20/06/2011
Relire Boris Vian
Bloc-Notes, 20 juin / Les Saules
Et si l'enfer était un monde sans rêves? Telle est peut-être bien la question centrale que soulève L'arrache-coeur, plus de trente ans après une première lecture. Tout commence avec le héros de cette histoire, Jacquemort, intrigué par les cris provenant d'une maison à l'écart d'un village littoral indéterminé. Il se trouve ainsi confronté à Clémentine, sur le point d'accoucher, et même s'il est psychiatre de formation, il connaît suffisamment les rudiments de la médecine pour lui venir en aide. Les nouveaux-nés sont au nombre de trois: Noël et Joël - vrais jumeaux - ainsi que Citroën, plus grand que les deux autres.
Jacquemort décide de s'installer au coeur de cette curieuse famille dont le père, Angel, après cet événement, est rejeté à tout jamais par son épouse. En effet, Clémentine ne vit plus désormais que pour ses enfants: un bonheur forgé à l'abri des autres, des dangers naturels et des mauvais désirs propres à l'univers des adultes. Il faut leur construire un monde parfait, un monde propre, agréable, inoffensif, comme l'intérieur d'un oeuf blanc posé sur un coussin de plumes. Cette soif d'amour pour sa progéniture, obsédante, exclusive, absolue, met Jacquemort mal à l'aise.
Il n'est pas au bout de ses surprises, car au village, le voici qui assiste à la foire aux vieux - une dégradante vente aux enchères - et à la crucifixion d'un étalon - puni pour avoir fauté - sans que la moindre parcelle d'émotion des habitants ne soit ébranlée. Enfin, il ne parvient pas à oublier l'apprenti du menuisier, mort à force de trimer et d'être maltraité, qu'Angel charge dans une caisse et qu'il abandonne au cours lent du fleuve, sans autre cérémonie...
L'un des points forts du roman est sa rencontre avec La Gloire, ce passeur du fleuve des morts comme le définit si bien Raymond Queneau. Lorsqu'il fut au niveau de la barque, il vit l'homme s'accrocher au bord et s'efforcer d'y remonter. L'eau du ruisseau rouge passait sur ses vêtements, en perles vives, sans les mouiller. (...) C'était un homme assez âgé. Il avait un visage creusé, des yeux bleus lointains. Il était entièrement rasé et ses cheveux blancs et longs lui donnaient une expression à la fois digne et débonnaire, mais sa bouche, au repos, se marquait d'amertume. Il se lie avec lui, au-delà de ce qu'il aurait pu espérer, et devant son affirmation de vouloir rester au village, son interlocuteur le met en garde: Alors, vous serez comme les autres. vous aussi vous vivrez la conscience libre, et vous vous déchargerez sur moi du poids de votre honte. (...) Vous serez comme eux. Vous ne me parlerez plus. Vous me paierez. Et vous me jetterez vos charognes. Et votre honte.
Un éclairage sombre de cet envers de nous-mêmes - refoulé ou exalté à certaines heures - dont le jugement inflexible et cruel, peut engendrer les horreurs les plus ordinaires. Une étrange préfiguration de société familière - la nôtre - où la lâcheté, la peur et l'absence de valeurs morales dévoile parfois un visage aussi inhumain que celui de L'arrache-coeur.
Contre les pouvoirs du rêve refusant d'intégrer le monde absurde des adultes, les murs ou les grilles ne suffisent pas et Clémentine - sainte pour les uns, monstre pour les autres - saura trouver, au nom de l'amour, la parade qui empêchera ses jeunes enfants de voler en pourchassant les oiseaux: Il aperçut les trois cages. Elles s'élevaient au fond de la pièce vidée de ses meubles. Elles étaient juste assez hautes pour un homme pas très grand. Leurs épais barreaux carrés dissimulaient en partie l'intérieur, mais on y remuait. Dans chacune, on avait mis un petit lit douillet, un fauteuil et une table basse. Une lampe électrique les éclairait de l'extérieur. (...) Ca devait être merveilleux de rester tous ensemble comme ça, avec quelqu'un pour vous dorloter, dans une petite cage bien chaude et pleine d'amour.
Plutôt mal accueilli lors de sa parution, en 1953, L'arrache-coeur est pourtant un chef-d'oeuvre mêlant le langage poétique à des impressions crues ou fortes, dont la modernité est stupéfiante. Encore aujourd'hui...
Boris Vian, L'arrache-coeur (coll. Livre de poche/LGF, 2001)
23:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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Paul Valéry
Paul Valéry, Corona et Coronilla (De Fallois, 2008)
Il est parfois difficile de se débarrasser des clichés hérités des années de collège. Tenez, Paul Valéry, par exemple : avecLe cimetière marin– entre autres textes – on se souvient d’un auteur original, mais forçant le respect et le sérieux. Or, avec ces poèmes inédits dédiés à Jean Voilier - Jeanne Loviton - nous est dévoilé un visage inattendu, celle d’un homme amoureux, fasciné, déboussolé, blessé parfois, et cela à … 67 ans ! Si dans ce recueil le meilleur côtoie le plus ordinaire, n’est-ce pas qu’ici la tension émotionnelle transgresse l’exigence artistique et nous rend ainsi cet auteur incontournable plus proche et plus humain ?
07:30 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |
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18/06/2011
Anne Plantagenet
Anne Plantagenet, Le prisonnier (Stock, 2009)
Une institutrice qui surmonte un chagrin d’amour entre les sonates de Beethoven et le cognac, se voit contrainte par les habitants désemparés d’un village montagnard, de veiller en l’absence du maire ou du curé, sur un prisonnier réputé dangereux, bien qu’affaibli et blessé. Née de la peur, cette rencontre entre deux passionnés sans compromis atteints dans leur dignité et rejetés, met à nu l’ambiguïté ou la bêtise des comportements collectifs. Entre la mort imminente et une autre vie possible, qui aura le dernier mot ? A vous de le découvrir ...
également au format poche (J'ai Lu, 2011)
16:09 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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15/06/2011
Le poème de la semaine
Maurice Chappaz
O juillet qui fleurit dans les artèresje désire toutes les chosesDans la rouge mémoire de mon sangbougent les limons et les chairs vivacessécheresse sécheresseils chantent les écumesmes soifs fumentMais toi tu es délicatessetu me seras livrée la nuit comme la forêtqui dira alors ce qu'est ton coeur?la pleine nuit de ton coeur?quel silencepuis quelle voix superbe chantera dans l'ombre. Quand tu seras penchée vers moialors mes bras deviendront beauxtu reposeras sur ma poitrineet tu seras sur moi comme une sourcecomme le chant de la sourceô tendresse qui éveille les eauxet leur abondance douceJe sais que tu es semblable à la terreque pareille tu apportes de rustiques présentsque ton corps est comme le vrai fromenttu donnes le painle don simple et bonde ce qui se touche et qui se voittu couvres l'homme de moissontu es pareille aux fruits des arbresapportant leur soleil et leur douceuret je t'appellerai le lait le miel le raisin. Puis vient la joievous saisons vous matièresvous êtes cédéesoh! j'ai envie de dire merveille merveillefemme combien tu es belleparaît ta grande naturetu glisses dans les bras de celui qui t'aimetout soleil est perduC'est maintenant le silence frais de la nuitc'est dans ton coeur qu'il faut chercher l'étéqu'il faut tout chercherje n'ai plus qu'envie de diremerveille merveillequi dira la nuit? qui dira l'été? Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Maurice Chappaz, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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06/06/2011
Le Passe Muraille
Le Passe Muraille, no 86, juin 2011
Dans son éditorial, Jean-Louis Kuffer cite Friedrich Hölderlin, qui disait que les poètes seuls donnent à ce qui dure une assise éternelle, ce qu'on se répète à la lecture de certains auteurs dont l'engagement, dans la vie de la Cité, ne se borne pas qu'à des postures visant à se faire bien voir. Tel Guido Ceronetti auquel est fait la part belle dans ce nouveau numéro. Le Passe Muraille, dans cette célébration, demeure ainsi fidèle à sa vocation de passeur, au propre comme au figuré.
Sommaire du Passe-Muraille no 86, Juin 2011 - "Guido Ceronetti ou le désespoir tonique":
p.1
Editorial, "Le poète dans la Cité", par Jean-Louis Kuffer
Guido Ceronetti, "Entre ombre et lumière", par Anne-Marie Jaton
p.3
Guido Ceronetti, "Un poète de la blessure de vivre", par Fabio Ciaralli
Guido Ceronetti, "A travers la vie et les oeuvres du Maestro", par Jean-Louis Kuffer
p.4
Guido Ceronetti, "Une visite au Maestro", par Jean-Louis Kuffer
p.5
Blaise Cendrars, "Une bibliothèque fantôme", par René Zahnd
p.6
Bruno Pellegrino, "Une bone nouvelle", par Jean-Louis Kuffer
Dany Laferrière, "La minute où tout bougea", par Claude Amstutz
p.7
Corinne Desarzens, "Un exorcisme poétique", par Pascal Ferret
Jean-François Schwab, "Scènes de la vie des gens", par Jean-Louis Kuffer
p.8
Inédit, "Aux éboulis du Temps", par Philippe di Maria
p.9
Erri de Luca, "La leçon du papillon", par Claude Amstutz
Claire Keegan, "De la vie, poisons et contrepoisons", par Claire Julier
p.10
L'épistole, "Lettre de Bethléem", par Pascal Janovjak
Rosa Montero, "Si belle et si sombre", par Claude Amstutz
Chronique, "L'amour résurrection", par Frédéric Rauss
p.11
Carnet nomade, "L'oeil du crocodile", par René Zahnd
Raphaël Enthoven, "Rayonnante sagesse", par Claude Amstutz
p.12
Inédit, "Hubert le baron", par Pascal Rebetez
20:30 Écrit par Claude Amstutz dans Erri de Luca, Guido Ceronetti, Jean-Louis Kuffer, Le Passe Muraille, Littérature espagnole, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature italienne, Littérature suisse, Rosa Montero | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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04/06/2011
René Char
René Char, Lettera amorosa (Coll. Poésie/Gallimard, 2007)
Deux versions d'un même poème : la première, publiée en 1952, est illustrée de 16 collages de Jean Arp. Le poème fut repris et remanié l'année suivante et publié avec 24 lithographies de Georges Braque. Ce volume a été édité à l'occasion du Printemps des poètes 2007 qui avait pour thème les lettres d'amour.
Clef de voûte du sens de la vie et de la magie amoureuse, ce texte magnifique nous fait regretter l’impossibilité d’écrire avec un tel talent, ou de n’avoir été la destinataire d’une lettre si dense et évocatrice. Heureusement, il nous reste le plaisir de la lire et celle de l’offrir...
02:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; livres | |
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02/06/2011
Daniel Fazan
Bloc-Notes, 2 juin / Les Saules
Le prince Selim Djem, dans la postface au récit Vacarme d’automne, a bien saisi la personnalité de Daniel Fazan, quand il évoque un être charmant, attentif, souriant, toujours à l’écoute des autres et d’une sensibilité à fleur de peau. Pascal Vandenberghe, dans sa préface, parle d'un homme qui a pu faire de son amour des plaisirs de la vie et des autres, son métier.
Et c'est tout à fait l'image que je me suis fait de lui lors de ses émissions sur RSR La Première, Intérieurs. Quand je l'ai rencontré, rien ne m'a vraiment alerté, sinon un humour facétieux, un brin mélancolique, mais mordant comme un fruit vert de première jeunesse, un don naturel pour les pirouettes qui lui permettent de couper court, en public, à la manifestation de ses fragilités, de ses inquiétudes, de ses colères. L'expression d'une pudeur toute masculine, sans doute.
Dans son livre au contraire, il se lâche, Daniel Fazan. Avec sa difficulté parfois à vivre sur terre, son rejet des modèles - surtout ceux de son âge - et son aspiration à une tranquillité pleine de rébellion, Loulou, le narrateur de son récit, ressemble un peu à un emmerdeur qui prend sa place quand elle n'est pas offerte et la refuse quand le siège est encore chaud. Et comme il sent la vieillesse gagner du terrain, il se mue en vieille branche geignarde, mécontent de son sort, insatisfait de ce que le temps lui réserve, abîmé dans ses souvenirs qui lui semblent demeurer son unique trésor. A ce point-là?
Il est vrai que malgré la sympathie que j'éprouve pour Daniel Fazan, Loulou m'a souvent agacé, viscéralement. Non qu'il me déplaise, mais parce que ses coups de gueule décalés ou ses jérémiades à répétition me sont étrangement familiers, tout à coup, à moi qui suis à peine de deux ans plus jeune que lui... Après avoir ravalé ma salive, un peu déçu - de moi-même: je pensais avoir mieux réussi que lui! - je souris finalement, comme auprès d'un frère malicieux, à ce personnage où le tragique se mêle à la fantaisie et à la légèreté: Il me semble que je repique, comme ce lilas flétri reçu ce mai de lumière, dont j'ai entaillé les branches grises trempées dans l'eau chaude. Il relève la tête et ouvre ses grappes d'étoiles.
Loulou a encore de belles années devant lui. En fait, hormis les autres qui veulent le réduire à un dinosaure, le médecin qui doit plus souvent que par le passé ajuster la bécane, il a le coeur d'un adolescent: pourfendeur de l'ennui et du renoncement, un peu à côté de la plaque dans un univers qui vire à la conformité, sans oublier la passion qui, au bout du compte, retarde en lui avec élégance le poids de l'inéluctable et le mot de la fin: Chacun m'a donné sa perception du monde, ses sensations terrestres et mystiques, confié ses entrailles mémoriales avec une confiance délicieuse. J'ai, en contrepartie, offert mon moi, à chaque fois, avec la plus grande sincérité. (...) Leurs voix sont mes Schubert, mes Mozart, elles sont les concertos où leurs instruments brillent dans la nuit humaine des destins contrariés ou pacifiés. (...) Je les entends tous vibrer et les reconnaîtrais dans la multitude des voix anonymes.
La lumière, je vais la créer, elle sera mienne. Elle éclairera mon crépuscule. Lointain...
Un petit conseil cependant à Daniel Fazan qui, comme le rappelle Pascal Vandenberghe, est vieux et n'aime pas qu'on le lui dise: qu'il ne lise jamais - une rechute n'est jamais impossible - le roman de Adolfo Bioy Casares, Journal de la guerre au cochon puisqu'on y traque avec allégresse afin de les exterminer, les vieux de plus de... cinquante ans! Pauvres et vulnérables bien sûr...
Daniel Fazan, Vacarme d'automne (Olivier Morattel, 2011)
Adolfo Bioy Casarès, Journal de la guerre au cochon (coll. Bouquins/Laffont, 2001)
23:04 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |
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31/05/2011
Jean-Pierre Otte
Bloc-Notes, 31 mai / Les Saules
Certains auteurs, irrésistiblement, donnent envie de les connaître, pour de vrai. Jean-Pierre Otte fait partie de ceux-là. Amoureux de la vie et de tous ses bienfaits, esprit curieux intéressé par les êtres qui sont en eux-mêmes toute une histoire et ne ressemblent à personne, il nous raconte aujourd'hui une de ses belles rencontres, celle de Mehdi Mansour: un visage fascinant, de conciliation et d'ouverture (...), un de ces êtres fluides capables de se jouer de toutes les serrures.
A Lespinas, un hameau dans le Haut Quercy, en bordure du Cantal, ce dernier a créé un cercle des lecteurs - une quinzaine de personnes environ - qui se réunissent pour débattre autour de thèmes variés - la présence au monde, la philosophie, le bonheur ou l'écriture - de livres aimés, échangés, partagés - une centaine d'ouvrages à travers les siècles et mentionnés en fin de volume - conviant notre auteur dans cette oasis, un petit monde oublié du monde, une ambiance faite de quiétude, d'entrain et de camaraderie dans la proximité du feu.
Si Jean-Pierre, Mehdi et les autres ont en commun la passion de l'écrit, le refus du piétinement et de la stagnation, c'est sous le signe de l'amitié, de mets savoureux et de vins délicats que s'opère la magie. Si vous suivez un régime, ce livre sera une torture pour vous, car au fil des lieux et des saisons, vous humerez la tarte au citron de Maylis, le tiramisu de Bella, le quatre-quarts au chocolat d'Eliane, le vin chaud à la muscade et aux bâtons de cannelle de Mehdi, les crêpes au pommes flambées au kirsch de Petite Ourse... La fête, tout simplement!
Truffé d'anecdotes sur l'histoire de ces compagnons singuliers, souvent drôles et pas conventionnels pour un sou, ce récit nous délivre aussi quelques pensées merveilleuses. Sur la philosophie: Philosopher, c'est dans une volonté d'allégresse, apprendre à vivre au mieux la vie qui nous est échue en partage quand apprendre à mourir n'est pas nécessaire, puisqu'on y réussit fort bien la première fois. Sur l'importance des livres: Certains livres sont d'une telle fertilité que lorsqu'on y plonge la tête la première, ils remplissent le vide, délivrent, détruisent insensiblement toute impression d'isolement. On se croyait séparé de tout, en rade, laissé pour compte, et on se retrouve réuni, accordé à tout, au diapason même de l'univers. C'est cela, le plaisir par excellence.
Sur l'écriture, Jean-Pierre Otte nous partage une jolie image: Si tous les livres lus sont autant d'échappées belles sur les routes du monde, écrire, c'est s'inventer des chemins vierges. Alliance spontanée de la maturité et de la jeunesse, c'est de cette dernière, à propos de l'éducation, que jaillit peut-être le plus beau passage de ce livre: Nous les avons éduquées à baptiser les rêves de noms d'oiseaux, à construire des rires avec le sable, à semer le trouble dans l'obscur, à chanter avec l'eau, à ne jamais écouter leurs parents; nous leur avons tout appris, sauf à devenir. Grandir, j'espère que ce ne sera jamais le projet de nos filles.
Et si c'était cela, le bonheur?
Minna vous le dira bien mieux que moi, à la fin de Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes: Au bout du jardin de mon enfance, il y avait une rivière. Les cailloux chatoyants au fond du courant me fascinaient: leurs formes fluides, leurs formes indéfinies. Un jour, j'ai retiré des cailloux et les ai posés sur l'herbe de la berge. En séchant au soleil, ils devenaient ternes, terreux, avaient perdu leur caractère enchanté. Et pourtant, il suffisait de les rendre à la rivière, de les rentrer dans le courant pour qu'ils recouvrent instantanément leur magie...
Jean-Pierre Otte est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages, parmi lesquels L'amour au jardin (coll. Libretto/Phébus, 2002), L'épopée amoureuse du papillon (Julliard, 2007) et La vie amoureuse des fleurs dont on fait les parfums (Julliard, 2009), déjà évoqué sur La scie rêveuse.
Jean-Pierre Otte, Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes (Julliard, 2011)
00:34 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; récit; livres | |
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30/05/2011
Editions La Dogana, Chêne-Bourg (Suisse)
Collectif: Un visa donné à la parole - Trente ans d'édition (La Dogana, 2011)
Ce n'est pas par le nombre de publications que nous souhaitons nous distinguer, mais par leur qualité et la cohérence des choix. Et pour cette même raison que la poésie demeure à nos yeux - au sein des discours scientifiques, didactiques ou idéologiques dont nous sommes trop souvent devenus la proie - une des rares paroles à la fois légère, durable et nécessaire, nous avons accordé un soin particulier à l'aspect extérieur de nos livres; afin d'aboutir à une sorte de point d'équilibre entre la petite masse de papier, de toile et d'encre et l'énorme densité des oeuvres qui s'y trouvent inscrites.
Ainsi s'exprime Florian Rodari pour célébrer les trente ans de sa maison d'édition. Je ne vais pas vous raconter l'histoire de La Dogana, puisque - dans ces mêmes colonnes - un article lui a déjà été consacré par le passé, de même que plusieurs livres parmi lesquels ceux d'Ossip Mandelstam, Anna Akhmatova et Philippe Jaccottet. Par la critère de recherche sur ce site, vous pouvez les découvrir, les lire ou relire, si le coeur vous en dit. Ce petit cadeau fait à tous les passionnés de poésie est un catalogue illustré de toutes les publications de cet éditeur - 80 titres - entrecoupé par des textes inédits d'Yves Bonnefoy, Pierre-Alain Tâche, Jacques Réda, Philippe Jaccottet, Jean-Pierre Lemaire, Fréderic Wandelère, Alain Madeleine-Perdrillat et Angelika Kirchschlager. De l'autre côté du miroir, une autre résonance conclut ce bel anniversaire, avec Muriel Bonicel: Impressions d'une libraire à Montparnasse.
Florian Rodari peut être fier de son travail d'éditeur passionné, minutieux, insensible au rythme effréné des mondes, comme ces vagues de l'âme unissant une communauté d'artisans qui, refusant toute compromission, en scellent toute la beauté et l'authenticité.
00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Anna Akhmatova, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature italienne, Littérature suisse, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; essais; musique classique; livres | |
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27/05/2011
Christian Bobin
Bloc-Notes, 27 mai / Les Saules
Le fond bleuté des yeux des vagabonds commence à geler. L'argent serre les mâchoires. Le monde est une plaque de plâtre qui se décolle d'un mur: ce qui apparaît dessous est d'une dureté de fer. Ne resteront bientôt de tendres que les nuages, les fleurs et quelques visages de loups - de ces visages que la main manucurée de l'argent n'a pas encore nettoyés, qui gardent la parure d'une sauvagerie divine.
Ainsi s'ouvre le champ des méditations à travers lesquelles Christian Bobin, au gré de ses promenades, visites ou recueillements, laisse librement courir sa plume. A la beauté de la nature, des arts, des rencontres, il nous tend un miroir: celui de son étonnement, de la grâce de moments furtifs et inoubliables qui, chez lui, prennent tout leur sens dans une spiritualité souriante. Trop souriante, me direz-vous? Parfois, peut-être, mais qu'elle dispense de la chaleur dans cet âge du mépris, de la surdité et de l'acier!
Parmi les perles de son récit, on peut relever celle-ci: Chaque jour est une lutte avec l'ange des ténèbres, celui qui plaque ses mains glacées sur nos yeux pour nous empêcher de voir notre gloire cachée dans notre misère. Ou encore: Le rouge-gorge trouvé mort devant la porte du garage retient sous son duvet la chaleur des jours heureux. Dieu est un assassin blanc comme neige.
Enfin, les amoureux de la musique reconnaîtront en lui un frère quand il nous dit que Jean-Sébastien Bach a dans son dos une clé en or qu'il tourne plusieurs fois par jour.
Paru peu de temps après Carnet du soleil, Un assassin blanc comme neige n'est sans doute pas son meilleur livre. Pourtant, ne serait-ce que pour quelques escarbilles glanées au fil de ses rêveries, votre journée n'aura pas été vaine en son amicale compagnie...
Christian Bobin, Un assassin blanc comme neige (Gallimard, 2011)
Christian Bobin, Carnet du soleil (Lettres vives, 2011)
04:54 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |
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