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07/02/2011

Andrée Chedid 1b

6a00f48cf4d5d3000201240baca2a3860e-500pi.jpgAndrée Chedid, L'étoffe de l'univers (Flammarion, 2010)

Alors que vient de paraître, chez le même éditeur, son séduisant roman Les quatre morts de Jean de Dieu - déjà présenté sur ce site - Andrée Chedid nous revient à la poésie et à l'essai littéraire avec L'étoffe de l'univers. Un regard qui ressemble au film d'une vie nourrie et grandie par son identité de poétesse, l'importance accordée au langage, aux fragilités crépusculaires de la vie devenues parfois lourdes à porter: De mon printemps à mon automne, patinant sur l'avenir, dérapant sur les sols, me faufilant entre les marées, communiquant avec l'azur, je me targuais d'être friande de vie, de glisser sur le temps, de parler aux moineaux et aux chênes. Maintenant amarrée, assujettie à mon hiver, je ne m'intéresse qu'à la mort, cette voisine. Face à elle, délivrée par l'ignorance, je demeure impassible. J'invente les paradis. Je vis, je meurs et je revis.

Amoureuse de la terre, des rythmes du coeur, de ces tremblements de l'existence dont sa mémoire est empreinte, ses poèmes sont enrichis d'un cahier de notes qui renvoient au miroir de ces autres qui éclairent et renforcent le fil de ses interrogations, sous forme de citations commentées sur la vie, le métier d'écrivain, la vieillesse ou la mort. Nous y croisons ainsi Saint Augustin, Sénèque, William Shakespeare, Dante, William Blake, Rainer-Maria Rilke, René Char, Emily Dickinson, pour n'en citer que quelques-uns. 

A Andrée Chédid peut s'appliquer cette lumineuse évocation de Pierre Reverdy: Le poète est un four à brûler le réel... et entre nos mains, ses écrits ne délivrent aucune tiédeur. 

Andrée Chedid 1a

images-1.jpegAndrée Chedid, Les quatre morts de Jean de Dieu (Flammarion, 2010)

Elle aurait aimé crier, se battre, soustraire Jean à cette fin. Elle aurait tant voulu prolonger leurs âges, vivre jusqu'au bout. Qu'ils s'accompagnent mutuellement, longuement, le plus longuement possible et entrer dans la nuit ensemble en se tenant la main. Maintenant il fallait peu à peu envisager, admettre, accepter le poids de cette main froide, qui n'avait plus de vie, qui n'avait plus de sens. Admettre, accepter, se résigner. Non. Jamais. Ce serait comme trahir.

Par les yeux du cœur – ceux d’Isabelita – nous traversons avec son époux, Jean de Dieu, les turbulences d'un enfant du siècle, de la guerre d’Espagne à la chute du mur de Berlin, avec son cortège de désillusions et de révoltes: La perte de sa foi catholique, puis celle de son idéal communiste, l'exil, enfin la maladie qui s'empare de lui... Ce livre est pourtant avant toute chose la chronique d’un amour indestructible qui, malgré les lézardes du temps, demeure insoumis, bien qu'ouvert aux rythmes du monde et de ses joies simples, passagères. Avec beaucoup de poésie et de tendresse, Andrée Chedid interroge le quotidien, l'art, la mémoire, la vieillesse ou la mort dans un monde qui change, non sans insolence, humour et lucidité.

Je veux que tu saches que toi c'est moi et que moi c'est toi. Pour toujours.

20:20 Écrit par Claude Amstutz dans Andrée Chedid, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/02/2011

La citation du jour

François Mauriac

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Ce n'est pas de mériter qui importe mais d'aimer. 

François Mauriac, La pharisienne (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 1985)

Jean-Louis Kuffer

Bloc-Notes, 1er février / Les Saules 

littérature; récit; livres

Tout commence avec un jardin, la lumière dans la maison, le chant du merle, ces visages sur une photo sépia, ces voix convoquées au gré du temps qui passe, ces sensations qui forgent les images et les mots. Le narrateur du roman de Jean-Louis Kuffer, L'enfant prodigue, d'une seule envolée comme dans un poème symphonique qui se démultiplie sous nos yeux - je pense à la ballade de la Karelia Suite de Jean Sibelius, ou Au matin extrait de Peer Gynt d'Edvard Grieg - visite avec tendresse et nostalgie, les moments de son enfance qui à eux seuls sont tout un roman: Je réentends le vieux Coboye à travers les années ou mon grand-père le Président, notre père le taiseux ou sa mère, mère-grand la râleuse, ou Grossvater le sentencieux, Greta la prêcheuse ou Lena la rieuse toujours à claironner son allègre soprano: je les connais mieux, eux tous et leur voix, que je ne me connais moi-même dont je n'entends pas la voix.

Comme du chapeau d'un magicien, au rendez-vous de sa mémoire émerge le quartier des Oiseauxle jeune Pilou - dont la mort est peut-être le passage le plus bouleversant du livre - Mickey de la tribu maudite, mêlés au souvenir des Pieds Nickelés et de Winnetou aiguisant le regard au dedans comme au dehors de celui dont la demoiselle Champoussin, son institutrice, note qu'il se laisse entraîner par son imagination. 

Un peu bohème, voué à être artiste, futur scribe de rien comme il le dit lui-même, promenant sa plume ou son pinceau sous le choc de l'émouvante beauté de l'or du temps, il comprend très tôt que sa vraie vie sera dans la voie tangente et que toute conformité à la loi de tous relèverait d'un malentendu...

Si Jean-Louis Kuffer laisse danser les mots de son narrateur - auquel il doit souvent ressembler comme un frère - avec douceur, humour et gratitude sur la toile de l'univers célébrant l’émerveillement renouvelé des miracles de chaque jour et la mélancolie qui pèse sur les ombres du cimetière, c'est pourtant au vertige du présent, auprès de Ludmila et de leur enfant qui recrée le monde à lui tout seul dans un rire, qu'il voue sa plus durable reconnaissance: Il a suffi d'une paire de ciseaux en plastique bleu pour faire éclater le premier rire de l'enfant. L'enfant est devenu Quelqu'un en voyant le père jouer avec cette petite paire de ciseaux de plastique qui ne coupe rien mais peut faire le loup ou le crocodile, ou les oreilles de lapin, ou les oreilles d'âne.

Entre mémoire et devenir, entre singularité et filiation, Jean-Louis Kuffer dessine avec L'enfant prodigue - vie et mort inextricablement mêlées - un bien beau chant du monde:

Tout nous échappe de plus en plus, avions-nous pensé, mais c'est aujourd'hui de moins en moins qu'il faut dire puisque tout est plus clair d'approcher le mystère prochain, tout est plus beau d'apparaître pour la dernière fois peut-être - vous vous dites parfois qu'il ne restera de tout ça que des mots sans suite, mais avec les mots les choses vous reviennent et leur murmure d'eau sourde sous les herbes, les mots affluent et refluent comme la foule à la marée des rues du matin au soir - et les images se déplient et se déploient comme autant de reflets des choses réelles qui viennent et reviennent à chaque déroulé du jour dans son aura.

Jean-Louis Kuffer, L'enfant prodigue (coll. Le Passe Muraille/D'Autre Part, 2011)

30/01/2011

La citation du jour

Maurice Blanchot

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Je l'ai aimée et n'ai aimé qu'elle, et tout ce qui st arrivé, je l'ai voulu, et n'ayant eu de regard que pour elle, où qu'elle ait été et où que j'aie pu être,dans l'absence, dans le malheur, dans la fatalité des choses mortes, dans la nécessité des choses vivantes, dans la fatigue du travail, dans ces visages nés de ma curiosité, dans mes paroles fausses, dans mes serments menteurs, dans le silence et dans la nuit, je lui ai donné toute ma force et elle m'a donné toute la sienne, de sorte que cette force trop grande, incapable d'être ruinée par rien, noue voue peut-être à un malheur sans mesure, mais, si cela est, ce malheur je le prends sur moi et je m'en réjouis sans mesure, et, à elle, je dis éternellement: Viens - et éternellement, elle est là.

Maurice Blanchot, L'arrêt de mort (coll. Imaginaire/Gallimard, 1977)

18:54 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

21/01/2011

Alexandre Jardin 1a

Bloc-Notes, 21 janvier / Lyon

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Je connais mal Alexandre Jardin. A peine le souvenir d'un roman que j'avais autrefois aimé pour sa fraîcheur de ton et l'originalité de son propos, L'île des gauchers: l'histoire de Lord Jeremy Cigogne, un aristocrate anglais qui, à trente-huit ans, cherche à convertir la passion pour sa femme Emily en un amour véritable sur une île aux coutumes singulières. Quelques images aussi: celle d'un jeune homme au visage un peu poupon débordant d'un parisianisme agaçant, invité régulièrement sur les plateaux de télévision; celle plus mûrie du co-fondateur de l'Association Lire et faire lire, destinée à favoriser la rencontre et le dialogue entre des enfants et des retraités à travers la lecture; celle enfin d'un homme grave à l'émotion contenue, découvert voici une semaine dans le cadre du journal télévisé en Suisse Romande, répondant aux questions du présentateur Darius Rochepin au sujet de son dernier livre, Des gens très bien...

Dans la préface au récit de son père Pascal, Le nain jaune, Alexandre Jardin écrit: Je viens de lire Le nain jaune de bout en bout pour la première fois : depuis la mort de mon père, je n'y parvenais pas. Ce livre, ce miraculeux Nain jaune, je me le gardais comme une bonne bouteille que l'on met à vieillir au frais pour la boire en une grande occasion, histoire de fêter des retrouvailles. Je ressors groggy. Je tremble, comme si sa soif de père me torturait à mon tour. Pourquoi faut-il que nous ne réussissions à nous parler d'amour que par-delà les tombes ? Il y a sans doute de la pudeur dans tout cela ; j'y vois surtout une immense infirmité. Mais les grands livres ne sont-ils pas toujours des jambes de bois ?

Une préfiguration à la douleur de l'enfantement de son dernier opus - sommes-nous tous condamnés à ne percevoir que ce qui résonne avec nos douleurs? - consacré à son grand-père, Jean Jardin, directeur du cabinet de Pierre Laval du 20 avril 1942 au 30 novembre 1943, couvrant le terrible événement de la rafle du Vél d'Hiv, le 16 juillet 1942, avec la question centrale qui taraude son petit-fils: Pourquoi n'a-t-il pas démissionné ce jour-là?

L'idée de ce livre a pris racine en 1999. Dix ans de recherches, de réflexions, de plongée au fond de soi-même, non pour réécrire l'Histoire, mais pour tenter de comprendre celle de la famille Jardin: Publier ces pages encolérées reste pour moi une réparation minimale. Elles me permettent de renoncer aux bénéfices sympathiques de notre légende et assurent une certaine sape de notre crédit; ce qui est bien le moindre. Le parfum joyeux qui nimbait la saga de notre clan n'y résistera pas. Je signe ces pages comme on refuse un héritage devant notaire. Pour sectionner une filiation après l'avoir reconnue. 

Ces fiançailles du chagrin et de la pitié comme il le dit si bien, ne plairont pas à tout le monde, pas plus aux Jardin qu'à d'autres qui ont soigneusement effacé de leur mémoire cette période de l'Occupation qui a tout de même - pour certains - exercé une force d'attraction envers une idéologie audacieuse, créative, fascinante dont il est de bon ton de ne pas raviver les cendres.   

Au sein de tout ce petit monde qui gravite autour du cercle familial de Vevey, Alexandre Jardin ne ménage personne: ni Raymond Abellio, ni Coco Chanel, ni Couve de Murville, ni Robert Aron ou encore Paul Morand, avec en contrepoint un émouvant passage reflétant sa rencontre avec Frédéric Mitterand dans l'oeil duquel il a vu la douleur muette d'un homme qui, lui aussi, avait dû être esquinté par une famille de gens très bien où l'on pratiquait une cécité intensive. Sévère avec lui-même, il l'est aussi, devançant les critiques de ceux qui pourraient lui reprocher de cracher sur des morts qui ne peuvent se défendre: A l'époque du Roman des Jardin, mes nerfs n'étaient pas à l'épreuve de la vie.

A présent que je quitte ma condition de faux-monnayeur polygraphe, d'illusionniste espiègle pour oser m'aventurer dans le réel, qui vais-je devenir? Un type un peu dégoûté par le projet de s'autocréer. Sans doute serai-je moins ce que je raconte. Et plus domicilié dans ma propre peau.

Qu'il devait donc l'aimer, ce nain jaune qui ne se lassait pas de croquer des chocolats Lindt ultra-fins au bord du lac Léman et qu'il imagine à la fin du livre, quand il lui demande d'arrêter la rafle et s'entend répondre, comme un écho lointain: Mon chéri, les choses ne sont pas si simples...

Le récit de cet homme en colère qui dresse un réquisitoire impitoyable contre les siens n'est sans doute pas à opposer au Roman des Jardin, version enjouée et affectueuse de son évocation familiale à laquelle répondent aujourd'hui les mots de la tragédie et du refus: Peut-être que mûrir, justement, c'est accepter de vivre dans l'étau de nos contradictions.

Le regard d'Alexandre Jardin n'est pas celui d'un historien, qu'on se le dise; il y a des redites, parfois, ou des faiblesses, tel le chapitre un peu simpliste intitulé Le nain vert qui évoque le personnage controversé de Tariq Ramadan; mais c'est le prix d'un écrivain qui choisit délibérément de privilégier, avec un courage discret et poignant, une éthique personnelle plutôt qu'une réussite de style, soucieux d'être au plus vrai possible de sa propre histoire.

Depuis l'âge de quinze ans, je ne suis retourné qu'une seule fois sur la tombe du Nain Jaune et celle de mon père, voisines dans le cimetière bucolique de Vevey; à l'exception des enterrements où je ne pouvais pas me défiler. Mes propres enfants n'en connaissent pas l'emplacement. Ils ne se sont jamais inclinés devant nos ascendants communs. Nulle négligence dans cette dérobade au long cours. Je n'ai jamais pu déposer de fleurs sur leurs mensonges. (...) Même une petite fleur m'aurait semblé un outrage aux enfants du Vél d'Hiv, une des pages les plus nauséabondes de l'histoire de France contemporaine...

Alexandre Jardin, Des gens très bien (Grasset, 2011)

Pascal Jardin, Le nain jaune (coll. Folio/Gallimard, 1999)

Alexandre Jardin, Le roman des Jardin (coll. Livre de poche/LGF, 2007)

Alexandre Jardin, L'île des gauchers (coll. Folio/Gallimard, 1995)

16/01/2011

Aline Kiner

Bloc-Notes, 16 janvier / Les Saules

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Dans le domaine pléthorique du roman policier, le meilleur côtoie souvent le pire et si les titres intéressants demeurent stables, les mauvais - hélas! - sont en constante augmentation: auteurs flirtant avec le fantastique ou la haute technologie, escalade dans l'horreur masquant une intrigue sommaire ou peu crédible, qualité d'écriture défaillante ne justifiant souvent pas même une présentation en librairie... Alors, je ne vais pas bouder mon plaisir de vous partager une heureuse surprise en la personne d'Aline Kiner, nouvelle venue dans le monde du crime, passionnée d'histoire et d'archéologie - elle a publié avec François Guénet La cathédrale: livre de pierre aux Presses de la Renaissance en 2004 - et rédactrice en chef du mensuel Sciences et Avenir.

Avec Le jeu du pendu, elle signe un des meilleurs titres francophones de ces dernières années! L'auteur nous embarque en Lorraine où, un certain 24 décembre 1944, le petit village de Varange est le théâtre d'une pendaison au cimetière, celle de Johann Ziegler au vieux chêne du lieu. Un écriteau est posé, visible de tous, au pied de l'arbre. On peut y lire en grandes lettres: La corde pour les collabos... Soixante ans plus tard, une jeune fille, Nathalie, est retrouvée ligotée, avec une corde nouée autour du corps - comme la statue du Dieu piteux au cimetière - et étouffée sauvagement dans la boue d'une ancienne mine de la région.

Solidement documenté - les archives consultées, mais aussi les témoignages des habitants de cette région de la Moselle - Le jeu du pendu nous restitue, à travers des personnages complexes et attachants ces heures douloureuses de l'après-guerre où l'atmosphère était pire que pendant l'Occupation. Les familles qui rentraient d'exil retrouvaient leurs maisons sans dessus dessous, les jardins dévastés, les meubles volés par les voisins. On se traitait de collabos. Tant de haine...

Mais la Lorraine, c'est aussi le souvenir de la fermeture des mines de fer qui réveillent bien des blessures, exposées avec une rare sensibilité: Adolescente, Sarah avait souvent insisté pour que son père l'emmène au fond. Elle voulait voir, disait-elle. Seulement voir, une fois, où il travaillait. Il aurait pu. Certains le faisaient. Mais il n'avait pas voulu. La nuit presque totale, le vacarme des engins, le froid pénétrant, l'humidité. La poussière, ocre, du minerai qui leur collait à la peau et leur valait ce nom de gueules jaunes. Ce n'était pas un monde pour les enfants.L'odeur de la boue... Quand on était imprégné de cette odeur, jamais on ne s'en débarrassait. Elle ressortait, en même temps qu'une trace jaunâtre, sur le col des chemises blanches qu'on portait en été. Fille de mineur, Aline Kiner - originaire de cette région - sait de quoi elle parle et apporte de précieuses explications dans sa postface pour les lecteurs qui ont passé à côté de cette page d'histoire de France.

 L'intrigue policière qui repose sur les épaules des deux enquêteurs, Simon Dreemer - muté du service des SRPJ de Metz - et Jeanne Modover - qui renoue avec le pays de son enfance - ne laisse aucun répit et débouche, comme dans tout bon roman policier, sur un dénouement tout à fait inattendu. Un vrai plaisir le lecture où la recherche du meurtrier se mêle à une peinture sociale de la Lorraine, particulièrement convaincante.

 Découvrez vite Aline Kiner: vous ne le regretterez pas une seconde...   

Aline Kiner, Le jeu du pendu (Liana Levi, 2011)

 

13:26 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/01/2011

Finie la comédie 1a

Bloc-Notes, 14 janvier / Les Saules 

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Alors que, la semaine dernière, je rassemblais quelques notes le lecture consacrées à Philippe Sollers à propos de son dernier roman Trésor d'amour qui a pour cadre Venise, j'ai pensé à cette empreinte unique - aussi personnelle que l'ADN - que laisse en nous - un peu inconsciemment - un coin de verdure, une ville, un chemin foulé dans cette curieuse grange secrète qu'on appelle la mémoire. 

Cette mémoire qui, un jour semblable à tous les autres devant l'inéluctable décrochement du corps, de l'esprit et du temps, se figera pour toujours dans le silence de Dieu, la solitude extrême ou le secret préservé, mais avant cela ravivera ces reflets de la vie, où lieux et ombres se confondront pour une minute de bonheur mêlé au vertige de la chute ou du n'importe quoi... 

Et qu'y verrai-je, tous temps confondus, entraîné par une lame de fond tout au fond de moi-même? Sans doute l'émerveillement devant l'aurore, qui me saisit presque chaque matin, quand, traversant le pont du Mont-Blanc à Genève, je vois le soleil se lever sur les Voirons, charriant ses nuances de roses et de bleu où perce la lumière du jour; la même impression et les mêmes teintes, mais plus brumeuses et douces, qui m'ont enchantées à Paris, quand je me promenais tout au long du quai des Célestins, avec vue sur l'Ile Saint-Louis et Notre-Dame, un peu plus loin; la clarté plus affirmée, au printemps - venant de Genève pour gagner Vevey - qui se révélait par la fenêtre du chemin de fer entre Pully et Saint Saphorin, avec sa vue imprenable jusqu'au bout du lac et du Valais et qui en marche vers mon lieu de travail - une librairie: qui l'eut cru! - ressemblait à un départ en vacances.

Une bande-son déroulera les moments salvateurs qui se seront confondus à des lieux mémorables: Les deux anglaises et le continent de François Truffaut dans un cinéma de quartier à Paris, un jour de pluie; les concerts de Jacques Brel et de Barbara, à Thonon-les-Bains et Genève; la dernière soirée des Proms au Royal Albert Hall de Londres; Astor Piazzolla joué au Café Florian à Venise.

A ces images se juxtaposeront à la vitesse de l'éclair, des silhouettes, des visages réels ou imaginaires, qui prennent racine sur une plage de Forio d'Ischia où j'ai connu mes premiers émois amoureux à la manière de Erri de Luca dans Le jour avant le bonheur, suivis par d'autres - en Angleterre ou en Suisse - sur lesquels je ne dirai rien, puisqu'après tout, il ne s'agit que d'une répétition générale!

Un dernier flash - en Italie, bien sûr! - me ramènera à la chapelle de San Damiano à Assise - refuge de Sainte Claire - avec le sourire, pour y avoir connu quelques fragmentsw de bonheur d'un autre monde; à Venise enfin qui me ressemble tant, où je me suis réconcilié avec moi-même, déposant sur le sol de l'église Santa Maria di Nazareth. les plus beaux souvenirs de ma vie, peines et joies confondues.

Et après? Le réveil, à 5h30, comme tous les matins avec une douce musique interrompue par le chant des corbeaux, des mésanges, des merles pour me rappeler que je suis bien vivant, que la comédie des apparences est finie depuis bien longtemps et qu'il n'est pas encore temps de se retirer, même avec élégance...

Philippe Sollers, Trésor d'amour (Gallimard, 2011)

Erri de Luca, Le jour avant le bonheur (Gallimard, 2010)

 

 

08/01/2011

Philippe Sollers 1b

Bloc-Notes, 8 janvier / Les Saules

C'est en 1821 que Stendhal a composé son épitaphe en italien, se déclarant ainsi milanais d'outre-tombe: Qui giace Arrigo Beyle Milanese. Visse, scrisse, amo. Il a vécu, il a écrit, il a aimé. Une variante apparaît dans les Souvenirs d'égotisme: Je n'ai aimé avec passion en ma vie que Cimarosa, Mozart et Shakespeare...



Philippe Sollers, Trésor d'amour (Gallimard, 2011)

01:43 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, H.B. dit Stendhal, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; musique; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Philippe Sollers 1a

Bloc-Notes, 8 janvier / Nyon

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Quelle est donc cette mystérieuse alchimie qui précède notre choix de lecture? Quelques phrases parcourues au hasard d'une page, l'attrait d'un univers capable encore de nous bousculer ou nous surprendre? La fidélité à un auteur, à une musique des mots, à une langue, à un lieu? Dans le cas de Trésor d'amour, c'est tout cela à la fois.

Fermez les yeux... Vous êtes à Venise, la ville où Philippe Sollers achète quatre roses rouges qu'il dépose sur le sol aux Gesuati, à San Vio, à San Agnese, à San Trovaso, endroits où il a connu les plus grands bonheurs de sa vie. Un trésor de mémoire. Dans cette Venise dérobée et secrète, il y retrouve Minna Viscontini, 35 ans, professeur de littérature comparée, spécialisée dans le domaine français qu'elle consacre à un seul auteur: Stendhal.

Et comme entre Sollers et Stendhal c'est une histoire d'amour, celle de Sollers et Venise aussi, nous voici embarqués dans un théâtre d'ombres où apparaissent, derrière une improbable glycine violette débordant d'un balcon, Mathilde Dembowska; sous un soleil de feu, Fabrice Del Dongo, Julien Sorel, Madame de Chasteller, fiction et réalité de Stendhal mêlées sans autre souci que de les ressusciter sous le signe de l'Amour, clef de voûte de ce roman du bonheur. Célébration de la vie, de la beauté, de la musique, de la littérature, ce texte ne serait qu'une succession de chapitres supplémentaires au Discours parfait - paru voici un an chez le même éditeur - sans la présence de Minna à laquelle il consacre parmi ses plus belles pages d'écrivain.

On ne sort pas, on ne voit personne, l'eau, les livres, les oiseaux, les arbres, les bateaux, les cloches, le silence, la musique, on est d'accord sur tout ça. Jamais assez de temps encore, encore. Tard dans la nuit, une grande marche maritime, et retour, quand tout dort. Je me lève tôt, soleil sur la gauche, et voilà du temps, encore, et encore du temps. On se tait beaucoup, preuve qu'on s'entend. L'amour, c'est comme retrouver un parent perdu, son regard traverse la mort. Et plus loin: Je reste sur les quais rougis de soleil jusqu'à ce que la nuit tombe. Au bord des escaliers de marbre plongeant dans l'eau, les algues deviennent de plus en plus noires, et les piquets de bois du canal mercuriel ont l'air de s'élancer vers le ciel. Encore une fois, la grande certitude m'enveloppe. Je suis assis, à l'écart, dans ce quartier isolé de Venise , je vais rentrer dans un appartement où Minna m'attend, penchée sur son ordinateur. Bateaux illuminés dans l'ombre, barques amarrées tirant sur leurs cordes, derniers passants, bruits sourds, fermeture des volets. Neuf coups au clocher des Gesuati, là-bas, pour dire l'heure. Dîner de friture de poissons avec bouteille de bordeaux. Encore quelques lignes à la main, velours et silence, et puis sommeil, et puis soleil, et puis bonheur.

Et puis le temps s'arrête, on ouvre à nouveau les yeux, revenus d'un incroyable voyage à travers les siècles où se croisent et se découvrent - comme les lignes de la main où se forge le destin - ces mouvements du coeur qui sont de tous les temps, sous le regard de Stendhal, le personnage central du livre, derrière lequel Philippe Sollers s'efface ou se confond.

Nous allons écouter Don Giovanni à la Fenice, et voici que la musique et les voix font voler le théâtre, et toute la lagune avec lui. On sort, on marche un peu dans la nuit, on prend le bateau, l'eau nous enveloppe, tout est velours, tout est gratuit.

Un vrai bonheur! 

Philippe Sollers, Trésor d'amour (Gallimard, 2011)

image: http://www.histoiredevoyages.fr/venise.html

00:38 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, H.B. dit Stendhal, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |