13/03/2011
Jour de grève
Bloc-Notes, 13 mars / Les Saules
Aujourd'hui, ça y est. C'est décidé. Je m'offre un luxe dominical, celui de mettre - comme on dit chez nous - les pieds contre le mur! Quel mur? Celui de la déferlante des nouveautés qui, Salon du Livre de Paris oblige, éveillent certes ma curiosité, parfois me désespèrent et tout à coup, me submergent. Ce qui forge parmi mes moments de bonheur les plus miraculeux ou inattendus, soudain cède le pas aux humeurs cruelles, probablement injustes et un brin cyniques, ce qui, à dire vrai, n'est pas vraiment, aussi loin qu'il m'en souvienne, dans ma nature. L'impression désagréable qu'ayant à peine quitté le restaurant de Philippe Chevrier à Satigny, je suis déjà sur le pas de porte de celui de Gérard Rabaey à Brent... L'abondance nuit à la saveur, au plaisir, à la dégustation des mots, au balancement agréable et doux éprouvé à la découverte d'un auteur, nouveau venu sur cette terre généreuse de l'écrit.
Une dizaine de livres parus au cours du premier trimestre de cette année, attendent ce déclic intérieur et parmi ces derniers, combien en lirai-je dans les semaines qui viennent? Deux ou trois peut-être, faute de temps, comme tout le monde, sans doute. D'autant plus que ceux à paraître entre mars et avril - une autre dizaine - garnissent déjà abondamment mon unique fauteuil réservé aux lectures incontournables, à entrepredre sans tarder. Alors oui, devant la pléthore de ces instants d'émotions possibles liés à l'actualité du livre, eh bien oui, je bois la tasse et... fais la grève!
Tous les sens en éveil, devant les teintes rougeoyantes du ciel en cette fin de dimanche, déambulant dans notre jardin en toute tranquillité, j'observe le manège amoureux des oiseaux autour de la maison de bois en face de la fenêtre de notre cuisine, émerveillé et reconnaissant de cette joie intérieure qu'accompagnent les perce-neige, crocus de toutes les couleurs - bleus striés de blanc, jaunes ou violets - qu'accompagnent les premières éclosions du camélia et des primevères, cette sorte de sourire que sont parfois les fleurs au milieu des herbes graves, comme le dit si bien Philippe Jaccottet.
Je m'accorde un temps de marche pour peaufiner de nouveaux projets qui me trottent dans la tête, dont celui qui verra bientôt le jour sur le blog de La scie rêveuse - en avril probablement - consacré aux plus belles musiques classiques découvertes ou ravivées par Facebook.
Et maintenant? Retour au livre aimé, choisi, aussi libre que l'air respiré. Celui entrepris voici quelques jours, signé Jacques Perrin, Dits du gisant, dont les mauvaises langues pourraient dire qu'il s'agit d'un vieux livre, puisque paru en septembre 2009! C'est l'histoire de Jasper, un alpiniste de l'extrême qui, à la suite d'un accident de montagne avec son ami Robert, se retrouve cassé, émietté, immobilisé sur un lit d'hôpital d'où il tirera sur le fil ténu qui abolit les frontières invisibles entre la vie et la mort, amorçant une lente reconstruction tant physique qu'intérieure, vivifiée par le souvenir, la magie des instants uniques, les rencontres, les visages. La littérature y est un levier crucial: Arthur Rimbaud, mais aussi Maurice Chappaz, Robert Walser ou Rainer-Maria Rilke. Il est vrai que ce récit, par de nombreuses évocations, se situe aux confins de la poésie. Il a neigé hier; l'ombre est venue sur ce blanc; des pas d'oiseaux menus - signes à déchiffrer peut-être? Tu penses à Nietzsche, aux grands événements qui, selon lui, arrivaient dans la discrétion, sur des pattes de colombe; transformation du temps, la pluie et un peu de neige sur les hauteurs aujourd'hui; ces flocons qui demeurent suspendus, accrochés aux paraisons glacées de la paroi...
Rarement j'ai lu de si belles pages consacrées à la montagne, au temps du vin - qui occupe aussi une place de choix dans le coeur de Jasper - aux possibles fins dernières dont le narrateur par le biais d'un Journal entrevoit les lueurs imprévues: D'ici j'ai peine à deviner tes traits. Je voudrais me relever, me pencher pour mieux te voir. Impossible. Je ne vois que le vide qui nous sépare. Je suis pris de vertige. Le vent s'est levé et souffle avec une rare violence. Il me traverse, me glace encore davantage au passage. Mon corps ne lui offre aucune prise. Je suis ouvert, transparent, dépouillé, sans forme précise. Qui me regarde ne me verra pas. Qui me parle n'entendra pas ma réponse. Qui me touche me brisera davantage encore. J'entends que tu souffres à côté de moi. Je t'envies: tu existes. On peut dire au moins quelque chose de ta souffrance.
Dits du gisant est l'une des plus belles parmi mes lectures récentes et pour vous - moins sensibles que je ne le suis au rythme obsédant du calendrier - il suscitera un jour proche, je l'espère, un de ces bonheurs de lecture savourés au pas lent, régulier et attentif du montagnard, en compagnie d'un écrivain, un vrai.
Le dernier opus de X attendra bien un peu...
Jacques Perrin, Dits du gisant (L'Aire, 2009)
19:42 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse, Maurice Chappaz, Philippe Jaccottet, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |
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10/03/2011
Kafka, l'éternel fiancé
Bloc-Notes, 10 mars / Nyon
Il allait seul son chemin, effrayé par le monde. sa maladie lui conférait une sensibilité confinant au miraculeux et un raffinement intellectuel sans compromis, jusqu'aux conséquences les plus terrifiantes. Il était timide, inquiet, doux et bon, mais les livres qu'il écrivait, les plus importants de toute la jeune littérature allemande, sont cruels et douloureux. Il voyait le monde rempli de démons invisibles qui anéantissent l'homme sans défense. Il était trop lucide, trop sage pour pouvoir vivre, trop faible pour combattre, il était de ceux qui depuis toujours se savent impuissants, se soumettent et, ce faisant, couvrent de honte le vainqueur. Ses livres, pleins d'une ironie sèche, décrivent l'horreur de l'incompréhension, de la faute innocente. C'était un artiste qui entendait encore là où les sourds se croyaient en sécurité.
L'extrait de cet hommage bouleversant, paru à la mort de Franz Kafka, est signé Milena Jelenska, la compagne qui a sans doute le mieux appréhendé celui pour qui écrire était sa raison de vivre. et que Jacqueline Raoul-Duval met admirablement en lumière à la fin de son récit Kafka, l'éternel fiancé, présenté sous une perspective originale, celle des femmes qui ont marqué sa trop brève existence.
Réjouissons-nous, car ce livre démontre que l'érudition n'est pas opposée à la légèreté de la plume et que l'intelligence n'empêche pas une lecture agréable. Comme au théâtre, nous voyons revivre auprès de Franz la berlinoise Felice Bauer, représentante de commerce, la jeune fille qu'il n'a vue qu'un soir, une heure à peine, coiffée d'une capeline beige et blanc, avant de lui dédier - outre une centaine de lettres, télégrammes, messages - Le verdict, le seul récit qu'il jugera valable jusqu'à sa mort. L'a-t-il aimée, espérée ou imaginée, du fond de sa solitude, celle dont il dit au premier coup d'oeil qu'elle est sans charme, sans attrait, décidée, pleine d'assurance, robuste?
Julie Wohryzeck ensuite, une secrétaire de Prague, commune mais étonnante, jolie, auprès de laquelle, encore en bonne santé, il goûtera au bonheur, jusqu'à l'arrivée de Milena Jelenska, journaliste et écrivain qui entre tel un ouragan dans sa vie, une lumière dans les ténèbres, alors que la tuberculose le ronge déjà et le prive de couleurs. Enfin Dora Diamant, institutrice polonaise à Berlin, une merveilleuse créature, intelligente, douce, croyante, pieuse, qui l'accompagnera jusqu'à la fin. D'autres personnages féminins occupent une place singulière et mériteraient d'être mentionnés, mais ceux-là, je vous laisse les découvrir!
L'auteur de cette magnifique évocation de Franz Kafka met en perspective ce qui, dans presque tous les cas de figure, a posé problème à ses conquêtes: une oeuvre en devenir où l'homme n'est qu'une ombre pitoyable devant le soleil, un monde absurde où toute entreprise est vouée à l'échec, où les innocents se reconnaissent coupables. (...) Glacées d'effroi, ces amoureuses ne savent plus qui est l'homme qu'elles aiment, elles ne distinguent plus la fiction de la réalité.
En annexe à ce récit qui se lit avec plaisir comme un véritable roman, Jacqueline Raoul-Duval nous dresse un tableau précis, émouvant, pathétique, de la destinée de tous les familiers de l'écrivain après son décès, un certain 3 juin 1924, à l'âge de 40 ans. Et si la vie de Kafka a été marqué par le sceau de nombreuses tragédies, vous vous apercevrez que le malheur a frappé nombre de ses proches aussi, pour des raisons fort diverses...
Un mot, pour finir: Si vous voulez en savoir davantage sur la personnalité de Franz Kafka, lisez Pietro Citati; si vous avez lu ses oeuvres et cherchez à approfondir votre perception, lisez Marthe Robert ou - en allemand et en anglais - Klaus Wagenbach dont l'essentiel n'est plus disponible en langue française. Et n'oubliez pas Alexandre Vialatte, le premier traducteur en langue française de ce désormais incontournable prodige des lettres modernes et qui nous en dresse un portrait souvent inattendu!
Jacqueline Raoul Duval, Kafka l'éternel fiancé (Flammarion, 2011)
Pietro Citati, Kafka (coll. Folio/Gallimard, 1991)
Marthe Robert, Seul comme Franz Kafka (Calmann-Lévy, 1994)
Alexandre Vialatte, Mon Kafka (Belles-Lettres, 2010)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, Bloc-Notes, Franz Kafka, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récit; essai; livres | |
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05/03/2011
Patrick Rambaud
Patrick Rambaud, Le chat botté (Grasset, 2006)
Nombreux sont les ouvrages d’histoire ou de fiction consacrés à Bonaparte. Pourtant ce roman, écrit par un passionné de cette époque – voir Il neigeait, L’absent ou encore La bataille, tous disponibles en livre de poche –, s’attache à la période la plus créative et la plus intéressante de Bonaparte, qui commence avec la mort de Robespierre et s’achève avec le mariage de Joséphine de Beauharnais. Très sérieusement documenté mais sans être savant, son écriture est limpide, agréable, soutenue. Une valeur sûre en littérature et un plaisir de lecture à la manière d’Alexandre Dumas.
Egalement disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2008)
00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |
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03/03/2011
Actualité d'Andrée Chedid
Bloc-Notes, 3 mars / Les Saules
Pour tous les amoureux des racines, de la langue et des frémissements poétiques d'Andrée Chedid, dont deux ouvrages ont paru peu avant sa disparition - un roman, Les quatre morts de Jean de Dieu; un recueil de poèmes, L'étoffe de l'univers - déjà évoqués dans ces colonnes, je ne saurais trop vous recommander, dans la célèbre collection Poètes d'aujourd'hui, l'étude que lui a consacré Jacques Izoard. Illustrée par des documents photographiques émouvants, suivie d'une anthologie de ses poèmes: un coeur fertile qui nous reste de son passage.
Si vous préférez la prose, je vous signale, dans la collection Mille et une pages - 1'182 pages! - Romans, regroupant ses récits les plus importants: Le sommeil délivré, Le sixième jour, L'autre, L'enfant multiple, La maison sans racines, Le survivant, Les marches de sable, Nefertiti et le rêve d'Akhenaton. La plupart de ces textes sont également disponibles en coll. J'ai Lu ou Librio, souvent choisis dans les lectures scolaires, ce qui me ravit!
Rythmes, dans la légendaire coll. Blanche de chez Gallimard, est à mon sens l'un de ses plus beaux recueils poétiques: Mon autre / Mon semblable / En cette chair qui nous compose / En ce coeur qui se démène / En ce sang qui cavalcade / Et ce complot du temps / En cette mort qui nous guette / En cette fraternité de nos fugaces vies / Mon semblable / Mon autre / Là où tu es / Je suis.
Enfin - un juste compromis entre prose et poésie - découvrez vite le merveilleux album Le coeur demeure, une correspondance entre Andrée Chedid et son époux Louis-Antoine, contre-chant à partir des deux rives de la Méditerranée, illustrée de photographies de Fouad Elkoury: En pénétrant et en se pénétrant du désert, sans doute y décèle-t-on le fond de l'âme? Confrontée à son extrême nudité, peut-être qu'on libérerait en soi d'autres sources plus souterraines, et que se dévoileraient d'autres et surprenants chemins? Mais cette voie, je le sens bien, n'est pas la mienne. Je préfère prendre appui sur l'image d'une fontaine, sur celle d'un peuplier ou sur les mystères d'un visage. Je préfère parcourir les vives et effervescentes cités, Paris, Le Caire et même New York m'émeuvent, me remuent, me propulsent. La ville m'est remède et soulèvement. Elle me tire de l'ennui, de la routine; me garde dans le vif des rencontres, dans le bonheur du partage et de la diversité.
Belles lectures à tous!
Jacques Izoard, Andrée Chedid (coll. Poètes d'aujourd'hui/Seghers, 2004)
Andrée Chedid, Romans (Flammarion, 1998)
Andrée Chedid, Rythmes (Gallimard, 2003)
Andrée et Louis Antoine Chedid, Le coeur demeure (Stock, 1999)
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27/02/2011
Jacques Lacarrière
Bloc-Notes, 27 février / Les Saules
Bien que célèbre auprès du grand public pour Chemin faisant, mille kilomètres à pied à travers la France et L'été grec célébrant sa passion pour la mythologie et la Grèce antique, on oublie trop souvent que cet homme du voyage, à la manière d'un Nicolas Bouvier, fut avant tout un poète, et comme le note Jean-Pierre Siméon dans sa magnifique préface, il s'agit toujours pour lui de délivrer des oracles inapaisés, des vérités qui n'ont pas d'âge ou dont notre modernité désinvolte fait par lâcheté l'économie.
Cet Orphée contemporain nous permet ainsi de découvrir des textes admirables, parmi lesquels les recueils Amours d'écume - six poèmes pour Aphrodite et Terre: Je suis né d'un songe de la terre rêvant qu'elle s'unissait au ciel. J'ai grandi dans l'ombre inquiète de racines toujours assoiffées d'obscur. Et j'ai fleuri dans l'allégresse de la sève et l'offertoire des frondaisons. Je suis l'axe du monde, vivant défi des temps carbonifères. L'alliance de l'ombre et de l'éclair, le tremplin des orages, l'esprit des sources et des souffles. Je suis le sommeil et l'éveil, le silence et la symphonie. Je suis l'oratoire des astres, et mes feuillages s'impatientent des apocalypses à venir. J'abrite en mes branches l'aspic et l'alouette, l'ogre et l'océanide, le singe et la sylphide, le ver et la vestale. J'abrite l'hier des fauves, le présent des oiseaux et le demain des hommes. J'abrite le nid des anges et les couvées du ciel. Je suis l'axe du monde.
Ciselées avec lenteur, en artisan qui savoure le temps des haltes et des migrations de l'âme, ses réflexions sur l'écriture - et la poésie en particulier - ne sont d'aucun âge et signifient bien davantage qu'un simple encouragement pour les générations futures: La poésie est morte, mourante, moribonde? Alors, vive la poésie! Depuis qu'on annonce sa mort imminente, qu'on proclame sa désuétude, qu'on la dit inapte ou inappropriée au siècle d'aujourd'hui, il ne devrait plus s'écrire de poèmes. Pourtant, il s'en écrit, il s'en publie et surtout il s'en lit sans cesse. (...) Elle est toujours de ce monde, puisqu'elle demeure vivante parce que vivace, vivace parce que rebelle. (...) Rebelle a la vie prosaïque, rebelle au silence des cendres.
Critique littéraire, traducteur d''Odysséa Elytis et d'autres poètes grecs contemporains, metteur en scène de Sophocle et de Yannis Ritsos, cet homme de lettres en éveil devant toutes les formes et expressions du langage nous a quittés le 17 septembre 2005, à l'âge de 80 ans. Il semble que c'était hier...
Jacques Lacarrière, A l'orée du pays fertile - Oeuvres poétiques complètes (Seghers, 2011)
00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; essais; livres | |
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26/02/2011
René Char
René Char & Zao Wou-Ki, Effilage du sac de jute (coll. Poésie/Gallimard, 2011)
Ces 18 poèmes de René Char enluminés de 10 aquarelles de Zao Wou-Ki sont reproduits dans la présente édition à partir du manuscrit original tiré à 100 exemplaires et conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Si les textes figurent dans les oeuvres complètes de René Char à la Bibliothèque de la Pléiade, intégrés dans Fenêtres dormantes et porte sur le toit, la correspondance entre ces deux artistes hors du commun, ajoutée à la présente édition, est inédite, fruit d'une complicité entre Marie-Claude Char et Françoise Marquet: la veuve du poète et celle du peintre. Sans être aussi dense que la correspondance entre Nicolas de Staël et René Char, elle n'en est pas moins le reflet d'une amitié en mouvement, offrant un éclairage ajouté pour tous les amis de cet immense écrivain.
La réalisation de ce livre très soigné - et en édition de poche - nous présente en alternance les manuscrits de René Char et les aquarelles - absolument magnifiques - de Zao Wou-Ki. Un seul regret, celui de ne pas retrouver en version typographique les poèmes, car même si l'écriture est très belle, harmonieuse, indispensable, dans ce format la lecture n'en est pas facilitée. Cela dit, Gallimard a réitéré avec cet ouvrage ce qu'il avait inauguré avec Lettera amorosa du même auteur, et les fans dont je suis, ne peuvent que s'en réjouir...
Chaque carreau de la fenêtre est un morceau de mur en face, chaque pierre scellée du mur une recluse bienheureuse qui nous éclaire matin, soir, de poudre d'or à ses sables mélangée. Notre logis va son histoire. Le vent aime à y tailler. L'étroit espace où se volatilise cette fortune est une petite rue au-dessous dont nous n'apercevons pas le pavé. Qui y passe emporte ce qu'il désire. (Eprise, dans Effilage du sac de jute)
00:37 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Nicolas de Staël, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; art; correspondance;livres | |
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20/02/2011
Frédéric Mairy
Frédéric Mairy, Bref éloge de la fin (D'Autre Part, 2011)
Frédéric Mairy déroule pour nous un tapis rouge, celui des fins dernières. Pas seulement le signe annonciateur de la mort définitive, mais aussi cette boucle qui clôt une journée, concrétise la conclusion d'un spectacle ou marque l'achèvement d'une réflexion. Avec tristesse? Pas du tout, et la citation de Charles-Ferdinand Ramuz s'adressant à sa fille, mentionnée par l'auteur dans sa préface - et qui mériterait d'être apprise par coeur dans les écoles - en dit assez long sur sa perception sensible des choses: C'est à cause que tout doit finir que tout est si beau. C'est à cause que tout doit avoir une fin que tout commence. C'est à cause que tout commence que tu as connu le grand émerveillement. Tâche seulement d'être toujours émerveillée.
Dans cette promenade à travers le temps et l'espace distillée non sans humour, nous côtoyons ces écrivains qui sont en quelque sorte le fil rouge de ses observations, rêveries ou méditations: Nicolas Bouvier, Luigi Pirandello, Anton Tchekhov, Paul Claudel - pour n'en citer que quelques-uns - auxquels, pour illustrer les travers de la tragicomédie moderne, il convient d'ajouter Pierre Desproges et Woody Allen. Des mots simples dont on éprouve la proximité pour dire un monde qui souffre sous un manteau de fleurs.
Né en 1973 dans le Val-de-Travers, Frédéric Mairy partage son temps entre le théâtre, l'écriture et la lecture d'auteurs auxquels ce livre rend un bel et subtil hommage.
00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: essai; livres | |
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14/02/2011
Albertine Sarrazin
Albertine Sarrazin, L'astragale (coll. Points/Seuil, 2011)
Disparue prématurément en 1967, à trente ans à peine, alors que la vie semblait enfin lui sourire, Albertine Sarrazin laisse derrière elle trois livres essentiels: L’astragale, La cavale et La traversière dont seul le premier est à nouveau disponible en librairie. Quelle tristesse … car cette enfant de l’assistance publique, mal aimée et révoltée deviendra un écrivain – un vrai, un grand - en prison où elle séjournera pendant huit ans pour braquage à main armée, prostitution et vol. Ses écrits sont autant de cris de révolte contre une société lâche ou hypocrite et un témoignage sans concession sur le milieu carcéral. Son style unique, instinctif, d’une beauté ténébreuse, alliant la crudité du langage à la tension émotionnelle de sa fragilité intérieure, n’a pas pris une ride. Sa rage de vivre couchée sur papier mérite bien mieux aujourd’hui que d’habiller la poussière d’une obscure bibliothèque de province. Lisez donc L’astragale et croyez-moi, certaines de vos lectures récentes prendront un méchant coup de vieux, tout à coup …
06:10 Écrit par Claude Amstutz dans Albertine Sarrazin, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |
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08/02/2011
Jeanne Benameur
Bloc-Notes, 8 février / Les Saules
Des types comme Antoine, il y en a beaucoup - de plus en plus pourrait-on dire - à Montreuil ou ailleurs... Un jour, leur univers vacille, parce que leur usine va fermer, que les propriétaires vont délocaliser le travail. A l'étranger, avec une main d'oeuvre à bas prix. Et il en rage, l'Antoine, comme bon nombre d'ouvriers qui lui ressemblent: Je voulais que tout le monde comprenne. Les bénéfices, ils sont là! Enormes! Leur mise, ils la ramassent et ils la multiplient. Si maintenant, avec la crise, ils en font un peu moins, des bénéfices, et même s'ils en font beaucoup moins, ils s'en sont tellement mis dans les poches qu'ils pourraient peut-être réfléchir à ceux qui leur ont permis tout ça, à la base! C'est nous quand même! C'est notre travail!
Ce qui différencie pourtant Antoine - le jeune héros du roman de Jeanne Benameur, Les insurrections singulières - des autres, c'est qu'il perd aussi sa femme Karima qui l'abandonne après quatre ans de vie commune. Il n'a plus rien, sinon le souvenir de celle qui lui tenait la tête si près du ciel. Oh, ce ravage, il l'a pressenti sans comprendre, dans ce désamour qui ressemblait aux modèles réduits de son père qui n'avaient jamais pris la mer. Il sent bien que quelque chose cloche entre lui et les autres, entre lui et le monde... Il est affairé, mais pris dans la tenaille de ses rapports entre patrons et employés qui lui sonnent faux ou mieux, lui semblent une imposture à la vraie vie qui se laisse ronger par le rythme et la répétition de ces jours de rien... Mais laquelle pour lui qui a tout perdu? Comment être singuliers dans tout ce pareil qui nous mine? Nous, on était qui?
Il entrevoit peu à peu les fissures de son existence qui de son amour de l'architecture l'ont mené à l'usine: Mon père a été un ouvrier, un vrai. Moi, j'ai fait l'ouvrier.(...) Le monde que je vis aujourd'hui n'est pas le monde. Le vrai monde est celui que je pressentais quand j'étais petit et il était immense. C'est le monde que j'ai dans les mots quand je roule à moto, quand je caressais le corps de Karima, quand je touche les livres rares, quand mes mains au fond de mes poches rêvent et que j'ai les yeux levés vers le ciel ou vers une fenêtre éclairée. Il est là, le monde. Je le sais. Je l'ai toujours su. Et tout le reste, c'est pour faire comme les autres.
Or l'acier, maintenant, c'est à Monlevade - au Brésil - qu'il sera traité. Heureusement pour Antoine, il y a l'ami Marcel qui tient boutique, vend des livres dont il lit les extraits qu'il a aimés à sa défunte épouse au cimetière, rien que pour elle. Tu vois, moi j'ai des passions, les livres, ça me sauve... je traverse mes temps morts avec des gens qui ont oeuvré pour ça, ceux qui ont écrit... je les aime et je leur suis infiniment reconnaissant du temps passé devant leur table... ils m'aident à traverser. Et qu'eux soient morts ou vivants, ça n'a plus aucune importance. Un brin philosophe, notre Marcel, qui n'aime pas les gens qui ressemblent à un cimetière ambulant, et plein d'humour confie à son jeune ami que les étiquettes élimées, quand on touche à l'essentiel, ça part au lavage!
Et voici qu'un beau jour, avec Marcel, il s'embarque au pays de ce Jean de Monlevade - pionnier de la sidérurgie brésilienne -, et au fond de lui-même aussi, peut-être. Au risque de griller toutes ses économies et de revenir à la case départ, sans le sou, mais que lui importe: il a franchi le pas le plus difficile... Même s'il serait dommage de vous dévoiler toute l'histoire - sa naissance à la lecture puis à l'écriture - sachez qu'il vivra ses rêves, sans craindre de buter contre ces mots qui ne franchissaient jamais ses lèvres - un truc de mecs! - et demeuraient comme un caillou au creux de sa poitrine. Il se sentira léger, silencieux, bien vivant, enfin. Il connaîtra aussi l'amour, éprouvant auprès de Thaïs - c'est son nom - le même sentiment que lorsqu'il tenait entre ses mains les livres rares de Marcel, quelque chose de joyeux et de solide en même temps. Avec elle, ses mots à lui vivront enfin dans un éblouissement simple et naturel.
Il prolongera le carnet de son père qui consignait ses notes et ses désirs: J'écris pour tous ceux que j'aime et ceux que je ne connais pas. J'écris pour ceux que je croise dans la rue et qui ne savent pas que sur leurs visages je vois quelque chose de la vie qui passe.
Un hymne à la liberté que ce merveilleux livre dont tous les personnages de Jeanne Benameur respirent l'authenticité, gens de peu dont les pas nous accompagnent pour longtemps - dans un style vif et concis parfois proche de la poésie - avec la voix off de Marcel qui nous répète qu'on n'a pas l'éternité devant nous. Juste la vie...
Jeanne Benameur, Les insurrections singulières (Actes Sud, 2011)
23:55 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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07/02/2011
Andrée Chedid 1c
Andrée Chedid
Je me souviens
D'ombres plus denses que le plomb
De regards impassibles
De rivières fourbues
De maisons rongées
De coeurs blanchis
D'hirondelles torpillées
Et de cette femme hagarde
sous l'explosion des armes
Je me souviens
Du tumulte des sèves
De l'envolée des mots
De plaines sans discorde
Des chemins de clémence
Des regards qui s'éprennent
Et de ces beaux amants
sous les feux du désir
De tout ceci
De tout cela
Je me souviens
Et me souviens
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
20:34 Écrit par Claude Amstutz dans Andrée Chedid, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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