, sa manière à lui de l'aimer, multipliant les pièces à charge dans l'espoir d'un rachat de dernière minute, fourni par l'accusé lui-même, si possible malgré lui, bien entendu. Au fond, Guillemin, si acharné en procureur des grandes gloires, ne voulait pas un casier sans tache, ce qu'il voulait c'était pouvoir pardonner. Si la littérature est la littérature, alors qu'elle le prouve. (...) Chez Guillemin, la beauté se gagne au terme d'une entreprise de démolition implacable: à la fin, on veut bien baisser la garde, à condition que la beauté, une fois n'est pas coutume, joue cartes sur table.
Merci pour lui, Michel Crépu: il le vaut bien...
Henri Guillemin, L'énigme Esterhazy (Gallimard, 1962)
Jean Sulivan, Car je t'aime ô Eternité (Gallimard, 1966)
Michel Crépu, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand (Grasset, 2011)
Archives de la TSR: http://archives.tsr.ch/dossier-18esiecle
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, François Mauriac, In memoriam, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: essais; conférences; livres | |
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22/09/2011
Jacques Chessex
Jacques Chessex, Revanche des purs (Grasset 2008)
On oublie trop souvent que Jacques Chessex - outre ses romans et récits – est aussi un des plus grands poètes d’expression française de son temps. Dans ce recueil, lisez Revanche des purs, Faire-part, Cours furet ou Le migrateur pour vous en persuader, sans oublier que l’un de ses plus beaux poèmes nous est donné dans son récit Pardon mère - paru au même moment chez Bernard Grasset également - page 190...
08:48 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |
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