19/02/2012
Fouad Laroui
Fouad Laroui, La vieille dame du riad (Julliard, 2011)
présenté par Anouk Lassilaa - Librairie Payot, Nyon
C'est avec un bonheur sans mélange qu'un jeune couple français s'installe à Marrakech, dans le riad qu'il vient d'acquérir. Quel choc quand il découvre, dans une petite pièce au fond de la maison, une vieille femme qui y semble installée de toute éternité. Ni l'agence immobilière ni les anciens propriétaires ne sont en mesure de leur expliquer ce qu'elle fait là. La femme est très vieille, paisible, parlant quelques mots d'un dialecte que personne ne comprend et ne paraît absolument pas disposée à quitter les lieux. Pas question de jeter à la rue une personne aussi fragile. Aucune institution n'est prête à l'accueillir. Impossible de retrouver sa famille. Comment aménager cette cohabitation? La faire travailler contre le gîte et le couvert, mais pour faire quoi? La considérer comme une amie de la famille? Mais ils n'ont absolument rien en commun. Lui trouver une chambre en ville? Impossible de la faire partir manu militari. Accomplir un acte charitable et l'accueillir comme une SDF? Se soumettre et accepter cette étrange situation? Mais cette présence, aussi discrète soit-elle, reste une intrusion insupportable et un viol de l'intimité de ce couple plein de bonnes intentions. Comment partager son espace avec quelqu'un qui vous est totalement étranger? Telle est la question!
Ils ont une idée fabuleuse, Cécile et François, quand ils décident d’acheter un riad à Marrakech! Mais une aventure hors du commun les attend. Que fait cette vieille femme au fond d’une pièce? Est-ce que tout ce petit monde coloré qui les entoure va pouvoir les aider? Vous, peut-être? Un ton ironique et tendre qui met à mal bien des clichés et des idées reçues avec un humour bienvenu.
17:20 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |
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15/02/2012
Le poème de la semaine
Jean-Pierre Lemaire
Un chant d'oiseau découpe la fenêtreNotre lit s'éveille au milieu du jardinderrière les volets qui ne laissent passerde la vie que l'invisibleAu fond sur le murune échelle de lumièrerouge d'abord, puis dorée
Le long de l'échelleles musiciens anonymes du jourmontent et descendent
Crois-tu qu'avec la poésienous pourrions y monter nous aussi?
Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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14/02/2012
Aline Kiner
Aline Kiner, Le jeu du pendu (coll. Piccolo/Liana Levi, 2012)
Paru en 2011, Le jeu du pendu est - dans le domaine du roman policier - l'un des meilleurs titres francophones de ces dernières années! L'auteur nous embarque en Lorraine où, un certain 24 décembre 1944, le petit village de Varange est le théâtre d'une pendaison au cimetière, celle de Johann Ziegler au vieux chêne du lieu. Un écriteau est posé, visible de tous, au pied de l'arbre. On peut y lire en grandes lettres: La corde pour les collabos... Soixante ans plus tard, une jeune fille, Nathalie, est retrouvée ligotée, avec une corde nouée autour du corps - comme la statue du Dieu piteux au cimetière - et étouffée sauvagement dans la boue d'une ancienne mine de la région.
Solidement documenté - les archives consultées, mais aussi les témoignages des habitants de cette région de la Moselle - Le jeu du pendu nous restitue, à travers des personnages complexes et attachants ces heures douloureuses de l'après-guerre où l'atmosphère était pire que pendant l'Occupation. Les familles qui rentraient d'exil retrouvaient leurs maisons sans dessus dessous, les jardins dévastés, les meubles volés par les voisins. On se traitait de collabos. Tant de haine...
Mais la Lorraine, c'est aussi le souvenir de la fermeture des mines de fer qui réveillent bien des blessures, exposées avec une rare sensibilité: Adolescente, Sarah avait souvent insisté pour que son père l'emmène au fond. Elle voulait voir, disait-elle. Seulement voir, une fois, où il travaillait. Il aurait pu. Certains le faisaient. Mais il n'avait pas voulu. La nuit presque totale, le vacarme des engins, le froid pénétrant, l'humidité. La poussière, ocre, du minerai qui leur collait à la peau et leur valait ce nom de gueules jaunes. Ce n'était pas un monde pour les enfants.L'odeur de la boue... Quand on était imprégné de cette odeur, jamais on ne s'en débarrassait. Elle ressortait, en même temps qu'une trace jaunâtre, sur le col des chemises blanches qu'on portait en été. Fille de mineur, Aline Kiner - originaire de cette région - sait de quoi elle parle et apporte de précieuses explications dans sa postface pour les lecteurs qui ont passé à côté de cette page d'histoire de France.
L'intrigue policière qui repose sur les épaules des deux enquêteurs, Simon Dreemer - muté du service des SRPJ de Metz - et Jeanne Modover - qui renoue avec le pays de son enfance - ne laisse aucun répit et débouche, comme dans tout bon roman policier, sur un dénouement tout à fait inattendu. Un vrai plaisir le lecture où la recherche du meurtrier se mêle à une peinture sociale de la Lorraine, particulièrement convaincante.
Si vous ne l'avez déjà fait, découvrez vite Aline Kiner: vous ne le regretterez pas une seconde...
image: Aline Kiner (http://www.lyceesaintvincent.fr)
06:13 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; policier; livres | |
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10/02/2012
Monique Rivet
Bloc-Notes, 10 février / Les Saules
Nous sommes en Algérie, au milieu des années 50. Laure Delessert, professeur de lettres, est nommée dans le lycée d'une petite ville proche d'Oran, appelée El-Djond. Cette voyageuse sans bagages qui ouvre ses yeux d'enfant sur une réalité qu'elle peine à cerner, va se heurter au coeur des événements - comme on nommait alors la guerre d'Algérie - au conformisme ambiant, aux interdits, voire à l'incompréhension que suscite sa perception libertaire et humaniste du monde qui l'entoure: Ce qu'on appelait glacis, c'était une large avenue coupée d'un terre-plein et bordée, côté indigène, de boutiques arabes. (...) Une frontière non officielle, franchie par qui voulait et gravée pourtant dans les esprits de tous comme une limite incontestable, naturelle, pour ainsi dire, à l'instar d'une rivière ou d'une orée de forêt.
Malgré une relative protection dont elle jouit grâce à son amie médecin Elena - une femme séduisante et pragmatique, introduite dans les cercles influents - son aventure avec Felipe, un voisin de palier espagnol, ouvrier chez un marchand de meubles de El-Djond, son attachement aux familles Bensaïd, Davout et Tayeb vont la précipiter dans la spirale de la peur, puis de l'enfer: le prix d'un idéalisme importé et d'une naïveté ignorant la patience, qui pèsent lourd en pareilles circonstances. Rien n'avait changé, ni la lâcheté, ni le courage, ni la délirante violence des hommes. La peur, l'ombre dans les yeux de celui qui se retourne et vous regarde au moment où une main se referme sur son bras, et cette main faite pour l'ordre et la mort vous cache à jamais l'être aimé qu'on emmène. Qui a vécu cela ne l'oublie pas.
Dans ce pays qui la désoriente et qu'elle peine à comprendre, Laure ne se résout pas à demander son retour en France, de même que nombreux de ses concitoyens: Quelle est cette ligne de démarcation au-delà de laquelle nous allons déclarer forfait? Célébrer une victoire ou déplorer une défaite? Et après quelle traversée infernale où nous aurons perdu, chacun d'entre nous, un peu de notre estime de nous-mêmes, un peu de notre confiance dans les autres, à force d'avoir épié sur les visages familiers le grignotement douceâtre de la trahison?
Laure sera finalement expulsée - une justice rendue selon elle, beaucoup de chance selon d'autres - et rapatriée en France d'où elle dressera un tableau de son passage en Algérie, nourri par l'amertume, la tristesse et les souvenirs de la guerre. Une évocation poignante dont vous pouvez retrouver un très bel extrait sur La scie rêveuse, dans la catégorie Morceaux choisis.
Le Glacis est une oeuvre sobre et forte, dont le récit nous touche par ce qu'elle nous rapproche, bien au-delà de la guerre d'Algérie, des autres conflits qui ensanglantent la planète, aujourd'hui. Tous les acteurs de ce drame sont crédibles, intéressants, libres de toute caricature, et le personnage de Laure, un peu agaçant au début de l'histoire avec ses provocations un peu puériles - El-Djond n'est pas le Quartier latin - finit par nous émouvoir par sa sincérité et sa générosité: elle qui n'avait pris parti pour rien, s'était intégrée à rien et avait vécu dans un splendide isolement...
Je vais retrouver des villes sans couvre-feu, des campagnes où l'on se promène sans crainte d'être enlevé ou assassiné. Nous irons au théâtre comme c'était prévu et je ne raconterai pas à ma mère comment on vit et comment on meurt dans le pays d'où je viens. Ni à elle ni à personne.
Agrégée de lettres classiques et retraitée, Monique Rivet partage son temps entre la région parisienne et les Cévennes. Elle a écrit Le Glacis à la fin des années 50, sans le publier. Du même auteur, vous pouvez lire Caprices et variations, édité chez Flammarion en 1957, ainsi que Les Paroles gelées et La Caisse noire, parus chez Gallimard en 1996 et 1997.
Monique Rivet, Le Glacis (Métailié, 2012)
00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |
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08/02/2012
Le poème de la semaine
Henri Pichette
la légèrecandidecapricieusetourbillonnanteouatéepoudreuseneige dont j'aimelalente lente chute par un jour de grisaille aux vapeurs violâtresou quelquefois même (je l'ai vu)par un ciel terre de Sienneellepapillonne blanc,plus blanc que les piérides blanchesqui volettent en avril comme fiévreusement,à moins que ce ne soit frileusementautourde rosescouleur d'âtre météorequi touche ma manche de ratine,y posant des cristaux à six branchessous mes yeux d'étincelles pluiedeplumesdemouettesmuettes recouvrant la plaine deshéritéeemmantelant la forêt squelettique épaisse assoupissante et ensevelissante blanche telleune belle absence de parole blanche autant qu'absoluedans un silence d'oeilqui rêve l'éternité blanche neige neigéetellement soleilléeque d'un blanc aveuglant,et brûlante! moelle de diamant neiges du Harfang aux iris jaune d'oret ventre blanc pur de la Panthère des neiges de quel oiseau fléché fuyant à travers cielce pointillé de sang sur la neige vierge? regardez, par-delàcette grille givréed'innocentes herminesdorment tout de leur longsur les bras des croix alors qu'à l'intérieur l'enfantle front appuyé à la vitrepour jouerfait de la buée,dehors chaque floconéclate une petite larmequi rouleen basdu carreauoù le mastic est vieux comme la maison Ettout là-bas(à l'heure de mon coeur qui bat tout bas)quelqu'uncontemplela rencontre de la neigefloconneuse, innombrableavec la merformidable, commede plomb,glauque Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:18 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
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07/02/2012
Morceaux choisis - Antonin Artaud
Antonin Artaud
Que la vie un jour devienne aussi belle que dans une simple toile de Van Gogh et pour moi ce sera assez. Et je ne pense pas que l'on puisse avoir quoique ce soit de plus à souhaiter. A moins d'être frotté de crime, de mysticisme, de piété, et d'obscénité.
Le café d'Arles dans la nuit est la restitution matérielle authentique de la vision d'un enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de la conscience, c'est-à-dire de la malpropreté. Et ça n'a rien d'impressionniste, de symboliste, de romantique, de pré-raphaëlite, c'est au contraire d'un réalisme outrancier. D'une exactitude comme cinématographique d'ombres, de pans de détails éclairés. Tous les pavés de la vieille place nocturne sont chacun un simple trait carminé. La lumière est bien celle d'un gaz jaune, mais inexplicablement et merveilleusement fourré d'or. Et c'est plus vrai que la réalité.
Il y a au tout premier plan à gauche un store froissé de toile blanche, qui est comme un grumeau de lueurs en fusion, et au premier plan de l'autre côté, sorti de la nuit ambiante, un amandier semble redevenu vert. Et au-dessus le ciel, bleu de geai, où les étoiles sont comme des crachats pendus dans l'air ou des soufflets. C'est d'un grand peintre qui serait en même temps un metteur en scène passionné. Car le bizarre est que tout cela fait silence, et qu'il n'y a personne, que les tables et sur les tables toutes les soucoupes d'un café.
Quelle est la technique du peintre? La nature. Sa gamme chromatique, ses pinceaux, son dessin, sa recherche de certains effets. Et Van Gogh peint court, convulsé, resserré, appuyé, il simplifie, puis l hachure, et organise sa mélodie. Et chacune des toiles de Van Gogh peut répondre à un instrument particulier. Eh bien! Et ce n'est pas vrai!
Il ne hachure pas, n'organise pas, n'a pas de gamme, il peint court mais l'effet est long, et la touche plus qu'infinie, le dessin va à l'infini sous sa rotation qui ne fait que s'accélérer.
Il n'a pas de sens, pas de mélodie. Sa musique a quitté la toile, sa peinture a vidé la toile pour pénétrer dans notre vie.
Antonin Artaud, Dossier de Van Gogh - Oeuvres complètes, vol. XIII (Gallimard, 1974)
image: Van Gogh, Le café d'Arles
05:51 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; beaux-arts | |
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06/02/2012
François Emmanuel
François Emmanuel, L'enlacement (Seuil, 2008)
Remarqué en 2007 avec l’excellent Regarde la vague, chez le même éditeur, François Emmanuel conte cette fois-ci, à travers ce court récit, la magie et la fascination d’une rencontre capitale, dans les salons viennois du Belvédère, entre le narrateur et Ana Carla. Au-delà de la complicité amoureuse secrète entre ces deux êtres, du vertige des sens ou des fêlures intimes, l’auteur dresse – inconsciemment peut-être – un hommage tout en finesse à la Femme, seule capable de donner une dimension et une émotion aussi irremplaçable à la Vie elle-même… Dans la lignée de Pierre-Jean Jouve ou Marcel Schwob – pour ce qui tient de la pureté du style ou de l’atmosphère - un auteur à vraiment découvrir: Il le mérite.
00:34 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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05/02/2012
Vous avez dit 2 euros ?
Bloc-Notes, 5 février / Les Saules
Si je ne fais erreur, c'est en 2006 que les éditions Gallimard lancent la collection Folio 2 euros, qui, comme vous le constatez, aborde à prix tout à fait raisonnable les grands noms de la littérature ou de la philosophie de tous les temps, de tous les horizons: de Lucrèce à Renée Vivien, de Miguel de Unanumo à Ian McEwan, de Lao-Tseu à Mario Soldati. 330 titres parus à ce jour, pour la plupart des nouvelles ou extraits d'oeuvres plus importantes, parfois difficiles d'accès dans une autre version.
Les anthologies, au nombre d'une quinzaine environ, jouissent d'une succès mérité. Parmi elles Que je vous aime, que je t'aime! consacré aux plus belles déclarations d'amour. Vous pouvez y retrouver, entre autres, celles d'Ovide, de Madeleine de Scudéry, de William Shakespeare, ou d'Emily Brontë. Dans 1, 2, 3... bonheur! c'est le bonheur en littérature qui est célébré, sous la plume de J.M.G. Le Clézio, André Gide, Oscar Wilde ou Guy de Maupassant. Enfin, Leurs yeux se rencontrèrent nous immerge dans les plus belles premières rencontres en littérature: Guillaume de Lorris, Ernest Hemingway, Louis Aragon ou Alessandro Baricco sont invités dans ce recueil par ailleurs consacré à bien d'autres auteurs.
Parmi les publications récentes, citons L'art du baiser dans la littérature, recueil où figurent Louise Labé, Violette Leduc, Arundhati Roy, David Foenkinos ou encore Pablo Neruda, avec ces vers immortels: Ce qu'il t'en aura coûté de t'habituer à moi, à mon âme esseulée et sauvage, à mon nom que tous chassent. Tant de fois nous avons vu s'embraser l'étoile du Berger en nous baisant les yeux et sur nos têtes se détordre les crépuscules en éventails tournants. Mes paroles ont plu sur toi en te caressant.
Sur un tout autre registre, Ne nous fâchons pas! nous entraîne à l'art de se disputer au théâtre, en compagnie de Molière, Beaumarchais, Alfred de Musset, Edmond Rostand, Georges Feydeau et Eugène Ionesco. Un régal! Pour terminer, Au pied du sapin nous plonge dans les contes de Noël. Cette anthologie est probablement l'une des plus originales, car outre les textes les plus célèbres, on prend plaisir à lire, sur ce thème, Jean Giono, Théophile Gautier, Luigi Pirandello, Fédor Dostoievski ou Alphonse Allais.
Ces Folio à 2 euros, dont la variété des titres est impressionnante, seront la compagnie idéale des voyageurs en transport public, en train et - quand le printemps puis l'été seront des nôtres - à bouquiner sur un banc, au bord d'un lac ou d'une rivière, comme la jeune fille de la photographie...
Collection Folio 2 euros (Gallimard)
image: Les humeurs de Bernard, Comment faire une pause?
(http://les-humeursdebernard.over-blog.com/article-comment-faire-une-pause-72371682.html)
19:34 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature espagnole, Littérature étrangère, Littérature francophone, Littérature italienne, Louis Aragon, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; poésie; correspondance; livres | |
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02/02/2012
Caroline Boidé
Bloc-Notes, 2 février / Les Saules
Alors que fleurissent les difficultés dans le monde étroit de la librairie et de l'édition française - hausse de la TVA, prix de vente à l'exportation, frein au budget des ménages - il faut saluer le courage de Serge Safran, avec trois titres à son catalogue, à ce jour, et deux ou trois autres à venir par an, nous dit-il. Une approche du livre qui à elle seule mérite qu'on s'y attarde: privilégier, sans que cela soit une contrainte, ni une limite, de nouveaux ou jeunes auteurs, en tout cas des écrivains méritant d’être soutenus et encouragés avec passion.
Avec ce troisième texte, Les impurs de Caroline Boidé, il pourrait bien faire pâlir de jalousie d'autres enseignes plus prestigieuses que la sienne, car ce roman, déjà remarqué par les libraires et la presse, est l'un des plus beaux que j'aie lu depuis longtemps!
Nous sommes en Algérie, à la fin des années 50. David, de confession juive, quitte Batna pour exercer son métier d'ébéniste à Alger. Il y tombe sous le charme de Malek, une musulmane bibliothécaire de la ville, amoureuse des livres. L'attraction est réciproque, absolue, de corps et d'âme: Rien ni personne n'aurait pu la faire changer de cap. Elle était décidée à vivre notre amour jusqu'au bout; aucune de ses faims ne serait abandonnée à mi-route. Par là, elle fracassait les interdits, défiait la bienséance, se moquait des convenances. Sur des feuillets épars, Malek se confie: Mes trop-pleins cognent contre les parois du réel. Je suis l'échevelée de mon père jetée contre une vitre. Je m'ennuie à crever dans la réalité ordinaire où les gens sont en armure. Comme à son ombre tout manque de densité. Je me rue alors en moi, dans les tréfonds, où la vie bouillonnante s'accumule, conduite par le ciel.
Malheureusement, c'est la guerre, et à la ligne pure de Malek répond l'attitude plus craintive de David qui, dans le contexte historique et religieux du pays, ne lui inspire que des craintes pour l'avenir et le contraint à rompre. Un sacrifice au goût amer: Dans la loi de nos pères, Malek et moi étions des pestiférés, des impurs. Pour eux, notre union était une malédiction. Un juif et une musulmane en Algérie auraient fait des vauriens, des bons à lyncher, des mort-nés aux racines calcinées. Nous aurions vécu cachés. Je ne voulais pas fabriquer de pitance pour les chiens.
Avec la mort tout à fait inattendue de Malek - qui nous attriste, car on est conquis par sa personnalité vibrante, sensuelle, indépendante et désespérée - Caroline Boidé relie ses personnages - sans militantisme mi démagogie - à la grande Histoire, qui répand son flot de souffrances, de terreurs, de défaites, même si malgré les événements, subsistent quelques signes de fraternité entre les deux communautés, comme leur précurseurs l'ont vécu: En Algérie, nous dit David, les juifs et les arabes se côtoyaient depuis des siècles, bien avant le XIXe siècle et l'arrivée des français. Nous partagions notre quotidien, parfois même nos maisons. Nous avions des modes de vie similaires et tous des trains de vie modestes.Voilà ce qui nous liait, des jours après jours communs et bariolés et une absence de domination de l'un par l'autre.
L'angle de vision de Caroline Boidé sur la France vue d'Algérie, prolonge cette réflexion grave avec beaucoup de finesse et de conviction: Ce n'était pas entre nous au départ qu'il y eut dissension. Cette graine de discorde fût semée le jour où l'état français proposa à mes ancêtres juifs d'Algérie de le rejoindre en adoptant la nationalité française. Par là, on nous a forcés à prendre une identité qui n'était pas la nôtre, on nous a définis contre notre gré, retranchés dans un camp politique devenu l'un des côtés d'un champ de bataille.
David ressentira tout cela dans son for intérieur alors que plus tard, marié à Léa, avec sa fille Esther, il devra quitté le pays, aucune autre solution n'étant plus envisageable. Sur le bateau qui l'emmène loin de sa patrie, la plaie jamais guérie de son unique véritable amour, Malek, s'ouvrira à nouveau avec amertume: Mon pays aurait toujours dû permettre que retentissent ensemble le muezzin et le chofar qui se répondaient si bien. Il aurait dû les préférer au chant de deuil traversant la ville, aux ténèbres recouvrant les peuples et au rugissement de la sirène dont les appels stridents déchiraient le silence.
Un roman attachant et généreux, conduit en alternance par le récit de David et les feuillets de Malek, où le monde intime et les rumeurs qui l'entourent s'expriment tout en nuances, servis par une écriture d'une rare qualité émotionnelle, ainsi qu'un souci d'authenticité déjouant les pièges communs du mélodrame ou de la rancune historique. Longtemps après avoir refermé le livre de Caroline Boidé, on songe à la dernière image de Malek, bouleversante: La lune elle-même a barré ses lèvres d'une main bleu nuit comme si elle redoutait qu'on y lise sa détresse.
Un chef d'oeuvre, indiscutablement!
Caroline Boidé est une jeune femme de 30 ans, née d'une mère juive d'Algérie et d'un père originaire de France. Les impurs est son deuxième roman, après Comme un veilleur attend l'aurore, paru chez Léo Scheer, en 2008. Sur La scie rêveuse, sous la rubrique Morceaux choisis, vous pouvez découvrir un bel extrait de son dernier livre: une réflexion sur la nécessité de l'écriture.
Enfin dans les Liens, vous pouvez consulter le site de l'éditeur Serge Safran: il le mérite vraiment...
Caroline Boidé, Les impurs (Serge Safran, 2012)
12:12 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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01/02/2012
Le poème de la semaine
Louis Aragon
C'est une chose étrange à la fin que le mondeUn jour je m'en irai sans en avoir tout ditCes moments de bonheur ces midis d'incendieLa nuit immense et noire aux déchirures blondes. Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croitD'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-mêmeIls savent toucher l'herbe et dire je vous aimeEt rêver dans le soir où s'éteignent des voix. D'autres qui referont comme moi le voyageD'autres qui souriront d'un enfant rencontréQui se retourneront pour leur nom murmuréD'autres qui lèveront les yeux vers les nuages. II y aura toujours un couple frémissantPour qui ce matin-là sera l'aube premièreII y aura toujours l'eau le vent la lumièreRien ne passe après tout si ce n'est le passant. C'est une chose au fond, que je ne puis comprendreCette peur de mourir que les gens ont en euxComme si ce n'était pas assez merveilleuxQue le ciel un moment nous ait paru si tendre. Oui je sais cela peut sembler court un momentNous sommes ainsi faits que la joie et la peineFuient comme un vin menteur de la coupe trop pleineEt la mer à nos soifs n'est qu'un commencement. Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouchesLe sac lourd à l'échine et le cœur dévastéCet impossible choix d'être et d'avoir étéEt la douleur qui laisse une ride à la bouche. Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnieOù l'on porte rongeant votre cœur ce renardL'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma partPorté comme un enfant volé toute ma vie. Malgré la méchanceté des gens et les riresQuand on trébuche et les monstrueuses raisonsQu'on vous oppose pour vous faire une prisonDe ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre. Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fondMalgré ces nuits sans fin à regarder la haineMalgré les ennemis les compagnons de chaînesMon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font. Malgré l'âge et lorsque soudain le cœur vous flancheL'entourage prêt à tout croire à donner tortIndifférent à cette chose qui vous mordSimple histoire de prendre sur vous sa revanche. La cruauté générale et les saloperiesQu'on vous jette on ne sait trop qui faisant écoleMalgré ce qu'on a pensé souffert les idées follesSans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri. Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessuresLes séparations les deuils les camoufletsEt tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulaitDe toute sa croyance imbécile à l'azur. Malgré tout je vous dis que cette vie fut telleQu'à qui voudra m'entendre à qui je parle iciN'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merciJe dirai malgré tout que cette vie fut belle. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie | |
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